Séminaire de Québec
Société de prêtres diocésains fondée en 1663 par le Bienheureux François de Laval, premier évêque de Québec


  • Homélie pour la célébration de la fête liturgique de la Bienheureuse Marie de l'Incarnation
    au Monastères des Ursulines de Québec le 28 avril 2004

    Textes de l'Écriture: Isaïe 58, 8-11; Éphésiens 3, 14-19; Mathieu 5,1-12a .


    J’ai rencontré Marie de l’Incarnation…  



    Chères soeurs, chers frères,

    J’ai rencontré Marie de l’Incarnation… Qu’est-ce à dire? Il me semble que ce thème de la rencontre de Marie de l’Incarnation n’est qu’une façon imagée de parler de l’actualité du personnage.

    I- Comment imiter Jésus-Christ

    En effet, une célébration comme celle d’aujourd’hui ne consiste pas seulement à se remémorer une fondatrice, une mystique, une enseignante, une mère de famille et quoi encore. Cet enchaînement des faits et des événements qui ont marqué le cours de la vie notre bienheureuse nous la fait connaître dans ce qu’elle a fait, dans ce qu’elle a été, dans ce qu’elle a pensé. Cependant, son actualité ou la rencontre que nous pouvons faire avec elle aujourd’hui n’est possible que si nous recherchons non seulement « ce qu’elle a été » mais aussi les traces du « comment être », du « comment elle a été ». En somme, comment a-t-elle été témoin de l’Évangile et disciple de Jésus dans ce tissu de relations de toute sortes qui ont tapissé sa longue vie (pour l’époque)?

    Pour reprendre une expression du théologien et cardinal Hans Urs von Balthasar : le « point synthétique chrétien » est en définitive l’imitation de Jésus-Christ, le seul et unique modèle parce que tout est « par Lui, avec Lui et en Lui » (doxologie de la Prière eucharistique). Ses « imitateurs », comme les saints et les bienheureux canonisés comme Marie de l’Incarnation, tracent des voies qui servent à rendre le Christ visible dans des figures, des gestes, des paroles qui lui donnent un visage pour leur temps et leur milieu.

    C’est ce que Marie de l’Incarnation a cherché à faire pendant toute sa vie : non seulement « être » disciple, mais « comment l’être ». C’est sur ce terrain du « comment être disciple » que j’ai rencontré Marie de l’Incarnation, et que nous pouvons en découvrir toute l’actualité.

    II- Les points de rencontre de Marie de l’Incarnation à la lumière de la Parole de Dieu d’aujourd’hui

    Allons un peu plus loin pour esquisser les points de rencontre que nous inspirent les lectures et l’évangile de la célébration d’aujourd’hui.

    1- La première lecture tirée d’Isaïe nous invite à partager le pain avec celui qui a faim, recueillir chez soi le malheureux, couvrir celui qui est sans vêtements. Cette invitation du prophète, reprise par Mathieu et par l’épître de Jacques, a retenti avec vigueur dans la vie de Marie de l’Incarnation. Son service auprès de sa sœur et de son beau-frère comme jeune veuve, son attention à ses élèves, les « délices de son cœur », son travail comme économe « dépositaire » et comme supérieure, l’apprentissage des langues amérindiennes, mais surtout cette entreprise aventureuse et audacieuse de la fondation d’un monastère et d’une école en Nouvelle-France révèlent une passion peu commune qui la porte au-delà des frontières géographiques, mais aussi institutionnelles ou ecclésiales. Avec ses compagnes Ursulines et avec les Augustines qui arrivaient à Québec en 1639, elle fut parmi les premières femmes missionnaires. Partager le pain (pensons à la « sagamité », mets indien apprécié), recueillir les jeunes Amérindiennes et les jeunes Françaises dans son monastère mais aussi les couvrir de vêtements et d’amour maternel, tel fut le programme de vie de Marie de l’Incarnation.

    2- La seconde lecture apporte un témoignage de saint Paul qui a sûrement encore inspiré Marie de l’Incarnation, car qui mieux qu’elle a vécu cette « connaissance mystique de Dieu » dont il parle. D’où vient cette exultation qui nous surprend encore aujourd’hui, si ce n’est d’une union intime avec celui qu’elle appelle avec audace mon « Époux », son « Bien-Aimé » et dont elle se reconnaît l’ « épouse » au même titre que celle du poème du Cantique des cantiques qui arrache une improvisation mémorable devant ses novices à Tours sur cette phrase « Qu’il me baise des baisers de sa bouche »? N’est-ce pas là la trace d’« une connaissance de l’amour du Christ qui surpasse tout ce qu’on peut connaître »?

    D’où viennent ces textes si riches (Relations et Lettres) qu’ils continuent de parler et parler, encore et encore, si ce n’est d’un « fond », comme elle le dirait elle-même, d’une source qui s’offre toujours à nous aujourd’hui parce qu’elle est intarissable comme l’est le don de l’Amour miséricordieux du Père dans son Fils Jésus, que l’Esprit continue de répandre dans les cœurs (cf. Romains 5, 5 et 9-11).

    Dans notre Église et devant les défis auxquels fait face la transmission de la Bonne nouvelle aux générations montantes, le danger est grand de démissionner ou encore d’adopter, vu la pénurie d’ouvriers et d’ouvrières, une attitude de laisser-faire néfaste. Non, l’ « amplification du Royaume » comme l’écrit Marie de l’Incarnation, l’annonce de la Bonne Nouvelle procède non seulement d’une volonté constante et tenace, mais aussi et surtout d’une rencontre vivante avec le Ressuscité que notre bienheureuse a vécue intensément à tout instant, au point qu’à soixante-dix ans, elle faisait au Père Poncet cette confidence éloquente :
      « … Dieu me fait compâtir avec cet état celuy de l’union qui me tient liée à sa divine Majesté il y a plusieurs années, sans en sortir un seul moment. Si les affaires soit nécessaires, soit indifférentes font passer quelques objets dans l’imagination ce ne sont que de petits nuages semblables à ceux qui passent sous le Soleil, et qui n’en ôtent pas la veue que pour quelque petit moment, le laissant aussi-tôt en son même jour. Et encore durant cet espace Dieu lui au fond de l’âme, qui est comme dans l’attente, ainsi qu’une personne qu’on interrompt lorsqu’elle parle à une autre; et qui a néanmoins la veue de celuy à qui elle parloit. Elle est comme l’attendant en silence, puis elle retourne dans son intime union. (Lettre CCLXII de Québec au P. Poncet,le 17 septembre 1670 dans OURY, Dom Guy-Marie, Correspondance… p. 886)


    3- Enfin, comment ne pas mettre le texte de l’évangile tiré de Mathieu en relation avec l’amour développé par Marie de l’Incarnation pour ce qu’elle appelle les « maximes de l’Évangile » dont les béatitudes sont la partie la plus remarquable et la plus importante. Ces « maximes » ne sont pas pour elle de simples slogans. Elles portent une sagesse, un art de vivre, une lumière et une beauté qu’elle a expérimentés elle-même.

    On sait comment la Parole de Dieu vit en elle à travers des phrases retenues, non comme de simples refrains mais comme une « lumière sur ses pas ».

    Dans notre rencontre de Marie de l’Incarnation ce soir, nous sommes conduits sur ce chemin nous aussi. « Comment être disciple » de Jésus si ce n’est en revenant au témoignage reçu des apôtres et de nos devanciers et devancières, mais en se l’appropriant dans notre culture de modernité, de droits de la personne, d’abondance matérielle, de conflits récurrents, sans pour autant leur enlever leur radicalité et leur rudesse même.

    Notre témoignage de chrétiens-croyants ne se mesurera pas sur notre acceptation sans conditions de tout ce qu’attendent nos contemporains, mais à notre fidélité à l’Évangile proclamé à temps et à contretemps même.

    Jean-Paul II disait à un groupe de jeunes le 5 avril dernier :

      « Soyez anticonformistes, au nom du Christ, pour annoncer l’Évangile aux autres jeunes. A l’université, à l’école, et où que vous vous trouviez, n’ayez pas peur d’être, lorsque c’est nécessaire, anticonformistes. »


    Cette invitation reprenait le message de la 19e Journée Mondiale de la Jeunesse où il écrivait :

      « Vos contemporains attendent de vous que vous soyez les témoins de Celui que vous avez rencontré et qui vous fait vivre. Dans la réalité de la vie quotidienne, devenez des témoins intrépides de l’amour plus fort que la mort. C’est à vous de relever ce défi! Mettez vos talents et l’ardeur de votre jeunesse au service de l’annonce de la Bonne Nouvelle. »

    Que cette célébration eucharistique si joyeuse garde nos cœurs tout chauds et à l’écoute de celui qui vient, aujourd’hui, à notre rencontre à travers son Corps et son Sang versé pour que nous annoncions sa Résurrection et son Retour glorieux.

    Amen!

    Hermann Giguère, prêtre
    Supérieur général du Séminaire de Québec
    le 30 avril 2004


    HG/mdb


  • Dernière mise à jour 26 novembre 2005




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