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CULTURE Politique de Jacques Henric par Valère Staraselski |
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Politique est le récit du parcours d'un écrivain, Jacques Henric, né en 1938 pour qui la politique est, au même titre que l'écriture, création humaine. La moitié du XXème siècle politique et littéraire est ici revue par ce témoin engagé : le Parti communiste, Les Lettres françaises, Tel Quel, Art Press... Extraits : De ceux qui sauvèrent l'honneur et des autres Il est plus facile aujourd'hui, bien à l'aise dans une robe d'avocat de la défense, de juge, ou de procureur, de condamner ou d'absoudre les actes d'individus pris dans les roulis de l'Histoire. Qu'aurions-nous fait à leur place ? Comment nous serions-nous conduits ? Guy Debord cite et commente ce résumé que Clausewitz donne de sa méthode, au début de son histoire de la campagne de 1815 : "Dans toute critique stratégique, l'essentiel est de se mettre exactement au point de vue des acteurs ; il est vrai que c'est souvent difficile". Le difficile est de connaître "toutes les circonstances où se trouvaient les acteurs" dans un moment déterminé, afin d'être par là en état de juger sainement la série de leurs choix dans la conduite de la guerre : comment ils ont fait ce qu'ils ont fait, et ce qu'ils auraient éventuellement pu faire d'autre. Il faut donc savoir ce qu'ils voulaient avant tout et, bien sûr, ce qu'ils croyaient ; sans oublier ce qu'ils ignoraient". Se mettre au point de vue des acteurs, seul le roman permettrait, pour un tel mode de connaissance, de déployer la force d'imagination requise. Ce n'est pas la voie que j'ai choisie pour ce livre. Comment ont-ils été amenés, ces acteurs, à faire ce qu'ils ont fait ? Qu'auraient-ils pu éventuellement faire d'autre ? Que savaient-ils ? Qu'ignoraient-ils ? Sommes-nous dès lors en droit de les juger ? On peut, pour le moins, signaler que dans les mêmes circonstances historiques tous n'ont pas fait les mêmes choix. Pierre de Lescure, Aragon, Paulhan, Char, entrent dans la Résistance quand Breton, Péret, quittent la France occupée pour les Etats-Unis. Breton traverse l'Atlantique pour s'éloigner d'un pays en guerre et gagner un continent en paix, pendant que Samuel Beckett, à l'inverse, abandonne son Irlande en paix pour gagner une France en guerre, et y combattre. La plupart des cinéastes, artistes et comédiens français s'arrangent de Vichy comme de la présence allemande et continuent à tourner, à chanter. Arletty, Mistinguett, Trenet, Chevalier, Tino Rossi, Marie-Laure de Noailles... pactisent avec l'occupant, se compromettent avec Vichy, quand un Gabin, lui, quitte la France pour s'engager dans les rangs des Forces Françaises libres. A Paris, la vie mondaine bat son plein. Cocteau assiste au vernissage de son ami Arno Breker, le sculpteur pompier chéri de Hitler. On se retrouve chez Maxim's en compagnie de l'architecte nazi Albert Speer, du Sonderführer Heller, de Ernst Jünger, ces francophiles passionnément amoureux de la culture française, dont on fait semblant d'oublier que l'un, Heller, est membre du parti nazi depuis 1934 (mais peut-être l'a-t-il caché à ses amis français ?) et qu'il est responsable de l'action anti-juive en littérature, que l'autre, Ernst Jünger, ne néglige pas en 1941 les besognes de basse police puisqu'il est au service de la censure du Commandement allemand (contrôler les lettres envoyées aux officiers allemands par leurs proches), et que, ainsi que le rappelait Laurent Dispot dans un texte d'hommage à Jankélévitch, ce noble aristocrate sous uniforme allemand, contempteur de l' "horrible" Céline, s'était parfois laissé aller, lui aussi à quelques considérations générales sur les Juifs, appelant envers eux à une action de "désinfection", et évoquant la nécessité de "ne pas faire trop d'honneur à cette vermine". L'hédonisme est la morale de ces années noires, la "vie joyeuse" bat son plein, le champagne aide à sceller les amitiés franco-allemandes, pendant qu'à peu de distance de chez Maxim's le centre de torture de la rue Lauriston fonctionne à plein régime. Les écrivains publient, font jouer leurs pièces ; en revanche, il en est quelques-uns, Guéhenno, Tzara, Reverdy, ou l'ami de Cocteau, Jean Desbordes, résistant mort sous la torture, qui sous le joug allemand choisissent le silence. Les peintres peignent; la production de Picasso ne ralentit pas. Mais lui ne fait pas de courbettes à l'occupant, ce qui n'est pas tout à fait le cas d'Utrillo, Braque ou Picabia qui se ménagent de bons rapports avec les autorités. Ce ne sont pas tant les engagements, les retraits, les compromissions, les démissions, les lâchetés de tel ou tel que je me crois autorisé à blâmer ici, que les oublis, les non-dits, les maquillages, voire les dénis auxquels ils ont donné lieu. Marguerite Duras, j'y reviens, qui a fait l'impasse sur un des épisodes peu glorieux de son passé était-elle la mieux placée pour s'ériger après guerre en procureur ? Sa fonction, durant l'occupation, dans les organismes nazis de la Propanganda Staffel et de la Propaganda Abteilung lui donnait-elle autorité pour stigmatiser les jeunes résistants communistes, au motif qu'ils étaient staliniens, forcément staliniens ? Concernant son rôle, mis au jour par des historiens travaillant sur la période de l'Occupation, dans les commissions de censure qui recevaient leurs ordres de Goebbels, que de coupe-feu ont alors été déployés par des proches et par l'intéressée elle-même pour étouffer l'information ! Relisons, par exemple, l'ahurissant, et totalement mythifié, entretien-fleuve entre Duras et Mitterrand complaisamment publié par L'Autre Journal. J'ai le souvenir, pour ma part, d'avoir eu connaissance du passé collaborationniste de Duras par une note en bas de page figurant dans la biographie de Gaston Gallimard, due à Pierre Assouline. C'était en 1984. Il y était fait allusion à l'existence de cette commission de la Propanganda Staffel où avait officié la jeune Marguerite Donnadieu, épouse Antelme, commission mise en place par un décret du maréchal, après la préalable aryanisation des maisons d'édition juives (Nathan, Calmann-Lévy), puis prise en main par les nazis. Son attribution : le contrôle du papier d'édition. Elle constituait ainsi un véritable organisme de censure qui épluchait les manuscrits reçus et avait la charge de distribuer le papier aux seuls "bons" éditeurs (entendons ceux qui avaient accepté, de leur plein gré, de retirer de la vente et ne plus publier les auteurs inscrits sur les listes dites "Otto" et "Bernhard" à savoir les auteurs juifs, communistes, ou ceux ayant eu par le passé une attitude critique à l'égard de l'Allemagne et de sa culture). "Marguerite, écrit Laure Adler dans la biographie qu'elle lui a consacrée, ne pouvait ignorer le degré de collaboration de cet organisme constamment surveillé par la Propanganda". Paul Morand eut des responsabilités dans cette commission dirigée par un collaborateur notoire. Les noms de Ramon Fernandez, Brice Parain, Dionys Mascolo figurent dans la liste de la quarantaine de lecteurs accrédités par ladite commission. Quand à la secrétaire de celle-ci, c'était notre Marguerite Donnadieu-Antelme, qui deviendra plus tard l'intraitable résistante Marguerite Duras, l'impitoyable tortionnaire de collabos, puis la militante communiste (stalinienne, forcément stalinienne ?) pure et dure. Ne manquant pas d'aplomb, à la Libération, l'incorruptible communiste s'en prendra avec une farouche énergie à tous ces veaux de Français qui n'avaient pas ouvertement pris parti contre Pétain. Cette note en bas de page, d'Assouline, encore fallait-il la lire, et l'ayant lue, ne pas aussitôt l'oublier. Que d'amis écrivains, de gauche, à qui je signalai cette note qui m'avait laissé décontenancé, m'ont regardé d'un air incrédule. N'ont-ils pas daigné vérifier son existence, ou s'y étant résignés se sont-ils empressés de la gommer de leur mémoire ? Chaque fois que je revenais auprès d'eux sur ce sujet, je voyais leurs yeux s'arrondir d'étonnement. Il faut dire que Marguerite Duras, la première l'avait sacrément labile, sa mémoire. Elle tenait du gruyère. Que de trous ! "Interrogée à la fin de sa vie sur cet épisode, écrit Laure Adler, Marguerite balayait d'un revers de main cette question qui l'irritait. Elle ne savait plus pourquoi ni comment elle était arrivée dans cette commission et affectait de ne pas y accorder d'importance". Quant à Dionys Mascolo, son amant d'alors, qu'elle fait entrer à la Propanganda Staffel, il se justifiera auprès de Laure Adler en arguant qu'en 1942-1943 il était chômeur et pauvre. Il reconnaissait néanmoins, avec honnêteté, que cette commission était bien un "comité de censure". Robert Antelme épouse Marguerite Duras en septembre 1939. Après la défaite, pendant qu'elle se livre à la basse besogne qui consiste à surveiller, sous le regard attentif des Allemands, les maisons d'édition françaises, qu'elle reçoit dans son bureau les auteurs (ni juifs ni communistes, bien sûr, lesquels sont dès le début de l'Occupation interdits de publication), qu'elle lit leurs manuscrits, qu'elle juge quels écrits méritent ou non d'êtres publiés, Robert Antelme, de son côté, occupe jusqu'en mai 1941 un poste de rédacteur auxiliaire à la préfecture de police, avant d'être engagé au cabinet du ministre de la Production industrielle, Pierre Pucheu, ancien militant auprès de Jacques Doriot et du colonel de La Rocque, chef des Croix-de-Feu. Quand Pucheu est affecté au ministère de l'Intérieur, Robert Antelme le suit et reste à ses côtés jusqu'à la fin 1943. "Fonctions ambigües", dans les deux cas, commente une des biographes de Marguerite Duras, Frédérique Lebelley. "Ambigües", l'adjectif me semble un peu faiblard pour ce qui concerne les activités de Duras, approprié pour le cas de Robert Antelme, puisque celui-ci travaille dans une institution répressive, la préfecture de police, sous l'autorité des puissances occupantes et collaborationnistes, mais qu'en revanche il use courageusement de son pouvoir pour sauver des familles juives et prendre des premiers contacts avec la Résistance. On connait la suite, sa participation au combat contre les nazis, son arrestation, sa déportation, et le superbe témoignage de l'horreur concentrationnaire qu'il livrera, à son retour de camp, dans son livre L'espèce humaine. Valère Staraselski Politique de Jacques Henric. SEUIL, p 293. 20 euros |
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