n°25
Point de vue

Les raisons de la défaite
par
Stéphane Juranics
Les raisons de la défaite de la gauche sont multiples. Ségolène Royal, en tant que candidate, en porte sans doute une part de responsabilité (la première étant d'être tombée dans le piège de Sarkozy, qui a encouragé les
médias à la mettre en avant en jouant sur sa seule image, le candidat de l'UMP sachant très bien qu'il la battrait facilement à ce jeu-là).
Cependant, n'oublions pas que Sarkozy a été élu, au bout du compte, grâce aux suffrages massifs des plus de 60 ans (61% des 60-69 ans, 68% des plus de 70 ans !), ces retraités tremblants devant leurs postes de télévision en voyant des voitures brûler au JT de TF1. Cela interroge la société française dans son ensemble et pose un grave problème générationnel : les anciens, qui ont bénéficié des acquis sociaux de l'après-guerre et des bonnes conditions économiques des 30 glorieuses, veulent aujourd'hui interdire ces mêmes acquis sociaux aux plus jeunes, qu'ils souhaitent voir travailler toujours plus pour financer leurs propres retraites. Il y a là quelque chose
d'insupportable.

Mais ce qui est sûr, et qu'il faut bien dire, c'est que la "gauche de la gauche" porte une responsabilité bien plus lourde dans cette défaite. Oui ou non, les leaders de la gauche anti-libérale, ceux-là mêmes qui prétendent
vouloir freiner le rouleau compresseur du capitalisme financier mondial, ont-ils donné le piètre spectacle de leurs propres divisions - préférant défendre chacun leur (petite) chapelle plutôt que de s¹unir et de créer une
dynamique électorale ? Oui ou non les Bové, Buffet, Besancenot et Laguillier ont-ils oublié que la première condition pour gagner en politique, c¹est de (se) rassembler ? Ces quatre-là ont beau se dire "différents" dans une Vème République dirigée par deux grands partis, au fond ils ont fait "comme les autres". Et même pire, puisqu¹au moins, au PS (comme à l¹UMP d¹ailleurs), on sait prendre ses responsabilités, choisir un leader et se ranger derrière lui. Tout cela est pitoyable. La Révolution française n¹a été possible que grâce à l'alliance objective du peuple et de la bourgeoisie contre la monarchie de droit divin et l¹aristocratie. Je ne supporte plus de voir l¹ambition personnelle primer ainsi sur l¹intérêt général.

Je n'oublie pas non plus - et n'oublierai jamais - les deux trahisons de cette soi-disant gauche anti-libérale : la première, en 2002, quand elle a éliminé Jospin (dont le bilan était somme toute honorable, comparé à ce que
la droite a fait depuis), avec le résultat que l'on sait : cinq années de Sarkozy au Ministère de l'Intérieur, d'où il a pu se servir des moyens de l'Etat pour développer ses thèses empruntées au FN et les mettre en scène avec la collaboration des médias ; la deuxième, le 6 mai dernier, quand 20 % des électeurs de la gauche anti-libérale se sont abstenus et 10 % ont voté Sarkozy ! Autant dire qu'avec ces voix-là, Royal aurait pu gagner, ou du
moins faire pratiquement jeu égal avec le candidat de l'UMP. Une honte !

Voilà où cela mène de passer son temps à "casser du soce", comme l'a si bien fait cette coqueluche des médias qu'est Besancenot. Voilà où cela mène de vouloir faire la fine bouche quand on est soi-même fonctionnaire ou salarié de grandes entreprises (ce qui est le cas d'une large majorité des militants de la gauche de la gauche), préférant cultiver son petit rêve d'ado bien confortablement chez soi plutôt que de défendre les intérêts immédiats de ceux qui souffrent réellement et n'ont souvent pas de logement (cf. les 26 000 sans-papiers expulsés en 2006). De plus, je trouve de plus en plus détestable cette aigreur que l'on sent chez beaucoup de ces militants, aigreur due à leur déception de ne pas voir venir une révolution dont le peuple français ne veut pas (il faudra bien qu'ils le comprennent un jour) et qui les pousse à se replier sur leurs petites désillusions personnelles
sans se soucier du drame vécu de millions de français (et d'autres dans le monde).

Oui, les mêmes qui se prétendent les ennemis du capitalisme ont laissé par deux fois passer la droite. Qu'ils interrogent donc leur conscience...

Et que personne ne vienne plus me dire qu'il est de gauche si, après avoir comparé Sarkozy à Hitler, il ne vote pas aux législatives pour faire barrage à la pire droite que nous ayons eue depuis Pétain ! Hitler a été élu, et ce
n'est pas dans la rue qu'il a pu être renversé. Au contraire, il a muselé les syndicats, le PC et le Parti social-démocrate. Ne rêvons surtout pas de renverser Sarkozy dans la rue ! Il ne se passera rien d'historique dans la
rue : au mieux verrons-nous quelques mobilisations réussir au coup par coup comme pour le CPE. Et même s'il y a des émeutes en banlieue, cela se retournera une fois de plus contre la gauche en renforçant le désir d'autorité de la part des masses abreuvées d'images de voitures flambées.

Mais ne baissons pas les bras. C'est exactement ce que voudraient la droite et les médias, en nous assénant depuis plus d'un an des sondages défaitistes dans le but de nous démoraliser et de pousser les indécis dans les bras du favori de ces mêmes sondages. Si nous sommes vraiment de gauche, notre devoir est de nous opposer de toutes nos forces, à commencer par le vote (que reste-t-il sinon ?) à cette droite dure qui ne rêve que de nous voir nous résigner, abandonner le combat. Ce n¹est pas parce que l¹heure est au libéralisme mondialisé (et cela, ce ne sont pas des groupuscules faisant 2% aux élections présidentielles françaises qui pourront rien y changer!) qu¹il faut laisser s¹instaurer durablement en France (et en Europe) son pire
visage, à savoir l¹ultralibéralisme répressif incarné par l¹UMP. Surtout, nous devons éteindre la télévision, repenser le monde d'aujourd'hui avec des concepts d'aujourd'hui - comme ceux, par exemple, forgés par Attac (sans doute les plus pertinents par rapport à leur époque depuis ceux de Marx), et participer aux débats qui présideront à la modernisation de la gauche.

Et puis, par pitié, cessons de nous complaire dans l'échec ! Celui-ci est peut-être très utile à ceux qui construisent leur propre identité dans la posture nombriliste d'éternels opposants à tout ce qui ne correspond pas à l'image qu'ils veulent avoir d'eux-mêmes (et qui sacralisent leur vote jusqu'à l'absurde d'un caprice petit-bourgeois sur le mode, finalement très consumériste, du "c'est mon choix"). Mais il réduit à néant les efforts
tangibles de ceux qui luttent pas à pas pour la préservation du modèle social français et l'amélioration des conditions de vie de tous.

Oui, cessons de nous cramponner vainement à de vieux rêves forgés au XIXème siècle quand déjà, sous nos yeux, le monde de demain brutalise chaque jour un peu plus de nos contemporains.

Stéphane Juranics
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