n°25 | |||||||||||||
CULTURE Nouvelle Le manuscrit oublié par Paul Desalmand |
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En rangeant ma cave, je trouve un manuscrit. Depuis quand est-il là ? Pourquoi m'a-t-il été envoyé ? Qui est cet auteur originaire de Toulouse ? De nature incurablement optimiste, j'imagine un scénario. Le texte est remarquable. J'appelle l'auteur. Il me l'a envoyé, il y a dix ans, n'a pas trouvé d'éditeur, a failli se suicider, mon coup de téléphone lui procure un immense bonheur, le reste à l'avenant. Le soir même, je lis la première nouvelle du recueil. Le narrateur est chargé d'organiser la nuit des clochards ramassés à travers la ville. Il règle les cas de tous sauf un. Le pauvre, encore plus miséreux que les autres, n'est même pas capable de dire son nom. À un moment, il montre ses mains : des moignons. Il ne lui reste plus qu'un pouce et un doigt. - Papa ! Le préposé aux services sociaux, reconnaît son père. La mère était partie et le père avait pris en charge l'éducation de l'enfant abandonné. De tempérament colérique, il lui administrait parfois des roustes appuyées. Mais chaque fois, il se punissait d'avoir battu son enfant en se coupant un doigt. Il le sciait avec une scie égoïne, son métier d'ébéniste lui rendant l'opération aisée, du moins dans les débuts. Mais bien sûr, le métier d'ébéniste avec seulement deux doigts, ce n'est pas évident. Il s'était retrouvé au chômage puis à la cloche. La fin de l'histoire est pathétique. Le père, effondré, gémissant, tend les mains, enfin ce qu'il en reste, vers son fils en lui disant : « Pardonne-moi ! Pardonne-moi ! » Tout son être exsude l'espoir, mais le fiston se contente de lui expliquer le fonctionnement du centre, avec le sourire tout de même. Ce texte me fit l'effet d'un puissant soporifique et je m'endormis comme une masse. On ne vantera jamais assez les vertus dormitives des mauvais manuscrits. Anéantie, par la même occasion, ma pulsion généreuse, et le rêve d'un dénouement heureux. Dans la nuit pourtant, je fus la proie d'un cauchemar. Je me présentais devant un éditeur avec un manuscrit et, pour l'apitoyer, je tendais mes deux moignons où ne subsistaient qu'un pouce et son index, lui disant que je me coupais un doigt chaque fois que je recevais une lettre de refus. L'éditeur, pas le moins du monde ému, me répondait tout à trac : « Il vous reste les doigts de pied. » Paul Desalmand |
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