Slavica
occitania, Toulouse, 16, 2003,
p. 293-310.
293
IDEES ET IMAGES DUALISTES DANS LES ŒUVRES DE WILLIAM TYNDALE
Force
Une grande
fleur blanche
Dans le jardin désert
Converse avec les
vents.
Stéphane
Guétchev
tyndale, LE DUALISTE CACHÉ
Nous sommes déjà au XXIe siècle, et l'on enregistre toujours de nouvelles découvertes en histoire
médiévale. Il n'est pas rare que des points de vue entérinés depuis longtemps subissent quelques changements. C'est le cas, justement, de William Tyndale : il semble bien que les représentations que nous avons aujourd'hui de son œuvre soient appelées à s'enrichir au fil du temps. La remarque de David Daniell, suivant laquelle Tyndale « a touché un public plus important que Shakespeare », est justifiée si l'on pense au nombre d'exemplaires diffusés de la version fondamentale de la Bible en anglais, The Authorized Version (connue aussi sous le nom de King Jame 's version), fondée sur la traduction de Tyndale. Par son travail, Tyndale enrichit la langue anglaise par « des sons et des rythmes ». Il fit véritablement œuvre de créateur en cette langue par ses « mots, phrases, paragraphes et chapitres inoubliables 1 ».
Le sujet de cet article est très restreint : son objectif est de cerner la présence d'idées dualistes encore non étudiées dans l'œuvre de Tyndale. Ce n'est donc ni une étude biographique, ni un article de
---------
l.
D. Daniell, William Tyndale. A
Biography, Ed. Yale University Press, New Haven &
London. 2001, p.
2 : « He has reached more people than even Shakespeare
» ; ibid. : « with the sounds and rhythms
[...] to create unforgettable words, phrases, paragraphs and chapters.
»
294
georgi vasilev
critique littéraire,
mais une analyse idéo-théologique ou, plus exactement, l'étude d'un fait (case
study) de l'histoire des idées. Une
analyse de ce genre devrait permettre de révéler :
- l'origine de certaines idées et
images ;
- la manière dont celles-ci sont
transférées de leur pays d'origine à celui qui les accueille
;
- l'interprétation adéquate que l'on peut en tirer à une époque donnée.
Or, le bogomilisme, avec ses
branches occidentales (patarins, cathares, béguins, lollards 2)
est peut-être l'exemple le plus manifeste de diffusion d'idées et
d'influences interculturelles au niveau transcontinental et paneuropéen. Dans
la première édition de son excellent ouvrage sur les bogomiles, déjà, Dmitri
Obolensky nous invitait à partager cette interprétation : « l'étude
du bogomilisme fait incontestablement partie de celle des relations culturelles
et religieuses entre l'Europe occidentale et orientale, étude dont l'importance
apparaît de plus en plus manifeste aujourd'hui3.
»
Quelle est notre hypothèse
de départ ? Elle est que la motivation
que pousse William Tyndale à traduire les Écritures saintes et à interprèter
avant tout le Nouveau Testament, se fonde sur la philosophie bogomilo-cathare.
Que disent les faits ? Les contacts entre
Tyndale et Luther sont bien connus. Mais, dans la pensée de Tyndale, on peut
remarquer des éléments plus spécifiques, qui dépassent l'influence du guide
spirituel de la Réforme allemande. Il a des accents qui lui son propres, par
exemple, dans son interprétation de la parabole tirée de l'évangile de Luc
sur l'intendant malhonnête. Ces accents n'ont pas échappé à David Daniell, célèbre
biographe de Tyndale. Daniell compare le sermon de Luther intitulé Ein
Sermon dem unrechten Mammon Lc XVI avec l'interprétation qu'en fait
Tyndale dans son ouvrage The Wicked Mammon. Voici ce qu'en
dit David Daniell : « Le sermon publié par Luther occupe six pages in
quarto, l'interprétation du Tyndale six fois plus... En outre, Tyndale expose
toute la parabole tandis que le texte de Luther ne concerne que le dernier
verset4. »
---------
2.
Le cadre restreint de cet article ne nous permet pas de nous arrêter sur
la caractère dualiste des croyances des lollards. On trouvera des arguments en
faveur de cette thèse dans G. Vasilev, «
Bogomils and Lollards. Dualistic motives in
3. D.
Obolenski, Thé Bogomils : a Study in
Balkan Neo-Manichaeis.,
4. D.
Daniell, William Tyndale. A Biography, op.
cit., p. 161 : « Luther's
printed sermon occupies only six leaves in-quarto
; Tyndale has six times as much... Moreover Tyndale alone sets the whole
parable Luther's text id only the final verse...
»
295
Cette disparité
attire notre attention sur le fait que cette même parabole constitue une partie
importante du Livre secret des bogomiles.
C'est par elle que l'on explique l'origine de la trahison de Satan, la
corruption des anges qui le suivent : Satan devient l'intendant malhonnête
de ce monde. En bref, ce sujet a chez Tyndale la même importance que dans Le
Livre secret des bogomiles.
Peut-être cette affinité
commune à Tyndale et aux bogomiles pour cette parabole est-elle fortuite, peut-être
n'est-elle qu'une coïncidence ? Aucune hésitation
n'est possible si l'on prend en compte une définition étonnante de Tyndale,
par laquelle il prêche le fondement de la doctrine bogomilo-cathare
- l'existence de deux principes, dde deux Dieux en ce monde
: « Dieu et le diable sont deux pères opposés, deux sources opposées,
deux causes opposées : l'une est toute de
bonté, l'autre le mal5. »
Nous proposons ci-dessous une présentation comparative avec les textes
bogomile et cathare, qui montre une entière
adéquation sémantique et aussi, dans une moindre mesure, lexicale
Bogomiles
: Maudit soit celui
qui dit et croit qu'il y a deux principes, un bon et un mauvais, et que l'un
est le créateur de la lumière, l'autre de la nuit, l'un des hommes, l'autre
des anges et des autres créatures vivantes 6. (Lettre
de Théophylacte,
patriarche de Constantinople, au roi bulgare Petar, Xe
siècle) |
Cathares
: De duobus autem
principiis ad honorem patris sanctissimi, volui inchoare.-.En l'honneur du
Père très saint, je veux commencer par les deux principes 7
(Liber de duobus principiis,
fin XIIIe siècle) |
---------
5. Expositions and Notes on Sundry
Portions of the Holy Scriptures together with the Practice of Prelates by
William Tyndale, Martyr 1536.
6.
Ό δυο αρχάς
λέγων καί
πιστεύων είναι,
άγαθήν τε και
κακήν, και
άλλον
7. Livre des deux principes. Introduction, texte critique, traduction, notes et index de Christine Thouzellier. Paris, 1973, p. 160.
296
georgi vasilev
Les conceptions dualistes du réformateur ressortent encore mieux lorsqu'il exprime une autre idée importante des bogomiles et des cathares, à savoir que ce monde est le royaume du diable. Tandis que catholiques et orthodoxes, tout en reconnaissant la puissance et l'immense pouvoir du démon sur les âmes des hommes, affirment catégoriquement que le monde et les créatures vivantes sont l'oeuvre de Dieu, pour les dualistes, l'un comme les autres sont l'œuvre et le royaume de Satanael. C'est ce que leur reproche le prêtre Cosmas : « II faut également les juger parce qu'en paroles, ils nomment « père » le créateur du ciel et de la terre et qu'ils pensent que c'est l'œuvre du diable 8. » On retrouve la même conception dualiste sous la plume de Tyndale : « Eu égard au fait que nous avons été conçus sous l'empire du diable et que nous sommes sa propriété et son royaume [c'est moi qui souligne - G.V.], ses prisonniers et ses esclaves9. » Nous rappellerons un autre élément de cette citation qui est en harmonie avec les dualistes : de toute évidence, Tyndale partage leur conviction selon laquelle la conception, en tant qu'essence charnelle, est assujettie au diable.
Bien entendu, ces définitions
dualistes ne sont pas placées les unes à la suite des autres dans l'œuvre du
réformateur anglais, elles ne dessinent pas de conception globale et continue.
Conscient, sans doute, qu'il devait voiler la philosophie dualiste, Tyndale l'a
exposée de manière fragmentaire, intertextuelle, et l'a rendue accessible
aux initiés, à ceux qui en ont déjà une connaissance préalable ou qui vont
la transmettre en secret à des sympathisants. Du reste, c'est une vieille méthode
de clandestinité éprouvée par les bogomiles, à laquelle Euthyme d'Acmonia
(XIe siècle) accorde une attention particulière et qui est
décrite avant lui par le prêtre Cosmas (Xe
siècle) :
---------
8.
Презвитер
Козма, “Беседа
против
богомилите” Cmapa
българска лumepamypa 2,
Opamopcna nрозa,
Sofia, 1982, p. 49.
9.
W. Tyndale, The Parable of the Wicked Mammon,
Antwerp, 1528, p. 47 :
10.
Презвитер
Козма, “Беседа
против
богомилите”, p.31
297
IDÉES
ET IMAGES DUALISTES CHEZ william tyndale
moyen de se défendre
contre les persécutions, ce qui les pousse à agir par la ruse, le déguisement.
Tyndale remarque d'ailleurs :
« Mentir et se cacher n'est pas
toujours un péché 11. »
La méthode de Tyndale eut un tel succès que jusqu'à aujourd'hui, non seulement ses opposants mais aussi ses adeptes n'ont pas remarqué la présence du dualisme. Aussi nous proposons-nous de dégager ces fragments et de les relier à la doctrine dualiste. En même temps, nous les comparerons aux formules bogomiles et cathares bien connues, afin de faire ressortir à quel point elles recouvrent les thèses de Tyndale.
Tyndale utilise souvent
l'expression de « good man
», ce qui est la dénomination bogomilo-cathare des guides spirituels
des dualistes : « les bons
», « boni hommes », « boni
christiani », « perfecti ». Menons
jusqu'au bout la comparaison. Les cathares disent :
Le
dualisme comme potentiel réformateur
Une grande part des correspondances
entre la théologie bogomilo-cathare et les interprétations de Tyndale ont
trait aux problèmes liés à la communication directe du croyant avec Dieu (respectivement
avec les Écritures saintes) :
- le rejet des saints et des icônes
;
---------
11.
W. Tyndale, An Exposition upon the V.VI, VII
Chapters of Matthew.
12.
« Bene tamen se vocabant boni christiani, boni homines et sancti »
in Ign. Doellinger,
Dokumente vornehliich zur Geschichte der Valdesier und Katharer herausgegeben, t.II, München, 1890, p. 195.
13.
« A Christian man is a spiritual
thing and hath God's word in his heart »
in W. Tyndale, The Obedience of a Christian
Man,
14.
« And God make thee a good man
», ibid,
p. 113, p. 129.
15.
« For perfecter
we be, the greater is our repentance, and the stronger is our faith. And thus,
as the Spirit and doctrine on God's part, and repentance and faith in our part,
beget anew in Christ, even so they make us grow, and wax perfect, and
save us unto end, and never leave us until all sin be put off, and we clean
purified, and full formed, and fashioned after the similitude and likeness of
the
perfectness of our Saviour Jesus »... in Doctrinal
Treatises and Introduction to different portions of the Holy Scriptures by
William Tyndale, martyr, 1536.
CUP, M.DCCC.XLVIII, p. 27.
298
GEORGI VASILEV
-
le rejet de l'office ;
- le rejet de la confession
;
- le rôle du prêtre.
La position des bogomiles
concernant les saints est celle d'un rejet catégorique, tel qu'il est rendu
laconiquement par Euthyme d'Acmonia :
Après le rejet des icônes vient celui de la liturgie. Le bogomilisme, comme en témoigne le prêtre Cosmas, est considéré comme « verbiage », ses adeptes prétendent que « ce ne sont pas les apôtres qui ont institué la liturgie et l'eucharistie, mais JeanChrysostome 22 ». Rappelons que l'expression critique de « verbiage »
---------
16. «
Λέγουσιν
οί
ασεβείς,
ότι
άγιος
ούτε
εστίν
ούτε
οφείλει
λέγεσθαι,
άλλα
άγιος
εις
εστίν
ό
θεός»
( « Euthymii
monachi coenobii peribleptae epistula invectiva contra phundagagitas sive
bogomilos haereticos » , in G.
Ficker, Die Phundagiagiten.
17. «
Take Christ from the saints and what are they? What is Paul without Christ?
» in The
Obedience, p. 145.
18. «
...not the saints, but God only recieveth into eternal tabernacles, is so plain
are evident, that is no to declare, or prove it.
» in The Parable of the Wicked Mammon.
Antwerpen, 1528, p.
66.
19.
« Let us take the saints for an example only
» in The Obedience,
p. 142.
20.
Презвитер
Козма, “Беседа
против
богомилите”, p. 33.
21.
« False faith, superstitiousness and idolatry and damnable sin
» in The Obedience, p. 143.
22. Презвитер
Козма, “Беседа
против
богомилите”, p. 50 et 36.
299
correspond au
verset 7, chapitre
6 de Matthieu : « Quand vous priez,
évitez le verbiage, comme d'autres, ailleurs, le font, convaincus que de longs
discours (« their many words
», dans l’Authorized version)
leur vaudront d'être exaucés. » Nous trouvons chez Tyndale une
conception et des définitions semblables : «
Le sous-diacre, le diacre, le prêtre, l'évêque, le cardinal, le patriarche et
le pope sont les noms - où doivent l'être - de postes et de fonctions, non de mystères 23.
»
Dieu est, pour les bogomiles
et les autres dualistes, l'unique destinataire de la confession personnelle. Là
encore, on trouve maintes comparaisons possibles. Dans le traité Summa
contra hœreticos, Cod. Monac., lat.
544 du XVe siècle (Döllinger), il est mentionné que, selon
les dualistes, l'homme confesse ses péchés à Dieu directement et que c'est
de lui qu'il reçoit l'absolution 24.
C'est également l'opinion des lollards, transcrite dans le procès de Kent,
pratiquement à l'époque de Tyndale (1511-1512) : « On n'élève pas
ses prières aux saints, mais à Dieu seulement, lui seul entend ceux qui le
prient25.
» William Tyndale écarte littéralement lui aussi la fonction du prêtre
comme « médiateur entre Dieu et nous 26.
»
Comme les dualistes, Tyndale admet qu'une femme puisse remplir la mission de prêtre. Pour lui, la sacrosainte fonction de « lier » et de « délier » (qui, selon les catholiques, provient du pape), peut échoir à tout homme et toute femme qui « connaît le Christ et sa doctrine 27 ». On voit donc ici l'héritage indubitable des dualistes, car il prêche l'idée tout à fait inhabituelle pour les orthodoxes et les catholiques de l'époque (aujourd'hui encore, elle les jette dans le trouble) de la prêtrise féminine.
On le voit, nous ne greffons pas d'idées extérieures, nous ne faisons qu'utiliser des images et pensées de Tyndale. Mais on peut se demander si l'accent n'est pas artificiellement mis sur certains de
---------
23. «
Subdeacon, deacon, priest, bishop, cardinal, patriarch and pope, be names of
offices and services or should be, and not sacraments. » in The Obedience,
p. 110.
24. «
Dicunt etiam haeretici : quod homo vadit
ad confessionem, jam compunctus est et contritus pro peccatis suis et statim
Deus dimissit ei peccata sua ». in Ign. Döllinger,
p.282.
25. «
Quod orationes non sunt effundende ad sanctos sed ad solum Deum, qui solus audit
orantes. » in N. Tanner (Ed.), Kent
Heresy Proceedings 1511-12,
26.
«
Not to be a mediator between God and us. »
in Thé Obédience, p. 111.
27. « Morever, every man and woman, that know Christ and his doctrine, have the keys, and the power to bind and loose ; in order yet, and their measure, as time, place, and occasion giveth, and privately. » in Practice of Frelates by Wylliam Tyndale, martyr, 1536, CUP, M.DCCC.XLIX, p. 284.
300
georgi vasilev
ses points de vue isolés, s'ils revêtent l'importance que nous leur accordons ? Dans le cas qui nous occupe, cet accent est non seulement permis, mais c'est aussi un processus nécessaire pour procéder à la reconstruction d'un matériau réel qui a servi, pour le moins, de ligne thématique fondamentale. Comme on le voit, c'est elle qui véhicule la philosophie personnelle, intime et motrice, de notre réformateur. Par conséquent, la cerner, ce qui n'a pas encore été fait jusqu'à présent, est une tâche fondamentale pour la science. Le tableau est encore plus clair lorsqu'on ajoute à cette nouvelle ligne thématique des débats importants concernant la pratique officielle de l'Église, discussions en général traitées par les collègues anglais comme le produit de la vie nationale anglaise. De fait, elles font partie de la cause de l'Église nationale, mais elles trouvent leur racines dans les mouvements dualistes de l'Europe orientale et occidentale.
Le rejet bien connu de la
transsubstantiation par les dualistes se retrouve dans les conceptions de
Tyndale. Dans ses Traités doctrinaux,
il expose et compare les différents points de vue sur la question avant d'exprimer
pour finir, et dans l'esprit des dualistes, son propre rejet. Pour lui, l'idée
d'incarnation est trompeuse : « Même si les yeux et les autres sens ne
perçoivent que du pain et du vin d'où il ressort, sans aucun doute, que cette
transsubstantiation naît d'une conception fallacieuse28.
»
Et, bien sûr, la transsubstantiation est définie comme un péché du pape : « En instituant l'incarnation, le pape a visé son propre bénéfice, il a renversé le bon usage du mystère du Christ29. » À la place de l'idée de transsubstantiation, Tyndale expose une interprétation toute personnelle et libre. Pour lui, la coupe contenant le sang du Christ doit être comprise comme le Nouveau Testament : cette coupe est « mon sang du Nouveau testament », ou, encore plus directement : « Mon sang du Nouveau Testament30 ». Mais c'est
---------
28.
« Though the eyes, and other
senses perceive nothing but bread and wine..
.and thereof, no doubt, came up this transubstantiation through false
understanding » in Expositions
and Notes on Sundry Portions of the Holy Scriptures together with the Practice of
Prelates by William Tyndale, Martyr 153., Cambridge, M.DCCC.XLI:
p. 221-222.
29.
« The pope confirming
transubstantiation did purchase his own gain to the overthrow of the right use
of Christ's sacrament. » in Doctrinal
Treatises and Introduction to different portions of the Holy Scriptures by
William Tyndale, martyr, 1536.
CUP, M.DCCC.XLVIII, p. 373.
30. " the cup is
"my blood of the new testament"...
». ibid..
p. 363.
301
un
II convient de remarquer également
que le refus de Tyndale de communier avec « le sang du Christ »
rappelle dans une certaine mesure les premières objections des bogomiles contre
la croix :
On peut mentionner un autre emprunt : les bogomiles et les cathares sont les auteurs du sarcasme bien connu au Moyen Âge contre la croyance orthodoxe et catholique selon laquelle le corps du Christ se trouve dans l'eucharistie. Nous allons le citer d'après le Manuel de l'inquisiteur, de Bernard Gui (XIIIe siècle) : « Ils prétendent que le corps de Christ ne se trouve pas là [dans l'eucharistie - G.V.], car si l'on admet qu'il ppeut être comparé à une grande montagne, jusqu'à présent les chrétiens l'auraient mangé tout entiere ; l'eucharistie vient de la paille et passe par la queue des chevaux et des juments. Cela veut dire que lorsque la farine est purifiée au tamis de ces souillures, elle ressort par l'orifice de l'estomac et est rejetée par l'organe le plus honteux. Aussi est-il impossible, disent-ils, que Dieu se trouve là34. » Et voici la même réplique, avec la même image du cheval, prononcée par Tyndale sur le même sujet, qui plus est : « Si tu apportes une coupe de sang et la poses devant Dieu, pour le flatter, le caresser, le panser et le brosser, comme si
--------
31. Οίνον
μεν
καλοϋσι
νέον
την
διδασκαλίαν
εαυτών
in
« Euthymii Zigabeni de haeresi bogomilorum narratio », Die Phundagiagiten, op. cit,
p. 109.
32.
« Now the testament is, that is
his blood was shed for our sins; but is impossible that the cup or his blood
should be that promise. » in Doctrinal
treatises, op. cit., p. 379.
33.
Презвитер
Козма, “Беседа
против
богомилите”,
p.
34.
34.
« Dicentes quod non sit ibi corpus Christi, quia si esset ita
magnum sicut unus maximus mons, jam christiani comedissent totum
: item, quod illa hostia nascitur de palea et quod transit per caudas
equorum vel equarum, videlicet quando farina purgatori per sedatium; item, quod
mittitur in latrinam ventris et emitter per turpissimum locum, quod non posset
fîeri, ut aiunt, si esset ibi Deus. » in
B. Gui, Manuel de l'inquisiteur. T.I. Paris, 1926, p. 26.
302
gueorgui vassilev
c'était un cheval,
en t'imaginant qu'ainsi tu lui procures plaisir et délectation, en quoi l'image
que tu te fais de Dieu est-elle meilleure que celle que tu as d'un chien de
boucher35
? » II convient d'expliquer que cette citation détaillée ne vise pas
à nous rappeler le caractère émotionnel et pittoresque de la discussion
entre dualistes et Église catholique. Elle nous sert à montrer deux preuves de
l'analogie entre les conceptions dualistes et celles de Tyndale, non
seulement du point de vue des idées mais aussi des images, du style, de sa
propre rhétorique. En d'autres termes,
il s'agit d'une seule et même théologie, née en Bulgarie au Xe
siècle et exportée en Angleterre, où elle trouve son expression au
XVIe siècle, avec la
même composition lexicale. Nous nous arrêtons à ces détails parce qu'ils participent de l'analyse comparative, dont la force démonstrative se trouve renforcée lorsqu'on prête attention aux clichés et expressions. Au Moyen Age, ce sont des indicateurs typologiques qui rappellent un peu les épithètes caractéristiques des chansons populaires bulgares.
Mais continuons par des exemples de la critique traditionnelle dualiste contre l'Église officielle, critique qui part des bogomiles passe des cathares aux lollards en gardant une imagerie très parti-culière, et qui est partagée par Tyndale.
Elle
porte contre :
- l'organisation même de l'Église
;
- le caractère mercantile de la liturgie et des
dons. Il convient d'ajouter ici l'enrichissement de cette critique par les dualistes
d'Europe occidentale au cours du duel qui les oppose au Vatican.
Il contient les nouveautés suivantes :
- la proclamation du Pape comme l'Antéchrist
et ses prélats comme les suppôts de Satan ;
- le rejet de l'idée de Purgatoire
;
- et par conséquent le rejet des indulgences.
Les termes dans lesquels, si l'on en croit le prêtre Cosmas, les bogomiles rejettent l'Église officielle, sont les suivants : « Ils considèrent les Églises comme des carrefours et la liturgie et autres offices effectués par elles comme du verbiage36. » Euthyme Zigabène complète : « Ils appellent notre Église "Hérode", sous prétexte qu'elle
---------
35.
«
If thou bring a bowl of blood and set it before God to flatter him, to stoke him
and curry and claw him, as he were a horse, and imaginest that he had pleasure
and delectation therein, what better makest thou of God than a butcher's dog
? » - in Expositions and Notes, op.
cit., p. 215.
36.
Презвитер
Козма, “Беседа
против
богомилите”, op. cit., p.50
303
s'efforcerait de
tuer le verbe de la Vérité qu'ils ont fait naître 37. » Chez les cathares,
étant donné que le conflit avec l'Église catholique est plus aigu et les répressions
exercées par celle-ci plus systématiques et plus cruelles, ce rejet de
principe devient plus virulent :
d'une part, ils proclament leur
communauté comme étant la véritable Église, la bonne « benignam quam dicunt esse sectam suam », tandis que l'autre, l'Église romaine, est mauvaise,
« mère de la corruption, Babylone, courtisane et basilique du diable,
synagogue de Satan38
».
Tyndale reprend la démarche...
et le ton. Il montre tout d'abord que prêcher était l'essence des premières
Églises chrétiennes (les dualistes pratiquent cet
« office » très modeste sans
avoir besoin de bâtiment spécifique). Il déclare que le temple est
« spirituel » et non «
matériel » : « Le temple dans lequel
Dieu sera vénéré, est le cœur de l'homme39.
» Remarquons d'ailleurs que cet «
office intérieur » coïncide avec les instructions des bogomiles concernant la prière
:
« Lorsque tu pries, disent-ils, entre dans ta
petite chambre. Ce qu'ils nomment "petite chambre", c'est l'espritw.
»
Cette
directive bogomile est littéralement reprise par Tyndale :
« Entrer dans la petite chambre et fermer la porte... Cela veut dire rejeter toute louange, tout usage mondain et prier avec ferveur, dans une intention pure, selon le verbe divin 41. » Dans les deux cas, nous avons affaire à une paraphrase du verset 6 du sixième chapitre de l'évangile de Matthieu où il est dit : «Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton père qui est là dans le secret. Et ton père, qui voit dans le secret, te le rendra. » Bref, l'office « intérieur » des bogomiles, cathares, lollards et de Tyndale suit en fait à la lettre ce que préconise l'Évangile.
---------
37.
Ήρώδην
δε
νοοϋσι
την
καθ'
ημάς
έκκλησίαν,
πειρωμένην
άνελειν
τον
πάρ'
αύτοις
γεννηθέντα
λόγον
της αληθείας » in « Euthymii Zigabeni de haeresi bogomilonim narratio », Die Phundagiagiten, op. cit., p. 10.
38. «
Appellant matrem fornicationum, Babilonem magnam, meretricem et basilicam
dyaboli et Sathane synagogam. » in
Bernard Gui, op. cit.,
p. 10.
39. «
The Churches at the beginning were ordained that the people should thither
resort, to hear the word of God there preached only, and not for the use wherein
there now are. » in The
Parable of Wicked Mammon. Antwerp.
1528, p. 106.
40. «
Συ δε
όταν
προσευχή
φασίν
είσέλθε
εις
το
ταμιειόν
σου · ταμιειον
λέγουσι
τον
νουν » - in « Euthymii Zigabeni
de
haeresi
bogomilorum
narratio », Die Phundagiagiten, op. cit., p. 107.
41.
« Of entering the chamber and shutting the door to..
.the meaning is, that we should avoid all wordly praise and profit, and pray
with a single eye and true intent according to God's word
» in Expositions and Notes on Sundry
Portions of the Holy Scriptures together with the Practice of Prelates by
William Tyndale, Marty. 1536, Cambridge, M.DCCC.XLIX, p. 79.
304
GEORGI VASILEV
Après avoir esquissé l'image de l'Église véritable et humble, celle de la communication directe avec Dieu dans le cœur de l'homme, il reprend les critiques enflammées des dualistes contre l'Église catholique. Déjà, dans la table des matières (The Table of Contents) de ses livres, nous trouvons des expressions telles que « Le Pape. Signe certain que le Pape est l'Antéchrist42. » Le sous-titre de son livre « Réponse à More », est repris dans neuf variantes qui véhiculent le même antipapisme. Avec, même, une attaque virulente : « le pape est la débauchée de Babylone 43 », ce qui est la énième reprise à la lettre du discours anticatholique des cathares.
On sent, bien sûr, la
griffe personnelle de Tyndale. Tandis que les objections des cathares contre le
Purgatoire ont une résonance plus doctrinale, dans le sens où les dualistes
qui les expriment sont d'avis ou bien que ce monde est le Purgatoire ou bien que
le Purgatoire n'existe pas, que c'est une construction mentale n'ayant pas sa
place dans la création divine, Tyndale, lui, deux siècles plus tard, démasque
surtout le côté mercantile du Purgatoire. Il le décrit comme une zone imaginée
par la papauté, guidée par ses ambitions commerciales et sa soif de pouvoir
: « Mais ils ont créé le Purgatoire pour régner sur les morts et posséder
un royaume de plus que Dieu en personne 44
». Ce royaume artificiel joue le rôle d'une douane car c'est par son
intermédiaire que sont assemblées les richesses incalculables des parents
des défunts, qui versent de généreuses sommes pour la purification des âmes
des morts au Purgatoire et leur « montée
» au Paradis 45.
C'est dans la croix du Christ que le réformateur anglais trouve une alternative à cette théologie de la spoliation et une voie vers la véritable purification46. C'est là le symbole suprême du dessein de Tyndale : l'édification d'une Église dont les fidèles puissent lire « Notre Père » dans leur langue vemaculaire et sachent que l'office divin réside avant tout dans le prêche du verbe de Dieu répandu par d'humbles officiants, que l'image du Christ et la sainte croix en sont le signe. En réalité, c'est l'image de la première communauté chrétienne.
---------
42.
« Pope / a sure token
that the pope is antichrist » in The
Independent Works of William Tyndale. An answer unto sir Thomas More. Dialogue.
43.
« The pope is the whore of Babylon
» in Expositions and notes, op. cit.,
p. 298.
44. «
But have created them a Purgatory, to reign also over the dead and to have one
kingdom more that God himself hath. » in The
Obedience, op. cit., p. 91.
45. «
The Pope for money can empty Purgatory when he will
», in The Obedience, op. cit.,
p. 100.
46.
« With the true Purgatory of the
Cross of Christ » in The
Obedience, op. cit., p. 154.
305
En revenant vers la croix, William Tyndale va au-delà de la tradition des communautés hérétiques secrètes. Il propose une Église ouverte, universelle, réformée par ce que l'esprit et la pratique dualistes offrent de meilleur. Bien que les exemples donnés jusqu'à présent soient des témoignages indubitables de son attrait pour la théologie dualiste, il désire que la connaissance de son Église soit celle de toute la communauté, de toute la nation. Le retour à la croix est une étape dans l'évolution personnelle du bogomilisme et du catharisme, déjà remarquée par certains auteurs comme A. Solovjev, Dmitri Obolensky, René Nelli, Stéphane Lazarov et autres.
L'EXEMPLE
BULGARE DANS LES DEUX TRADUCTIONS DES SAINTES ÉCRITURES EN ANGLAIS
La présence de conceptions proches
de celles des lollards (c'est-à-dire, ajouterons-nous, de celles des dualistes)
dans les œuvres de Tyndale n'a pas échappé aux chercheurs anglais. Je
voudrais mentionner quatre de ces études, tout en signalant qu'elles sont
plus nombreuses. Tout d'abord, c'est W. Summers qui, en 1906, voit une continuité directe entre la réforme anglaise et
l'œuvre de Wycliffe 47.
Quatre-vingts ans plus tard, le lien possible existant entre Tyndale et les
lollards est, pour Charles Nauert-fils, prétexte à souligner le caractère
national de l'oeuvre de Tyndale et à la dégager de l'image répandue, selon
laquelle «ce n'est qu'un simple adepte anglais du réformateur saxon48
». David Daniell pose aussi l'hypothèse d'un lien de ce genre, il
estime que la présence jadis forte de Wycliffe demeure comme un contexte
tangible 49.
C'est chez D. Smeeton 50
que l'on trouve la plus grande conviction (à mon avis justifiée) concernant
le lien entre Tyndale et les
---------
47.
W. H. Summers, The Lollards of Chiltern Hills (Glimpses of English Dissent in the Middle
Ages), London, 1906, p.
28 : « The Reformation of the sixteenth century was the inevitable
resultant of series of forces which had been at work a century and half before
in the life and teachings of John Wycliffe, for six years the rector of
Buckinghamshire. » Les motifs bogomilo-cathares
dans l'œuvre de Wycliffe sont étudiés par G. Vasilev,
« John Wycliffe, the Dualists and the Cyrillo-Methodian version of the
New Testament » in Études balkaniques,
N 1/2001.
48. «
Merely an English disciple of the Saxon reformer.
» in G. Nauert Jr., « Editor's Préface
» in Lollard themes in the
Reformation theology of William Tyndale (Sixteenth
Century Essays & Studies, vol. 6),
1986, p. 11.
49.
« His memory was still green
» in D. Daniell, op. cit., p. 31.
50.
« Almost half a dozen times
Tyndale likewise invoked the name of Wycliffe always in a positive reference.
» in D. D. Smeeton, Lollard themes in the Reformation theology of William Tyndale,
p. 75.
306
georgi vasilev
œuvres de Wycliffe,
ce qui veut dire avec la littérature des lollards. Outre des indications
quantitatives, Smeeton aperçoit aussi une continuité conceptuelle visible 51.
À mon sens, non seulement
Tyndale connaît bien l'œuvre de Wycliffe,
mais il lui donne aussi le sens d'exemple apostolique qu'il voudrait suivre. Ce
qui veut dire qu'il fait de lui son précurseur dans la cause nationale
anticatholique : « Wycliffe prêchait
naguère le repentir de nos pères. Ils ne se sont pas repentis car leurs cœurs
étaient endurcis et leurs yeux aveuglés par la foi en la rectitude papale 52.
»
Bien entendu, en tant que
penseur doué d'une personnalité affirmée, qui s'est déjà bien écarté du
substrat idéologique primitif, Tyndale développe ses propres traits. Même si,
à plusieurs reprises, il exprime une préférence dualiste pour le Nouveau
Testament, même si, dans ses écrits polémiques, ses principaux exemples sont
tirés du Nouveau Testament, à la différence des dualistes, il admet que l'on
utilise l'Ancien Testament. De même que bogomiles et cathares affirment que le
Dieu de l'Ancien Testament est un Dieu cruel et injuste, que c'est Satanael,
Tyndale nous livre une appréciation critique de l'Ancien Testament
: « L'Ancien Testament, cruel et terrifiant, qui a mené les hommes sur
le chemin du péché53... » Parallèlement,
on trouve exprimée une nette préférence pour le Nouveau Testament
: « mais ce nouveau et doux Testament, qui invite encore à la pitié et
la promet à tous ceux qui se repentissent 54...
» Dans son propre Traité, Tyndale ne pousse pas les contradictions
entre les deux Testaments jusqu'à la rupture, mais il définit l'Ancien comme
une sorte de préambule au Nouveau. L'Ancien
Testament est « une alliance des temps
anciens...
---------
51.
« In view of the recent availability of critical editions of
certain Wycliffite writings, it is possible to examine Tyndale's writings in
light of parallel passages from Wycliffite literature. It would be difficult
indeed to show that Tyndale used a particular version of a particular tract, but
compatibility, approach, language, and general theological themes could
certainly be indicated. - ibid.,
p. 34. Remarque : par le
terme de « littérature de Wycliffe
», on entend des textes créés au sein du cercle des adeptes de
Wycliffe.
52.
« Wycliffe preached repentance
into our fathers not long since. They repented not, for their hearts were
indurate, and their eyes blinded with their own pope-holy righteousness...
» - in Doctrinal treatises and
introductions to different portions of the holy scriptures by William Tyndale,
Martyr 1536,
53.
« The old, cruel, and fearful
testament, which drew people away »...in Doctrinal
treatises, op. cit., p. 364.
54.
« But this new and gentle
testament, which calleth again, and promised mercy to ail that will amend...
», ibid.,
p. 455.
307
entre Dieu et les
enfants charnels d'Abraham, de Jacob, tous ceux qu'on appelle Israël...
» [covenant... made between God and the carnal children of Abraham, and
Jacob, and otherwise called Israël], tandis que le Nouveau Testament est
« la nouvelle alliance », selon
laquelle le sang du Christ est versé pour nos péchés (that Christ's blood is
shed for our sins), c'est donc la voie de l'élévation spirituelle du genre
humain. On voit de nouveau que Tyndale admet la doctrine officielle du rachat55,
contrairement aux bogomiles et aux cathares.
On trouve un autre exemple
important d'atténuation de la théologie dualiste. Cathares, bogomiles et
lollards rejettent le baptême par l'eau, en affirmant que le vrai baptême se
fait avec le Saint Esprit56,
le Verbe, les souffrances du Christ et le sang57. En plaçant plus
haut le baptême par le Verbe, Tyndale évite de rejeter celui qui se pratique
dans la fosse baptismale et maintient l'importance de celui-ci, en tant que préparation
au baptême par le Verbe :
« L'immersion sans le Verbe ne sert à rien, mais
à travers le Verbe, il lave et purifie. »
Bien entendu, il n'oublie pas de définir le baptême avec le sang du Christ
comme étant le véritable baptême :
« L'immersion nous enseigne que nous sommes purifiés par le sang versé du Christ58. » Ainsi, il n'entre pas en conflit avec des passages massivement adoptés par la tradition officielle de l'Église, tout en introduisant sa propre interprétation. On peut donc dire que Tyndale est un réformateur également vis-à-vis de la tradition dualiste, puisqu'il rejette certains de ses postulats extrêmement provocateurs.
Tyndale a recours également
au terme de « parfait
» (perfect),
qui définit le guide spirituel bogomile. Chez l'auteur anglais, la manière
dont on atteint cet état par une initiation mystique (consolamentum) est
reléguée au second plan, il suffit pour l'homme de se vouer à la connaissance
qui élève l'esprit : «Lorsqu'on connaît parfaitement l'essentiel des
Saintes Écritures, tout le reste est facile»
59.
D'initiation pour les élus, cet état devient appel à l'élévation spirituelle
---------
55.
« ...all good things are thine
already purchased by Christ's blood. » in
The Wicked Mammon, op. cit.,
p. 64 Or : "Christ's blood only
putteth away all the sin that ever was... »,
ibid.,
p. 72.
56.
« Infunditur gracia Spiritus Sancti...
» in Heresy trials, op. cit.,
p. 95.
57.
« Baptized in the blood of Christ...
», ibid.,
p. 146.
58. «
The washing without the word helpeth not :
but through the word it purifîeth and cleanseth us.
[...] The washing preacheth unto us, that we are cleansed with Christ's
bloodshedding... » in The
Obedience, op. cit., p. 109.
59.
« The principal of Scripture
perfectly learned, all the rest is more easy. »
in Doctrinal Treatises, op. cit.,
p. 27. Egalement : « ...a good and learned man. »
in The Obedience..., op. cit.,
p. 118.
308
GEORGI vasilev
et voie pour l'atteindre, ce qui est donné à tout homme qui exerce un travail sur lui-même. On constate de nouveau que certains aspects purement dogmatiques de la théologie dualiste sont laissés de côté et que l'on passe à l'idée d'un développement plus libre de la personnalité, de la pensée et de la réalisation individuelles, réalisables grâce à l'instruction, la culture, la littérature, le débat. En fait, c'est un humanisme évangélique, qui marque le début de la Renaissance chrétienne.
Nous trouvons aussi la
mention d'un lien génétique entre la tradition bogomilo-cathare chez un
auteur plus proche de nous dans le temps. En
1879, L. Brockett, de l'Église baptiste américaine, utilise de manière
pénétrante de nouveaux matériaux sur les dualistes bulgares et, dans sa
brochure Les bogomiles de Bosnie et de
Bulgarie (Les précurseurs du protestantisme à l'Est. Essai de restauration de
feuilles perdues de l'histoire du protestantisme)60, déclare que les bogomiles
sont les précurseurs des protestants. Mais si une pensée aussi globale présente
des difficultés pour une grande partie de nos collègues anglais contemporains,
certains aspects évidents ne peuvent être passés sous silence.
Je me permettrai la
conclusion suivante : les deux traductions
clés de la Bible en anglais, ainsi que les deux grandes tentatives de susciter
une reforme de l'Église officielle, celle de Wycliffe au XIVe
siècle et celle de Tyndale au XVIe
trouvent leur motivation dans la philosophie bogomilo-cathare et vont de pair
avec la proposition insistante d'introduire des aspects fondamentaux de sa
pratique. Nous pourrions compléter la jolie formule de John Foxe, qui disait qu'avec
l'oeuvre de Tyndale, Dieu jetait sa lumière sur la longue nuit anglaise faite
d'erreurs, de préjugés et d'un despotisme paralysant l'esprit61.
Aux racines de cette œuvre, se trouve l'exemple bulgare de communication
directe avec le Nouveau Testament, initié par les travaux de Cyrille et de Méthode
et confirmé par leurs disciples en Bulgarie, avant de passer en Occident par
l'intermédiaire des bogomiles.
J'aimerais ajouter que les
études qui seront faites ultérieurement pour éclairer la théologie secrète
de Tyndale vont sans doute enrichir l'information que vous avons exposée ici.
Sans aucun doute,
---------
60.
L. P. Brockett, The Bogomils of
61.
« Over
309
elle apportera plus
de nuances et de précision dans les détails. Ainsi, par exemple, même si la
continuité entre Wycliffe et Tyndale est facile à suivre, on s'aperçoit aussi,
si l'on regarde attentivement les nuances, qu'ils représentent deux tendances
différentes dans la philosophie dualiste. Wycliffe, si l'on en croit les matériaux
déjà dépouillés, reprend plutôt les idées de l'Église bogomile bulgare.
Ses adeptes, « qui ont leur Église en
Bulgarie, croient en un Dieu tout-puissant, bon, qui vient de rien et qui a créé
les anges et les quatre éléments. Ils disent que Lucifer et ses complices ont
péché au ciel 62
». J'étalerai cette constatation par la citation que l'on trouve fréquemment
sous la plume de Wycliffe, concernant le mythe du Christ descendant en Enfer
pour le détruire, l'un des préférés des bogomiles qu'ils tirent de l'Evangile
de Nicodème. La formule de Tyndale,
dans Expositions and Notes on Sundry Portions of Holy Scriptures together
with the practice of Pretates : « Dieu et le diable sont deux pères
opposés, deux sources opposées, deux causes opposées
: l'une est la bonté même, l'autre tout le mal
», coïncide avec l'autre tendance du dualisme
: celle du dualisme absolu, préconisé par l'Église de Dragovitie.
Les dualistes absolus « croient en deux
Dieux ou seigneurs sans début ni fin, l'un bon et l'autre mauvais 63
». En même temps, il est patent que Tyndale a lu l'Homélie d'Épiphane, dans
laquelle est aussi décrite la scène de la descente du Christ en Enfer, mais il
semble exprimer sa préférence pour un autre passage, non moins grandiloquent.
Il écrit : « Le Christ est en toi et toi en lui, vous êtes indéfectiblement
liés l'un à l'autre 64.
» C'est presque l'exacte traduction des mots du Christ dans l'Homélie
d'Épiphane : « Tu es en moi, comme je suis en toi, un seul visage
inséparable 65.
»
Une dernière exigence professionnelle nous pousse à indiquer jusqu'à quel point ce sujet a été étudié jusqu'à maintenant. On constate que, parmi les médiévistes anglais contemporains, à l'exception de quelques auteurs du XIXe siècle, l'idée d'importation de
---------
62.
« .. .qui habent ordinem suum de Bulgaria, credunt i
predicant tantum unum bonum deum omnipotentem sine principio, qui creavit
angelos et IIIIor elementa. Et dicunt quod Lucifer et complices sui peccaverunt
in cœlo. » in A. Dondaine,
« Hiérarchie cathare d'Italie »
in Archivum fratrum Praedicatorum,
Roma, XIX (1949), p. 310.
63. «
...qui habent ordinem suum de drugonthia, credunt et predicant duos deos sive
sine principio et sine fine, unum bonum et alterum malum penitus.
», ibid.,
p. 309.
64. «
Christ is in thee, and thou in him, knit together inseparably. » in Doctrinal trea-tises, op.
cit., p. 79.
65.
« Συ
γαρ
εν
έμοί
κάγώ
εν
σοι,
εν
και
άδιαίρετον
ύπάρχομεν
πρόσωπον.
» -
in
L'Homélie d'Épiphane sur l'ensevelissement du Christ, éd. par A. Vaillant, Radovi Staroslavenskog instituta,
310
georgi VASILEV
l'hérésie
continentale n'est pas abordée. La philosophie et la pratique du catharisme
sont extrêmement bien représentées dans le livre de Malcolm Lambert, Les
Cathares 66, l'un des
meilleurs ouvrages jamais écrits sur ce sujet, mais sans qu'y soit indiquée de
relation entre la diffusion du catharisme en Europe et celle sur les îles
britanniques. Les formules hérétiques rendent un son bizarre et incompréhensible
pour nos collègues anglais. Comme l'écrit un chercheur, par ailleurs
excellent, qui étudie les lollards, James Gardner, à propos de la thèse
dualiste fondamentale et célèbre de Wycliffe ramassée dans la formule : «
Dieu doit obéir au diable » (ce qui
signifie que c'est le diable qui dirige le monde terrestre)
:
remerciements
Je voudrais exprimer toute ma gratitude au professeur émérite David Daniell, d'Oxford, qui, en m'offrant ses publications, m'a amené à m'intéresser à ce sujet passionnant. Je suis particulièrement reconnaissant à Valérie Hotchkiss, professeure, à qui je dois des conditions de travail exceptionnelles en octobre 2001 dans la bibliothèque de théologie Bridwell Library, Southern Methodist University, Dallas, qu'elle dirige. Ma sincère reconnaissance aussi au Dr. Norman Tanner, d'Oxford, pour les livres qu'il m'a envoyés et qui m'ont été très précieux.
(Traduit du bulgare par Marie Vrinat-Nikolov)
---------
66.
M. Lambert, The Cathars,
67. J.
Gairdner, Loilardy and Reformation,
v.
68.
W. Summers, Our Loilard Ancestors,