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08-05-02 Un soulagement au goût amer... par Bernard Giusti |
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Le second tour des présidentielles a heureusement écarté la menace du Front National. Mais qui à gauche pourrait aujourd'hui se réjouir de la situation actuelle ? Cette "victoire" laisse un goût plus qu'amer... Personnellement, j'ai voté Chirac. D'autres parmi nous ont préféré s'abstenir ou voter blanc. Comme des millions d'électeurs, j'ai voté Chirac avec beaucoup de réticence, mais toutefois sans hésitation démesurée. Plusieurs raisons avaient guidé mon choix. D'abord, j'ai considéré qu'il valait mieux voter pour " SuperMenteur " plutôt que de voir " SuperMenteur+SuperFascho " faire un bon score, ce qui aurait, à court terme, par le poids politique qu'aurait alors représenté le Front National, distrait ce qui reste des forces encore réellement de gauche dans leur lutte pour la défense de leurs idées. Ensuite, je n'ai jamais partagé l'analyse de ceux qui, à gauche, prônaient un pourrissement de la situation, et qui allaient même parfois jusqu'à souhaiter assister à l'accession de Le Pen au pouvoir, avec l'espoir que cela entraînerait des soulèvements populaires. Compte tenu de l'évolution des sociétés industrialisées lors des dernières décennies, mais aussi des leçons que l'on peut aisément tirer des aventures armées qui ont pu avoir lieu dans ce contexte, il est certain qu'une telle situation ne pourrait profiter qu'au pouvoir en place et au renforcement de l'Etat policier. N'oublions pas en outre le nouveau paramètre qui influe sur toute politique nationale ou internationale depuis le 11 septembre, à savoir l'appui apporté par les Etats-Unis à ce qu'ils appellent "la lutte antiterroriste". On a bien vu ceux que l'on désigne par là : pas seulement les "vrais" terroristes, ceux qui perpétuent des attentats aveugles, mais aussi tous ceux qui résistent à l'injustice et à l'oppression. A cet égard, le soutien apporté par Bush au criminel de guerre Sharon dans ses exactions en Cisjordanie ne laisse aucun doute quant au soutien qu'il apporterait à un Le Pen au pouvoir (et ce, bien entendu, malgré les déclarations médiatiques de Powell). Un soulagement au goût amer, donc, d'autant que rien n'est joué. D'abord, le second tour des élections a montré que si Le Pen a été cantonné dans ces précédents scores, son socle électoral est solide et bien réel. Ensuite, chacun sait que le véritable gouvernement (et donc les lois qui seront votées, les orientations prises, etc.) ne sera constitué qu'en fonction du résultat des législatives. Or, je reste persuadé que quel que soit ce gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, nous aurons une politique centriste. Si la droite l'emporte, elle mettra bien évidemment sa politique en oeuvre, mais certainement en tenant compte à la fois des désirs exprimés par les électeurs lors du premier tour des présidentielles, et aussi du "consensus" qui a porté Chirac au pouvoir grâce aux voix de gauche. Car comme le déclarait Mamère sur TF1, si jamais un Président de la 5e République n'a obtenu un tel score, jamais non plus il n'aura été aussi "mal élu". Si la gauche plurielle l'emporte, c'est le Parti Socialiste qui imposera sa politique : les poids respectifs des Verts et d'un PC laminé ne pèseront guère dans la balance. Or les caciques du PS, malgré leurs déclarations fracassantes, n'ont visiblement pas retenu la leçon du premier tour. Champions du double langage, ils continuent à parler à gauche (et encore... seulement lorsqu'il s'agit d'idées générales) et à agir en lorgnant à droite. Les ténors du PS campent sur une position politique désastreuse : si les électeurs ont boudé les bulletins PS, ce n'est pas à cause de la politique qu'ils ont mise en oeuvre (les dirigeants), mais parce qu'ils n'ont pas compris (les électeurs) tout le bien fondé de l'action du gouvernement Jospin. Les électeurs de gauche sont des abrutis qui ne savent pas lire entre les lignes... Le laminage du PC ne porte pas non plus à un soulagement serein. Que l'on soit ou non adhérent de ce parti, sympathisant ou non, il est indéniable qu'au fil des ans le PC a tourné les dos à ce qui faisait sa raison d'être, à savoir son électorat populaire et les idées et les combats qui y sont liés, pour se consacrer, de fait et malgré l'illusion proclamée de " tirer le gouvernement vers la gauche ", à une politique politicienne qui l'a progressivement vidé de sa substance. Or, le rôle que le PC jouait à gauche ne saurait être à l'heure actuelle repris par aucun autre parti. Le vide ainsi laissé, même momentanément, est une aubaine pour les extrêmes de droite comme de gauche. Cette situation ne saurait s'assainir que si le PC trouvait la force et le courage de se remettre en question, et choisissait de retrouver certains des principes et des idéaux qui ont fait sa force. A l'extrême gauche, occupée par les trotskistes dans les élections, l'attrait vient essentiellement de la capacité restée intacte de proposer des projets et des débats soutenus par de véritables approches théoriques et politiques (là encore, que l'on soit ou non d'accord avec ces projets), et non pas par ces longues litanies de gestion comptable en cours dans les autres partis. C'est bien ce qui a conduit un certain nombre d'électeurs du PS et du PC à voter pour l'extrême gauche, quittes ensuite à s'étonner de la position prise par Arlette Laguillier lors du second tour, position pourtant en parfaite concordance avec la logique de Lutte Ouvrière. Mais les partis, et c'est un lieu commun que de le dire, sont devenus des institutions où l'appareil de parti supplante les consciences, et dans lesquelles les changements structurels et idéologiques sont lents et difficiles. Or, nous en sommes convaincus à Vendémiaire, l'avenir appartient à de nouvelles structures et surtout, ce qui en est le fondement, à une nouvelle approche citoyenne et politique. Le choc du premier tour a quelque peu réveillé les consciences. Il nous faut éviter de laisser aux hommes politiques le soin de les rendormir avec des discours lénifiants. Il faut retrouver la dynamique qui présidait jadis aux choix politiques de chacun. Loin des farces électorales, il faut réintroduire de véritables débats d'idées, de projets de sociétés, c'est-à-dire retrouver le chemin de la théorie politique, et faire en sorte que ces débats, quand ils existent encore, sortent des îlots intellectuels où ils se cantonnent pour, de nouveau, concerner l'ensemble des citoyens. Qui aujourd'hui lirait encore un Louis Althusser, un Georges Politzer ou un Raymond Aron ? On lit les mémoires plus ou moins trafiquées, saupoudrées de " révélations " et de ragots, des stars de la politique de droite et de gauche, ou bien encore les réflexions d'un Juppé chaussant les bottes de Montesquieu. Je suis convaincu qu'à l'heure actuelle l'avenir réside dans les mouvements de citoyens, dans un grand nombre d'associations, dans toutes les microstructures qui échappent, précisément, à la perversion structurelle des partis. C'est dans les mouvements contre la marchandisation de la culture, dans les mouvements contre la pensée unique et le politiquement correct, dans les mouvements qui défendent certains idéaux comme les Droits de l'Homme, dans ceux qui se battent contre la misère et la précarité, pour le droit à la dignité de chaque citoyen, dans tous ces mouvements épars (la liste serait longue) que se forgeront les nouvelles forces politiques capables de changer l'avenir et les mentalités. C'est en tout cas en ce sens qu'il nous faut oeuvrer. Bernard Giusti Ecrivain |
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