n°24
En route pour l'Orient
Pierre Meige

Il fallait maintenant que je me mette en route   pour le pays d'Oc. Sortant peu à peu de mon royaume intérieur, je longeais prudemment  les torrents aquitains la tête encore embaumée par le pays de faiery,  je remontais les collines, le soleil devenait de plus en plus chaud, la végétation plus rocailleuse, je revenais dans la loi de la réalité.  Les grillons berçaient mes pas, les pins embaumaient de leurs résines les sentiers. Sous mes yeux entre deux filets de lumière, j'aperçus des milliers de toits en tuile qui s'enfilaient les uns à côté des autres dans l'harmonie du paysage.

Groggy par  la chaleur  et bercé sous  cette brise d'occitan,  je sentais la pierre chaude du terroir du sud, je grimpais les sentes des collines arides, poursuivant inlassablement ma quête  de l'inconnu.
Au croisé des Monts-joi d'anciens pèlerinages, au hasard d'un défilé de chemins camouflés par les genêts, je croisais une confrérie de  contrebandiers andalous,  je m'attendrissais devant les visages des filles qui lavaient le linge à la rivière,  le vent du sud  me renvoyait l'écho de leurs voix à l'accent pointu et pimenté. Le paysage était grandiose mais les plateaux arides,  la garrigue brûlante et les ronces qui me déchiraient les jambes me renvoyaient dans un état de mélancolie. Je n'arrivais plus à mettre de l'ordre dans ma conscience. Les êtres que j'avais côtoyés dans ma modeste de vie s'élançaient devant moi sur les sentes en s'amusant de me voir le dos courbé sur mon bourdon pommelé démuni et rejeté par la chaleur et la fatigue.
Dame Eleonore et son beau visage me demandant de chercher son mari, Le Renart et Guélénard le sergent d'armes s'amusant de ma condition de troubadour.
Et moi en Jehan Grogne leur montrant fièrement ce sauf-conduit dans ma besace attestant ma qualité de messager qui doit m'ouvrir les portes de la liberté.

Je  me sens seul et impuissant face à cette nature sauvage. Tout m'abandonne. Le cuir de  mon escharpe m'entaille l'épaule, je suis au bout de ma route, aucun vers ni chant ne me donne ce surplus de quintessence. Je suis abandonné. Je revoie la bourse du frère convers et mon père me donnant l'accolade. J'ai envie de mourir. Le doute me reprend. Puck ne peux plus rien pour apaiser mon âme de pèlerin sans joie.
Ma dame, je n'ai plus le courage de continuer ma quête
Mes jambes et mon âme pleurent

Au carrefour  d'un chemin monotone,  alors que je jetais une pierre sur un montjoi dédié à Jacques le Majeur,  mes yeux  furent captivés par  un tapis de toits en tuile rouge qui s'échappait des branches, et éclairait de sa couleur vive  l'horizon tout entier. Des larmes d'extase glissèrent sur mon maigre visage fatigué.
Noble Dame Eleonore merci de m'avoir donné le droit de vous servir
J'arrive en terre d'Occitan où je vais pouvoir entendre le chant de la poésie

J'étais juché  au-dessus de la place de la capitale du Fin'amor, là où la musique et la poésie  résistaient aux barbares du pays d'Oil. La grâce des briques et des pierres taillées de ses toits, les ombres et les lumières qui berçaient  le pays d'Oc dans un silence digne du jardin de l'Eden. Je me souviens comme si c'était hier : je me suis mis à genoux, et j'ai prié pour mon père, mon village, pour le seigneur Thibault et pour sa noble épouse qui m'a guidé tout le long de cette route.
-Merci mon Dieu de m'avoir mis sur terre rien que pour admirer tant de splendeur que l'homme libre peut admirer sans esprit de conquête mais en toute humilité et sagesse.

Pierre Meige

(à suivre)
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