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Pour en revenir à de véritables débats politiques | |||||||||||
Une récente émission télévisée dénonçait, une fois de plus, les crimes commis au nom du communisme. Si les massacres, les déportations, les procès truqués, toutes les atteintes aux Droits de l'Homme restent absolument condamnables, quelles que soient les "raisons" qui les ont motivées, je ne puis m'empêcher de trouver quelque peu hypocrites tous ces braves gens qui s'empressent de dénoncer ces crimes (après tout c'est dans l'air du temps, ça ne demande pas un grand courage et c'est plutôt bien vu), en les comparant au passage aux crimes perpétrés par le nazisme, pour faire bonne mesure. Mais si l'on veut dénoncer les errances idéologiques, peut-être conviendrait-il de ne pas oublier tous les crimes commis au nom du capitalisme. Car les millions de morts recensés du fait de sociétés totalitaires ne sauraient plonger dans l'oubli les millions de morts dues au capitalisme sauvage, aux guerres de conquêtes, aux restructurations industrielles et financières, aux famines provoquées par les sacro-saintes "lois du marché", aux millions de gens qui meurent sous prétexte que les grands groupes pharmaceutiques ne font pas dans l'humanitaire et qu'il ne saurait être question de distribuer gratuitement des médicaments qui pourraient sauver des populations entières, aux millions de morts empoisonnés par des pollutions industrielles organisées au nom du profit, etc. On pourrait ainsi multiplier les exemples à l'envi. Mais il est certain qu'au jeu macabre de la comptabilité des cadavres, les sociétés capitalistes arriveraient largement en tête. Alors pourquoi revenir sans cesse à une comparaison entre communisme et nazisme, en voulant nous faire croire au passage que ces deux "idéologies se valent bien" (il suffit d'une analyse minimale pour constater que ces deux régimes n'ont rien à voir) ? L'argument plus ou moins tacitement avancé serait que dans les régimes dictatoriaux ou avancés comme tels, les décisions conduisant à l'élimination de grandes parties de la population, pour des raisons politiques, religieuses ou économiques, sont prises au plus haut niveau de l'Etat lui-même, ce qui ne serait pas le cas de nos démocraties. Certes, on imagine mal l'un de nos présidents signer un décret ordonnant l'incarcération et l'élimination de pans entiers de la société. Mais les décisions concernant les monnaies, les grands cadres des échanges commerciaux, la régulation des marchés, les politiques écologiques, etc., si elles ne sont effectivement pas nommément dirigées contre telle ou telle population, n'en sont pas moins meurtrières. Et si à notre époque on meurt nettement moins dans les usines et les banlieues occidentales qu'au 19e siècle, cela doit-il nous faire oublier que les habitants du tiers-monde meurent "à notre place" ? De ce point de vue la différence essentielle réside dans les circuits de décisions et la capacité du capitalisme à faire passer pour "naturelles" les lois qui régulent son fonctionnement. Cette différence ne saurait en aucun cas se limiter au nombre de morts engendrés par tel ou tel système ou, pire encore, sur le "bien-fondé" de ces morts... -- sauf à se ranger aux vues d'un Président des Etats-Unis prétendant représenter "la" démocratie, et qui a déclaré sans hésiter qu'il est incompréhensible que tant de gens détestent son pays, "parce que, dit-il, nous sommes bons": on voit tout de suite la portée d'un tel "argument" en forme de jugement de valeur (soit dit en passant, il se trouve malheureusement que c'est ce type d'argumentation qu'emploient tous les dictateurs...). Ne serait-il pas temps de se pencher non pas seulement sur les "effets" de tel ou tel régime politique, mais aussi et surtout sur leurs fondements théoriques ? Ne serait-il pas temps, dans cette réflexion sur les "dégâts" respectifs causés par les structures politiques et économiques des sociétés étatisées, de ne plus "omettre" nos sociétés occidentales et capitalistes ? Evidemment, réintroduire en France de véritables débats politiques, au sens premier de la "Polis", reprendre l'habitude de débattre sur des théories politiques, et non plus sur de vagues idées jetées en pâture au troupeau d'électeurs, cela nous priverait des fanfaronnades et autres foutaises de notre classe politique actuelle. Mais peut-être cela permettrait-il aux citoyens de trouver ou retrouver un véritable intérêt pour la res publica, et ainsi de restaurer un climat politique susceptible de barrer la route à certains aventuriers : la défiance généralisée qui s'est installée en France à l'encontre de nos politiciens me paraît en effet pour le moins propice aux sirènes du populisme. Ce qui est certain, c'est que de tels débats fondés sur la réflexion et la contradiction ne conviendraient sans doute pas à certains journalistes ou hommes politiques avides d'audimat facile, et toujours prompts à hisser haut, et à bon compte, le drapeau de la vérité et de la vertu. Bernard Giusti |
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