Geneviève Jeanson
les Jeux olympiques de Sydney

septembre 2000


photo : Steve Deschênes

La bicyclette céleste

À 19 ans, Geneviève Jeanson joue déjà dans la cour des grands. À la voir récolter les médailles, il y a fort à parier que ses premiers Jeux ne seront pas ses derniers.

par Simon Kretz

Geneviève Jeanson est toute menue, comme les cyclistes le sont parfois. Si menue - 1,57 m et 50 kilos - qu'on a peine à imaginer qu'elle puisse pédaler à un train d'enfer. Pourtant, elle est convaincue que sa course, le matin du 26 septembre, date du contre-la-montre individuel à Sydney - une des deux épreuves auxquelles elle prendra part -, se terminera sur le podium.

La coureuse a raflé les deux titres de championne chez les juniors l'an dernier, au contre-la-montre et sur route. Elle a aussi gagné, cette même saison, ses deux premières courses chez les seniors ! Selon la rumeur, la jeune cycliste de 19 ans, de Lachine, viendrait d'une autre planète. Là où le son amplifié de l'expiration est un mantra, où le mot sacrifice est synonyme de bonheur. Et où le vélo devient une raison de vivre.

«Au Canada, elle est la meilleure qu'on ait jamais vue. Dans le monde, peut-être la meilleure qu'on verra», affirme Antoine Bedwani, président et fondateur du Club Espoirs de Laval, où Geneviève Jeanson a fait ses débuts, et d'où sont issus plusieurs grands noms du cyclisme canadien des 30 dernières années.

«Geneviève Jeanson, c'est la quintessence de tout ce que j'aime dans le sport : Mohammed Ali sur un bicyk», a écrit Pierre Foglia dans La Presse. C'était au lendemain du doublé victorieux de la jeune femme (contre-la-montre individuel et course sur route) aux Championnats du monde junior, en Italie, en octobre dernier.

Une «Mohammed Ali» qui pédale. Ceux qui connaissent bien Geneviève Jeanson confirment que l'image est à la mesure de ses propres visées. Et que la référence à la boxe n'est pas un hasard. Son entraînement est si dur, parfois même si violent pour son corps, qu'elle en vomit de fatigue. Elle fait preuve d'une détermination et d'une confiance intimidantes. Mieux encore, elle sait encaisser les coups.

Elle sait aussi se remette d'un knock-out. À l'étape montréalaise de la Coupe du monde féminine, le 28 mai, elle a terminé 24e, résultat qui a laissé sur sa faim un public conquis d'avance. À la ligne d'arrivée, assise en retrait avec son entraîneur, elle a versé des larmes. La cycliste se sentait comme une élève orgueilleuse qui vient d'échouer à un examen pour la première fois de sa vie.

«Geneviève déteste perdre. Ce qui l'intéresse, c'est d'atteindre la première le fil d'arrivée. Mais elle n'a que 19 ans !» rappelle Pierre Hamel, éditeur du magazine Velo Mag, qui suit la compétition cycliste depuis 20 ans. «C'est une coureuse audacieuse, qui impose son rythme sur presque tous les types de parcours. Elle a la vitesse et l'intelligence d'une grande championne. Tout ça, elle le doit à sa persévérance. Et à son entraîneur, André Aubut.»

L'athlète a beau être avantagée en montagne par sa petite taille (légère, elle est une des meilleures grimpeuses au monde) et avoir une grande capacité pulmonaire, elle ne serait pas ce qu'elle est sans André Aubut. Voilà du moins l'avis de plusieurs observateurs et analystes sportifs. Depuis quatre ans, les deux sont quasi inséparables. Et discrets : ils ne fraient pas avec les autres coureurs et entraîneurs.

André Aubut, 44 ans, est un ex-champion canadien de canoë-kayak et un ancien fondeur. Il est le coach et le partenaire d'entraînement de Geneviève Jeanson, mais aussi le gestionnaire de ses relations avec les médias. Son indépendance face au monde du cyclisme québécois, qu'il ne se gêne pas pour critiquer, est presque maladive. «Mon travail consiste à donner des outils à Geneviève, dit-il. Elle, elle s'en sert.»

L'homme marie la rigueur et l'arrogance d'un Scotty Bowman des années 70 (alors entraîneur du club de hockey Canadien) à l'avant-gardisme et au perfectionnisme d'un Bill Bowennan (célèbre entraîneur en athlétisme et concepteur de la première chaussure Nike, également dans les années 70). De son propre aveu, André Aubut est peu familier avec les techniques traditionnelles d'entraînement cycliste. Mais son souci du détail pourrait faire école. Ainsi, avant l'épreuve contre la montre du Championnat canadien sur route, à Peterborough, en juillet, il a fait faire le tour de la piste à sa protégée au moins 40 fois, pour qu'elle puisse la visualiser. Elle aurait pu faire la boucle les yeux fermés !

L'automne dernier, André Aubut a eu maille à partir avec l'Association cycliste canadienne, qui a décrété que le titre de double championne junior de l'athlète n'était pas suffisant pour lui assurer une place dans l'équipe olympique. Pour avoir le droit de briguer une des trois places au Championnat canadien sur route, elle devait terminer parmi les 10 premières dans deux courses seniors. Un gros contrat.

En mars, elle arrivera première au Tour de Snowy, en Australie, une épreuve par étapes très exigeante, devant Anna Wilson, la vice-championne du monde. Un mois plus tard, elle remportera la Flèche walonne, course européenne de 90 km, l'une des plus difficiles. Dernier obstacle : le Championnat canadien sur route. Cinq Canadiennes se disputent les trois postes. Geneviève Jeanson termine deuxième au contre-la-montre, sept petites secondes derrière Clara Hughes. Trois jours plus tard, à la décisive course sur route, elle coiffe au sprint Lyne Bessette et Clara Hughes. Ces dernières admettront par la suite avoir travaillé en faveur de Geneviève - au grand dam des autres participantes. Leur alliance-surprise, conclue pendant la course, visait à donner au Canada une équipe compétitive pour l'épreuve sur route, et deux sérieuses candidates (Clara Hughes et Geneviève Jeanson) aux grands honneurs du contre-la-montre individuel. «Avec Geneviève, nous formons la meilleure équipe possible» dit Clara Hughes.

Catapultée sous les feux de la rampe il y a un an à peine, Geneviève Jeanson affiche un calme désarmant. «J'adore le vélo et j'adore m'entraîner. C'est ce que je compte faire pendant au moins 10 ans. Je suis sincèrement très heureuse là-dedans. Je veux gagner des médailles et des titres. Je veux devenir la meilleure.»


Cette page du site www de Geneviève Jeanson (une section de VÉLOPTIMUM), a été mise en ligne le 23 août 2000 par