Manon Jutras

une carte postale
de San Francisco

Jeudi 11 septembre 2003
Je suis de nouveau dans un aéroport, à Victoria. 11 septembre. Est-ce une bonne idée de prendre l'avion aujourd'hui ? Je m’en vais à San Francisco pour ma dernière course de la saison 2003 avec l’équipe cycliste SATURN. C’est déjà la fin d’une autre saison de cyclisme. Enfin presque. Je participerai à une autre course par étape, le Grand Prix Féminin au Saguenay, à la fin septembre, au sein d’une équipe canadienne. Ensuite peut-être les Championnats du Monde... ou peut-être une bonne semaine de congé et de réflexions.

C’est fou comme le temps passe vite. Je disais donc que j’en étais à ma dernière compétition dans l’uniforme SATURN. Beaucoup d’activités sont au programme au cours du week end. Tout commence dès vendredi soir avec la visite du concessionnaire SATURN de San Raphaël. Le programme de l’équipe cycliste SATURN est très imposant. La promotion de la marque SATURN va au delà de la compétition. En tant que représentants de SATURN, nous sommes appelés à participer à différentes activités. Pour ce week end nous avons à l’horaire, en plus du concessionnaire SATURN, une session de signature d’autographes pour Whole Foods Market (un des nombreux commanditaires de l’équipe), entrevues avec la chaîne locale d’ABC, visite d’une école, participation à un souper bénéfice pour une fondation du Cancer du sein et finalement promotion au kiosque SATURN sur le site de course (dimanche). Un travail à temps plein quoi. Pas vraiment le temps de faire la touriste.

Heureusement une équipe complète gravite autour de nous, les athlètes. Mécaniciens et soigneurs sont là pour nous assister. Ma bécane sera mise au point chaque jour. J’aurai des réglages, c’est-à-dire des braquets, adaptés au type de parcours et à mes capacités de cycliste. Quant à ma machine humaine, elle aussi aura droit aux petites attentions de l’équipe. J’aurai droit au massage quotidien par l’équipe de soigneurs. Ces derniers sont aussi responsables de nourrir notre estomac avant et après course. Chacun a droit à ses goûts : Gatorade, barres énergétiques pour certains, Coke, barres Mars, biscuits aux pépites de chocolat, sandwich au beurre d’amande pour d’autres. La diversité... comme dans une famille. Ce n’est pas parce qu’on est tous des athlètes cyclistes qu’on a tous les mêmes goûts. Quant à moi j’aime bien avoir des fruits frais à tous les jours... mais pas de bananes SVP !

Samedi, 13 septembre 2003
La vague de chaleur qui sévit dans la région de la baie de San Francisco se poursuit. Depuis le début de la semaine, le température oscille autour de 100-105 F. C’est tout simplement insoutenable de rester au soleil. Le défi du jour sera de rester bien hydratée toute la journée.

À l’agenda : un critérium de 60 minutes dans le centre-ville de San Raphaël. La vieille, le vendredi soir, lors de notre réunion d’équipe, nous avons discuté des enjeux du week end et plus particulièrement du critérium de San Raphaël et du Grand Prix de San Francisco. Notre priorité se doit d’être le Grand Prix de San Francisco de dimanche.

Notre objectif pour le critérium est donc d’en faire une séance d’essai, sans plus. J’ai plutôt l’impression que ce sera comme prendre un sauna avec une centaine de collègues... sans compter la centaine de spectateurs sur le parcours ! Le début de la course est prévue pour 2 pm. Un vrai sauna vous dis-je ?

Des les premiers kilomètres, les SATURN sont à l’avant du peloton... difficile de changer des habitudes de course. Mes coéquipières Amy et Ina sont les premières à se porter à l’attaque. Dès que le peloton en rattrape une, une autre contre-attaque. À la 15ième minute, c’est moi qui se retrouve en échappée. Deux autres concurrentes font la jonction avec moi; une de l’équipe T-Mobile et une autre canadienne, Nicole Demars, de l’équipe Victory Brewing. L’échappée parfaite, 3 équipes différentes représentées dans l’échappée. Ok, c’est bon mais il reste 45 minutes à la course. Allons tenir le coup ? Est-ce que JE veux tenir le coup ? Bon allons-y un tour à la fois. Je n’oublie pas que j’ai une autre course demain et moins de 24 heures pour récupérer. J’essaie toujours de récupérer de mon 9 heures de jet lag de l’Europe. Bon, assez de réfléchir, il faut avancer, je suis dans une course après tout!

Plus de 15 minutes s’écoulent avant que le peloton se décide enfin à nous rejoindre... ou bien c’est parce que nous (les trois cyclistes) avons abandonné l’idée de faire une escapade pour le 3/4 de la course ! Une fois rejointe, je décide de m’installer bien calmement dans le milieu du peloton et de suivre tout simplement le rythme du groupe. Je remarque que deux de mes coéquipières ont abandonné. J’apprendrai par la suite qu’elles ont souffert de coup de chaleur. Nausées et vomissements ont eu raison d’elles. Le défi, j’me le répète : moins de 24 heures pour récupérer de cette course.


On voit ici Manon en compagnie de Diane Rivest, sa fan #1 en Californie !

Dimanche 14 septembre 2003.
Réveil à 4 am. Vous avez bien lu, 4 am. La course est à 7:30 am. Comme il me faut un bon 3 heures pour digérer un bon repas, je me dois d’avoir terminé à 4:30 am. À l’occasion le stress de course modifie quelque peu mon système digestif. Il me joue des tours, surtout dans l’heure précédent le départ. Mais bon, j’me dis que mon corps a su s’adapter au cours des neufs derniers jours à toutes sortes de situations, il doit bien être en mesure de répondre une fois de plus.

L’avantage de courser si tôt c’est que nous n’aurons pas à subir la même chaleur que la veille. D’autant plus que nous sommes près de l’océan, dont une section du parcours se trouve sur Fisherman’s Wharf. Nous n’aurons donc pas à combattre la chaleur. Mais un autre de défi de taille nous attends, la montée des rues Fillmore et Taylor street. L’inclinaison atteint jusqu’à 22% pour plus de 200m. Quatre fois cette boucle. Heureusement la course n’est que de 80 km.

Cette course, la T-Mobile International, est la première édition pour le volet féminin. La course des hommes en est à sa troisième édition. C’est cette course qui a rendu célèbre Charles Dionne l’an dernier. Charles, alors avec l’équipe 7-Up, avait causé toute une surprise en remportant la victoire au sprint. La course obtient l’attention des médias puisque le plus grand cycliste au monde, Lance Armstrong y participe. À mon avis, c’est ainsi qu’on développe la popularité et la notoriété d’un sport.

Pour notre équipe, cette course représente la dernière course importante du calendrier américain. Il s’agit pour nous de consolider notre place d’équipe #1 (hommes et femmes) au classement national. De plus SATURN est un des principaux commanditaires de l’événement. L’équipe se doit de performer. La course promet d’être excitante par la présence des meilleures cyclistes Européennes : Nicole Cooke, de l’Angleterre, Diana Zilute de la Lituanie et Judith Arndt de l’Allemagne. Elles seront celles que mes coéquipières et moi auront à l’oeil. Quant à notre équipe, nous misons sur Katie Mactier, de l’Australie.

La course commence rapidement. Dès la première boucle, les aspirantes se lancent à l’attaque dans la montée Fillmore. L’ambiance est tout simplement électrisante. Le nombre de spectateurs au rendez-vous (ai-je besoin de vous le rappeler, il n’est même pas 8 am) est impressionnant. Nous montons probablement à vitesse moyenne de 7 km/hre. Mais le bruit est si fort que nous ne nous entendons même pas respirer. Mais l’énergie de la foule nous transporte. Pour ceux qui étaient dans la montée Camilien-Houde lors de la Coupe du Monde, imaginez le double de spectateurs... avec chacun sa trompette ! Ah j’oubliais, il y a aussi l’annonceur maison et l’écran géant qui ajoute au spectacle. Avec toute cette énergie, pas question de s’arrêter ! Nous avons bien coursé en équipe. À plusieurs occasions, nous étions soit dans l’échappée, soit à la poursuite de celle-ci.

Le tout s’est décidé dans la dernière montée, à 6 km de l’arrivée. Une SATURN sur le podium. Nous avons assuré la visibilité du maillot SATURN. Quant à moi, j’ai bien fait mon travail de coéquipière. Mais j’aurai pu faire plus... je devrai dire mieux. Si seulement j’avais eu quelques jours de plus pour récupérer de mon séjour en Europe. C’est la réalité du sport. Mon apprentissage de cette saison 2003 sur le circuit international est celui-ci : une saison, c’est comme une course par étapes... une course de 70 étapes pour moi cette année !

Comme ma journée de travail s’est terminée tôt (je devrai dire mon travail cycliste puisqu’en après-midi, pour l’équipe féminine, il y avait deux séances de signature d’autographes à notre horaire) j’ai la chance de me mêler à la foule et d’assister au spectacle des hommes sur Embarcadero boulevard, près du terminal de tramway. Les hommes en ont eu pour plus de quatre heures trente minutes, plus de 170 km. Entre deux passages du peloton à la ligne départ/arrivée, j’ai eu la chance d’aller piquer une jasette avec l’acteur Robins Williams, un grand fan de Lance et de cyclisme.

La course fut remportée par un américain, Chris Horner, de l’équipe cycliste SATURN. L’ambiance dans l’équipe était joyeuse. Le scénario idéal, prélude à la fête que tous se promettaient en soirée, lors d’une réception de clôture de fin de saison.

Malgré les succès sportifs du jour, il n’y a eu aucun débordement de joie. Pourtant. Mais depuis plusieurs semaines nous savions que l’avenir de l’équipe cycliste SATURN n’était pas confirmé.

En fin de dîner, la responsable du marketing de SATURN nous a adressé la parole. Elle a tenue à nous dire comment elle était fière de toute l’équipe, athlètes et personnel de soutient. Elle souhaitait que les succès de 2003 allaient convaincre la haute direction de SATURN de poursuivre le programme en 2004. La décision finale serait annoncée plus tard dans la semaine qui suit. C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai donné l’accolade à mes collègues de travail; collègues féminins et masculins. Il y avait un doute dans mon esprit que le Grand Prix de San Francisco serait peut-être la dernière course de ma carrière dans l’uniforme SATURN. Le Grand Prix de San Francisco; le début de la fin.

La nouvelle a été confirmé trois jours plus tard.

Tristesse et fatigue ont marqué mon retour à la maison le lundi matin. J’ai quelques jours pour recharger les batteries (physique et émotive) avant de reprendre la route. Cette fois-ci, direction Lac St-Jean, pour le Grand Prix Féminin du Canada. C’est le cas de l’dire; recharger les batteries ! Je crains un temps frisquet. Une petite laine dans mes bagages et des pneus d’hiver cette fois.

À moins qu’on me promette un été des Indiens, je m’attends à vivre l’hiver avant la majorité des Québécois ! Une course par étape vous dis-je ? Avec ses surprises !

À bientôt. Du Saguenay peut-être. Si mon ordinateur ne gèle pas !

Manon


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