OUVERTURE DES ARCHIVES SECRETES DU
VATICAN
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U
n communiqué du P. Sergio Pagano, Préfet des
archives secrètes du Vatican et du P. Marcel Chappin, S.J.
Responsable des Archives historiques de la Secrétairerie
d'Etat (Section des Relations avec les Etats), publié
aujourd'hui par la salle de presse du Saint-Siège, explique
les modalités de l'ouverture et ses motivations.
Le communiqué souligne la volonté de Jean-Paul II de
« rendre disponibles aux chercheurs, à partir de 2003,
les documents contenus dans la Section pour les Relations avec les
Etats de la Secrétairerie d'Etat et dans les Archives
secrètes du Vatican, concernant l'Allemagne et relatives
à la période de 1922-1939 ».
« Ce geste exceptionnel du Saint-Père
n'échappe à personne », souligne le
communiqué. Jean-Paul II en effet admet une «
dérogation » aux critères habituels d'ouverture
des archives, et ceci « afin de contribuer à mettre un
terme à des spéculations injustes et ingrates »,
indique la même source.
L'ouverture complètes des archives vaticanes sur le
pontificat de Pie XI, précise le communiqué, requiert
encore trois autres années de travail: d'où la «
nature exceptionnelle » de l'initiative du pape Jean-Paul II.
L'accès aux sources « documentaires vaticano-allemandes
pour le pontificat de Pie XII » sera « prioritaire ».
Cette ouverture tient à cœur à Jean-Paul II, indique le
même communiqué, étant donné que cette
période comprend la Seconde guerre mondiale, avec « la
déportation des Juifs » et « la tragédie de
la Shoah ».
« En 1984, rappelle le communiqué, par une disposition
de Jean-Paul II, la consultation des sources des Archives du Vatican
a été étendue jusqu'à 1922,
c'est-à-dire la fin du pontificat de Benoît XV. En
même temps, une mise en ordre de la documentation relative au
pontificat de Pie XI (1922-1939) a été lancée,
avec les critères habituels: ouverture par périodes de
temps correspondant à un ou plusieurs pontificats, respect
d'un laps de temps convenable, pour protéger "la juste
discrétion" relative aux personnes et aux institutions, la
mise en ordre totale des documents d'archives "de façon de
rendre fonctionnelle la recherche" et "sûr le traitement de la
documentation ».
La préparation du matériel d'archives relatif au
pontificat de Pie XI est, précise la même source «
à un stade avancé ». Pourtant, son
achèvement requiert encore « trois ans ». Le travail
ne peut être achevé « simplement par n'importe
quelle intégration de l'équipe préposée
», « du fait que la matière même exige la
collaboration des archives experts et capables de traiter, souvent,
des dossiers concernant le for intérieur »,
c'est-à-dire ce qui concerne la conscience et
l'intimité des personnes. C'est en particulier ce qui
différencie les archives du Vatican d'autres archives comme
celles des Etats.
Jean-Paul II a pris la décision, continue le
communiqué, « de rendre disponibles aux chercheurs,
à partir du début de l'année 2003, les documents
contenus dans les archives de la Section pour les Relations avec les
Etats de la Secrétairerie d'Etat et dans les Archives
secrètes du Vatican, concernant l'Allemagne et les
années 1922-1939 ».
Par conséquent les historiens pourront avoir accès
aux documents des fonds suivants:
- Archives des Affaires ecclésiastiques extraordinaires,
Bavière (1922-1939), environ 10 dossiers; Allemagne
(1922-1939), environ 100 dossiers.
- Archives secrètes du Vatican: Archives de la Nonciature
apostolique à Munich en Bavière (1922-1934), environ
430 dossiers; Archives de la Nonciature apostolique à Berlin
(1922-1930), environ 100 dossiers.
Le communiqué rappelle que ces archives de la Nonciature
ont souffert de graves destructions au cours de la Seconde guerre
mondiale sur le sol allemand et de très nombreux documents des
années 1931-1942 ont été dispersés ou
détruits, bien avant d'être archivés au Vatican.
Leur consultation se fera aux Archives, selon les modalités
d'admission des chercheurs habituelles prévues par le
Règlement, précise-t-on.
La décision du pape, explique le communiqué, entend
répondre à de « nombreuses demandes d'accès
à la documentation vaticane concernant un pontificat
certainement remarquable comme celui de Pie XI », avec les
développements politiques qu'a connu l'Europe à cette
époque, avec l'avènement « hélas » -
écrit le communiqué – « d'Etats totalitaires et de
gouvernements despotiques, prélude à la Seconde guerre
mondiale, dont les premiers mouvements menaçants » se
sont faits justement sentir vers la fin de ce pontificat. Mais le
communiqué ajoute que « l'intention du Saint-Père
», une fois accompli le travail pour le pontificat de Pie XI,
est de rendre aussi prioritairement accessibles les documents
concernant celui de Pie XII (1939-1958).
« Cette ouverture ultérieure des Archives du Vatican,
précisent les spécialistes, tient très à
cœur au Saint-Père pour des motifs évidents, compte
tenu du fait que durant le pontificat de Pie XII eut lieu le second
conflit mondial, et avec lui aussi la déportation des Juifs et
la tragédie de la Shoah ».
Mais on pourrait faire des objections scientifiques à cette
procédure, remarque en substance le communiqué. Ces
« pas progressifs » visent, continue la même source,
« une ouverture plus ample et plus rapprochée » des
archives et ont un caractère « positif », mais ils
pourraient aussi susciter « perplexités et observations
critiques de caractère scientifique dont le Saint-Siège
est pleinement conscient ». Par exemple, l'ouverture
limitée d'une seule série d'écritures (par
exemple documents Vatican-Allemagne 1922-1939) et non de tout
l'ensemble des Archives d'un pontificat. C'est une « anomalie
», en effet, du point de vue des archivistes : la norme en
vigueur veut en effet que l'on procède à l'ouverture de
tout ce qui concerne une Institution déterminée. Et
d'expliquer: l'historien qui voudra examiner les dossiers des
relations entre le Vatican et l'Allemagne de 1922 à 1939
ressentira immédiatement la nécessité
d'élargir son enquête, en suivant les
corrélations et les liens qui existent entre les dossiers les
plus disparates des archives, dans d'autres fonds du
Saint-Siège, qui ne seront pas eux encore accessibles.
Devant cette difficulté, et d'autre éventuelles, le
Saint-Siège rappellera cependant « le caractère
exceptionnel » de la disposition annoncée aujourd'hui.
« Nous croyons, disent les archivistes, qu'en dépit
des inévitables "déceptions" des chercheurs, qui
s'attendent peut-être dans de bref délais à
l'ouverture complète des sources vaticanes jusqu'à
1939, que la décision prise par le Saint-Père relative
à la documentation vaticano-allemande, peut constituer comme
une des prémices solides d'études et d'enquêtes
à venir, qui, dans trois ans environ, pensons-nous, pourront
être élargies à tous les fonds des Archives du
Vatican jusqu'à 1939, et puis au-delà, avec le temps
nécessaire ».
Les archivistes annoncent également la « publication
des données relatives aux prisonniers de la dernière
guerre (1939-1945) » se trouvant dans les mêmes archives.
Et ceci est rendu possible par le fait qu'il s'agit d'un «
ensemble documentaire homogène et complet, déjà
mais en ordre ». Sa publication qui au cours des années
se fera en différents volumes « portera ainsi
immédiatement à la connaissance des historiens la
grande oeuvre de charité et d'assistance accomplie par Pie XII
à l'égard des nombreux prisonniers et d'autres victimes
de la guerre, de quelque nation, religion ou race que ce soit ».
Sous le patronage de la Secrétairerie d'Etat, ce travail sera
publié par les soins des Archives secrètes du Vatican.
D’autre part, le Père Sergio Pagano déclare toujours
selon l’agence Zenit :
- Quelle importance revêt cette décision ?
- L'importance de cette ouverture saute d'autant plus aux yeux si
l'on tient compte du fait que le Nonce en Allemagne, de 1920 à
1929, était Eugenio Pacelli, le futur pape Pie XII. On peut
donc étudier à travers ces documents la figure du futur
pontife, sous un pontificat tout aussi intéressant comme le
fut celui de Pie XI. On peut supposer que le Saint-Père ait
voulu aller à la rencontre de la demande de certains
chercheurs, d'historiens surtout, qui voudraient avoir accès
aux sources des Archives pontificales dans une chronologie un peu
plus récente.
- Vous faisiez allusion aux nombreuses demandes d'accès
à cette documentation parce qu'elle concerne une
période particulièrement importante et complexe ?
-Je pense que oui. Il y a évidemment les vicissitudes
historiques qui ont intéressé l'Europe et divers
gouvernements européens, qui sont toutes objets d'observation
de la part des historiens. On présume que ces nouvelles
sources que le Saint-Père met à la disposition soient
un premier pas pour une ouverture progressive et pour les
contributions historiographiques progressives qui viennent de ces
documents.
- Est-ce qu'il pourra en sortir quelque chose de nouveau ?
- Cela, honnêtement, je ne peux pas le dire. Nous sommes
encore en train d'étudier, d'inventorier cette documentation.
On présume que quelque chose de nouveau pourrait en sortir,
mais je ne crois pas qu'il y aura des révolutions
historiographiques, parce que les historiens aussi savent bien que
les documents s'entrecroisent et que ce qui se trouve dans la
documentation vaticane se reflète ensuite sur d'autres
archives.
- Une seconde décision, non moins attendue et importante:
la publication des données relatives aux prisonniers de la
seconde guerre mondiale contenues dans les Archives du Vatican et
relatives à la grande oeuvre humanitaire accomplie par Pie XII
à leur égard ?
- Il s'agit d'un fonds rassemblant surtout les documents du Bureau
d'informations institué par Pie XII au cours de la seconde
guerre mondiale: on y a conservé les fameux modules de
requêtes remplis par les familles des prisonniers de guerre ou
des exilés, des prisonniers des camps de concentration dont on
n'avait pas de nouvelles. Nous possédons environ deux millions
et demi de fiches de prisonniers de guerre, y compris des Juifs, on y
précise les prénoms, noms, patries, âges,
adresses des camps de concentration éventuels, et là je
pense que d'une manière sérieuse et objective, on a une
connaissance de l'énorme recherche de nouvelles que le
Saint-Siège a faite en faveur des familles des prisonniers.
Bernard Suchecky, historien, membre de la commission d’historiens
juifs et catholiques chargée d’examiner les archives
publiées par le Saint Siège sur la Seconde Guerre
mondiale réagit à l’annonce par le Saint Siège
de cette mesure. (La Croix du 20 Février 2002)
Êtes-vous satisfait par l'ouverture des archives du Vatican?
- Comment réagissez-vous à l'annonce de l'ouverture
des archives du Vatican concernant la Seconde Guerre mondiale ?
Bernard Suchecky : Je demeure un peu perplexe. Il me semble qu'il
y a à la fois une vraie nouvelle et un effet d'annonce. Une
vraie nouvelle car, quand notre commission s'était rendue
à Rome en octobre 2000, on nous avait répondu que le
travail sur les archives du pontificat de Pie XI prendrait encore du
temps et celles de Pie XII plus encore. Aujourd'hui, on nous parle de
l'ouverture prochaine des archives de Pie XI et, plus tard, de
certains documents des archives de Pie XII, notamment en ce qui
concerne les relations vaticano-allemandes Ce qui va être
publié sera intéressant : tout ce qui peut être
publié est un pas en avant. Par contre, concernant Pie XII, on
ne nous donne pas de délai et c'est là que je dis qu'il
y a peut-être un effet d'annonce. Même si je sais bien
que l'ouverture d'archives, cela se prépare et qu'il faut
nécessairement du temps.
- En octobre 2000, dans son rapport préliminaire, votre
commission soulevait 47 questions sur lesquelles elle butait.
Pensez-vous que l'ouverture de ces archives permettra d'y
répondre ?
- Le principal point sur lequel notre commission avait un
problème était justement que nous ne pouvions avoir
accès aux archives. Nous étions obligés de
passer par les 11 volumes que la commission de spécialistes
jésuites avait sélectionnés de 1965 à
1981. Il n'est plus question aujourd'hui de ces 11 volumes mais de
l'accès direct aux archives. De ce point de vue, notre
défunte commission a gagné une manche.
- « Défunte » : cela veut-il dire que cette
ouverture ne relancera pas votre travail ?
- Trois membres sur six ont démissionné, dont moi,
alors que la commission avait déjà suspendu ses
travaux. De toute façon, je ne serais pas prêt à
recommencer : c'est un travail bien plus politique qu'historique.
D'ailleurs, on peut se demander si, une fois que les archives sont
ouvertes et que tout spécialiste peut s'y pencher, une telle
commission est encore nécessaire. La connaissance de
l'histoire avance-t-elle à coups de commissions ? Et puis, une
commission composée exclusivement d'historiens affichés
comme juifs et catholiques risque de réduire le débat.
- Toutes les archives ne seront pas ouvertes. À votre avis,
restera-t-il des zones d'ombre ?
- Les 11 volumes sur lesquels nous devions travailler
étaient presque exclusivement des archives venant de la
Secrétairerie d'Etat. Avec l'ouverture des archives de Pie XI,
l'éventail sera beaucoup plus large. Mais en ce qui concerne
le pontificat de Pie XII, il semble que l'on s'en tienne d'abord aux
archives diplomatiques. Ainsi, les spécialistes
jésuites avaient publié les lettres de Pie XII à
l'épiscopat allemand : il aurait été
intéressant de connaître la correspondance
envoyée par ces évêques au Vatican. C'est
peut-être ce qui va se produire: même s'il peut s'agir
parfois de la « cuisine interne » d'un diocèse, cela
n'est pas sans intérêt au regard de la période
étudiée.
Recueilli par Nicolas Seneze