INTRODUCTION
Lorsque j’ai accepté, après quelques coups téléphone, de venir vous rencontrer, je savais que si je le faisais je serais amené à m’interroger, à me regarder dans ma vie de prêtre, de ministre ordonné au service de l’Évangile. Je savais que je me retrouverais devant vous non comme un professeur qui partage son savoir, mais comme un de vous, un « cum fratres », un « avec ses frères », un « confrère » portant les mêmes questions, les mêmes espoirs, les mêmes limites, les mêmes joies, les mêmes déceptions, mais partageant le même idéal : celui d’un serviteur du Christ pour ses frères et sœurs dans la communauté de l’Église.
Où en suis-je après 40 ans de sacerdoce, de vie presbytérale? Comment s’est vécue et se vit cette existence qui est la mienne dans sa configuration concrète, dans son histoire?
À la fin du cours classique , en choisissant le ruban blanc lors de la cérémonie solennelle de la prise des rubans qui marquait l’intention de me présenter au Grand Séminaire comme candidat à la prêtrise, j’écrivais dans le livre-souvenir des finissants de mon collège au nom du groupe de confrères qui faisaient le même choix ce qui suit :
« Pourquoi nous avons choisi… le clergé séculier?
On entend parfois sur le sacerdoce et le clergé séculier des réflexions jetées en l’air, sans malice, mais qui n’en laissent pas moins une impression un peu amère. Eh bien! N’allez pas croire que les porteurs de rubans blancs ambitionnent dans le sacerdoce une vie aisée, une vie de tout repos; ils choisissent au contraire une vie remplie, tout entière consacrée à Dieu. En effet, le prêtre reste dans le monde, mais il ne vit plus avec le monde.
Son ministère baigne dans le surnaturel, c’est à lui que revient la charge des âmes. Il laisse de côté le domaine matériel pour s’attacher uniquement à son ministère et pour être une présence qui chante l’Infini.
Tel m’apparaît le prêtre.
Pour être différent des autres professionnels, le prêtre l’est assurément, avant tout, il est un « professionnel » de Dieu.
Ceux qui se destinent au clergé séculier savent que leur vie sera différente de celle du monde, ils savent que le Dieu qu’ils servent est un Dieu jaloux et qu’il n’accepte pas de demi-mesure; ils savent aussi qu’ils sont faibles, qu’ils sont de pauvres humains, qu’ils sont des instruments dans la main de Celui qui est prêtre selon l’ordre de Melchisedech.
Mais Dieu qui les appelés saura aussi les soutenir et forts de cette assurance, ils envisagent l’avenir avec confiance.
Et c’est signé : les futurs prêtres par Hermann Giguère.
Quarante ans et quelques poussières plus tard, je suis encore prêt à signer cette présentation avec la devise que j’avais choisie : « Ut vitam habeant » - « Pour qu’il aient la vie » (Jean 10,10).
Mais venons-en à la question que vous m’avez posée : Comment naît et se développe une spiritualité des ministres ordonnés (prêtres et diacres) aujourd’hui? Je tenterai de répondre à cette question en trois étapes. Nous commencerons par nous arrêter à quelques points de repères essentiels pour discerner l’origine et le développement d’une spiritualité qui est le reflet d’une identité spirituelle personnelle comme nous le verrons. Ensuite dans un deuxième point, je vous commenterai une grille de lecture pour décrire la dynamique de l’actualisation d’une spiritualité concrète. Enfin, dans un troisième point, je partagerai avec vous le résultat de mon retour sur ma vie de prêtre en vous présentant les quatre pistes de croissance qui soutiennent le plus ma vie presbytérale.
I- REPÈRES POUR DÉCRIRE UNE SPIRITUALITÉ DES MINISTRES ORDONNÉS (PRÊTRES ET DIACRES)
Dans ce point, nous nous arrêterons à quelques conclusions importantes pour décrire une spiritualité presbytérale ou diaconale pertinente et incarnée dans le temps et l’espace que je ferai suivre dans le second point d’un cadre de référence pour les « spiritualités des ministères » dont nous retrouverons la structure dans la « spiritualité presbytérale », dans la « spiritualité diaconale » et dans la « spiritualité des ministères laïcs » que je présenterai sous forme de tableau commenté. Pour les prêtres, on utilise dans les documents pontificaux et dans bien d'autres écrits le terme "spiritualité sacerdotale". Je n'exclus pas le terme "spiritualité sacerdotale", mais je retiens celui de de "spiritualité presbytérale" dans le sillage de "Presbyterorum Ordinis" qui a pris soin de distinguer "sacerdos" et "presbyter". Ceci étant dit, je n'ai aucun problème avec l'utilisation courante qui est fait du terme "spiritualité sacerdotale" quoique "spiritualité presbytérale" me semble plus approprié. Voir les remarques de Father Cozzens plus loin.
En commençant notre parcours, nous nous devons de prendre acte à partir de l’histoire de la spiritualité que les formes que prend une spiritualité varient selon les contextes et selon les «théologies» qui l'entourent, c’est pourquoi un
premier constat s’impose :
il n'y a pas « une » spiritualité des ministères, mais «des» spiritualités des ministères, non pas «une» spiritualité presbytérale, mais «des» spiritualités presbytérales, non pas «une» spiritualité diaconale, mais «des» spiritualités diaconales.
Si on constate ce fait, ce n'est pas pour réduire ces spiritualités à quelque chose de vague et informe, mais plutôt pour marquer qu'une spiritualité est de l'ordre d'une vie, d'un dynamisme, d'un processus toujours en action. Vouloir l'enfermer dans une «structure» fermée c'est la tuer et la condamner à n'être qu'une série de gestes, d'attitudes répétitives où la personne devient prisonnière au lieu de développer son identité spirituelle personnelle.
Deuxième constat qui découle du précédent: les «spiritualités» nous renvoient non seulement à des individus, mais aussi à des groupes, à des conditions de vie communes, à des tâches, des services qui ont des exigences semblables, une « mission commune », un « service commun », c'est pourquoi, on peut dire qu'il existe des configurations
plus générales, des «familles», des «affinités» de groupe. C'est à ce plan que se situent selon nous la « spiritualité presbytérale » et la « spiritualité diaconale ».
Enfin, en
troisième lieu, on se doit de retenir qu'une spiritualité n'est pas d'abord une application de principes, un déduction à partir d'une théorie, mais elle
est le résultat d'une expérience d’un sujet-croyant qui se dit, qui se structure et se donne les moyens d'aller plus loin.
Les spiritualités naissent donc d'une expérience, d'un charisme particulier. Elles sont reçues plutôt qu'elles ne sont créées. Elles prendront des configurations variées. Leur naissance et leur développement mettent en œuvre un processus continuel d'interprétation qui est partie inhérente de toute expérience spirituelle personnelle.
Regardons-y de plus près si vous le voulez bien. L’expérience spirituelle se caractérise par son intégralité et sa globalité, mais cela n’exclut pas qu’elle ne se vit pas toujours au même niveau. On peut distinguer comme trois niveaux de celle-ci ou de l'expérience de Dieu si l'on veut. Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) écrivait avec sagesse et discernement qu’autre chose est d’ « avoir l’expérience », de « percevoir » ce qui se passe et de l’ « expliquer ».
Le
premier niveau est celui de l'expérience elle-même, indicible et unique. « Ce qui est vécu ». Le
second niveau est une première « perception de ce qui est vécu ». On le raconte, on le décrit, on tente de l’exprimer dans des mots ou autrement. Ce second niveau implique donc une première interprétation soit par des récits autobiographiques, des confidences, des «relations» où les descriptions à consonances psychologiques seront privilégiées (Thérèse d'Avila en est l'exemple le plus connu et a fait école pendant les siècles qui l'ont suivie) soit par des symboles, des «figures», des «visions», des œuvres apostoliques, des engagements sociaux, des oeuvres poétiques ou artistiques etc. Ce champ de la première interprétation est aussi vaste que les moyens d'expression dont on bénéficie et à la mesure des talents naturels des protagonistes. C'est sur ce terrain que naissent et se développent la « spiritualité des ministères » ou que naissent des «écoles de spiritualité», des «familles spirituelles» et des « spiritualités particulières » dans l'Église comme celle des pasteurs (prêtres) et des serviteurs (diacres).
Enfin, souvent, mais pas tout le temps, il y a un
troisième niveau qui met en action « une élaboration systématique » qui vient se greffer sur les deux premiers. « On explique » ce qui est vécu dira Thérèse d’Avila. On pousse plus loin le processus d'interprétation en développant une, une réflexion d'ensemble, des « référents », une «théologie», pourrait-on dire, qui présente une vision particulière reliée aux réalités de la foi.
La « spiritualité du prêtre » et la « spiritualité du diacre » s’élaborent en grande partie aussi à ce troisième niveau parce que comme nous le verrons dans le second point, ces spiritualités se construisent au fil des jours dans une tension productive et créatrice entre, d’une part, une situation ecclésiale donnée qui est reçue par l’imposition des mains de l’évêque et, d’autre part, le contexte concret dans lequel évolue la personne (le sujet) qui est amené à découvrir et développer une identité spirituelle personnelle marquée par cette situation existentielle nouvelle créée par l’ordination.
Il ne faut pas oublier cependant que ce troisième niveau ne dois jamais exclure les deux premiers car, comme toute spiritualité, la « spiritualité presbytérale » et la « spiritualité diaconale » intègrent dans leur actualisation ces deux premiers niveaux qui demeurent toujours incontournables puisqu’une spiritualité ne peut jamais n’être qu’une application de principes extérieurs au sujet, une théorie, une simple doctrine spirituelle. En effet, elle implique toujours une appropriation personnelle par la personne (le sujet) des réalités de la foi dans les circonstances de temps et de lieu où elle se trouve.
II- GRILLE DE LECTURE POUR DÉVELOPPER UNE SPIRITUALITÉ PERSONNELLE DE MINISTRE ORDONNÉ (PRÊTRES ET DIACRES)
Je vous ai mis sur forme de schéma avec tous les raccourcis que cela comporte une grille de lecture décrit met sur papier le cadre de référence auquel on peut revenir pour discerner et développer son identité spirituelle personnelle de pasteur ou de serviteur. En voici une présentation sommaire.
Au cœur de toute spiritualité se trouve une personne (un sujet interprétant) qui vit une expérience personnelle où elle exprime et interprète son identité spirituelle. Dans le cas des ministères ordonnés, il y a une situation ecclésiale et sacramentelle qui est la consécration pour une mission. Tout baptisé est consacré et envoyé en vertu du sacerdoce commun des fidèles, mais les ministres ordonnés sont « configurés » au Christ d’un manière particulière. Voilà une situation « ontologique » qui les marquent à jamais. Les personnes exerçant des ministères laïcs, sans être ainsi transformées sacramentellement, sont marquées par leur « vocation » confirmée par l’Église sous forme de mandat ou autrement qui devient ainsi l’équivalent de la « consécration » des ministres ordonnés.
Nous avons donc dans la « spiritualité presbytérale » et dans la « spiritualité diaconale » une situation « existentielle » incontournable où comme y a insisté le Concile Vatican II dans le
Décret sur le Ministère et la Vie des prêtres au numéro 2 « consécration et mission » sont indissociablement unies, car il n’y a pas de consécration sans mission et il n’y pas de mission sans consécration. C’est le point de départ à ne jamais oublier.
Cette situation « existentielle » s’incarne dans des conditions de vie concrètes : état de vie, circonstances de lieux et de temps, etc. Ce deuxième volet de la formation de l’identité spirituelle d’une personne engagée dans un ministère viendra colorer toute sa spiritualité ainsi que celle de son groupe. Nous le savons par expérience. Les habitudes et les moyens en usage du temps de notre Grand Séminaire ont évolués et pour les plus vieux parmi nous, ils ont parfois disparus et ont été remplacés par d’autres, et s’ils sont demeurés, ils sont pratiqués bien souvent assez différemment, je pense à la méditation et aux exercices de piété qui prennent maintenant des formes complètement nouvelles, mais tout aussi riches et efficaces si on se donne la peine de les cultiver et de les mettre dans son agenda.
Au-delà de ces deux assises fondamentales, diverses exigences vont retentir comme des appels et solliciter une réponse de la personne. Elles sont issues de l’Évangile lui-même qui interpelle tous le chrétiens de façon personnelle : ce sont les exigences que nous avons appelées « évangéliques ». D’autres exigences retentissent au nom du ministère dans lequel la personne est engagée : ce sont les exigences « ministérielles ». Et, enfin s’ajouteront des exigences particulières que l’Église impose ou recommande : ce sont des exigences que nous appellerons « ecclésiastiques ».
Ces repères nous permettent de décrire comment peut se développer une spiritualité liée à un ministère. Ils ne sont pas les seuls repères. On pourrait en ajouter d’autres, mais ceux-ci ont été abondamment décrits et utilisés dans les documents du Magistère et dans les témoignages tirés de l’Écriture ou des saints qui nous ont précédés.
Regardons maintenant comment ils peuvent nourrir le prêtre, ensuite comment ils peuvent aussi s’appliquer concrètement dans l’existence diaconale.
Le prêtre
En ce qui concerne l’interpellation des exigences évangéliques, aucune n’est laissée dans l’ombre, mais le prêtre privilégie celles qui ont trait aux serviteurs puisqu’il se définit comme tel à la suite du Christ, le Serviteur par excellence, Tête et Pasteur. C’est l’interaction de toutes ces exigences toutefois qui marque continuellement le processus de production d’une spiritualité propre et particulière aux prêtres qu’on désigne maintenant sous le nom générique de « spiritualité presbytérale » et dans le cas des évêques de « spiritualité épiscopale ». De la même façon ces exigences évangéliques mesureront la « spiritualité diaconale » puisqu’elles sont incontournables pour les « serviteurs » et que la « spiritualité du diacre » est avant tout celle du service.
Voici un choix d’impératifs évangéliques en relation avec les manifestations concrètes d’un « esprit de serviteur » chez le ministre ordonné qui rejoint les trois ordre : diaconat, presbytérat et épiscopat qui met devant nos yeux des exigences toujours actuelles même si elles ne sont jamais complètement réalisées.
Choisis par grâce
Les serviteurs de Jésus et de son Évangile ont répondu à un appel. Ce ne sont pas eux-mêmes qui se sont désignés ou choisis (Jn 13, 18; 15, 16). Leur mission est grâce, avant tout. L'orgueil, la vanité, la conscience de classe etc., sont donc non fondés et illégitimes.
Tous égaux et frères
Il n'y a pas lieu d'établir une hiérarchie spirituelle. Il n’y a pas de « serviteur idéal ». Chacun y va de sa générosité et de ses talents. Il y a des chances égales, une égale magnanimité et un salaire égal, pour tous les serviteurs (Mt 20, 1-16).
Respect absolu et total des personnes
Les serviteurs de l'Évangile ont l'obligation absolue
d'être miséricordieux, parce qu'envers eux aussi l'on a été miséricordieux (Mt 18, 23-25). Il ne leur revient ni d'évaluer, ni de juger, ni de condamner (Lc 6,37 s.). La moisson n'est pas leur affaire, et ils n'ont aucune décision à prendre au sujet de l'ivraie (Mt 13, 24-30). Dans l'exacte mesure où les serviteurs ont eu connaissance de la volonté de leur maître - et dans la mesure où ils y auront réfléchi - eux-mêmes seront châtiés, au cas où ils se seraient mis à battre les autres serviteurs et servantes, à manger et à boire et à s'enivrer (Lc 12, 45-48). Quiconque « bat » autrui de manière quelconque sera lui-même compté au nombre des infidèles (Lc 12, 46).
Recherche de fécondité et d’efficacité
De la part des serviteurs, l'on attend
absolument l'efficacité, la fécondité du travail. Quel que soit le trésor confié à leur sollicitude (l'Évangile, en l'occurrence), il ne leur est pas confié pour qu'ils le « conservent », mais pour qu'ils lui fassent porter du fruit en faveur du Dieu jaloux, plein d'amour (surtout: Lc 19, 12-27; également Mt 25, 14-30). Les serviteurs sont invités à se regarder eux-mêmes comme inutiles, en dépit de l'exigence absolue de fécondité et de rentabilité qui leur est adressée (Lc 17, 10). On peut se passer d'eux et ils sont interchangeables. C’est la mission qui est première et non pas leur personne ou leurs créations individuelles ou collectives.
Exigences ministérielles
Au plan des exigences ministérielles, celles-ci ne sont pas d’une nature autre que le ministère lui-même. C’est le ministère presbytéral (ou diaconal) lui-même qui apparaît comme le « moyen authentique » de suivre les traces de Jésus. Les numéros 12, 13 et 14 de
Presbyterorum Ordinis repris dans
Pastores dabo vobis le développent avec brio : Parole, Sacrement, Présidence de la communauté.
Dans le cas du diacre, il faudra ici moduler ce principe comme je dirai dans un instant, car, dans le cas d’un diacre marié, son « ministère » ne peut se substituer à son engagement dans le mariage-sacrement.
Exigences ecclésiastiques
Celles-ci font partie de configurations données. Elles traduisent en dispositions ecclésiastiques un « style », une « manière d’être » qui n’enlève jamais la place fondamentale irremplaçable et fondatrice qu’occupe le ministère lui-même.
Ces exigences « ecclésiastiques » ont connu des développements et ne peuvent se présenter comme nécessaires et essentielles. Aujourd’hui elles se cristallisent autour de l’exigence du célibat, de celle de la prière des Heures, de celle de l’incardination pour le prêtre diocésain et de celle des vœux et du rattachement à sa congrégation ou à son Ordre pour le prêtre religieux.
Ces dernières exigences qui ont une dimension juridique ne sont pas pour autant de simples exigences extérieures. Le célibat, par exemple, engage la personne dans ce qu’elle a de plus intime. La prière des Heures, quant à elle, actualise la fonction d’intercession inhérente au ministère presbytéral lui-même. L’incardination déborde le seul rattachement juridique : elle créée un lien « mystique », et les « vœux » du religieux attestent une volonté de radicalisme évangélique dans l’Église qui engage la personne de façon irréversible et stable.
Sur ce plan des « exigences ecclésiastiques », il faut faire ici une place aux moyens de sanctification que les documents du Concile et les documents du Magistère recommandent. À strictement parler, il ne s’agit plus ici d’ « exigences », mais, l’insistance avec laquelle ils sont proposés et surtout leur utilisation marqueront la spiritualité du prêtre. Moyens de sanctification no 18 de PO.
Le diacre
Comme pour le presbytérat et l’épiscopat, le fondement de la spiritualité diaconale est le ministère lui-même. Michel Cancouët note avec justesse que l'ordination est un appel à la sainteté et la grâce pour la vivre se trouve dans le ministère lui-même. Et il propose d'appliquer aux diacres ce qui est dit des prêtres dans le décret de Vatican II
Le Ministère et la Vie des prêtres: «C'est l'exercice loyal, inlassable, de leurs fonctions dans l'Église du Christ qui est pour les prêtres (pour les diacres) le moyen authentique d'arriver à la sainteté».
La spiritualité diaconale, et la grâce reçue par le sacrement pour vivre la sainteté dans le ministère sont clairement indiquées: il s'agit de suivre Jésus venu pour servir et non pour être servi.
Toutefois, dans le cas des diacres mariés, sans enlever la place fondamentale du ministère (relevant de leur consécration et mission) on se doit de souligner la place qu’occupe leur état de vie. Dans la formation et le développement de leur identité spirituelle personnelle, l’état de vie sanctionné par le sacrement de mariage a déjà formé celle-ci. L’ordination au diaconat d’hommes mariés ne vient pas enlever cette identité déjà présente.
On pourrait dire que pour le diacre le ministère est formellement le cadre de sa spiritualité, mais que son état de vie en est essentiellement partie prenante.
Du côté des exigences ecclésiastiques, le diacre est tenu à la liturgie des Heures et dans le cas du décès de son épouse, il accepte de ne pas se remarier.
Il n’est pas facile de tracer les contours de la spiritualité diaconale tant à cause de sa richesse qu’à cause de sa « jeunesse ». Pour dessiner un portrait de celle-ci, rien de mieux à ce stade-ci que d’interroger et de regarder vivre ceux qui ont reçu ce ministère et d’en esquisser les principaux traits à partir du témoignage des personnes engagées actuellement dans le diaconat permanent.
Soulignons toutefois une caractéristique particulière de la « spiritualité diaconale ». C’est son caractère universel et commun à tous les ministères puisque tout « ministère » dans l’Église est « service ». C’est le modèle du Christ lavant les pieds des apôtres qui doit inspirer toutes les personnes qui exercent n’importe quel ministère dans l’Église. Voilà pourquoi nous parlons ici du caractère « paradigmatique » de la spiritualité diaconale, car elle peut être donnée comme un modèle qui se retrouve dans les autres formes de « spiritualité des ministères ».
Le document des évêques du Québec sur la complémentarité des ministères va dans ce sens lorsqu’il écrit : « Les diacres sont, dans l’Église, les veilleurs du service…les diacres signifient constamment aux baptisés qu’il sont serviteurs et servantes de Dieu dans l’Église et dans le monde et qu’ils le sont au nom de l’Évangile.»
III- QUATRE PISTES DE CROISSANCE DE LA VIE SPIRITUELLE DU PRÊTRE DU TROISIÈME MILLÉNAIRE À PARTIR DE MON EXPÉRIENCE PERSONNELLE
En terminant ces réflexions plus générales sur la « spiritualité des ministères ordonnés », j’ai pensé qu’il serait indiqué que je vous partage les pistes que je privilégie personnellement dans le développement de mon identité de pasteur. Ce sera le troisième point de mon entretien. Vous y reconnaîtrez les marques du ministère qui a été le mien, d’un ministère où je n’ai jamais eu la responsabilité d’une paroisse, même si j’ai interagi avec beaucoup de communautés chrétiennes à divers niveaux, notamment dans les groupes de prière et comme pasteur dans deux dessertes estivales depuis plus de trente ans.
Ceci étant dit,
la première piste qui m’apparaît comme un pilier essentiel de mon identité de pasteur, c’est le fait que le pasteur que je suis demeure toujours un baptisé. Son ministère presbytéral qui le transforme sacramentellement par une consécration le rendant « signe du Christ, Tête et Pasteur » ne le sort pas de son sacerdoce baptismal par lequel comme tout baptisé il offre sa vie tout entière en « sacrifice spirituel » comme le Christ qui a offert la sienne dans une obéissance totale à la volonté salvifique du Père. Je retrouve cette expérience qui m’a toujours suivi tout au cours des années dans un texte du Père Vanhoye dont je vous citerai quelques extraits.
Dans la vie et le ministère des prêtres, il convient, me semble-t-il, écrit le Père Vanhoye, de distinguer les deux sacerdoces [sacerdoce commun des fidèles et sacerdoce ministériel]. Distinguer, non pas séparer. Distinguer est utile pour la clarté des concepts doctrinaux; séparer par contre serait contraire à la vocation concrète.
Il semble, au contraire, nécessaire de distinguer: le prêtre est appelé à vivre toujours le sacerdoce commun, parce que tout chrétien est appelé à offrir toute sa vie, soit qu'il mange, soit qu'il boive, quoi qu'il fasse... (cf. I Co 10, 31 ; Col 3, 17). Mais il n'exerce pas toujours son sacerdoce ministériel; quand il mange, quand il se détend, il n'exerce pas son ministère, il n'est pas signe et instrument du Christ médiateur; il doit cependant être uni à Dieu par le Christ, ce qui correspond au sacerdoce commun. …ce qui doit envahir toute l'existence, c'est le sacerdoce commun, sacerdoce réel. Il doit imprégner les actes ministériels eux-mêmes. L'activité proprement ministérielle donne lieu, elle aussi, à l'exercice du sacerdoce commun. Là encore, la séparation ne serait pas normale. Dans tout ministère, il y a un aspect sacramentel de l'activité qui appartient au sacerdoce ministériel, mais il y a également un aspect personnel de l'activité qui revient normalement au sacerdoce commun. « Imitamini quod tractatis » « Imitez ce que vous faites » ou « Soyez ce que vous proclamez »
Prenons l'exemple le plus simple: la célébration de la messe. En célébrant la messe, le prêtre est signe et instrument du Christ médiateur qui s'offre au Père et unit les croyants à son offrande. La consécration est action ministérielle; elle n'est pas une action personnelle du prêtre, elle ne dépend pas du mérite du prêtre. Cependant, en célébrant la messe, le prêtre est appelé à adhérer personnellement au mystère. Cet aspect se distingue du premier, il peut aussi en être séparé, mais la séparation est anormale. Un prêtre peut célébrer la messe sans adhérer personnellement au sacrifice du Christ, par exemple avec une volonté de vengeance mortelle contre une personne qui l'a offensé. La messe ne sera pas invalide; les fidèles pourront s'y unir au sacrifice du Christ. Le prêtre aura exercé son sacerdoce ministériel tout en refusant d'exercer le sacerdoce commun.
Les trois autres pistes de croissance qui m’ont permis de développer et nourrir ma « spiritualité de pasteur» sont en relation directe avec le ministère et se rattachent à cette affirmation incontournable du Décret sur le Ministère et la Vie des prêtres au numéro 13 où il est dit : « C’est l’exercice loyal, inlassable, de leurs fonctions dans l’Esprit du Christ qui est, pour les prêtes, le moyen authentique d’arriver à la sainteté ».
La
seconde piste pour moi se trouve dans la prédication notamment sous la forme de l’homélie qui m’oblige à chaque fois à me situer dans mon rôle de pasteur et de « donneur de la Parole » selon une expression que j’emprunte à un auteur américain qui présente le prêtre comme « Tender of the Word » « Celui qui tend, qui offre la Parole ». La prédication sous la forme homélitique et non pas les sermons à la Lacordaire ou à la Bourdaloue qui avaient comme but un exposé de la doctrine chrétienne, la prédication dominicale ou quotidienne dans une assemblée célébrante est le lieu par excellence où le ministre se laisse envahir et interpeller par la Parole et où il actualise dans les conditions concrètes où il se trouve les traces et les appels que celle-ci lance encore aujourd’hui à ceux et celles qui l’ouvrent et qui l’écoutent : « Bienheureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent », dit Jésus.
La spiritualité du prêtre diocésain émerge de son ministère comme prêtre et prédicateur, écrit Father Donald Cozzens. Il prie dans le but de prêcher et il prêche dans le but de prier. Il prie dans le but de servir et il sert dans le but de prier. Tout ce qu’il fait s'enracine dans le don de la grâce et en faisant précisément ce que font les prêtres, son âme est renouvelée. Il est possible donc de parler de la spiritualité du prêtre comme d'une spiritualité dialectique. La nature dialectique de la spiritualité du prêtre apparaît le plus clairement dans sa prédication, dans son service de la parole de Dieu.
L'encouragement à donner l'homélie aux célébrations eucharistiques quotidiennes, aussi bien qu'à celles du dimanche constitue un développement structurel majeur dans la spiritualité du prêtre qui émane de Vatican II. Car l'homélie quotidienne exige la prière et la réflexion, l'étude et la contemplation.
Elle appelle le prêtre à acquérir l'imagination du romancier et le coeur du poète L'acte créateur de la prédication, dans laquelle la parole de Dieu transforme le prédicateur et l'auditeur et nomme la grâce de la vie quotidienne, sert de clef de voûte à la spiritualité du prêtre diocésain. Prêcher bien et efficacement, être le guide-serviteur de la communauté catholique, évangéliser la société, constituent à la vérité une mission héroïque -- la mission du prêtre.
La
troisième piste de croissance qui soutient ma vie spirituelle de prêtre est reliée directement elle aussi au ministère du prêtre et participe de la même dynamique que l’homélie. Elle touche non seulement les gestes à faire mais renvoie le sujet à lui-même dans ce qu’il est lors de la célébration des sacrements en présence du peuple (avec la communauté chrétienne)
De la même façon que pour l’homélie, cette célébration de l’eucharistie et des autres sacrements avec la communauté ramène le prêtre dans la dialectique d’intégration de sa « consécration », de sa « grâce », de sa « mission » et de son « ministère ». Elle lui donne un lieu concret d’intégration. Elle ne le met pas à part de la communauté, au contraire elle l’y insère et lui rappelle continuellement que ce qu’il célèbre n’est pas seulement pour les autres mais aussi pour lui qui comme baptisé se nourrit de la même grâce, de la même vie, de la même source.
La
quatrième piste relève d’un sentiment d’appartenance qui m’est cher et qui m’a toujours habité. Je l’appellerais d’un terme un peu barbare : la « diocésanité ». Qu’est-ce que je veux dire par ce mot? Il exprime pour moi l’attachement à mon diocèse, aux gens de ce territoire qui est une véritable Église, un diocèse, une Église locale ou particulière unie au successeur des apôtres qui la guide et la conduit : l’évêque. Le sens de la solidarité avec mes frères prêtres et avec l’évêque ne m’a jamais quitté même si parfois cette solidarité que le Concile Vatican II appelle « obéissance responsable » au numéro 16 de
Presbyterorum Ordinis ne fut pas toujours facile et de tout repos.
Il reste que je me suis toujours senti lié, « incardiné » à cette Église diocésaine que je sers, non seulement juridiquement, mais aussi spirituellement. L’incardination (la « diocésanité ») ouvre sur la solidarité et la communion comme valeurs spirituelles indispensables dans la vie spirituelle du prêtre. Elle amène aussi un positionnement personnel dans la façon de vire l’obéissance à l’évêque, d’une part, parce que c’est lui qui par l’ordination au diaconat ou par une lettre d’incardination établit le rattachement à une Église particulière et, d’autre part, parce que l’Église particulière n’existe pas sans l’évêque (
Pastores dabo vobis, numéro 28). Enfin, on pourrait ajouter un autre bienfait de cette appartenance à une Église diocésaine qu’est l’incardination. L’être humain a besoin d’un terrain où s’enraciner pour donner de bons fruits. L’incardination en fixant le prêtre dans une Église locale ou particulière lui offre ce terrain stable pour avancer, pour grandir vers la maturité spirituelle.
Ces pistes ne sont pas exclusives, loin de là, et elles ne disent pas tout, car je pourrais ajouter l’importance de la prière en groupe avec des gens de tout horizon et dans une spontanéité rafraîchissante qui m’a bien nourri pendant de nombreuses années. Et que dire de ces retraites à l’écart qui m’ont permis de faire le point en compagnie d’amis comme François d’Assise et Claire d’Assise ou Charles de Foucauld.
Je vous ai fait part simplement de mon expérience personnelle qui correspond j’en suis sûr à celle de plusieurs confrères. À travers ces pistes de croissance spirituelle se dessine une spiritualité propre au prêtre diocésain qui n’est pas seulement un amalgame de dévotions ou d’exercices, mais qui s’intègre de façon concrète à sa vie de pasteur et qui en respecte les particularités.
Concernant la prédication et la célébration des sacrements, j’entends monter une question : n’êtes-vous pas en train de nous centrer sur les sacrements et d’oublier que le ministère du prêtre ne se limite pas à ceux-ci? Je comprends la question.
Laissez-moi répondre que ces deux pistes sont situées ici sur le terrain de l’expérience intérieure du prêtre, de son « vécu », de son identité spirituelle personnelle qui ne peut se construire sans un ancrage solide dans ce qu’il est et dans ce qu’il fait.
Les deux moyens que je privilégie ne sont pas les seuls sur ce plan. Pour certains, le bréviaire, la célébration quotidienne de l’Eucharistie, les rencontres en équipes de vie, la participation à des mouvements, l’engagement social, les pèlerinages ou encore une dévotion particulière seront des riches pistes de croissance. Comme j’ai insisté pour montrer qu’il y a plusieurs configurations que peut prendre la spiritualité du prêtre diocésain, je serais mal venu de vous présenter une recette normative.
La raison pour laquelle, j’ai mis ces deux pistes en évidence, c’est qu’elles m’ont bien servi dans la formation d’une identité personnelle de prêtre : Si tu prêches comme un perroquet qui répète des choses qu’il ne comprends pas ou qu’il a seulement apprises sans les vivre, tu agis comme un fonctionnaire dirait Drewerman, tu n’agis pas comme un ministre du Christ. D’autre part si tu t’adresses à tes frères et sœurs comme celui qui a la vérité, sur un ton d’autorité écrasante, tu oublies que tu es au service d’une Parole qui ne t’appartient pas et que toi aussi tu dois méditer et écouter.
CONCLUSION
En guise de conclusion de ces exposés, je vous laisse sur ce beau texte de Henri Nouwen qui saura vous accompagner sur le chemin de la formation et du dévelopement d’une identité spirituelle personnelle marquée au plus haut degré par le ministère que vous accomplissez ou que vous accomplirez au service du Peuple de Dieu et au service de l’Évangile.
L'identité du pasteur, qui devient visible dans son service pastoral, naît d'une tension imperceptible entre l'affirmation de soi et le renoncement à soi, la réalisation de soi et le sacrifice de soi, la satisfaction personnelle et l'anéantissement. Selon les périodes de la vie, l'accent sera mis davantage sur un pôle ou sur l'autre, mais, en général, à mesure qu'une personne acquiert plus de maturité, elle aura tendance à moins rechercher à ceindre ses reins elle-même et plutôt à tendre les mains et à suivre Celui qui a trouvé sa vie en la perdant.
Hermann Giguère, ptre
8 février 2006
Questionnaire sur l’identité spirituelle du ministre ordonné
Comment se construit mon identité spirituelle personnelle dans mon ministère de prêtre ou de diacre?
Pour vous aider dans cette réflexion vous pouvez vous demander :
1) Est-ce que j’ai eu un appel à ce ministère? Comment s'est-il manifesté?
2) Quelles personnes ou quelles situations m’interpellent et me nourrissent spirituellement?
3) Quels moyens ai-je développés pour entretenir le "feu" au fil des jours?
4) Quelles sont les motivations principales qui m’animent actuellement dans l'exercice de mon ministère?
5) Y a-t-il des exigences spirituelles que je privilégie dans l'exercice de mon ministère?
6) Comment ma vie personnelle est-elle touchée par mon ministère? Et à l'inverse, comment mon état de vie marque-t-il spirituellement mon ministère?
7) Comment décrirais-je les traits spirituels essentiels à l'exercice "conscient" et "dans l'Esprit du Christ" du ministère dans l'Église d'aujourd'hui?