n°2
Processus sinistre, à l'italienne

Beaucoup pourraient avoir la tentation de se gausser de la grave crise de régime qui secoue l'Italie actuellement.
Le bilan est en effet des plus sinistres. Ce pays moderne, démocratique, membre de l'Union européenne, subit le contrôle presque total d'un chef d'entreprise allié à des fascistes non repentis des crimes de Mussolini et des séparatistes ligueurs, dont l'intelligence se résume à des bras d'honneur et à leur farouche volonté de garder leurs richesses du nord du Pô, et dont le discours politique tient à un identitarisme et un égoïsme à courte vue.
L'Italie connaît un processus politique rarement vu dans l'histoire avec un phénomène de patrimonialisation des biens publics par un quarteron d'aventuriers qui ont pris les rênes du pouvoir. Triste bilan dont les causes ont été clairement identifiées. Nanni Moretti l'a souligné à juste titre, par l'incapacité de la gauche italienne de tenir un véritable discours de gauche et d'être unie. Les Italiens n'ont par conséquent eu ni espoir, ni illusions et se sont jetés dans les bras d'arrivistes et d'opportunistes démagogues.
L'aventurisme a finalement gagné. Oui, triste bilan pour un pays qui a oublié et Gramsci et Pasolini.
Avec la curieuse renaissance des Brigades Rouges, on peut craindre de nouveau des années de plomb qui ne feront que le lit de l'extrême-droite, des mafieux et des barbouzes.
Mais ce qui vient de se passer de l'autre côté des Alpes n'est malheureusement pas un cas isolé, un épiphénomène. L'Autriche d'abord, le Danemark récemment ont été tentés par des dérives droitières, voire fascisantes.
La France n'est pas une exception et, dans un mois, les élections présidentielles pourraient donner lieu à un processus qui peut s'apparenter au processus transalpin.
Depuis des années, la politique a été considérablement dévaluée aux yeux des citoyens ; cette crise se reflète dans la permanence du personnel politque. Ce sont les mêmes qui sévissent depuis 25 ans, qui se partagent le pouvoir, séparément ou ensemble durant les périodes de cohabitation : Giscard, Chirac, Fabius, Lang sont là depuis 1975 - 1978 au moins.
Cette crise du politique s'est manifestée par les innombrables procès de financement des partis politiques, les cas de corruption, les scandales et les affaires. Les Français ont vu un spectacle pas très réjouissant, démobilisateur, où les politiques se posent en donneur de leçons alors qu'ils ont fait fi des principes régaliens les plus élémentaires.
Les quelques tentatives de rajeunir ou de renouveler le personnel politique ont été très souvent brisées dans l'oeuf par les appareils. La liberté est à géométrie variable. Et la confusion engendrée par les cohabitations successives a eu pour conséquence d'atténuer les différences entre les camps, réduisant le débat politique à des querelles d'experts, de spécialistes, dont le discours déviant sur l'économisme tient lieu de programme. Et ce n'est pas faire preuve de démagogie que de l'affirmer.
Les hommes politiques sont devenus par ailleurs des objets télévisuels, le reflet de leur propre image leur tenant lieu d'indicateur d'une autosatisfaction réductrice. Leur destin paraît scellé à celui de cabinets de consultants ou d'agences de "com". Ils ont en pratique conclu un véritable pacte avec le diable, se coupant encore de la réalité.
Le danger est pourtant perceptible. Celui de l'abstention tout d'abord, le scrutin ne donnant qu'une majorité de façade à celui qui sera élu après le processus démocratique, hypothéquant ainsi sa légitimité. Celui du vote protestataire stérile ensuite, qui n'apporte rien d'autre qu'une capacité de nuisance et provoque des alliances contradictoires (Million à Lyon), pour sauvegarder certes la démocratie, mais qui brouille les différences politiques.
La comédie a donc commencé : un président - candidat usé par les scandales et les affaires - mais apparemment ça ne dérange pas grand monde... - qui tient de surcroît un discours de gauche depuis 1995 et qui est le chef d'une pseudo alliance de droite, au bord de l'implosion du fait de la défense d'intérêts individuels ou de féodalités, Chirac, candidat un jour, président au Mexique le lendemain ; mais par qui la France est aujourd'hui dirigée ?
A ses côtés, une pléiade de candidats de droite, qui ne veulent pas l'afficher pour certains, qui jouent leur carte, cherchant à focaliser à droite ou à l'extrême droite le maximum de suffrages au premier tour : Bayrou, Boutin, Madelin, Lepage, Lalonde, Mégret... Une sacrée bande de calotins culottés qui, selon les jours, sont pour le pacs, contre le lendemain, contre l'avortement, pour le joint. Ils sont pour tout et leur contraire, ils sont surtout pour eux ! Ils ne sont par contre pour rien à ce qu'endurent des millions de citoyens. Leurs discours sont confondants d'opportunisme, ils transpirent le mensonge, le coup foireux politicard...
La droite se cherche, lorgne vers Thatcher et Reagan, c'est dire s'ils sont modernes !
Les Verts, quant à eux, ont fait leur révolution à 360 degrés ; ils sont allés chercher un ex journaliste, passé par Génération écologie, allié de Tapie dans les beaux jours, Mamère dont le seul acte de bravoure est d'avoir conquis la mairie de Bègles au PCF. C'en est même devenu une mode ; prendre un bastion au pc relève de l'acte de bravoure par excellence pour des politiciens désirant une carrière rapide et la reconnaissance médiatique, bastions qu'un pc vieillissant n'a su conserver ; et la liste est longue : Oullins, Drancy, Montluçon… la litanie du désastre s'égrène scrutin après scrutin. Et ça fait bien d'avoir un journaliste du 20 h comme candidat ; il connaît les arcanes de la télé. Après Baudis, Mamère - la mienne n'y est pour rien ! - bientôt Drucker ou PPDA comme premier ministre ?
La gauche parlementaire ne brille guère plus. Son programme transparent est interchangeable avec celui de la droite. Jamais d'ailleurs les privatisations n'ont été aussi importantes que sous ce régime là. Il faudra un jour que le peuple réclame des comptes à ceux qui ont bradé le patrimoine national, financé sur les fonds publics et , une fois les infrastructures construites au prix de décennies d'efforts, ont été vendues au privé... Et les promesses non tenues : les sans-papiers attendent toujours depuis 1997 !
Les calculs politiciens, dans le souci de conserver le pouvoir et donner des signes de connivence au centre droit, ruinent les espérances et risquent de mener droit dans le mur.
Nombreux sont les déçus, et ceux qui vont se tourner vers le gauchisme sectaire, maladie infantile par définition !
A l'occasion de ce scrutin, il n'est pas certain que Jospin et Chirac atteignent la barre des 20 % ; Le Pen, Laguiller et Chevènement, vont semer le désordre avec leurs discours délirants.
A force de vouloir être crédibles par les possédants, les milieux d'affaires, compétents comme on dit dans les beaux salons, conscient des réalités économiques chères, si chères à DSK, les hommes politiques sont en train de faire fi de leurs engagements premiers. Surtout, ils paraissent ne pas avoir compris que les gens n'étaient pas tout à fait dupes.
Que va-t-il se passer en France dans un mois ?
Si un véritable programme de gauche lisible n'est pas élaboré, si une alliance sur des bases communes n'est pas d'ores et déjà conclue, la situation risque d'être catastrophique. Cependant, donner une carte blanche à Jospin et au ps n'est guère enthousiasmant pour l'avenir…
Avec l'émiettement possible à l'issue du premier tour, une situation à l'italienne pourrait se produire...
Il appartient à ceux qui ne veulent pas se faire voler leur vote d'en tirer les conclusions afin qu'un projet politique existe pour les cinq années à venir.


Marat
© Vendémiaire
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