FRANÇOIS DE LAVAL: PASTEUR ET MYSTIQUE

2e colloque Raison et Mystère chrétien 14-15 octobre 2006-09-23
Montréal – Fraternités monastiques de Jérusalem

NOS FONDATEURS
SPIRITUALITÉ ET SAINTETÉ

conférencier : Mgr Hermann Giguère ptre, p.h.
Supérieur général du Séminaire de Québec et professeur associé de l’Université Laval
Samedi le 14 octobre 2006

Plan

Préambule

1.0   Le chemin de la « désappropriation »

1.1   Le mouvement essentiel à l’émergence d’un sujet mystique

1.2   Le parcours de François de Laval

2.0   Un abandon « mystique »

2.1   L’abandon à Dieu de François de Laval

2.2   L’empreinte mystique permanente dans le sujet

3.0  Bien-fondé de cette relecture de l’itinéraire spirituel de François de Laval

3.1   Les sens du mot mystique

3.2   Mystique et écrivains/écrivaines mystiques

3.3   Mystique et sainteté

Conclusion 

Le 14 octobre 2006



    Cet essai sans prétention m’a été inspiré en partie par l’Année jubilaire qui a été décrétée par le cardinal Ouellet le 25 septembre dernier pour célébrer en 2008 le 300e anniversaire du décès de François de Laval le 6 mai 1708 et le 350e anniversaire de son ordination épiscopale comme vicaire apostolique de la Nouvelle-France le 8 décembre 1658. Cette Année jubilaire François de Laval 2008 s’inscrira dans le cadre des Fêtes du 400e anniversaire de Québec. Le comité organisateur de l’Année jubilaire veut durant cette année-là revisiter et rajeunir l’image de François de Laval en insistant sur l’audace apostolique d’un jeune évêque de 36 ans qui part comme missionnaire dans des terres inconnues, qui y passera cinquante ans en service pastoral et où il s’éteindra à l’âge vénérable de 85 ans.

    Cette occasion conjuguée à des recherches que j’avais entreprises en 1981 pour un article de la revue Communio[1] où je tentais de brosser les articulations de la spiritualité vécue par le bienheureux François de Laval, béatifié le 20 juin 1980 par le pape Jean-Paul II, recherches  que j’ai reprises dans un article de la revue Cap-aux-Diamants[2] et dans mon livre sur François de Laval dans la collection L’expérience de Dieu[3] dirigée par Fernand Ouellet m’a incité à relire l’itinéraire spirituel de François de Laval et à en proposer une interprétation nouvelle au risque de bousculer des images anciennes et bien ancrées.

    Introduction

    Le jeune évêque de 36 ans qui débarquait à Québec le 16 juin 1659 portait en lui une maturité spirituelle déjà remarquable. Lors d’une conférence du Père Alexandre de Rhodes à Paris en 1652 où celui-ci présentait son travail missionnaire en Asie du sud-est, François de Laval avait littéralement été subjugué ainsi que quelques amis auxquels il restera lié toute sa vie. Ce serait une trop longue histoire de les suivre un à un. Il suffit pour notre propos de  savoir que François de Laval se signalait par son ardeur au point où c’est sur lui que se fixa le choix de la Congrégation « De Propaganda Fide » comme vicaire apostolique au Tonkin en 1653 sous les recommandations entre autres de saint Vincent de Paul[4]. Le jeune homme de 30 ans alors n’eut rien de plus pressé que de se préparer à ce ministère. Comment le faire ? Ses contacts le menèrent à fréquenter un groupe guidé par un laïc à Caen en Normandie, Monsieur Jean de Bernières-Louvigny[5] qu’il fréquenta de 1654 à 1658. Ces années furent au dire de son premier biographe, Bertrand de La Tour, une initiation et un apprentissage spirituels qui le marquèrent pour toute sa vie[6].

    Pendant cette période,  la situation politique et les tracasseries de tous genres retardaient son départ. Finalement, le 3 juin 1658, la Congrégation « De Propaganda Fide » par l’intermédiaire d’Anne d’Autriche et de concert avec le roi Louis XIV demanda au jeune François d’accepter de se diriger vers la Nouvelle-France où les jésuites, missionnaires avant tout, désiraient qu’un évêque et des prêtres diocésains prennent en charge le service pastoral des gens établis sur place : colons, marchands, commerçants, militaires et communautés religieuses féminines.

    François de Laval issu du Collège de La Flèche[7] fondé par Henri IV en 1604 après le  retour des jésuites en France l’année précédente leur paraissait le candidat idéal. Il était imprégné de l’esprit qui animait la Compagnie de Jésus, ouvert aux tendances nouvelles et solidement formé en philosophie et en théologie qu’il avait étudiées au Collège de Clermont à Paris. Que faire devant cette demande ? François se décida tout de go : « Servir en Asie ou en Nouvelle-France » qu’importait, puisque l’appel venait de la même source.

    Disponible, il reçut l’ordination épiscopale le 8 décembre 1658 dans une chapelle aujourd’hui disparue de l’Abbaye St-Germain-des-Prés à Paris  et il s’embarqua pour Québec le 12 avril 1659.

    C’est à partir de ce point de départ où on rencontre un homme encore jeune rempli de rêves et d’audace évangélique ayant déjà acquis une forte identité spirituelle que nous proposerons une lecture nouvelle de son itinéraire spirituel. François de Laval a été mêlé à tant de questions controversées, de querelles même, que celles-ci ont retenu longuement l’attention des historiens. Son itinéraire personnel de croyant n’a pas suscité le même intérêt. À la décharge des historiens qui ont précédé,  il faut dire que François de Laval ne leur a pas rendu la tâche facile. Les traces de ses grâces personnelles sont peu nombreuses quoique très éclairantes. Les écrits spirituels sont minimes si on le compare à ceux de sa contemporaine Marie de l’Incarnation[8].

    D’où la question qui m’a habité tout au long de ma réflexion préparatoire à cet exposé : faut-il réserver la vie mystique et les états mystiques aux écrivains mystiques ? Pourquoi le bienheureux François de Laval ne ferait pas partie de la famille des mystiques chrétiens ? En effet, le baptisé doit-il choisir entre « être mystique » et « être un ou une  mystique » ? De là le titre de cet exposé : François de Laval : pasteur et mystique. Essayons de suivre avec les moyens que nous avons un itinéraire mystérieux où un sujet mystique émerge et se constitue.

    Notre parcours se fera en trois temps. Nous commencerons par situer le chemin de « désappropriation » qu’a suivi François de Laval, chemin essentiel à l’émergence d’un sujet mystique, puis en second lieu nous verrons apparaître et se consolider ce sujet mystique chez François de Laval à travers un « pur abandon » qui a toutes les caractéristiques d’un passage aux états mystiques plus élevés et, enfin, nous verrons le bien-fondé de cette nouvelle lecture de l’itinéraire spirituel de François de Laval qui nous posera la question de l’appel à la vie mystique.

    1.0   Le chemin de la « désappropriation »

    Les auteurs anciens devant les détachements, les déracinements et les purifications qu’ils observaient chez François de Laval les ont lus sur le registre de l’ascèse, de la mortification, de l’austérité. Ils n’en ont retenu, hélas! que le caractère moral sans  voir que leur signification pouvait se lire sur un autre registre : celui du déracinement nécessaire au passage aux états mystiques, celui des purifications actives et passives du sens et de l’esprit pour reprendre le vocabulaire de Jean de la Croix et de l’école carmélitaine de spiritualité.

     

     

    1.1   Le mouvement essentiel à l’émergence d’un sujet mystique

    Comment se fait l’émergence d’un sujet mystique? D’après les écrivains mystiques, le développement d’une expérience mystique débute par un détachement des biens sensibles puis des biens intelligibles et se caractérise principalement par le retournement (conversion) vers Dieu, avec lequel la personne souhaite s'unir par les liens de la charité dans l’ « union d’amour » qui est une union de volontés où tout ce que Dieu veut la personne le veut sans conditions[9]. Pour ce cheminement fait de « nuits » et de « purifications » qui préparent la réception de cette « grâce » de vivre sa relation à Dieu sous le mode mystique les étapes sont nombreuses. Thérèse d’Avila les décrit sous la forme de « Demeures » en employant l’image du « Château intérieur », tandis que Marie de l’Incarnation les nomme « États d’oraison ». Les moments d'intensité, reliés très souvent à une conversion ou à une découverte de Dieu, ressemblent à première vue à des « expériences mystiques » mais ils n'en sont pas encore. Ils sont des étapes préparatoires. Le passage à la sphère mystique, selon tous les maîtres spirituels chrétiens, survient toujours après une période plus ou moins longue de « nuits » ou de « purifications ». L'expérience mystique, dans ce sens, est un aboutissement et non un point de départ.

    L'union transformante ou l’union d’amour désirée par la personne en cheminement n'est effective que si la foi et la charité sont à la base de ce désir de la personne qui espère la venue de ce don, de cette grâce. Ainsi, la vie contemplative et la vie apostolique sont l'une et l'autre des voies par lesquelles la grâce de Dieu peut opérer et aboutir à l'expérience mystique.

    L’expérience mystique comme toute expérience spirituelle suit donc un développement fait de passages, de « nuits » et il n’y a pas de modèle unique. Ainsi, certaines descriptions qui placent telle ou telle étape avant telle autre ne se vérifient pas dans tous les cas. Nous en avons un bel exemple dans l’itinéraire mystique de Marie de l’Incarnation qui ne respecte pas les descriptions que donne saint Jean de la Croix. En effet, par deux fois après avoir vécu la grâce du « mariage spirituel », Marie de l’Incarnation expérimente des « purifications » ou des « nuits » passives[10], alors que dans le schéma de saint Jean de la Croix, celles-ci devraient normalement précéder le « mariage spirituel ».  

    Ce chemin de purifications n’a pas été épargné à François de Laval. Permettez-moi d’en tracer maintenant le parcours inspiré par la désappropriation[11].

    1.2   Le parcours de François de Laval

    François de Laval situe la désappropriation sur un plan moral et psychologique d'abord.  C'est l'abnégation de soi-même selon l'Évangile, mais dans une perspective de partage et de soutien fraternel. En effet, même si François de Laval nous a livré peu de choses sur son expérience intérieure, il ne semble pas exagéré de dire que le chemin de la désappropriation lui a permis, au témoignage de la bienheureuse Marie de l’Incarnation, de parvenir à un "sublime degré d'oraison"[12].

    Pour François de Laval la désappropriation ne réside pas seulement dans ses aspects restrictifs et privatifs. Elle ouvre un espace de liberté pour le partage et le soutien mutuel. C'est pour cette raison même que François de Laval va insister sur la mise en commun des ressources et des biens pour les prêtres de son Séminaire.  Bertrand de Latour rapporte ces propos de M. des Maizerets, second supérieur du Séminaire, qui disait que: "le prélat ne faisait rien de considérable que de concert avec nous tous.  Nos biens étaient communs avec les siens.  Je n'ai jamais vu faire parmi nous aucune distinction du pauvre et du riche, ni examiner la naissance et la condition de personne, nous regardant tous comme frères"[13]. 

    La désappropriation implique donc toujours un partage matériel en vue de la communion fraternelle.  C'est le sens profond de la donation de ses biens au Séminaire que fit François de Laval en 1680.  Il voulait "que tout le clergé ne fit qu'une famille" et qu'on ne se départisse jamais "de la désappropriation qui laisse tout en commun entre les mains du supérieur"[14]. Cependant, bien entendu, la désappropriation garde toujours un caractère de détachement ascétique.  Elle entraîne, en effet, certaines restrictions et certains renoncements que le bienheureux François de Laval n'a pas fuis. Le frère Houssart qui fut au service de Mgr de Laval pendant les vingt dernières années de sa vie se plaît à énumérer les pratiques concrètes de pénitence du vieil évêque[15]. 

    Mais au-delà de ces pratiques, il y a un esprit de dénuement évangélique que François de Laval et les ecclésiastiques qu'il amène avec lui à Québec en 1659 avaient en commun.  Ils avaient été formés à l'école de Monsieur de Bernières à Caen et ils "portèrent dans le Nouveau-Monde l'esprit qu'ils y avaient pris", dit le premier biographe du bienheureux François de Laval, Bertrand de Latour[16]. Celui-ci parle d'un "grand système de désappropriation" et donne six maximes spirituelles qui en sont la base.  Elles se ramènent à celle-ci: "Nous n'avons pas de meilleur ami que Jésus-Christ.  Suivons tous ses conseils, surtout ceux de l'humiliation et de la désappropriation du coeur"[17].

    Dans cette perspective, la désappropriation ne se limite pas à son côté ascétique, elle porte en elle-même un jugement de valeur sur la relativité du créé caractéristique du cheminement mystique[18]. Monsieur de Bernières avait donné par écrit à ce qu'il appelait l'Ermitage de Québec ou les frères du Canada des règles dont la première se lit comme suit: "Dieu est notre centre et notre dernière fin.  Nous sommes créés pour le posséder, non seulement dans le ciel, mais aussi sur la terre.  Tout le désir de Dieu même est de réunir la créature au Créateur, séparés par le péché et l'affection aux choses créées.  La vie n'est qu'un passage pour arriver à cette heureuse fin.  Les Chrétiens ne doivent avoir d'autre objet que de s'écouler en Dieu, comme les fleuves dans la mer.  C'est la vérité fondamentale dont nous devons être fortement persuadés et pénétrés d'une manière active"[19]. On ne peut mieux exprimer ce jugement de valeur sur la relativité du créé. Au sortir d'une maladie qui avait failli l'emporter, François de Laval réaffirme à son ami Henri-Marie Boudon (1624-1702) la conviction profonde qui sous-tend son expérience de Dieu lorsqu'il écrit : "C'est en cet état qu'on reconnaît la vérité qu'il n'y a que Dieu seul et que tout le reste n'est rien qu'un pur néant"[20].

    Le bienheureux François de Laval a tenu toute sa vie à vivre un détachement prononcé qui allait bien avec son tempérament, mais c'était aussi la conscience très vive de la grandeur de Dieu qui habitait cette attitude. Pourquoi ne pas y voir l’entrée progressive dans une voie mystique à laquelle, après bien des purifications, il s’abandonnera totalement?

    Dès son arrivée, Marie de l'Incarnation, à Québec depuis déjà vingt ans, l'avait bien perçu.  Elle écrivait à son fils le 17 septembre 1660: "[Mgr notre Prélat] est infatigable au travail;  c'est bien l'homme du monde le plus austère et le plus détaché des biens de ce monde (...) il est mort à tout cela"[21].  Le jeune évêque est déjà sur un chemin où la grâce de Dieu pourra se manifester de façon particulière. Le terrain est propice à l’émergence d’un sujet mystique.

    Poursuivant dans cette ligne d’interprétation, pouvons-nous aller plus loin et reconnaître le passage au mode mystique qui assure non seulement l’émergence d’un sujet, mais qui le confirme et l’établit dans cet état de façon permanente? Voilà maintenant la question à laquelle je vais tenter d’apporter quelques réponses.

    2.0   Un abandon mystique ? 

    D’entrée de jeu, il faut constater que dans le cas de François de Laval le passage immédiat aux états mystiques stables se fait dans un itinéraire de service. Comment alors peut se constituer le sujet mystique ? Voilà une question que se posait, il y plusieurs années, le Père Louis Lochet dans un livre où il montrait que l’itinéraire mystique décrit par Jean de la Croix s’applique totalement à celui de l’apôtre et que les nuits passives notamment sont le passage obligé de tout apôtre après un certain nombre d’années sur le terrain[22] .

    En effet, écrit Louis Lochet, l’apôtre ou le pasteur est confronté tôt ou tard au dilemme suivant : ou il continue de bâtir avec ses moyens humains un monde meilleur ou il accepte de laisser de côté tous ses appuis humains. Devant ce dilemme, il peut se caser ou s’activer, mais il peut aussi passer à une phase où il abandonne la direction de tout au Seigneur.

    2.1   L’abandon à Dieu de François de Laval

    L’abandon de l’apôtre n’est pas sans résonances existentielles (psychologiques, affectives, spirituelles et intellectuelles). Cet abandon se prépare de longue main dans des nuits liées au ministère ou au travail apostolique et impose une restructuration de toute la personne. C’est ce mouvement que je qualifie de mystique. François de Laval l’a vécu de la façon suivante : profondément imprégné de l’esprit d’abandon depuis son séjour à Caen où il se situe dans la tendance mystique du « pur abandon », du « Dieu seul », il développe cette attitude dans de multiples choix où il accepte les revirements de sa carrière. Qu’en est-il alors de son « intérieur » ? Peu de traces. Mais il y en a quelques-unes qui sont des plus parlantes. Permettez-moi d’en citer l’une ou l’autre.

    Dans les principaux événements de sa vie, François de Laval recherche promptement leur signification spirituelle soit pour son oeuvre pastorale, soit dans son itinéraire spirituel personnel.  Il s'en ouvre à son ami Henri-Marie Boudon auquel il écrit en 1677: "Tout ce que la main de Dieu fait nous sert admirablement, quoique nous n'en voyions pas sitôt les effets.  Il y a bien des années que la Providence conduit cette Église, et nous par conséquent, par des voies fort pénibles et crucifiantes tant pour le spirituel que pour le temporel.  Pourvu que sa sainte volonté soit faite, il ne nous importe"[23]. 

    "Il y a longtemps que Dieu me fait la grâce de regarder tout ce qui m'arrive en cette vie comme un effet de sa providence"[24].  Le "fond de l'âme" du bienheureux François de Laval émerge avec beauté dans cette phrase qui est des plus révélatrices de son expérience spirituelle. Il l'a laissé tomber dans une lettre au P. de la Chaize en 1687 au moment où, démissionnaire, il sollicitait du Roi la permission de revenir au Canada.

    Devant le refus du Roi de le laisser partir pour le Canada en 1687 il écrira: "Il est bien  juste ... que nous ne vivions que de la vie du pur abandon en tout ce qui regarde au dedans comme au dehors"[25].  Je reviendrai sur ce texte un peu plus loin.

    Et devant des tensions qui se font jour entre le Séminaire et le nouvel évêque, Mgr de St-Vallier, l'évêque démissionnaire retenu à Paris se confie ainsi durant l'automne 1689 à M. Milon du Séminaire des Missions-Étrangères de Paris: "La Providence de Dieu, qui vous inspire de prendre avec tant de bonté part à notre peine et à nos intérêts, nous oblige plus particulièrement de nous abandonner entièrement à son adorable conduite et y mettre toute notre confiance"[26].  Et il continue: "Vous jugerez bien, mon cher Monsieur, que s'il y a eu jamais une croix amère pour moi, c'est celle-ci, puisque c'est l'endroit où j'ai toujours dû être le plus sensible, je veux dire le renversement du Séminaire, que j'ai toujours considéré, comme en effet qu'il l'est, comme l'unique soutien de cette Église et tout le bien qui s'y fait ( ... ).  Mais au milieu de toutes ces agitations, nous ne devons pas nous abattre si les hommes ont du pouvoir pour détruire, la main de Notre-Seigneur est infiniment plus puissante pour édifier.  Nous n'avons qu'à lui être fidèles et le laisser faire"[27]. 

    Rappelons ici, à titre d'exemple, les difficultés causées par son successeur, les deux incendies du Séminaire (en 1701 et 1705), les infirmités dont il a été affligé pendant les vingt dernières années de sa vie. 

    Après le premier incendie du Séminaire en 1701, le supérieur de Paris témoignera de la constance qu'ont montrée "nos Messieurs du Canada" et "surtout Mgr l'ancien Évêque, qui a vu de ses yeux son ouvrage de quarante ans détruit en peu d'heures, en bénissant Dieu sans verser une larme ni jeter un soupir, quoiqu'il soit âgé de quatre-vingts ans"[28].

    À mesure que Mgr de Laval avance en âge, les fruits d'une ouverture amoureuse à la volonté de Dieu à travers les événements se manifestent dans une constance, une patience et un abandon qui grandissent.

    Où se situe le passage à l’abandon mystique?

    Force nous est de le supposer puisque les écrits n’en font pas de mention explicite. Il me semble que dans la ligne de l’itinéraire que je viens de décrire, le passage s’est fait de façon expérimentale lors des difficultés avec son successeur et avec le Roi au moment de sa démission qui l’amènent à tout remettre à Dieu et à abandonner tout appui humain. Voir détruire son œuvre et se voir refuser la permission de revenir en Nouvelle-France seront pour lui l’occasion d’une remise à Dieu dans la foi pure et d’un abandon sans retour possible comme dans le cas du mariage spirituel. L’obscurité et la nuit accompagneront cet abandon, mais ne le remettront jamais en question.

    Je vous cite un des plus beaux textes de François de Laval où cet état d’âme se révèle avec éclat. Il s’agit d’une lettre écrite aux directeurs du Séminaire, la communauté de prêtres qu’il avait fondée en 1663. Il s’ouvre le cœur à ceux-ci qui étaient sa famille spirituelle et qu’il regardait comme ses frères. Cette lettre est datée du 9 juin 1687. Mgr de Laval a alors 64 ans et il venait de recevoir la nouvelle que le Roi lui interdisait de revenir en Nouvelle-France comme il le souhaitait « pour avoir la consolation de mourir dans le sein de mon Église » [29].   

    Je n'eus pas plus tôt reçu ma sentence que Notre-Seigneur me fit la grâce de me donner les sentiments d'aller devant le Très [Saint-] Sacrement lui faire un sacrifice de tous mes désirs et de ce qui m'est de plus cher en ce inonde. Je commençai en faisant amende honorable à la justice de Dieu, qui me voulait faire la mi­séricorde de reconnaître que c'était par un juste châtiment de mes péchés et infidélités que la Providence me privait de la bénédic­tion de retourner dans un lieu où je l'avais tant offensé, et je lui dis, ce me semble de bon coeur et en esprit d'humiliation, ce que le grand-prêtre Héli dit lorsque Samuel lui déclara de la part de Dieu ce qui lui devait arriver: « Dominus est, quod bonum est in oculis suis faciat ».

    Mais comme la bonté de Notre-Seigneur ne rejette point un coeur contrit et humilié et que humiliat et sublevat, il me fit connaître que c'était la plus grande grâce qu'il me pouvait faire que de me donner part aux états qu'il a voulu porter en Sa vie et en sa mort pour notre amour, en action de grâces de laquelle je dis un Te Deum avec un coeur rempli de joie et de consolation au fond de l'âme, car pour la partie inférieure, elle est laissée dans l'amertume qu'elle doit porter.

    C'est une blessure et une plaie qui sera difficile à guérir et qui apparemment durera jusqu'à la mort, à moins qu'il ne plaise à la divine Providence, qui dispose des coeurs comme il lui plaît, apporter quelque changement à l'état des affaires. Ce sera quand il lui plaira et comme il lui plaira, sans que les créa­tures puissent s'y opposer, n'étant en pouvoir de faire que ce qu'elle leur permettra. Il est bien juste cependant que nous de­meurions perdus à nous-mêmes et que nous ne vivions que de la vie du pur abandon en tout ce qui nous regarde au dedans comme au dehors.

    Et il continue plus loin :

    Quoi qu'il en soit, c'est de la main de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère que nous devons tout recevoir comme une grâce bien spéciale, et je puis dire pour moi la plus grande et la plus précieuse que j'aie encore reçue de ma vie. Priez-les que j'en fasse un saint usage et j'espère néanmoins qu'ils me feront la miséricorde de mourir en Canada, quoique j'aie bien mérité d'être privé de cette consolation. Verumtamen non mea sed Dei voluntas fiat. Je possède sur cela par sa bonté infinie une paix profonde dans le fond de l'âme.[30]

    2.2  L’empreinte mystique permanente dans le sujet 

    La question maintenant se pose pour François de Laval comme pour tout chrétien dont on reconnaît la qualité de l’expérience commune de vie chrétienne : son abandon prend-il véritablement une couleur mystique? L’expérience mystique est-elle hors de portée dans l’itinéraire d’un pasteur?

    Une première réponse se situe dans le cadre du dynamisme inhérent à l’expérience chrétienne dont la charité-agapè est l’essentiel incontournable. Le progrès spirituel n’a pas de limite de ce point de vue et ainsi les plus hauts degrés de charité sont accessibles à tous. C’est la vocation universelle à la sainteté que François de Sales prônait et que le Concile Vatican II a mis en lumière dans le chapitre V de la Constitution sur l’Église.  La sainteté n’est pas la mystique et nombre de saints et saintes ne semblent pas avoir connu les états mystiques. Leur vie s’est déroulée dans l’exercice constant des vertus chrétiennes, dans le souci des autres et dans la fidélité à la prière sans les remous et les nuits qui se rencontrent dans un itinéraire mystique.

    Ceci étant dit, pourquoi limiter l’appel à la vie mystique à un groupe à part? Pourquoi en faire une catégorie de baptisés distincte? Reconnaissant la gratuité de la grâce de Dieu et les limites de nos perceptions, il faut se dire que la voie mystique est possible pour tous. C’est pourquoi, je tenterai dans ce deuxième point de montrer la naissance du sujet mystique chez François de Laval en utilisant les signes que Jean de la Croix utilise dans ses écrits[31]. Il y a trois signes qui figurent dans la Montée du Carmel et qui sont repris dans un ordre différent dans la Nuit obscure[32]. Après un bref rappel, j’en ferai une application à l’itinéraire spirituel de François de Laval.

    Jean de la Croix indique un passage majeur qui transforme les attitudes, les désirs et les attentes au moment il parle de l’entrée dans les « nuits passives » caractéristiques des étapes mystiques que Thérèse d’Avila situe à partir des quatrièmes Demeures. Ce mode nouveau où « Dieu met la main » se caractérise par un détachement des façons anciennes et humaines de vivre la relation à Dieu au profit d’un « mode divin » où se joue le tout pour le tout et où l’issue devant laquelle se trouve le sujet est la « foi pure ». Tous les appuis humains, toutes les ressources de l’intelligence (de l’entendement, de l’esprit) et toutes celles des désirs (des tendances, de l’appétit) deviennent inutiles et il ne reste que le saut dans l’inconnu de la « foi pure ».

    Cette remise totale à Dieu, à l’Époux dira la mystique sponsale, engendre à travers maints bouleversements et adaptations un abandon mystique où toute la personne est prise et impliquée à tous les niveaux de son être et de ses facultés. Le corps y est même engagé de plein fouet et les descriptions d’une Thérèse d’Avila ou d’une Marie de l’Incarnation nous en donne un tableau saisissant.

    Comment reconnaître qu’une personne arrive à cet état nouveau dans son cheminement spirituel? Reprenons les trois signes de Jean de la Croix: la difficulté de s’adonner à la méditation méthodique, un certain affaissement psychologique où se manifeste une lassitude et même une forme de dégoût et enfin une sollicitude amoureuse envers Dieu. Les signes que décrit Jean de la Croix proviennent de son expérience et de ses observations personnelles. Ils ne sont pas des absolus, mais des critères de discernement. Ils demandent à être complétés par des signes plus généraux comme, par exemple, le critère de la charité fraternelle et les fruits de l'Esprit : bonté, joie, amour, longanimité, etc. (Ga 5, 25). En utilisant ces signes, on doit faire attention à leur présence simultanée, à leur concomitance, et être sensible au fait qu'ils peuvent apparaître dans des ordres différents, notamment les deux premiers. Jean de la Croix lui-même ne les présente pas dans le même ordre selon qu'il s'adresse aux «progressants» ou aux «commençants». Ainsi dans La nuit obscure où il se place du point de vue du cheminement dans l'oraison et où il s'adresse aux « progressants », c'est au niveau de l'impuissance à méditer que l'entrée dans les voies de la contemplation va commencer par se manifester. Tandis que dans La montée du Carmel  où il s'adresse aux « commençants » et où il adopte un regard plus global s'intéressant non seulement au cheminement dans l'oraison mais au cheminement de toute la personne dans la « refonte » de ses tendances (la partie sensitive – les sens – l'affectivité) et de son entendement (la partie spirituelle – l'esprit – la connaissance), il met en tête de liste le «manque de goût» pour le créé.

    Si nous tentons d’appliquer à François de Laval ces trois signes, nous sommes en manque d’indices vérifiables pour les deux premiers hormis le témoignage de Marie de l’Incarnation cité plus haut qui affirmait que Mgr de Laval était rendu à « un sublime degré supérieur d’oraison »[33]. Concernant la lassitude de tout, même de son ministère, nous n’en avons pas de traces, ce qui ne l’exclut pas pour autant.

    Cependant, le signe le plus important pour Jean de la Croix, celui de la sollicitude amoureuse envers Dieu, s’impose avec force. Il est suffisant pour marquer cette entrée dans le « pur abandon » où tout est remis à Dieu sans conditions et sans retour.

    Ce troisième signe est beaucoup plus sûr que les deux premiers qui ne sont pas toujours faciles à discerner et à lire. Il s'agit ici de s'en remettre à Dieu avec amour sans se préoccuper du reste. Cette « sollicitude amoureuse » est comme une présence à Dieu qui en donne une connaissance générale, une perception globale qui inspire toute la vie, qui donne une vigueur dans l'agir, dans l'engagement. C'est le signe qu'on voit le plus chez les gens qui mènent une vie active dans une profession, dans une famille etc., ou qui se consacrent à la pastorale ou à l'apostolat. Il est facilement perçu par l'entourage.

    Comme on l’a vu plus haut, François de Laval a été sans cesse sur le qui-vive sur ce terrain. L’itinéraire spirituel d’un pasteur le confronte à tout moment à des choix pastoraux qui ont un retentissement important dans le sujet. Les quelques textes que j’ai cités l’illustrent à merveille. Le moment que j’ai identifié comme le seuil irréversible de la consolidation d’un sujet mystique, celui de 1687, ne peut à lui seul rendre compte du statut de ce sujet naissant, mais il illustre à coup sûr, l’apparition d’un état stable dans lequel l’évêque démissionnaire vivra le reste de ses jours.

    Pourquoi ne pas rappeler ici le mot de Bernard Lonergan, pour qui la réponse à la question « qui parle? » est « la vie parle ». En effet, on pourrait peut-être appliquer au type de situation que je viens de décrire, le concept d’« incarnate meaning », la « signification incarnée », qu’a développé le Père Lonergan.  Dans un article de la revue Science et Esprit. Pierre Robert la décrit ainsi :

    Spontanément, on identifie le sens au sens des paroles, d'un écrit, d'un texte, celui qui est porté par le langage. Mais il y a d'autres façons de porter un sens, ainsi les gestes spontanés de l'intersubjectivité, l'art, le symbole et enfin la signification incarnée…Ainsi y a-t-il un certain type de sens qui est constitué par les gestes décisifs, par le sens d'une vie. La signification se trouve alors dans ces gestes eux-mêmes et dans la trajectoire suivie. Elle est alors plus pleine et concrète; ainsi est-elle dite incarnée. En ce sens, on dira que « la vie parle », que tel geste est particulièrement significatif, qu'il est révélateur. Et plus quelqu'un a cherché à vivre un idéal, plus il a fait ses choix et orienté sa vie en fonction d'un dessein, plus alors cette vie se trouve à incarner un sens. La signification s'accroît avec l'engagement comme, à rebours, une vie laissée à la dérive est menacée d'insignifiance[34].

     

    La question se pose maintenant du statut de cet état dans la multitude des états mystiques décrits par les écrivains mystiques. C’est ce que nous allons voir dans la dernière partie de cet exposé en commençant par cerner de plus près le terrain de la mystique et ensuite en proposant une interprétation adaptée à un itinéraire comme celui de François de Laval qui ne peut être classé parmi les écrivains/écrivaines mystiques.

    3.0  Bien-fondé de cette relecture de l’itinéraire spirituel de François de Laval

    Commençons par rappeler les sens du mot mystique.

    3.1   Les sens du mot mystique

    Le sens premier du mot réfère à ce qui est secret, caché (même famille que « mystère »). Dans le grec profane, l'acception la plus ancienne et commune du mot mystikos n'a jamais que ce sens général de « caché », « secret ». Il ne désigne jamais une expérience spirituelle. Il a toujours un « sens objectif ». On l'a employé surtout dans les religions à mystères. Certains chercheurs font dériver le mot « mystique » du verbe myeô   qui a donné « muet » et dont la racine signifie fermer, parce que les initiés aux mystères devaient garder pour eux ce qu'ils connaissaient et fermer la bouche[35].

    Ainsi, le mot « mystique » employé comme adjectif  en vient à signifier l'effort de quelqu'un qui cherche la présence de Dieu. L'attention se porte alors sur la personne, sur le sujet qui découvre la présence cachée de Dieu dans sa vie, qui essaie de déceler la présence du Christ à travers les Écritures et la liturgie, et le mot « mystique » en vient à désigner petit à petit « l'expérience intérieure de la possession de Dieu ». C'est sur ce « sens subjectif » qu'insiste Denys l’Aréopagite au VIe siècle lorsque, dans sa théologie « mystique », il développe une voie « apophatique » ou « négative » de connaissance de Dieu qui est au-delà de toute vision, de toute connaissance. Pour Denys l’Aréopagite, une théologie « mystique » nous renvoie à la personne elle-même dans sa quête de Dieu, et, par-dessus tout à « la connaissance du Dieu mystérieux », c'est-à-dire une connaissance de Dieu non pas tel que nous le définissent les enseignements des théologiens de métier, mais une connaissance de Dieu tel qu'il se manifeste de façon indéfinissable dans l'expérience des personnes individuelles.

    Ce sens profond s'est maintenu par la suite chez de nombreux écrivains chrétiens. Dans les traces de Denys l’Aréopagite, on parlera volontiers de « connaissance mystique », « d'amour mystique », de « vie mystique », etc.

    Au XVIe siècle, il se produit un pas important. L'adjectif « mystique » commence à être employé comme substantif. On ne parle plus seulement d'une « théologie mystique », d'une « lecture mystique » de l'Écriture, d'une « vie mystique », mais « d'un mystique » ou « d'une mystique ». Cela fait une énorme différence et amène à créer de plus en plus une classe de chrétiens qui serait à part. Il se produit comme un durcissement de l'aspect subjectif déjà présent dans l'usage ancien. On en vient insensiblement à « séparer le sujet de l'objet », pourrait-on dire. Cette coupure et cette brisure, tout en développant l'attention au langage qui exprime l'expérience mystique, a aussi contribué à mettre le focus sur les « phénomènes mystérieux ou extraordinaires » qui accompagnent parfois l’expérience mystique. On en vient même à réduire l'expérience mystique à ces derniers, au XIXe siècle notamment. Les « mystiques » deviennent un vaste champ de recherche, de terrain d'observation à partir des phénomènes extraordinaires observables comme extases, lévitations etc.

    En résumé, l’expérience mystique, dans la tradition chrétienne, désigne simultanément la grâce elle-même que Dieu fait à une personne, le contenu de celle-ci (les réalités surnaturelles de la foi), la conscience qu'on peut en avoir, et le mode de présence de Dieu.

    3.2   Mystique et écrivains/écrivaines mystiques

    Mais comment reconnaître la naissance et le développement de cette expérience à nulle autre pareille dont témoignent les textes mystiques? Voilà la question qui se pose. Une façon courante de faire ce repérage c’est d’investiguer les récits des personnes et leurs témoignages, notamment concernant leur cheminement dans les voies de la prière. L’interprète de l’expérience alors sera le dire et le langage puisqu’en elle-même l’expérience a un caractère indicible, ineffable.

    La question du dire et du langage est-elle essentielle à l’expérience mystique ? Certains le pensent. Joseph Beaude exprime cette constatation de façon imagée en écrivant : « La mystique n'est pas une spécialité d'écrivains. Mais elle rend écrivains ceux qu'elle pousse à devoir dire[36] ».

    Ainsi chez la personne qui jouit d'une expérience de type mystique, les mots, les similitudes, les images quoique inaptes à dire la réalité deviennent un canal privilégié pour communiquer quelque chose de ce qui est expérimenté par la personne. Autre chose est d’avoir l’expérience, de la percevoir et de pouvoir l’expliquer constate Thérèse d’Avila et elle s’en explique longuement au chapitre XII de sa Vie[37] Chez le lecteur et l'observateur le langage deviendra une merveilleuse clef pour s'introduire dans le champ de la mystique.

    Qu’en est est-il lorsque cette clef  fait défaut ?

    Jean de la Croix tout en partageant cette conviction que les traces de l’expérience mystique prennent forme dans le dire et le langage principalement constate que ces traces peuvent aussi prendre la forme de ce qu’il appelle des « effets d’amour ».

    En effet, commentant pour Anne de Jésus les strophes poétiques du Cantique spirituel,  il note dans le prologue de son commentaire qu’il se gardera de réduire les images, les similitudes et les comparaisons utilisées « à un sens qui ne conviendrait pas à ce que chacun peut apprécier.  Ainsi, tout en en donnant jusqu'à un certain point l'explication, je demande qu'on ne se croie pas tenu de s'y attacher [38]».

    Et il ajoute cette phrase riche d’expérience et qui touche directement notre propos : « En effet, la sagesse mystique qui opère par l'amour – et c'est d'elle qu'il est question dans ce chant – n'a pas besoin pour produire dans l'âme ses effets d'amour d'être entendue d'une manière distincte. Il en va d'elle comme de la foi, qui nous fait aimer Dieu sans le comprendre[39] ».

    C’est ce constat de Jean de la Croix qui nous ouvre une porte sur une autre façon de reconnaître l’irruption du Tout Autre dans une vie. En effet, que dire de ces personnes où transparaissent les « effets d’amour » ? Sans être des mystiques, ne pourraient-elles pas être mystiques ?


    3.3   Mystique et sainteté

    Pour répondre à cette question, il faut prendre soin de rappeler que mystique et sainteté ne sont pas identiques, ni coextensifs : la sainteté ne s'identifie pas à la mystique, mais les mystiques sont souvent de grands saints. Il reste que l’expérience mystique chrétienne ne peut se dissocier du dynamisme du baptême, puisque le dynamisme du baptême n’a pas de frontière.

    Si nous nous plaçons sur le terrain de l’expérience chrétienne, il faut tenir fermement à la continuité de l’expérience chrétienne commune avec l’expérience mystique vécue par un baptisé. C’est pourquoi, j’ai toujours apprécié une distinction que le Père André Ravier proposait dans la Mystique et les mystiques[40]. La distinction du Père Ravier permet de respecter l’éventail des états mystiques sans enlever à l’expérience commune toute sa densité et sa richesse. La solution du Père Ravier est simple. Tout en marquant la continuité entre l’expérience chrétienne commune et l’expérience mystique, ce qui fait de tout baptisé un mystique en puissance, qu’il appelle la mystique « ordinaire », il fait place aux écrits mystiques qui témoignent selon lui d’un chemin qu’il appelle « trans-ordinaire ». Ces mystiques écrivains perçoivent et expliquent par un dire « quelle que soit la forme de cette parole, musicale, discursive, orale ou poétique »[41] la grâce offerte à tous qu’ils ont accueillie dans la foi.

    Ainsi, en empruntant les catégories du Père Ravier, on dirait que François de Laval est amené sur les sentiers d’une vie mystique « ordinaire » par opposition à une vie mystique « trans-ordinaire » qui émane à travers les écrivains mystiques.

    François de Laval n’est pas un écrivain mystique comme Marie de l’Incarnation, il est simplement un de ces baptisés qui croit que Dieu est avec lui et en lui et, par grâce, il a conscience d'une communion avec lui. Il a la révélation perceptible d'une présence. Il anticipe d'une certaine façon ce que sera la rencontre avec Dieu dans la gloire du ciel. Il vit une union de Personne à personne unique que racontent les mystiques sous des images comme celle du mariage spirituel. Il expérimente dans ses facultés et dans con corps même la rencontre entre deux êtres mus par un même désir. On pourrait lui appliquer ce que le Père Louis Roy, professeur au Boston College, écrit de la conscience mystique qui permet de voir Dieu en toutes choses et toutes choses en Dieu, et de s'engager dans la société avec une motivation et un détachement plus respectueux de la nature et des humains[42].

    Ainsi, sans enlever rien aux écrivains et écrivaines mystiques, force nous est de reconnaître qu’un grand nombre de baptisés et baptisées font la rencontre de Personne à personne dans l’union d’amour sans pouvoir l’exprimer ou en l’exprimant bien pauvrement et tout à fait occasionnellement.

    Pourquoi, la mystique ne serait-elle pas ouverte à tous ? [43]

    Pourquoi pas ? Il en va de la vérité du choix de vie à la suite de Jésus Christ.  Fermer les sommets de la vie mystique à la cohorte des sans noms et des sans voix ne peut rendre compte de l’universalité de l’appel à la rencontre personnelle avec le Bien-Aimé, Celui en qui le Père a mis tout son amour. « Depuis le jour où je suis descendu sur lui avec mon Esprit au sommet du Thabor, en prononçant ces paroles : ‘Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toutes mes complaisances, écoutez-le’ (Mt 17, 5), j’ai mis fin à tout autre enseignement, à toute autre réponse, je les lui ai confiés. Écoutez-le car je n’ai plus rien à révéler, plus rien à manifester…Si tu souhaites que je te découvre des choses cachées…jette seulement les yeux sur lui et tu trouveras renfermés en lui de très profonds mystères, une sagesse et des merveilles de Dieu suivant cette parole de mon Apôtre ‘En lui qui est le Fils de Dieu sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu’ »[44] écrit Jean de la Croix dans un des plus beaux chapitres de la Montée du Carmel (Livre 2, chapitre 22) dont on lit un extrait à l’Office des lectures le jour de sa fête le 14 décembre.

    Le Père de Lubac dans sa préface au livre La mystique et les mystiques se range dans le même camp lorsqu’il écrit :

    La mystique chrétienne est dans la logique de la vie de foi. Elle se nourrit d'autre chose que d'elle-même. Elle reçoit le mystère, non pour être professé des lèvres, ou pour être compris de la seule intelligence, mais, au sens propre pour être vécu. [Elle] fait passer le mystère du plan de l'instruction religieuse à celui de la vie intérieure[45].

    Un fait raconté par Carlo Carretto à propos de la vie contemplative me revient à l’esprit. À un moine visiteur qui voyait les novices travaillant aux champs et qui demandait à Carlo Carretto : « Explique-moi une chose, comment est-il possible de parler de contemplation lorsque ces jeunes gens reviennent, le dos rompu par la fatigue, après huit heures de travail, comment est-il possible de contempler ? », celui-ci répondait :

    On ne pourrait donc contempler que dans le silence de ton monastère, dans tes corridors calmes et pacifiques ! Alors les pauvres mamans ne peuvent devenir contemplatives… ? Et le mineur qui sort de la mine avec un mal de tête ne pourra être un contemplatif ? S’il en était ainsi Dieu ne serait pas juste, Un Dieu de ce genre ne m’intéresserait pas, un Dieu qui n’aimerait pas les pauvres, les paysans, les mineurs, qui n’accorderait pas la contemplation à une pauvre maman… Je voudrais savoir comment tu contemples, toi. J’ai l’impression que tu ne contemples rien parce que tu me poses cette question, parce que tu ne sais même plus ce qu’est la nature de la contemplation. La contemplation n’est pas un acte intellectuel, elle est un acte d’amour.[46]

    Pourquoi n’en serait-il pas ainsi de la grâce de l’union mystique ? Un Dieu qui ne se laisse goûter que par ceux et celles qui peuvent le comprendre et le dire ne m’intéresse pas. Un Dieu lié à mes mots pour ses visites sans paroles, n’est pas le Dieu de Jésus-Christ. Un Dieu enfermé dans les réduits du cosmos et des facultés humaines, n’est pas le Tout Autre, l’Indicible[47].

    On le voit, faire place aux mystiques sans nom n’enlève rien aux écrivains/écrivaines mystiques. Au contraire, c’est reconnaître la puissance sans limites de la grâce de Dieu dans une vie sans états extraordinaires, au ras de la vie courante et totalement imbibée de la présence/absence du Tout Autre.

    Oui, François de Laval a été mystique, même s’il n’a pas été un mystique. Être mystique ou être un mystique ? La question ne se pose pas dans un itinéraire de sainteté chrétienne. C’est l’appel à la sainteté qui est premier et celle-ci est ouverte à tous. Vatican II a rappelé avec à propos que la sainteté chrétienne « s'exprime différemment en chacun de ceux qui, dans la conduite de leur vie, parviennent en édifiant le prochain, à la perfection de la charité »[48].   La vocation mystique, partie intégrante de l’expérience chrétienne commune, ne se transforme en itinéraire mystique personnel où l’émergence d’un sujet mystique apparaît que par grâce particulière. Certaines dispositions naturelles peuvent favoriser cette émergence, mais elle survient, elle advient comme un don que le sujet n’a pas recherché, qu’il reçoit et accueille dans la foi. Sa vie concrète n’est pas changée, mais elle devient pour lui ou pour elle  un lieu de rencontre du Dieu Autre qui blesse et comble en même temps que le critère de vérification d’une sainteté qui se manifeste dans les fruits de charité et de service. « Si je n’ai pas la charité je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit… La charité prend patience… Elle excuse tout… La charité ne passe jamais... Maintenant demeurent foi, espérance et charité, mais la plus grande d’entre elles c’est la charité »[49].

     

    Conclusion

    Loin de moi la prétention de vous avoir présenté le véritable itinéraire spirituel de François de Laval. Je n’ai fait que dire ce qui est présent en moi de cet itinéraire inaccessible, car comme l’écrit saint Augustin au livre XI des Confessions: « …tout récit vrai du passé fait sortir de la mémoire non point les événements passés tels quels, mais des mots conçus d'après les images imprimées dans l'esprit comme des traces lors de leur passage le long des sens. »[50].

    La lecture de la vie des saints, la célébration de leur souvenir, la réminiscence de leurs actions, la vénération de leurs restes etc. apportent beaucoup, mais elles ne suffisent pas à les rendre actuels. Je me dois d’entrer dans un processus de relecture spirituelle. Ce processus m'invite à suivre un chemin où se déploie la dynamique du sujet-interprétant qui reçoit et recueille à travers des traces de l'expérience passée quelque chose du non-dit, de l’indicible, un  "je ne sais quoi", un murmure de la Source. Lorsque je rappelle la vie de François de Laval (1623-1708) ou de Marie de l'Incarnation (1599-1672), ou de Marguerite Bourgeoys (1620-1700) ou de Jean de Brébeuf (1593-1649), je puis en dessiner les contours dans l'espace et dans le temps, mais je n'ai là que les traces d'un ailleurs qui reste sans cesse ouvert pour moi, sujet-interprétant.

    La question de l'actualité d'une expérience spirituelle d'un saint ou d'une sainte nous renvoie non seulement à lui ou elle, mais elle enclenche un processus de "réception" en nous. C'est le "sujet-lecteur" qui fait l'actualité de l'histoire d'une vie, d'un saint, d'une sainte, d'un itinéraire spirituel passé mais redevenu présent sous une forme autre.

    La mémoire est la condition même de l'actualité de la présence de nos devanciers. C'est à partir de la relecture des traces laissées qu'un visage de saint ou de sainte se dégage avec plus ou moins de netteté pour nous. Ce visage varie comme peuvent varier les représentations picturales. Les statues et images de Thérèse de l'Enfant-Jésus en sont une très bonne illustration. Elles ne se présentent pas comme les photographies d'elle que nous avons, elles les interprètent selon telle  ou telle aspect d’elle. Et que dire de l’art de l’icône ? Ces variations du visage des saints et des saintes conditionnent leur actualité. Pas de variations, pas de relectures, absence d'actualité, traces perdues, saints et saintes ignorés et laissés dans l'oubli. La mémoire ne serait-ce pas selon un mot paradoxal qu’on prête à Fernand Dumont «  se souvenir d’où l’on s’en va »[51].

    Il n'y a pas de mémoire sans agir, sans que nous ne nous disions quelque chose de nous-mêmes dans les réalisations, les joies, les peines, les inquiétudes, et les questionnements de notre vie. C’est ce que j’ai essayé de faire bien modestement dans cette conférence. Le souvenir de François de Laval ne fait donc pas que célébrer des faits de sa vie, il "reçoit" maintenant et "raconte" dans notre aujourd'hui ce que, grâce à lui et à sa suite, nous pouvons et voulons être: des témoins de l'Évangile et des disciples de Jésus.  Oui! « se souvenir d’où l’on s’en va ».

    ***

     

    Hermann Giguère, ptre, p.h.

    Supérieur général du Séminaire de Québec et professeur associé à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval

    14 octobre 2006



[1]         GIGUÈRE, Hermann,  "Un saint évêque: le bienheureux François de Laval", dans Communio, n. V, 5 (1980) 81-89.

[2]              GIGUÈRE, Hermann,  "L'itinéraire spirituel d'un Bienheureux" dans François de Laval, premier évêque de Québec numéro spécial hors série printemps 1993 de la revue Cap-aux-Diamants pp. 16-20.

[3]              GIGUÈRE, Hermann,  L’expérience de Dieu avec François de Laval, Fides, Montréal, 2000,144p.

[4]              Quebecen.  Beatificationis et Canonizationis Ven.  Servi Dei Francisci de Montmorency-Laval episcopi Quebecensis (+1708) Altera nova positio super virtutibus ex officio critice disposita  (Sacra Rituum Congregatio, Sectio historica, 93), Polyglottis Vaticanis, 1956, Doc. LXIX, note 1, p. 738-739.

[5]              On a édité des conférences, des lettres et d’autres conseils de Jean de Bernières-Louvigny  (1602-1659) une première fois en 1659, dans lequel on a pu lire les marques d’un semi quiétisme français. Le capucin Louis-François D'Argentan en a donné une édition nouvelle sous le titre Le chrestien intérieur, ou la conformité intérieure que doivent avoir les chrestiens avec Jésus-Christ; divisé en huit livres; tiré des manuscrits de feu de sainte mémoire mr. de Bernières-Louvigny qui fut mis à l’Index des livres prohibés en 1689 dans des circonstances troubles. Il y figurait encore en 1948. Voir «Bernières-Louvigny, Jean de » dans Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, t. I , Beauchesne, Paris, 1937, col. 1522-1527. On s’explique ainsi que les racines mystiques de François de Laval étaient passées sous silence. On cherchait à le distancer de celles-ci par peur de l’associer à un courant qui n’avait pas bonne presse.

[6]              Bertrand de La  Tour, Mémoires sur la Vie de M. de Laval, premier évêque de Québec, Cologne, 1761, dans Altera nova positio, p. 732-73440.

[7]              MAILLARD, Jacques « Le collège de La Flèche : un collège de la réforme catholique » dans La Flèche. Quatre siècles d’éducation sous le regard de l’État. Actes du colloque universitaire 2-3 avril 2004, Prytanée national militaire, La Flèche, 2005, pp.41-57.

[8]               Les principaux documents concernant François de Laval ont été rassemblés dans l'ouvrage suivant: Quebecen.  Beatificationis et Canonizationis Ven.  Servi Dei Francisci de Montmorency-Laval episcopi Quebecensis (+1708) Altera nova positio super virtutibus ex officio critice disposita  (Sacra Rituum Congregatio, Sectio historica, 93), Polyglottis Vaticanis, 1956.  Dans le cours de l'article, Altera nova positio désignera cet ouvrage.  Celui-ci reproduit la plus ancienne biographie de Mgr de Laval, Mémoires sur la Vie de M. de Laval, premier évêque de Québec, de Bertrand de La tour publiée à Cologne en 1761.  Pour la vie de Mgr de Laval on pourra se référer avec profit à Auguste GOSSELIN, Vie de Mgr de Laval, 2 vol., Québec, 1890;  Émile BÉGIN, François de Laval, Québec, 1959 et surtout à l'excellent article d'André VACHON dans le Dictionnaire Biographique du Canada, vol. 11 de 1701 à 1740, Les Presses de l'Université Laval/University of Toronto Press, 1969, pp. 374-387.

[9]              Montée du Carmel, livre II, chapitre 5 dans Jean de la Croix, Œuvres, traduction par Mère Marie du Saint-Sacrement, carmélite déchaussée. Édition établie, révisée et présentée par Dominique Poirot, carme déchaux, Paris, Cerf, 1990, pp. 644-648.

[10]             Cinquième état d’oraison à son entrée au Noviciat des Ursulines en 1631 et Neuvième état d’oraison qui s'attache à la période du 1er août 1639 à l'octave de Noël 1645 couverte par le douzième état d'oraison

[11]             GORÉ, Jeanne-Lydie, « Désappropriation » dans Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, t. III , Beauchesne, Paris, 1957, col. 518-529

[12]             Lettre de Marie de l'Incarnation à son fils Dom Claude Martin, 1659, dans Altera nova positio, p. 53.

[13]             Bertrand de La  Tour, Mémoires sur la Vie de M. de Laval, premier évêque de Québec, Cologne, 1761, dans Altera nova positio, p. 740.

[14]             Ibidem, p. 741-742.

[15]             Lettre du frère Houssart à M. Tremblay, prêtre, procureur du Séminaire de Québec dans la ville de Paris, 1708, dans Altera nova positio, p. 654.

[16]             Mémoires sur la Vie de M. de Laval..., dans Altera nova positio, p. 716.

[17]             Ibidem, p. 716.

[18]             Voir par exemple: La montée du Carmel, Livre 1, chapitre 4 et le célèbre chapitre 13, dans Jean de la Croix, Oeuvres complètes, traduites par le P. Cyprien de la Nativité, éditées et présentées par le P. Lucien-Marie, 4e éd. revue et corrigée, Desclée, Paris, 1967, pp. 87-91 et pp. 115-118.

[19]             Mémoires sur la Vie de Mgr de Laval..., dans Altera nova positio, pp. 732-733.

[20]             Lettre de Mgr de Laval à Henri-Marie Boudon, 1689, dans Altera nova positio, p. 208.

[21]             Lettre de Marie de l'Incarnation à son fils Dom Claude Martin, 1660, dans Altera nova positio, p. 54.

[22]             LOCHET, Louis,  Fils de l'Église, (Foi vivante, 17) Cerf, Paris, 1966, pp. 83-116.

[23]             Lettre de Mgr de Laval à Henri-Marie Boudon, 6 novembre 1677, dans Altera nova positio, p. 207.

[24]             Lettre de Mgr de Laval au P. de la Chaise, 1687, dans Altera nova positio, p. 407.

[25]             Lettre de Mgr de Laval aux directeurs du Séminaire de Québec, 9 juin 1687, dans Altera nova positio, p. 411.

[26]             Lettre de Mgr de Laval à M. Milon, automne 1689, dans Altera nova positio, p. 452.

[27]             Ibidem, p. 452.

[28]             Lettre de M. Brisacier à M. Charmot, 1er mai 1702, dans Altera nova positio, p. 619.

[29]             Lettre à M. de Seigneley, Ministre du Roi Louis XIV, mai 1687, dans Altera nova positio, p. 408.

[30]          Extraits d'une lettre aux directeurs du Séminaire de Québec, 9 juin 1687 dans Altera nova positio, p. 410-416

[31]             La perspective de Jean de la Croix est beaucoup plus large que celle de Thérèse.  Il touche l'ensemble de la personnalité et non seulement l'oraison.  Il va le faire du point de vue de la restructuration de la personne par la grâce de Dieu qui fait apparaître la créature nouvelle dans toute sa splendeur, ce qui l'amène à décrire longuement les purifications. Il y a peu de mystiques qui ont cette pénétration et cette analyse des nuits comme Jean de la Croix le démontre dans la description qu'il fait des purifications passives ou des nuits passives. Il faut noter que Jean de la Croix s'adresse à des carmélites (et des carmes) qui ont déjà pris une décision de vivre évangéliquement, qui ont une option fondamentale pour l'Évangile et pour le Christ. Cette première conversion est toujours supposée dans ses écrits. En bref, on pourrait décrire ainsi la restructuration de la créature nouvelle. Au point de départ il y a la décision de servir Dieu (première conversion) qui est suivie d'une adaptation plus ou moins longue au plan de l'affectivité ( nuit active des sens) et au plan de l'esprit (nuit active de l'esprit). Survient alors un passage des plus importants où "Dieu met la main" en invitant la personne à se livrer totalement et sans retour. Ce passage est suivi encore là d'une adaptation à un environnement spirituel nouveau qui se révèle petit à petit. L'affectivité doit s'y ajuster (nuit passive des sens) ainsi que la partie spirituelle de l'être humain (nuit passive de l'esprit). Le résultat de ce cheminement et de ces purifications est l'expérience de l'union transformante avec Dieu, de "l'union d'amour" (Montée du carmel, livre II, c.5).

[32]             La montée du Carmel , L. II, chap. XIII ou XII dans certaines éditions. et La nuit obscure, L. I, chap. IX 

[33]             Lettre de Marie de l'Incarnation à son fils Dom Claude Martin, 1659, dans Altera nova positio, p. 53.

[34]             ROBERT, Pierre, « Recherches sur la notion d'Incarnate Meaning chez Bernard Lonergan», Église et Théologie, no 26, 1995, p. 222-223.

[35]             Bernard, Charles André, Le Dieu des mystiques, t 1, Paris, Cerf, 1994, p. 188.

[36]             Beaude, Joseph, La mystique, Paris/Montréal, Cerf/Fides, collection « Bref », no 27, 1990, p. 35.

[37]             THÉRÈSE D’AVILA, Œuvres complètes, Seuil, Paris, pp.

[38]             Jean de la Croix, Œuvres, traduction par Mère Marie du Saint-Sacrement, carmélite déchaussée. Édition établie, révisée et présentée par Dominique Poirot, carme déchaux, Paris, Cerf, 1990, p. 341.

[39]             Ibid. p. 342.

[40]             RAVIER, André, « Vie humaine et vie divine dans la mystique chrétienne », dans La Mystique et les mystiques, Paris, DDB, 1965, surtout p. 124-128.

[41]             Thérèse Nadeau-Lacour, Le temps de l'expérience chrétienne. Perspectives spirituelles et éthiques, préface de Jean Ladrière, Montréal/Paris, Médiaspaul, 2002, p. 132.

[42]             ROY, Louis,  Le sentiment de transcendance, Paris, Cerf, 2000, p. 132.

[43]             ARMINJON, Blaise, "La voie mystique est-elle ouverte à tous?", dans Christus, 142 (1989), 171-181.

[44]             Jean de la Croix, Montée du Carmel, livre 2, chapitre 22, dans Œuvres, traduction par Mère Marie du Saint-Sacrement, carmélite déchaussée. Édition établie, révisée et présentée par Dominique Poirot, carme déchaux, Paris, Cerf, 1990, p. 736.

[45]             Ibid., p. 24.

[46]             CARRETTO, Carlo., et autres, Contemplation,  2e éd., (Ressourcement, 6) Apostolat des Editions, Paris / Ed. Paulines, Sherbrooke, 1974, pp.132-133.

[47]             C’est dans cette ligne que vont les réflexions de Jean-Pierre Jossua dans son livre Peut-on parler de Dieu ? (Petite Bibliothèque de Spiritualité) Labor et Fides,  Genève, 2006 aux pages 93-108, spécialement pp.99-101.

[48]             Constitution dogmatique "Lumen gentium", no 54 dans Vatican II.  Les seize documents conciliaires, Fides, Montréal, 1966, p.  65.

[49]             II Co 13, 1ss.

[50]              Saint Augustin, Les Confessions, livre XI. Trad. nouvelle de Louis de MONDADON, Paris, Pierre Horay Éd. de Flore, 1954, p. 306.

[51]             Fernand Dumont.(probablement tirée de Le lieu de l'homme. La culture comme distance et mémoire).




  • Dernière mise à jour 17 octobre 2006



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