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Les relations diplomatiques entre Grecs et Latins dans la perspective politico-culturelle du XIIe siècle:

les réactions des croisés au cérémonial byzantin selon les chroniqueurs occidentaux des croisades

 

Marc Carrier,

Université de Paris I

 

La représentation des Grecs perfides et efféminés, telle que constatée en Occident au Moyen Âge, a fait l’objet de plusieurs études au cours des dernières années, mais sans jamais réellement s’attarder en profondeur aux significations culturelles du phénomène, ni aux conséquences qu’elles ont occasionné entre Grecs et Latins. Ce présent article se veut une tentative d’aborder le problème de façon concrète et fait suite à une première ébauche proposée dans cette même revue en 2002[1]. Dans ce premier article, il était question précisément de la représentation du cérémonial byzantin selon les chroniqueurs des croisades au XIIe siècle. Les quatre premières croisades proposaient en effet pour notre étude une période charnière dans l’évolution des rapports entre Grecs et Latins, notamment par la recrudescence d’un discours péjoratif envers les Byzantins et, par extension, d’échanges de plus en plus difficiles entre les deux mondes. Par l’entremise d’une approche culturelle, il fut proposé que l’antagonisme résultait principalement d’un conflit de valeurs mettant en opposition la société féodale et le monde byzantin. Les Byzantins ne répondaient pas aux attentes de fraternité chrétienne des croisés et s’opposaient particulièrement à eux sur des questions d’honneur, de courage et de loyauté; toutes des valeurs qui reflétaient en fait un idéal chevaleresque en pleine évolution. Ainsi, les Grecs étaient perçus comme perfides du fait qu’on les soupçonnait de négocier avec l’ennemi, d’induire en erreur les chefs de la croisade et, surtout, de vouloir contrecarrer l’objectif de l’expédition. Ils étaient également considérés comme efféminés de par leur mollesse et la décadence de leur mode de vie, de même qu’une absence de qualités guerrières. Bref, ce manque de loyauté et cette perception de couardise faisaient d’eux des félons, dont l’image n’était guère favorisée par des usurpations fréquentes du pouvoir et d’autres gestes que les croisés considéraient ignobles.

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Que ces accusations aient été fondées ou non, ou même qu’elles aient été ou non une sorte de “projection inconsciente”[2] de certains tares dont les croisés craignaient être eux-mêmes coupables, il reste que les Latins en étaient convaincus et que plusieurs manifestations de la civilisation byzantine semblaient à leurs yeux les corroborer. Le cérémonial byzantin, perçu surtout dans un contexte diplomatique, nous offre un modèle idéal pour comprendre ces représentations des croisés. Bien qu’empreint de la magnificence et de l’exotisme qui était à la base de la fascination médiévale d’un Orient certes imaginaire, les croisés ont également perçu, voire confondu, dans le cérémonial certains des vices qu’ils attribuaient aux Grecs. Notre étude précédente, en effet, a établi les similitudes entre la représentation des Grecs perfides et efféminés et la représentation du cérémonial byzantin chez les chroniqueurs des croisades. Le cérémonial était un véhicule de la perfidie des Grecs, basé principalement sur l’image négative que les croisés attribuaient à l’empereur et qui était généralisée à l’ensemble des Byzantins. Les chroniqueurs nous mettent particulièrement en garde contre les paroles déloyales et les cadeaux « empoisonnés » de l’empereur[3]. En effet, plus d’un chroniqueur a souligné comment l’amitié que l’empereur manifestait aux seigneurs était incompatible avec ses actions, laissant ainsi planer le doute sur sa sincérité. Les vêtements et tous les accessoires superflus du cérémonial, quant à eux, étaient perçus comme des diversions cherchant à brouiller les véritables enjeux diplomatiques, alors que les cadeaux exprimaient les dangers liés à l’appât du gain, susceptible de faire plier la volonté des croisés à celle de l’empereur[4]. Au même titre que la perfidia, les chroniqueurs ont également signalé l’ignavia qui caractérisait le cérémonial et qui évoquait la décadence des mœurs orientales. Il ne faut guère se surprendre si les nombreux eunuques qui composaient la cour impériale, de même que les vêtements et les ornements flamboyants qui les accompagnaient, ont été perçus comme efféminés par des spectateurs occidentaux. Ce stéréotype, en effet, n’était pas limité aux Byzantins, étant traditionnellement généralisé à la plupart des peuples orientaux.

L’essentiel du mépris − ou du silence − de certains chroniqueurs était toutefois dirigé envers les rituels du cérémonial qui se voulaient humiliants et qui venaient compromettre l’honneur des seigneurs occidentaux qui devaient s’y soumettre. Nous reviendrons amplement sur ce point précis un peu plus loin. Ce qu’il faut retenir de cette réticence face au cérémonial est avant tout la détérioration potentielle des rapports diplomatiques entre Byzantins et croisés au XIIe siècle. Une question évidente se pose: à

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quel point ces deux phénomènes sont-ils liés? Le XIIe siècle, en effet, fut une période de profondes remises en question au sein de la chrétienté, plus encore entre Grecs et Latins, et les événements de 1204 en sont les fâcheux résultats. Les hypothèses cherchant à expliquer cette détérioration abondent: certains y voient des enjeux politiques ou des rivalités économiques, d’autres des querelles religieuses ou des contrastes culturels. Bien que la réponse réside sans doute dans un compromis de l’ensemble de ces théories, c’est avant tout le facteur culturel qui nous intéresse ici: la représentation du cérémonial byzantin par les croisés est-elle un reflet des relations gréco-latines du XIIe siècle? Plus encore, l’attitude négative des croisés et les réactions qu’ils ont eues face au cérémonial ont-elles eu un impact sur leurs rapports avec les Byzantins?

C’est un questionnement certes audacieux, mais qui a le mérite d’être soulevé. Il s’agit en fait de passer de la simple représentation à la réaction qu’a entraîné cette représentation, pour ainsi aller au-delà des significations culturelles du phénomène et aborder leurs conséquences sur les rapports entre Grecs et Latins. Une réaction peut certes se manifester sous différentes formes: elle implique habituellement une action, mais qui n’est pas forcément physique; elle peut donc se limiter à une attitude, une opinion ou même un commentaire qui est basé sur ou qui découle de la représentation en question. Les sources qui nous préoccupent ne nous permettent pas toujours de dégager des réactions aussi nuancées, mais elles nous présentent tout de même des réactions qui sont plus visibles et dont l’impact est plus significatif. Nous partons donc du principe que ces réactions plus visibles, qu’elles aient été positives ou non, ont sans doute influencé le déroulement des rencontres diplomatiques et par conséquent eu un quelconque impact sur l’évolution des relations gréco-latines dans leur ensemble. Il en va de même pour les “contre réactions” des Byzantins, que nous aborderons plus loin, et qui se traduisent par des répliques ou des réponses face aux réactions des croisés et dont les répercussions peuvent également avoir eu un impact sur le processus diplomatique. Mais bien que l’étude de ces renvois diplomatiques entre croisés et Byzantins soit essentielle à notre questionnement, une autre nuance plus subtile et tout aussi importante doit également être abordée: il s’agit de déterminer si les réactions des croisés constituent bien un rejet du cérémonial byzantin ou plutôt un rejet de la politique impériale byzantine. La nuance à ce niveau est bien particulière, bien qu’elle puisse sembler simpliste à la base. En effet, plusieurs s’entendront pour dire qu’en principe des intérêts politiques immédiats viennent habituellement supplanter de simples préoccupations culturelles, de sorte que la détérioration des rapports au XIIe siècle s’expliquerait mieux par des facteurs tangibles que des concepts abstraits de diversité culturelle. Ils ont, à vrai dire, généralement raison. Mais encore faut-il admettre que certaines nuances peuvent venir compliquer une réponse trop hâtive, et c’est précisément dans cette optique que nous abordons la présente étude.

Les sources qui nous concernent comportent certaines limites que nous nous devons d’énumérer ici. Il s’agit en fait de déterminer dans quelle mesure les chroniques des croisades sont en mesure de répondre à notre questionnement. Le principal obstacle concerne avant tout le paradoxe méthodologique qui se pose entre étudier les représentations et dégager ensuite les réactions. En effet, la représentation des Grecs que nous avons établie est celle des chroniqueurs alors que les réactions que nous tentons

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d’étudier sont celles des dirigeants de la croisade. Or, même si ce sont ces mêmes chroniqueurs qui nous relatent les réactions, rien ne nous prouve avec certitude que leur représentation était partagée par leur seigneur respectif. L’historiographie concernant les chroniqueurs de la première croisade le démontre bien, tout comme les études portant sur les croisades subséquentes; entre autres, l’attitude particulière d’Odon de Deuil en contraste avec celle de Louis VII lors la deuxième croisade a déjà été soulevée dans cette optique[5]. Sauf pour Étienne de Blois et Geoffroi de Villehardouin, de même que quelques correspondances limitées, nous ne possédons aucun document écrit directement de la main des seigneurs; Villehardouin, par ailleurs, est le seul seigneur qui nous a fait part de réactions face au cérémonial byzantin. C’est pourquoi il est impératif d’aborder les représentations dans leur sens plus global plutôt qu’individuel, pour ainsi tenter de répondre aux exigences plus générales de notre questionnement qui, rappelons-le, cherche à dégager des tendances qui s’étendent sur un peu plus d’un siècle.

Les principaux récits occidentaux qui nous font part des réactions des dirigeants de la croisade se limitent essentiellement à cinq auteurs: Raoul de Caen, Albert d’Aix, Odon de Deuil, Guillaume de Tyr et Geoffroi de Villehardouin[6]. Ce corpus est certes plus restreint que l’ensemble des sources qui traitent des quatre premières croisades; celles-ci, bien qu’utiles pour dégager les représentations, se montrent plus brèves en ce qui concerne les réactions[7]. Parmi nos cinq principaux

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chroniqueurs, seulement trois sont des témoins oculaires de ce qu’ils racontent: il s’agit d’Odon de Deuil et de Geoffroi de Villehardouin, tandis que Guillaume de Tyr, généralement fiable, ne fut témoin que pour certaines périodes et certains événements seulement. Nos deux seules sources pour la première croisade, Raoul de Caen et Albert d’Aix, ne sont pas des témoins directs, le premier étant arrivé à Antioche en 1107, le second n’étant jamais allé en Orient et ayant basé son récit sur d’autres témoignages à la fois écrits et oraux; nous reviendrons plus loin sur le cas particulier d’Albert. Nous devons évidemment tenir compte des risques d’exagération ou d’embellissements en ce qui concerne les témoignages indirects des réactions des croisés, bien que les récits directs ne soient pas forcément exempts de ce même danger. Une autre considération concerne Guillaume de Tyr, qui représente la perspective du royaume de Jérusalem, où les rapports avec les Byzantins étaient beaucoup plus nuancés. Son attitude se veut par conséquent plus tolérante, si ce n’est qu’il était plus familier avec les mœurs orientales, mais encore verrons-nous qu’une meilleure compréhension du cérémonial byzantin peut impliquer des réactions plus subtiles qui échapperaient à un spectateur étranger et que Guillaume ne négligea pas de nous souligner.

Alors que pour l’étude des représentations il était possible de se contenter uniquement des chroniques occidentales, l’étude des réactions, en contrepartie, exige un éventail de sources plus étendu. Les chroniques byzantines du XIIe siècle se proposent justement de combler les lacunes et les limites que nous imposent les chroniques latines des croisades. Trois principaux auteurs retiennent notre attention: Anne Comnène, Jean Kinnamos et Nicétas Choniatès[8]. Leurs chroniques nous présentent des préoccupations différentes des chroniques occidentales: bien que ces dernières soient généralement plus fidèles aux intentions et aux motivations des croisés, les chroniques byzantines sont celles qui dénoncent le plus souvent les réactions négatives des croisés, du fait que celles-ci manifestaient habituellement un affront à leur culture qui était pour eux à la fois choquant et intolérable. Bien que plus riches en information, ces chroniques se limitent toutefois à une interprétation byzantine des réactions des croisés qui fait souvent place à l’exagération, voire à l’erreur, et qui servait habituellement à illustrer leur propre représentation des Latins, notamment leur arrogance et surtout leur insolence. Mais partiales ou non, ces sources sont les seules dont nous disposons, et

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nous nous proposons de les utiliser de notre mieux dans le cadre de notre étude. Par ailleurs, nous pouvons nuancer le biais des chroniqueurs byzantins sous le principe qu’ils n’auraient pas eu intérêt à inventer de toute pièce ce qui cherchait justement à ridiculiser leur culture et le prestige de leur empire. Enfin, les chroniques byzantines nous offrent un avantage de comparaison avec les sources occidentales, pour ainsi trancher sur les incongruences dans les récits et, par extension, mieux saisir l’impact des réactions sur les relations gréco-latines.

 

I. Réactions positives au cérémonial byzantin:

 

Notre étude précédente nous a démontré comment la représentation des Grecs, et par extension celle du cérémonial byzantin, pouvait être ambiguë chez les chroniqueurs des croisades. Les représentations négatives sont généralement plus apparentes dans les récits, du fait que les chroniqueurs s’acharnaient davantage à décrire ce qui leur semblait inusité, et ceci surtout dans le contexte des tensions diplomatiques avec les Byzantins; le cérémonial était perçu comme un élément perturbateur dans les négociations avec les Grecs et était décrit en tant que tel en ce qui concerne les représentations. En contrepartie, les représentations “plus positives” du cérémonial sont tout aussi nombreuses dans les chroniques, quoique plus discrètes. Plus d’un chroniqueur, en effet, a résumé une audience diplomatique en quelques mots seulement, se limitant simplement à mentionner que les seigneurs avaient été reçus « de façon honorable » par le basileus[9]. L’adverbe honorabiliter était évidemment employé pour signifier que les seigneurs avaient été reçus selon la dignité de leur rang et de leur naissance, ou du moins qu’on avait respecté les marques de courtoisie à leur égard; le cérémonial byzantin, avec sa largesse et son système de préséances bien fixé, aurait certes bien véhiculé une telle impression[10].

À première vue, cette impression suggère une représentation positive du cérémonial, ou du moins une reconnaissance de la libéralité des Byzantins. En revanche, certains facteurs nous demandent de nuancer cette conclusion hâtive. D’abord, la majorité des chroniqueurs du XIIe siècle reconnaissaient la dignité de l’institution impériale, qui était à la fois ancestrale et fermement enracinée dans les mentalités médiévales[11]; ceci aurait eu pour effet de nuancer, voire éclipser, toute représentation

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négative du cérémonial, sans toutefois insinuer une représentation positive. Parallèlement, les chroniqueurs médiévaux évitaient habituellement de décrire ce qui n’avait pas une incidence directe pour la compréhension de leur récit, de sorte qu’une description aussi brève exprimerait une simple reconnaissance des normes de courtoisie médiévale, sans forcément s’attarder aux aspects plus négatifs de leur représentation du cérémonial. Par ailleurs, peu de chroniqueurs ont été des témoins directs d’une audience impériale, de sorte qu’il soit possible qu’ils aient comblé leur manque d’information par des tournures littéraires fréquemment employées dans les récits médiévaux; encore une fois, nous ne pouvons garantir ici une représentation positive du cérémonial. Bref, ces chroniqueurs qui se montrent plus réservés dans leur description du cérémonial n’expriment pas forcément une approbation du cérémonial. En contrepartie, leur brièveté est tout aussi manifeste en ce qui concerne les réactions, suggérant un désintérêt plutôt général pour ces aspects normatifs du processus diplomatique.

Il nous est toutefois possible de constater des réactions positives dans certains récits de la croisade, sans que cela ne soit explicitement signalé par les chroniqueurs. Étienne de Blois, par exemple, exprime dans ses lettres à son épouse Adèle de Normandie une disposition fort favorable aux Byzantins, en particulier à Alexis Ier Comnène qui lui prodigua plusieurs libéralités et fit preuve de grande magnificence à son égard[12]. Le témoignage d’Étienne de Blois est en fait un des seuls parmi tous les récits du XIIe siècle à ne faire aucune allusion quelle qu’elle soit à la perfidie des Grecs[13]. Le fait que la rédaction des lettres soit contemporaine aux événements racontés ne doit guère nous surprendre à ce niveau; la plupart des récits de la première croisade ont été rédigés, du moins dans leur forme finale, après la prise de Jérusalem, donc à la lumière de la rivalité entre Grecs et Latins suscitée par la question d’Antioche et le rôle des Byzantins dans l’expédition[14]. Quoi qu’il en soit, les récits de la première croisade

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s’accordent tous sur les bons rapports entre Étienne et Alexis, et ceci jusqu’à leur rencontre à Philomélion en juin 1098. Ceci constitue en soi une réaction, évidemment favorable, suscitée sans doute par les résultats positifs de la rencontre entre Étienne et Alexis à Constantinople et où le cérémonial a joué un rôle important dans le succès des négociations[15].

Voilà en somme pourquoi nous devons parfois interpréter, malgré le silence des chroniqueurs, des réactions positives au cérémonial byzantin; il est plus courant, en effet, de signaler les discordes plutôt que les éléments ayant peu de conséquence à l’intérêt du récit. Certains aspects du cérémonial byzantin, par ailleurs, concordaient bien avec les attentes des croisés, notamment leur représentation du souverain et l’hospitalité dont ils espéraient de lui. Or, les seigneurs de la croisade n’ont pu faire autrement que de réagir favorablement aux éléments qui concordaient avec les mentalités occidentales de l’époque. Ainsi, la générosité de l’empereur suscitait la faveur des seigneurs et contribuait à son prestige et à sa puissance, voire à l’idéal du  souverain médiéval[16]. L’octroi des cadeaux avait également un rôle important dans le processus diplomatique, de même qu’une fonction symbolique dans le contexte cérémoniel: l’échange de dons servait à sceller les ententes conclues pendant l’audience et représentait le lien qui avait été créé entre les deux partis. Bien que perçus par certains comme une façon de soudoyer et compromettre la volonté des seigneurs, les cadeaux ont dans l’ensemble favorisé les relations entre croisés et Byzantins et ont contribué au prestige de l’autorité impériale.

Tout aussi prisée était l’hospitalité de l’empereur, notamment la pompe qu’il étalait à ses invités, les banquets auxquels il les conviait, de même que les somptueux logements qu’il leur accordait − du moins pour ceux qui étaient invités à séjourner dans la capitale. Malgré le caractère hautement cérémoniel des banquets et la complexité des préséances qui les composait, les Occidentaux y retrouvaient tout de même des références culturelles partagées par l’ensemble du monde médiéval, y compris l’Islam: entre autres des valeurs de partage et d’hospitalité, mais également une évocation du

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repas-sacrifice rituel, de tradition clairement judéo-chrétienne[17]. Comme le don, l’hospitalité de l’empereur servait de “pont culturel”, créait des liens solides avec les croisés et, par conséquent, suscitait chez eux des réactions forcément positives. Odon de Deuil, l’un des détracteurs les plus virulents des Grecs, avoue justement avoir été charmé par les banquets organisés par Manuel Ier Comnène pour Louis VII, une réaction positive en soi, bien qu’il y soupçonnait une perfidie quelconque[18]. En fait, les liens engendrés par le rituel du festin étaient quasi-sacrés, ce qui explique pourquoi certains rois et seigneurs de la croisade ont si mal réagi lorsqu’ils ont plus tard soupçonné une trahison de l’empereur; dans leur optique, un tel geste transgressait un aspect important de la morale chrétienne médiévale[19]. Selon Anne Comnène, Bohémond de Tarente était suffisamment méfiant des intentions d’Alexis en 1097 pour remettre en question cette convention médiévale en soupçonnant que l’empereur avait empoisonné la nourriture qu’il lui avait envoyée. La crainte s’avéra fausse, toutefois, et Bohémond n’aurait par la suite pas dédaigné de prêter un serment à l’empereur, supposément avec beaucoup d’empressement[20]. Bref, malgré les intentions sans doute politiques de Bohémond, nous ne pouvons négliger l’importance de l’hospitalité et des dons dans les liens établis alors entre celui-ci et Alexis, surtout à la lumière de leurs conflits précédents.

 

 

II. Réactions négatives au cérémonial byzantin:

 

Les réactions négatives, nous l’avons évoqué, sont plus apparentes dans les chroniques des croisades. Qu’il y ait eu des réactions négatives face au cérémonial n’est guère surprenant, surtout à la lumière des divergences culturelles entre l’Orient et l’Occident chrétiens au XIIe siècle. À ce niveau, les chroniqueurs ont su passer outre l’émerveillement initial engendré par le cérémonial pour faire ressortir les éléments qui

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leur paraissaient inhabituels et qui venaient, par extension, perturber les rapports diplomatiques entre les croisés et les Byzantins. Dans certains cas, ils ont même établi une corrélation entre le cérémonial et leur représentation des Grecs, en y percevant notamment des indices d’artifices et de décadence de leur civilisation. Mais c’est avant tout le caractère rigoureux, parfois même humiliant, du cérémonial qui a engendré le plus de réactions négatives de la part des croisés. Dans certains cas, une mauvaise interprétation de certains rituels peut expliquer l’indignation des dirigeants de la croisade; les croisés n’étaient point des diplomates et, tout comme la majorité des étrangers qui se rendaient à la cour byzantine, ils n’étaient pas en mesure de comprendre la portée symbolique du cérémonial, ni ses subtilités. Mais les rituels que les croisés étaient en mesure de comprendre, notamment ceux qui venaient compromettre leur honneur et leur fierté, ont forcément suscité leur indignation, ce qui à son tour a eu un impact sur les rapports diplomatiques.

La sévérité du cérémonial posa évidemment un obstacle. Le protocole impérial était particulièrement rigoureux et offrait un contraste avec les manières plus décontractées des cours occidentales de l’époque. Il était interdit, par exemple, de parler en présence de l’empereur, sauf si on était invité à le faire. Il était tout aussi interdit de s’adresser directement à l’empereur, de sorte que le dialogue devait se faire par l’entremise d’un interprète, et ceci même si les deux interlocuteurs parlaient la même langue. Qui plus est, tous devaient demeurer debout en présence de l’empereur, ce dernier étant le seul, sauf pour quelques exceptions, qui pouvait s’asseoir[21]. Les seigneurs d’Occident, et même les rois, étaient évidemment peu accoutumés à un tel protocole, qu’ils considéraient démesuré[22]. Le rituel de proskynesis est toutefois celui qui suscita le plus de mépris. Celui-ci consistait à se prosterner de tout son long sur le sol, et ceci à trois reprises, en guise d’obéissance à l’empereur; il était également coutume de baiser les pieds et les genoux du basileus, selon le cas[23]. Les chefs croisés ont protesté plus d’une fois, parfois véhémentement, contre ces rites d’adoration

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humiliants qui venaient compromettre leur honneur et leur fierté[24]. Jumelé au fait que certains empereurs ont exigé un serment des seigneurs, considéré comme honteux par plusieurs chroniqueurs, les réactions des croisés n’étaient guère destinées à être positives. Bref, selon l’idée que les Grecs étaient déloyaux, paresseux et sans honneur, l’idée de se soumettre à de tels rituels venait compromettre l’honneur des croisés eux-mêmes. Les chroniqueurs, en effet, se montrent plutôt critiques envers les seigneurs qui se sont soumis aux conditions des Byzantins, malgré que les motivations de ces derniers étaient sans doute conditionnées par des besoins plus urgents que de simples questions d’orgueil[25].

Les réactions négatives qu’ont engendrées ces aspects du cérémonial se sont manifestées sous différentes formes, mais le plus souvent elles se traduisaient par des affronts au cérémonial; devant l’impuissance qu’imposaient les circonstances, cette forme de réaction est devenue le seul recours de certains dirigeants pour manifester leur rejet des prétentions impériales et des valeurs byzantines. Cette dissidence, nous le verrons, était parfois très rusée, au point que certains rois et seigneurs ont su “contre utiliser” le cérémonial à leur avantage; ceux-ci avaient clairement compris l’ampleur du cérémonial et l’importance que lui accordaient les Byzantins. Nous pouvons catégoriser les réactions des croisés sous trois formes: le contournement du cérémonial, les comportements insolents et les transgressions directes du protocole. Nous nous proposons d’aborder ces trois aspects séparément, en se limitant aux exemples qui illustrent le mieux notre propos.

 

a) Contournement du cérémonial:

 

Une des réactions les plus fréquentes, de par sa simplicité et sa subtilité, était simplement d’éviter de rencontrer l’empereur et ainsi être dispensé de toutes les formalités diplomatiques et cérémonielles. Or, le cérémonial était indissociable de l’empereur; puisque les seigneurs doutaient de la loyauté de l’empereur, le cérémonial devenait un instrument de sa perfidie. C’est avant tout la sincérité des paroles mielleuses, des rituels d’adoption et des cadeaux qui était mise en doute. En contournant tous ces éléments, les seigneurs s’assuraient de ne pas être malgré eux des victimes des machinations des Grecs, donc ne courraient pas le risque de compromettre leur honneur. Les exemples de ce type de réaction sont nombreux, surtout en ce qui a trait à la première croisade, bien qu’il soit parfois nécessaire de leur porter un œil critique.

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L’épisode de Godefroi de Bouillon en 1096, qui nous est en grande partie relaté par Albert d’Aix, nous propose un cas particulier. Étant à la tête de la première véritable armée qui rejoint Constantinople, Godefroi nous présente un aperçu des relations qui caractérisèrent les Grecs et Latins pendant tout le XIIe siècle, notamment une méfiance et une incompréhension quasi-chroniques de l’Autre. Suite à quelques mises en garde faites aux croisés sur les manières perfides d’Alexis, Godefroi refusa les invitations répétées de l’empereur de venir à sa rencontre. Selon Albert, certains détracteurs implorèrent Godefroi de demeurer à l’abri des “paroles trompeuses” et des “vêtements empoisonnés” de l’empereur[26]. Il s’agit évidemment d’une référence aux pompes et aux magnificences qui entouraient le basileus et qui étaient destinées à distraire, voire à intimider, les seigneurs. Le fait qu’Albert ait choisi de dénoncer ces éléments précis du cérémonial est particulier, si ce n’est qu’il nous paraît plus logique d’attribuer la décision de Godefroi à une crainte de devoir prêter un serment de vassalité à l’empereur, plutôt qu’uniquement à des considérations de perfidie dans le cérémonial[27]. Il est possible que l’interprétation d’Albert découlât d’un manque d’information qu’il aurait tenté de combler par un scénario qu’il considérait plausible; au niveau des mentalités, ceci nous en dit long sur l’opinion qu’on avait du cérémonial byzantin à l’époque. Mais quoi que peuvent avoir été les véritables motivations de Godefroi, les deux interprétations associent tout de même la crainte d’une audience avec l’empereur à des éléments du cérémonial. Le cérémonial, soit au niveau rituel ou visuel, était perçu comme suffisamment menaçant pour inciter Godefroi à contourner tout le processus diplomatique. Cette réaction face au cérémonial eût forcément des conséquences négatives, d’autant plus que ce délai suscita la méfiance d’Alexis quant aux intentions des croisés. Ce n’est que lorsque les tensions entre les deux camps dégénérèrent en conflit armé que Godefroi se plia aux exigences de l’empereur. Il faut croire d’ailleurs que les craintes initiales de Godefroi avaient été en quelque sorte

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justifiées, si ce n’est qu’il bénéficia de tous les attraits du cérémonial (cadeaux, banquets, etc.), pour finalement prêter le serment requis[28].

Godefroi ne fut pas le seul à craindre le caractère incitatif du cérémonial, particulièrement sur la question du serment exigé par Alexis. Raymond de Saint-Gilles et Bohémond de Tarente manifestèrent eux aussi une réticence plus ou moins marquée à rencontrer Alexis. Tancrède de Hauteville, toutefois, se serait montré le plus audacieux dans sa tentative de contourner le cérémonial: pour éviter Alexis, le neveu de Bohémond se serait déguisé en simple piéton et aurait traversé le Bosphore avec ses hommes à l’insu des autorités byzantines. Selon Raoul de Caen, Tancrède “avait en horreur l’amitié perfide des Grecs, autant que l’épervier redoute les filets, ou le poisson l’hameçon; aussi, dédaignant les présens du roi, avait-il résolu de fuir même sa présence.”[29] La crainte de devoir prêter un serment à Alexis est encore une fois en cause ici, mais tout comme Albert d’Aix, Raoul retient le prétexte des éléments incitatifs du cérémonial. Le fait que les récits d’Albert et de Raoul sont indépendants l’un de l’autre souligne davantage l’importance que les chroniqueurs attribuaient au cérémonial dans les échecs diplomatiques des croisés avec les Byzantins. Ainsi, les cadeaux étaient perçus comme un appât qu’il fallait redouter, tout comme les autres flatteries qui risquaient de les prendre au piège. L’allusion au timeo Danaos et dona ferentes de Virgile est manifeste dans cet exemple, selon l’idée bien admise au Moyen Âge que l’antique ville de Troie avait été conquise par la perfidie dissimulée dans les cadeaux des Grecs[30]. Malgré les craintes des croisés, la volonté impériale devait tout de même persévérer: après la prise de Nicée, Tancrède fut finalement contraint de rencontrer Alexis et de lui prêter serment, comme quoi à la fin on ne pouvait échapper à “l’hameçon” de la diplomatie byzantine.

Les croisades subséquentes présentent un contexte différent en ce qui a trait au contournement du cérémonial. Les rois et les empereurs occidentaux qui passèrent par Constantinople ont forcément perçus différemment le cérémonial et la diplomatie des Byzantins. Après un demi siècle de contacts avec Byzance, les Latins étaient plus en mesure d’anticiper leurs rapports avec les Grecs. De plus, la présence de souverains occidentaux à Constantinople rendait la situation plus délicate en matière de cérémonial. Par exemple, les Hohenstaufen, tout comme leurs prédécesseurs ottoniens, étaient moins en mesure d’être irrités par le protocole byzantin, si ce n’est qu’ils aspiraient à un

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cérémonial aussi élaboré à leur propre cour. Par contre, le cérémonial byzantin leur était tout aussi insupportable du fait qu’il menaçait leurs propres prétentions impériales. En effet, les empereurs germaniques et byzantins se disputaient depuis plusieurs siècles l’exclusivité du titre impérial et Jean Kinnamos nous démontre que le débat était encore bien vivant lorsque Conrad III campait sous les murs de Constantinople en 1147[31]. Dans ce contexte, le cérémonial servait justement d’instrument pour justifier les prétentions de l’un envers l’autre. C’est pourquoi Conrad refusa l’invitation de Manuel de venir à sa rencontre dans la ville et proposa plutôt au basileus de se présenter à lui à l’extérieur de la ville[32]. La demande allait évidemment à l’encontre du protocole byzantin, qui stipulait qu’on se déplaçait vers l’empereur et non le contraire. Par ailleurs, le palais offrait au basileus un avantage coercitif sur son homologue allemand, un détail qui n’aurait pas échappé à ce dernier et qui reflète bien les craintes exprimées précédemment par Albert d’Aix et Raoul de Caen. Manuel rejeta évidemment la proposition de Conrad sous prétexte qu’elle n’était pas digne de son office, alors que Conrad refusait de changer d’avis, selon le principe que son déplacement aurait symbolisé la déférence de l’inférieur vers le supérieur[33]. Faute de trouver un compromis, Conrad traversa finalement le Bosphore sans rencontrer Manuel, comme quoi le cérémonial était dans ce cas précis devenu un obstacle au bon déroulement du processus diplomatique[34]. Tout comme Tancrède, la réussite de Conrad fut cependant de courte durée: suite à la défaite de son armée, malade et épuisé, l’empereur dut séjourner pendant quelques mois à Constantinople, où il aurait bénéficié d’une réception splendide[35].

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Enfin, la troisième croisade ne nous présente un scénario guère différent. Richard Cœur-de-Lion et Philippe Auguste ont favorisé les voies maritimes pour se rendre en Terre Sainte, évitant ainsi les embûches que leurs prédécesseurs avaient subi à Constantinople[36]. Frédéric Barberousse, quant à lui, emprunta la route terrestre malgré ses relations particulièrement tendues avec Isaac II Ange. La diplomatie byzantine n’était pas inconnue de Barberousse, si ce n’est qu’il avait lui aussi séjourné à Constantinople avec son oncle, Conrad III, en 1149. Ses rapports avec les Byzantins s’étaient toutefois détériorés au point où une rencontre avec Isaac devenait impossible autant d’un point de vue idéologique que politique; Frédéric se contenta donc de communiquer avec son homologue par l’entremise d’ambassadeurs. La méfiance et la discorde, par ailleurs, compliquèrent considérablement les négociations[37]. Sauf pour la quatrième croisade, dont le contexte et les motivations étaient bien particuliers, les croisades du XIIe siècle n’ont fait qu’alimenter l’idée que les Byzantins représentaient un obstacle à l’itinéraire des croisés vers Jérusalem, de même qu’à l’ensemble des objectifs des chrétiens en Terre sainte. De plus, l’explosion de violence entre Grecs et marchands latins qui marqua le dernier quart du XIIe siècle se culmina aux échecs diplomatiques des croisades précédentes, de sorte que les participants de la troisième croisade ont hésité d’emprunter la route traditionnelle qui passait par Constantinople. Contourner Constantinople, c’était éviter la diplomatie, des négociations souvent difficiles avec les Grecs et une trahison potentielle de leur part; l’alternative du transport maritime, plus coûteuse mais plus rapide et moins dangereuse, devenait alors fort intéressante.

 

b) “Insolence” des croisés:

 

Le contournement du cérémonial se voulait une manière plutôt passive de surmonter les obstacles diplomatiques du fait qu’elle évitait la confrontation. Certains seigneurs ont par contre préféré une approche plus directe pour défier l’empereur. Habituellement, cette « insolence » s’est manifestée par une volonté de se montrer comme l’égal du basileus, ou encore d’insulter son autorité. Les chroniques latines, qui auraient eu tout intérêt à rapporter ces affronts pour souligner la fierté des croisés face à l’empereur, sont pourtant plus discrètes à ce niveau que les chroniques byzantines[38].

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L’insolence des croisés dans un contexte cérémoniel est fréquemment dénoncée par les chroniqueurs grecs dans le but d’illustrer par des exemples leur propre représentation des Latins, notamment leur arrogance, leur versatilité et leur cupidité. La crédibilité des récits byzantins doit forcément être soulevée à ce niveau, particulièrement lorsque les chroniques latines ne nous permettent pas de corroborer les faits rapportés. Ceci ne constitue pas forcément un obstacle à notre analyse, si ce n’est que même les faux témoignages nous informent sur les mentalités; dans ce cas-ci, la représentation byzantine des réactions des croisés, ou du moins une constatation de l’attitude générale des croisés face au cérémonial illustrée par des exemples plus ou moins exagérés. Tel que mentionné plus haut, toutefois, il nous paraît peu probable que les chroniqueurs byzantins aient pu inventer de toute pièce ces affronts qui tournaient au ridicule l’autorité impériale. Tout au plus, il faut dénoncer les exagérations possibles du récit et, si possible, formuler des interprétations.

L’exemple sans doute le plus connu et le plus cité nous provient d’Anne Comnène et concerne l’arrivée de Hughes de Vermandois en 1096. Selon elle, le frère du roi de France aurait annoncé son arrivée à Alexis par un message dont elle fournit un extrait:

 

“Sache, basileus, […] que je suis le basileus des basileis, le plus grand de ceux qui vivent sous les cieux. Aussi, dès mon arrivée, convient-il que l’on vienne à ma rencontre et que l’on m’accueille avec une pompe digne de ma haute naissance.”[39]

 

Cet extrait a souvent été critiqué et avec raison. Sachant qu’Anne bénéficiait de sources d’information nombreuses et variées lors de la rédaction de son ouvrage, il nous paraît inutile de douter de l’authenticité de la lettre, ni du fait qu’elle y aurait eu accès par un intermédiaire quelconque pour la consulter[40]. En contrepartie, Hughes n’aurait certainement pas employé le titre de βασιλεὺς τῶν βασιλέων pour se désigner, mais aurait plutôt préféré une formule telle que Hugo, filius et frater regum Franciae, comme il était coutume en Occident[41]. Lors de la rédaction de son récit vers 1148, Anne était

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clairement en mesure de faire la distinction entre ces deux formules, ce qui exclut la possibilité d’une mauvaise traduction de sa part. Comment donc interpréter ce passage? Que Hughes ait été hautain dans son adresse n’est sans doute pas impossible, tout comme il est fort probable qu’Anne ait déformé, sinon exagéré, le passage en question. Faute de pouvoir consulter la lettre originale, le véritable intérêt du passage provient donc de l’emploi récurent du cérémonial comme un prétexte pour expliquer les tensions diplomatiques alors en cause, et ceci autant de la part des chroniqueurs grecs que latins. Ainsi, Anne aurait exagéré l’importance que s’attribuait Hughes, sans doute pour accentuer son humiliation lorsqu’il arriva à Durazzo avec quelques hommes seulement, le restant de sa flotte ayant péri dans un naufrage. Anne se moque d’autant plus de la requête de Hughes du fait qu’Alexis lui aurait finalement accordé une réception honorable malgré son piètre état. Bref, peu importe le véritable contenu du message de Hughes de Vermandois, l’indice du cérémonial nous paraît encore une fois comme un enjeu fort important dans le processus diplomatique, ou du moins comme un prétexte valable pour exprimer les prétentions des partis concernés; dans ce cas-ci, dénoncer l’insolence que les Byzantins percevaient chez les Latins[42].

Un autre aspect de la perception byzantine d’insolence chez les croisés provient de leur crainte d’être humiliés par le cérémonial. Les Normands et les Allemands étaient généralement plus susceptibles de craindre les rituels byzantins du fait qu’ils étaient plus en mesure de comprendre les subtilités du cérémonial. Le résultat fut une attitude généralement provocatrice à l’égard de l’empereur, se traduisant parfois par des tentatives de “contre utiliser” le cérémonial pour faire valoir ses propres prétentions. Ces revendications ont été interprétées par les chroniqueurs byzantins comme “insolentes”, qu’ils dénoncent par la suite dans leurs récits. Anne Comnène nous rapporte, par exemple, les exigences que Bohémond de Tarente aurait fait à Alexis suite à l’échec du siège de Durazzo en 1108. L’armée normande étant alors trop affaiblie pour affronter les Byzantins, l’empereur avait proposé à Bohémond de venir à lui pour faire la paix. Pour Bohémond, consentir à une telle invitation signifiait non seulement la perte de souveraineté de la principauté d’Antioche, mais également une humiliation importante pour l’ensemble des Normands. Bohémond se résigna donc à concéder la première perte, mais non la deuxième; il accepta de rencontrer l’empereur, mais seulement sous certaines conditions qui ne porteraient pas atteinte à sa fierté. Selon Anne, il dicta ses demandes aux ambassadeurs byzantins selon l’arrogance “innée” des Normands:

 

“Je vous demande de me donner la pleine assurance que je serai reçu avec égard par l’autocrator; à six stades de distance, les plus proches de ses parents par le sang viendront à ma rencontre et, lorsque je serai arrivé à la tente impériale, au moment d’en franchir les portes, le basileus lui-

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même se lèvera du trône impérial pour m’accueillir avec honneur, sans la moindre allusion à nos traités antérieurs et sans faire aucunement mon procès; mais j’aurai pleine liberté de dire, comme je voudrai, tout ce que je voudrai. En outre, le basileus me prendra par la main et me mettra à la place d’honneur; j’entrerai avec deux chevaliers, sans nullement fléchir le genou ou incliner la tête devant l’autocrator en signe d’adoration.”[43]

 

À la lumière des relations particulières entre Alexis et Bohémond, de même que du caractère souvent provocateur de ce dernier, la vraisemblance de ce passage ne saurait être contestée. La requête de Bohémond concernait précisément les aspects du cérémonial qui risquaient de compromettre son honneur, notamment l’exemption de la proskynesis, la liberté de parole et la permission de s’asseoir. Bohémond était sans doute conscient de l’audace de sa demande, alors que du côté byzantin on dénonçait l’arrogance du Normand qui se croyait en mesure de se soustraire à l’ordre et la discipline de l’autorité impériale. Alexis consentit tout de même à certaines demandes, sans doute par souci de diplomatie, mais exclut toute concession sur la proskynesis et refusa également de se lever de son trône à l’arrivée de Bohémond; l’idéologie impériale était immuable sur ces points. Ces concessions constituaient tout de même de grandes marques d’honneur à l’égard du Normand, et celui-ci le savait très bien. Il faut en fait y voir un geste calculé de Bohémond, celui-ci ayant sans doute eu la ferme conviction d’avoir montré un peu d’humilité à Alexis tout en défendant ses propres revendications. Le cérémonial constituait donc à la base l’élément qui aurait pu faire échouer la diplomatie, mais qui à la fin avait eu le potentiel de la faire réussir. Chaque parti y trouva son compte: Alexis avait la satisfaction d’avoir mis un terme définitif aux ambitions de Bohémond en Orient, tandis que ce dernier fut gratifié du titre de sébaste et d’une forte somme d’argent[44].

Ces tentatives de défier le cérémonial avaient clairement pour objectif de rétablir un certain équilibre dans les rapports de force entre les croisés et l’empereur, un atout certes important dans leurs négociations avec lui. La provocation fut toutefois poussée à l’extrême lorsque certains croisés tentèrent de se mesurer comme l’égal de l’empereur. Raoul de Caen nous offre un exemple suite à l’échec de Tancrède de contourner le cérémonial. Cherchant à obtenir de lui un serment, Alexis aurait invité le Normand à lui demander tout ce qu’il voulait, croyant que celui-ci réclamerait comme

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ses prédécesseurs de l’or ou d’autres objets précieux. Selon Raoul, Tancrède aurait toutefois demandé ce qu’il savait être impossible, soit la tente impériale, un pavillon immense qui frappait l’imaginaire de par son ouvrage et qui était la fierté de l’empereur. Alexis se montra évidemment fort offensé par l’arrogance de Tancrède, qui se croyait digne de posséder un tel emblème de pouvoir, comparable même aux insignes impériaux. L’empereur aurait renvoyé Tancrède en déclarant qu’il ne le voulait ni pour ennemi, ni pour ami, ce à quoi ce dernier aurait répondu qu’il voulait Alexis pour ennemi, et non pour ami[45]. La crédibilité de Raoul sur cet événement est fort discutable, si ce n’est que le passage a été écrit à la lumière du conflit subséquent entre Alexis et les Normands concernant Antioche, donc à un moment particulièrement sensible pour la fierté des Latins et leurs revendications face aux Byzantins. L’audace de Tancrède doit par conséquent être mesurée selon que le récit propose un panégyrique du futur prince d’Antioche[46]. Mais encore la simple représentation de Raoul sur le déroulement de l’audience illustre clairement l’importance pour les croisés de se mesurer au cérémonial, puisque celui-ci constituait un élément crucial dans la balance diplomatique, susceptible d’influencer ultimement les négociations et les accords conclus.

Quoique partiale, cette disposition présomptueuse au cérémonial byzantin n’est guère limitée à Raoul de Caen, mais est également dénoncée dans les sources byzantines par de nombreux autres exemples. Entre autres, Jean Kinnamos signale la requête arrogante de Conrad III à Manuel Comnène, qui commandait que le dromon impérial soit mis à la disposition des Allemands pour traverser le Bosphore. Or, tout comme la tente d’Alexis, le navire impérial constituait un emblème du pouvoir, de sorte que la requête insinuait une insulte à l’autorité impériale. La réponse du basileus évoque à quel point cette insolence risquait de faire escalader les tensions entre les croisés et les Byzantins:

 

“Ne sais-tu pas que tu es comme un moineau entre nos mains? Et que, si nous le voulions, tu périrais à l’instant? Réfléchis que les ancêtres des gens qui habitent ce pays ont porté leurs armes sur la terre entière, et qu’ils ont commandé à vous aussi bien qu’à toutes les autres nations sous le soleil. Il faut aussi que tu te rendes compte que tu n’embarqueras pas sur le navire impérial et que nous ne plierons à aucune de tes exigences: les pieds de tes chevaux devront, au retour, fouler le chemin par lequel tu es venu.”[47]

 

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Malgré l’offense commise, l’incident n’engendra pas à la fin de conséquences fâcheuses entre Manuel et Conrad. Comme il était souvent le cas dans de pareilles situations, les Byzantins s’indignaient de l’insolence des croisés, mais ne passaient que rarement à l’acte. Un exemple en particulier nous est relaté à la fois par les chroniqueurs latins et byzantins. Il s’agit d’une ambassade qu’Henri VI envoya au basileus Alexis III en 1196 et qui concernait justement le passage éventuel des troupes allemandes par Constantinople pour la croisade qui se préparait. Le continuateur de Guillaume de Tyr rapporte qu’Alexis aurait rehaussé son palais avec de grands et somptueux décors dans le but de vanter ses richesses aux ambassadeurs allemands. Lors de l’audience, le basileus aurait présomptueusement demandé aux envoyés si leur propre empereur avait autant de richesses dans son palais. Ce à quoi les ambassadeurs allemands auraient répondu que leur empereur avait beaucoup plus de richesses, car sa fortune se mesurait par l’admiration et le respect de ses sujets, de même que des territoires plus étendus[48]. Nicétas Choniatès, dans sa version, amplifie davantage l’insolence des Latins: ceux-ci auraient dénoncé tout l’attirail de la cour impériale, considérant que les somptueux costumes et autres parures du corps étaient dignes d’être portés par des femmes plutôt que des hommes. Pour intimider les Byzantins, ils leur auraient ensuite suggéré de préférer le fer aux dorures, selon que les Grecs étaient efféminés et peu enclin à faire la guerre[49]. Malgré sa colère, Alexis ne pouvait se permettre un conflit avec l’empereur germanique, de sorte qu’il n’y eût aucune représailles à l’outrage commis par les ambassadeurs. Les considérations diplomatiques l’emportèrent sur l’insulte immédiate à l’autorité impériale, l’alternative de la guerre étant fort plus coûteuse que la satisfaction de venger l’affront de quelques ambassadeurs.

Quelles étaient les motivations des croisés en provoquant ainsi les Byzantins? Qu’espéraient-ils en retirer, si ce n’est que la satisfaction d’avoir montré un peu d’humilité aux Grecs, et ceci au péril des intérêts diplomatiques de chaque parti, voire même de leur propre vie? Les exemples précédents suggèrent qu’ils pouvaient se permettre de tels affronts lorsque les circonstances étaient à leur avantage, le contraire étant également vrai pour les Byzantins lorsqu’ils étaient en position de force. Le cérémonial devenait en quelque sorte un manège, une équation subtile dans la balance

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des pouvoirs en défendant des prétentions qui seraient autrement demeurées muettes. Il y avait toutefois des risques à adopter une telle politique, comme le souligne Geoffroi de Villehardouin dans son témoignage du fameux discours de Conon de Béthume à l’intention d’Alexis IV en 1203. Conon, un chevalier reconnu pour son éloquence, lui aurait audacieusement annoncé lors d’une audience que s’il ne tenait pas ses conventions envers les croisés, ceux-ci ne le considérerait ni pour seigneur ni pour ami, ajoutant ensuite une allégation à la perfidie des Grecs en soulignant que les Latins eux-mêmes n’avaient pas coutume d’agir traîtreusement.[50] Le sous-entendu moral est clair ici, de même que l’allusion à la perfidie des Grecs. Les croisés pouvaient certes se permettre cet ultimatum, si ce ne que l’armée qui allait ultimement prendre d’assaut la ville campait sous ses murs. Selon Villehardouin, toutefois:

 

“Les Grecs tinrent à bien grande merveille et grand outrage ce défi, et ils dirent que jamais nul n’avait été si hardi qu’il osât défier l’empereur de Constantinople en sa chambre même. L’empereur Alexis fit aux messagers très mauvais visage, et tous les Grecs qui maintes fois le leur avaient fait bien beau. Le bruit fut très grand par le palais; et les messagers s’en retournent, et viennent à la porte et montent sur leurs chevaux. Quand ils furent hors de la porte, il n’y en eut pas un qui ne fût très joyeux; et ce ne fut pas grande merveille, car ils étaient échappées de très grand péril, parce qu’il tint à bien peu qu’ils ne fussent tous tués ou pris.”[51]

 

De toute évidence, cet outrage frôlait les limites de l’audace que les croisés pouvaient se permettre, et ceci même lorsque les circonstances leur étaient favorables; comme quoi les affronts des croisés n’étaient pas toujours sans conséquence, une riposte de la part des Byzantins étant toujours possible. Mais encore les affronts des croisés se limitaient à des paroles et des insultes; l’analyse de réactions plus concrètes nous permettra justement de déterminer jusqu’où l’enjeu du cérémonial a pu influencer les rapports entre Grecs et Latins au XIIe siècle.

 

c) Transgression du protocole:

 

La dernière forme de réaction concerne les transgressions du protocole, donc les réactions face à des rituels plus précis du cérémonial. Selon le principe où l’action a plus de portée que la parole, certains croisés ont préféré cette approche plutôt que de se

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limiter à simplement éviter le cérémonial ou encore se montrer insolent. L’ambiguïté de cette réaction avait par ailleurs une portée particulière: il était possible de feindre l’ignorance pour expliquer la transgression commise, si ce n’est que pour narguer les Byzantins sans risquer des répercussions directes. Une question s’impose alors: les croisés connaissaient-ils suffisamment les subtilités du cérémonial pour être pleinement conscients de la portée de leurs gestes? Il s’agit, en effet, de distinguer les transgressions volontaires du protocole des incidents légitimes liés à une mauvaise compréhension des subtilités symboliques en jeu. À première vue, la dernière alternative nous paraît plausible en raison de la compréhension limitée que les croisés pouvaient avoir des coutumes byzantines. Par contre, l’ignorance ne saurait être la seule explication dans tous les cas, si ce n’est que les chroniqueurs ont généralement dénoncé des transgressions portant sur des éléments plutôt superficiels du cérémonial et non sur des rituels bien subtils qui auraient normalement échappé à la compréhension d’un étranger. En fait, les croisés contrevenaient à des normes plus générales de courtoisie dans le monde féodal qui n’auraient pas forcément eu une très grande incidence chez eux, mais qu’ils savaient être provocateurs pour les Byzantins qui se voulaient plus formels et protocolaires. Certes, la transgression était dans de tels cas interprétée différemment par le porteur du geste que par son destinataire, mais encore reste-t-il que l’intention, la portée et l’implication de l’affront demeuraient les mêmes à la base. C’est pourquoi nous devons généralement interpréter les transgressions des croisés comme étant intentionnelles, et ceci même s’ils ont parfois réussi à convaincre les Byzantins du contraire en invoquant leur ignorance.

La première croisade nous présente un exemple singulier des intentions souvent provocatrices de certains croisés. Bien que le cérémonial byzantin était suffisamment étranger aux seigneurs pour permettre des transgressions “accidentelles”,  certains gestes ne sauraient être expliqués autrement que par une intention de provocation directe. C’est dans cette optique qu’Anne Comnène nous raconte l’exemple plutôt frappant du seigneur croisé qui aurait eu l’audace, en 1097, de s’asseoir sur le trône d’Alexis. La transgression visait justement l’usage voulant que tous demeurent debout en présence de l’empereur; n’ayant pas d’équivalent en Europe, le seigneur en question considérait le protocole comme insultant pour tous les grands hommes d’Occident qui devaient patienter ainsi auprès de lui. Pour aggraver cet outrage déjà fort répréhensible, le seigneur aurait ensuite lancé un défi à l’empereur, tout en remettant en question son honneur[52]. Les Latins étaient pleinement conscients de l’outrage, non seulement d’avoir manqué au protocole, mais également de s’être assis sur le trône même de l’empereur, de sorte que Baudouin de Boulogne dut intervenir en réprimandant le coupable sous prétexte qu’il devait respecter les coutumes du pays. Quant à Alexis, Anne prétend qu’il toléra cette arrogance innée aux Latins, se

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contentant de mettre en garde le seigneur sur les difficultés qu’il rencontrerait contre les Turcs lorsqu’il aurait traversé en Asie mineure[53].

Cet épisode n’étant pas corroboré par des sources latines, il nous est difficile d’établir avec certitude son authenticité. Si nous admettons toutefois que le geste de ce seigneur latin était calculé, nous ne pouvons non plus affirmer le contraire pour la période suivant la première croisade. En effet, dans un contexte d’interactions de plus en plus fréquentes entre Grecs et Latins, l’ignorance ne peut être considérée comme un prétexte pour expliquer les transgressions du cérémonial. Ainsi, ceux qui entretenaient les rapports les plus développés avec les Byzantins étaient ceux qui savaient le mieux transgresser le cérémonial, allant parfois même jusqu’à le ridiculiser. Nicétas Choniatès dénonce, par exemple, une parodie orchestrée par les Vénitiens en 1149. Lors d’un conflit avec les Byzantins, les Vénitiens auraient capturé un vaisseau byzantin, sur lequel ils auraient ensuite couronné et vêtu un Éthiopien du costume impérial, tournant ainsi à la dérision les cérémonies byzantines en le paradant à la vue de tous. Malgré le désir de vengeance de l’empereur, Nicétas explique que des besoins plus pressants le poussèrent à pardonner ce crime en guise de paix avec les Vénitiens[54]. Cependant, outre cet exemple, des affronts aussi directs au cérémonial n’étaient pas fréquents, les transgressions se voulant généralement plus subtiles.

Les États latins présentent justement un contexte qui demandait des réactions plus nuancées. D’abord, les Latins d’Orient étaient plus familiers avec les coutumes orientales, autant byzantines que musulmanes. Les dirigeants de ces États, particulièrement ceux d’Antioche et de Jérusalem, entretenaient des rapports suffisamment fréquents avec les Byzantins pour avoir une appréciation beaucoup plus complète de leur cérémonial. Des préoccupations diplomatiques imposaient par contre des réactions plus subtiles, moins susceptibles d’avoir des répercussions trop dramatiques. La principauté d’Antioche, en effet, devait traiter la question embarrassante de la suzeraineté byzantine, tandis que le royaume de Jérusalem dépendait en partie de l’appui des Grecs contre les pressions persistantes du monde musulman. Malgré un antagonisme marqué entre Latins d’Orient et Byzantins, toute transgression du cérémonial se devait d’être subtile, sans quoi les alliances déjà précaires risquaient d’en souffrir.

Les princes d’Antioche et les comtes d’Édesse sont sans doute ceux qui ont su le mieux gérer le cérémonial byzantin, à la fois par nécessité et par compromis diplomatique. Désirant maintenir leur souveraineté tout en se résignant à la suzeraineté de Byzance, leurs machinations visaient habituellement à détraquer subtilement les politiques impériales à leur égard[55]. À la lumière de ce que nous avons exposé précédemment, il n’est guère surprenant que le cérémonial ait servi d’instrument dans la

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réalisation de leurs ambitions. Guillaume de Tyr nous fait part d’un stratagème, en 1138, du prince Raymond de Poitiers et de Jocelyn II d’Édesse qui visait à débarrasser Antioche de Jean II Comnène, celui-ci ayant réclamé la ville comme base d’opération pour ses campagnes en Orient. Pour ce faire, Jocelyn souleva secrètement la populace contre les Byzantins en répandant la rumeur que l’empereur avait l’intention de demeurer indéfiniment dans la ville. Devant la foule enragée, Jocelyn feignit de prendre la fuite et arriva, à bout de souffle, dans le palais où était logé Jean. Il fit ensuite irruption dans la pièce où se trouvait l’empereur et se jeta à ses pieds. Jean, fort surpris de cette entrée précipitée, demanda avec irritation à Jocelyn pourquoi il s’était présenté à lui sans respecter le protocole et la discipline impériale. Le comte d’Édesse répliqua que la nécessité dépassait toutes les lois; la poursuite d’une multitude enragée et le péril de la mort l’avaient contraint à transgresser le protocole habituel[56]. Selon les conventions médiévales en matière d’étiquette, l’empressement ou l’urgence pouvait effectivement servir de prétexte pour excuser un manquement au protocole, à condition que l’intention de la personne ne laisse présager un outrage volontaire[57]. Le comte semble dans ce cas-ci avoir convaincu l’empereur de ses bonnes intentions, malgré la ruse qui se tramait. L’empereur, craignant une révolte, décida de quitter la ville. Nous pouvons facilement imaginer la satisfaction de Jocelyn, qui avait su débarrasser la ville des Byzantins tout en transgressant le protocole dans le but de rendre la situation plus dramatique et convaincante. Selon Guillaume de Tyr, l’empereur n’aurait soupçonné aucune supercherie, étant convaincu de la loyauté de Raymond et Jocelyn[58].

Une autre tentative de détraquer une cérémonie byzantine fut tentée en 1159 par le prince d’Antioche Renaud de Châtillon et le roi de Jérusalem Baudouin III. Pour célébrer le jour de Pâques, Jean Kinnamos et Guillaume de Tyr expliquent que Manuel Comnène organisa une entrée triomphale dans Antioche pour symboliser son triomphe définitif sur la principauté: Kinnamos précise que Renaud de Châtillon et d’autres nobles posèrent en tant que valets, marchant à pied autour du cheval du basileus, tandis que Baudouin suivait à distance, couronné et à cheval, mais sans ses autres insignes royaux. Pour détourner cette cérémonie dont le symbolisme était lourd en conséquences, Guillaume prétend que les Latins tentèrent de convaincre Manuel que sa vie serait en danger si la procession avait lieu. Celui-ci ne se laissa toutefois pas enlacer par la même ruse dont son père avait été victime et les croisés furent contraints de se plier à sa volonté[59]. L’épisode nous démontre que les Byzantins étaient désormais conscients des tentatives de bafouer le cérémonial en raison de ses implications symboliques et

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idéologiques. Pourtant, malgré cette mauvaise volonté, de même que d’autres fourberies antérieures − les Byzantins semblaient maintenant comprendre la supercherie dont Jean avait été victime −, aucune sanction concrète ne fut dirigée contre les États latins. Sans doute faut-il encore une fois y voir des considérations essentiellement politiques.

Peu de temps auparavant, un incident en matière de protocole s’était par ailleurs produit entre Manuel et Baudouin. Ce dernier avait fait le voyage à Antioche pour traiter avec l’empereur et leur rencontre nous est relatée par Kinnamos:

 

 Le basileus, informé de l’approche du roi, envoya à sa rencontre de place en place des dignitaires de plus en plus éminents, jusqu’aux époux de ses nièces, pour le saluer et lui rendre les honneurs habituels, jusqu’à son arrivée auprès du basileus en personne: telle fut l’étendue des honneurs qu’il réserva à l’occupant du trône de David. Mais Baudouin soit exalté par ces honneurs, soit par une forfanterie naturelle, une fois parvenu à la résidence impériale, escorté par les huissiers impériaux et les dignitaires romains, ne descendit de cheval qu’à l’endroit où seul le basileus le fait. Reconnaissant à ce geste son arrogance, le basileus laissa de côté beaucoup de marques d’honneur qu’il envisageait de lui témoigner. Il le vit cependant, le salua, le fit asseoir sur un siège bas, lui accorda plusieurs entrevues et l’invita à sa table.”[60]

 

Il nous paraît plutôt difficile d’attribuer cette transgression à l’ignorance de Baudouin; le roi aurait été suffisamment familier avec les coutumes byzantines pour comprendre la portée de son geste[61]. Encore est-il possible qu’il y ait eu une confusion quelconque, ou encore une mégarde de la part de Baudouin, bien qu’une telle hypothèse confronte le caractère habituellement rigoureux et bien régi du cérémonial[62]. Si la

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transgression était volontaire comme le prétend Kinnamos, les motifs du roi demeurent obscurs; Baudouin n’aurait pas eu intérêt à s’aliéner l’appui des Byzantins, notamment en raison des menaces musulmanes qui pesaient contre son royaume, bien que ses propres prétentions sur la principauté d’Antioche aient pu l’inciter à provoquer l’empereur, ne serait-ce que symboliquement. Quoi qu’il en soit, les répercussions furent minimes: Kinnamos mentionne que certaines marques d’honneur furent refusées au roi, mais encore d’autres honneurs non négligeables lui furent accordées, notamment la permission de partager la table de l’empereur et de s’asseoir en sa présence. Manuel, en fait, dépendait tout autant de l’amitié de Baudouin pour contrer la menace musulmane, ce qui peut expliquer encore une fois cette tolérance de sa part, marquée seulement par un soupçon de mécontentement.

 

III. Réactions byzantines aux transgressions du cérémonial:

 

L’impact diplomatique découlant des transgressions des croisés ne peut être mesuré qu’en fonction des réactions qu’elles ont suscitées chez les Byzantins. Or, jusqu’à présent, il nous a été possible de dégager quelques réactions aux outrages commis par les croisés, comme quoi les Byzantins ne sont pas demeurés indifférents aux insultes qui leur étaient destinées. En fait, le basileus ne pouvait faire autrement que de réagir à ces transgressions, ne serait-ce que du point de vue de l’idéologie impériale:  le cérémonial byzantin était si strictement régi et planifié que le moindre dysfonctionnement était considéré comme un terrible scandale susceptible de ruiner la gloire impériale[63]. Pourtant, parmi tous les exemples énumérés précédemment, aucun croisé n’a été sévèrement puni pour ses fautes, encore moins menacé de mort. Sauf pour quelques exceptions, les croisés ont même bénéficié des marques d’honneur qui leur étaient dus, et ceci malgré le caractère grave de leur comportement.

Pourquoi les Byzantins ont-ils toléré de tels outrages de la part des Latins? Pourquoi n’ont-ils pas puni l’audace du seigneur qui s’était assis sur le trône impérial, ou encore l’insolence manifeste d’ennemis jurés tels que Tancrède et Bohémond? L’explication la plus évidente, déjà évoquée, semble être une question de nécessité, surtout lorsque la présence des croisés constituait une menace immédiate pour la capitale byzantine. Les chroniqueurs byzantins, quant à eux, préféraient justifier ces avilissements de l’autorité impériale en vantant la tolérance des empereurs qui avaient su, par leur magnanimité et leur patience, interagir avec de tels barbares. Une autre explication, plus rigoureuse, concerne le laxisme de certains empereurs du XIIe siècle en matière de cérémonial. Plusieurs indices nous portent à croire, par exemple, qu’Alexis Comnène n’était pas particulièrement rigoureux à ce niveau, malgré ses talents de diplomate qui faisaient pourtant de lui un vrai disciple du modèle de Constantin VII

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Porphyrogénète[64]. Plusieurs contemporains ont observé, en effet, le caractère plutôt inusité de cet empereur, qui se distinguait à bien des niveaux de ses prédécesseurs[65]. Anne Comnène le décrit par ailleurs comme un soldat, un homme pragmatique reconnu pour la familiarité qu’il manifestait envers ses hommes[66]. Sa politique était quant à elle axée davantage sur une base personnelle et moins sur des intermédiaires, de sorte qu’il n’est pas exclu qu’il ait manifesté une certaine fraternité militaire envers ces grands seigneurs qui venaient d’Occident, nonobstant de ces différends avec eux[67]. Comment expliquer, sinon, que le trône d’Alexis était suffisamment accessible aux croisés pour que l’un d’entre eux puisse s’y asseoir? Ou encore comment interpréter les concessions cérémonielles qu’Alexis aurait fait à Bohémond, un compromis qui aurait sans doute été considéré intolérable par tout autre empereur[68]? Alexis ne fut d’ailleurs pas le seul à manifester un tel laxisme. En 1159, Manuel Comnène aurait, au grand désarroi de ses sujets, temporairement oublié la dignité de son office pour soigner une blessure de chasse du roi de Jérusalem, Baudouin III[69]. Alexis IV, quant à lui, aurait entretenu des entretiens plutôt familiers avec les seigneurs de la quatrième croisade, les recevant à au moins une occasion de façon informelle et en privé[70]. Malgré le modèle rigoureux du cérémonial au Xe siècle, il semble que ces empereurs du XIIe siècle étaient moins enclins vers un protocole draconien et, par conséquent, moins disposés à être outré par le comportement des croisés.

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Mais quoique plus tolérants, Alexis Comnène et ses successeurs avaient tout de même une image impériale à maintenir. Lorsque les circonstances le permettaient, les Byzantins ont su réagir aux affronts des croisés: parfois on leur refusait certaines libéralités, comme ce fut le cas pour Tancrède et Conrad, qui n’obtinrent ni la tente impériale ni le dromon impérial; d’autres fois, les différends se traduisaient par des escarmouches militaires, comme nous le démontre l’épisode où Godefroi de Bouillon refusa de rencontrer Alexis. Lorsque les Byzantins étaient en position de force, ceux-ci se montraient encore moins tolérants aux écarts de conduite des croisés. Ainsi, lorsque Louis VII eût traversé le Bosphore, Manuel se montra particulièrement arrogant aux ambassadeurs français, la menace militaire ayant été écartée[71]. L’attitude de certains empereurs face aux États latins témoigne également de cette tendance, notamment sur des questions d’alliances ou de mariages politiques: par exemple, Manuel serait arbitrairement revenu sur sa décision d’épouser Mélisende, la sœur du comte de Tripoli, semble-t-il en raison d’un rapport défavorable qu’il aurait reçu de ses ambassadeurs. Rejetant ses conventions antérieures et toutes les normes diplomatiques, il maria plutôt la cousine de Mélisende, la sœur de Bohémond III d’Antioche[72]. Parallèlement, l’impudence des Latins d’Orient ne resta pas toujours impunie: lorsque Jean II apprit la déception qui avait été orchestrée par Jocelyn II d’Antioche, il adopta une politique plus sévère à l’égard d’Édesse et d’Antioche, planifiant même de soumettre les deux villes, bien qu’il mourut avant de pouvoir mettre son projet à exécution[73]. Enfin, dans les situations les plus extrêmes, les Byzantins ont employé le cérémonial pour humilier les Latins. Ce fut le cas pour Renaud de Châtillon, alors régent d’Antioche, qui contesta l’autorité impériale en pillant Chypre en 1156, mais qui dut ensuite implorer le pardon de Manuel lorsque celui-ci organisa une offensive en 1159 contre la principauté déjà vulnérable. Renaud fut alors contraint de se présenter à l’empereur en tant que suppliant lors d’une cérémonie particulièrement humiliante qui piqua gravement l’orgueil de tous les Latins[74].

Bref, ces exemples confirment bien que les répliques des Byzantins étaient conditionnées par les circonstances, quoiqu’elles n’aient pas engendré de crises irréparables entre les Grecs et les Latins. Préférant la plume à l’épée, les Byzantins ont à vrai dire privilégié des compromis dans leurs interactions avec les croisés, et ceci

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malgré les ambitions de leur idéologie impériale[75]. Plusieurs ont vu dans cette politique une des manifestations du succès de la diplomatie byzantine, notamment dans le contexte mouvementé, voire hasardeux, du XIIe siècle[76]. Les empereurs ont par conséquent su être modérés dans leurs réactions face aux croisés et jongler avec des situations qui étaient potentiellement volatiles − des dangers qu’ils ne purent pourtant surmonter indéfiniment, comme en font foi les événements de 1204.

 

Conclusion:

 

Nous devons à présent tirer des conclusions à la lumière de ce que nous avons exposé précédemment. Néanmoins, proposer une réponse définitive à notre questionnement initial nous paraît téméraire. Divers facteurs viennent en effet nuancer notre enquête sur l’impact diplomatique des réactions des croisés face au cérémonial byzantin. Entre autres, la crédibilité des sources pose un obstacle particulier, ce qui explique pourquoi elle a retenue notre attention tout au long de cette analyse. Le contexte de production souvent ambigu des chroniques, de même que la lourde tradition historiographique qui en découle, compliquent des interprétations qui se veulent particulièrement délicates. Il devient par conséquent difficile d’établir avec certitude la portée des nuances ou encore les motivations précises des chroniqueurs, autant latins que grecs, quant à leur interprétation des réactions croisées et byzantines. Malgré ce prisme déformant, tout historien doit parvenir à composer avec les limites que lui imposent les documents à sa disposition, et c’est ce que nous nous sommes proposés de faire jusqu’à présent. Ainsi sommes-nous parvenus à dégager certaines tendances que nous sommes maintenant en mesure d’établir.

Tout d’abord, notre analyse a démontré que les transgressions du cérémonial par les croisés n’ont pas eu un impact significatif sur leurs rapports avec les Grecs. Par “significatif”, nous entendons que les outrages des croisés n’étaient pas des facteurs suffisamment importants pour faire écrouler le processus diplomatique dans son ensemble. En effet, les Grecs et Latins ont entretenu des rapports tout de même opportunistes tout au long du XIIe siècle, et ceci malgré un antagonisme de plus en plus marqué entre eux. Des considérations politiques prédominent par ailleurs dans la plupart des conflits, éclipsant souvent des facteurs plus abstraits tels que la culture et la religion. Ce constat est clairement démontré par le fait que les Byzantins n’ont jamais risqué une confrontation militaire d’envergure sur l’unique base d’un outrage au cérémonial, alors que celui-ci symbolisait le fondement même de leur idéologie impériale, de leur vision

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du monde, voire de leur civilisation. À la limite, ils se sont permis des réprimandes lorsque les circonstances le permettaient, mais sans plus. Les croisés, quant à eux, n’ont su faire abstraction de ces mêmes considérations politiques, notamment dans leurs réactions face au cérémonial. Ainsi, les chroniqueurs dénoncent le fait que les seigneurs de la première croisade ont prêté un serment de fidélité à l’empereur par nécessité politique, faisant abstraction de toute contestation du cérémonial ou déshonneur que celui-ci aurait pu engendrer[77]. Pareillement, les dirigeants des États latins ont souvent reconsidéré leurs conflits avec les Grecs en adoptant une politique pro-byzantine dès que cela favorisait leurs intérêts, nonobstant des implications idéologiques ou symboliques[78].

Que les transgressions aient eu un impact néfaste, toutefois, ne saurait guère être mis en doute. En favorisant une approche culturelle, notre analyse a précisément voulu démontrer que les considérations politiques des croisés ont été envenimées par des facteurs d’altérité, qu’ils soient culturels ou religieux. Les réactions des croisés, même si conditionnées d’abord par une opposition à la politique étrangère des Byzantins, demeuraient à la base un rejet du cérémonial en tant que manifestation culturelle de la civilisation byzantine. Bref, sans forcément avoir eu un impact “significatif”, nous ne pouvons contester que ces réactions aient eu des conséquences ne serait-ce symboliques. Après tout, c’est par l’intermédiaire de celles-ci que les Latins ont pu exprimer les différences qui les opposaient aux Grecs et ainsi dénoncer des divergences qui seraient autrement demeurées tacites. En se tramant dans la sphère diplomatique, ces transgressions ont en quelque sorte officialisé l’échec des croisés de retrouver à Byzance un homologue chrétien partageant les mêmes valeurs et objectifs, ce qui à son tour a inévitablement conditionné leurs rapports avec les Grecs tout au long du XIIe siècle. La nuance à ce niveau, cependant, est que les réactions des croisés constituent une manifestation des tensions existantes entre Grecs et Latins, et non la cause elle-même de ces tensions. Or, cette simple considération propose en elle-même une approche différente pour mieux comprendre les mécanismes d’altérité du XIIe siècle et ainsi offrir une perspective nouvelle sur cet aspect bien précis des mentalités médiévales.

 

 

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[1] Marc Carrier, “Perfidious and Effeminate Greeks: the Representations of Byzantine Ceremonial in the Western Chronicles of the Crusades (1096-1204)”, Annuario. Istituto Romeno di Cultura e Ricerca Umanistica 4 (2002): 47-68. Parmi les ouvrages récents qui abordent certains aspects de la question, voir entre autres K. N. Ciggaar, Western Travellers to Constantinople. The West and Byzantium, 962-1204: Cultural and Political Relations. New York, E. J. Brill, 1996, p. 19; voir également L. Simeonova, “Foreigners in Tenth-Century Byzantium: a Contribution to the History of Cultural Encounter”, dans Strangers to themselves: the Byzantine outsider (D. Smythe, dir.), Aldershot: Ashgate, 2000: 229-244.

[2] Le concept de projection comme mécanisme de l’altérité, qui établit la “représentation des autres comme une représentation de soi déplacée”, est de plus en plus employée pour comprendre la représentation médiévale des musulmans par les chrétiens. Voir entre autres H. Benveniste, “Joinville et les ‘autres’: les procédés de représentations dans l’Histoire de saint Louis”, Le Moyen Âge 102 (1996): 45; F. Affergan, Exotisme et altérité: essai sur les fondements d'une critique de l'anthropologie, Paris: Presses universitaires de France, 1987: 88.

[3] Ce discours est récurrent chez les chroniqueurs des croisades, mais ces points précis sont surtout exprimés par Albert d’Aix, sur qui nous reviendrons plus loin.

[4] L’idée que les cadeaux impériaux dissimulaient une déception quelconque était bien généralisée au XIIe siècle et renvoyait au Timeo Danaos et dona ferentes de la tradition virgilienne.

[5] Voir notamment H. Mayr-Harting, “Odo of Deuil, the Second Crusade and the Monastery of Saint-Denis”, dans M. A. Meyer, The Culture of Christendom. Essays in Medieval History in Commemoration of Denis L. T. Bethell, Londres: Hambledon Press, 1993: 225-241. Une récapitulation fort complète de l’historiographie des sources de la première croisade nous est proposée par J. Flori, Pierre l’Ermite et la première croisade, Paris: Fayard, 1999: 31-66.

[6] Raoul de Caen, Gesta Tancredi, dans Recueil des Historiens des Croisades. Historiens Occidentaux, III, 1866: 587-716; Albert d’Aix, The Historia Iherosolimitana of Albert Aachen. A Critical Edition (éd. par S. B. Edgington), Londres: London University, 1991, 944 p.; Odon de Deuil, De profectione Ludovici VII in Orientem. The Journey of Louis VII to the East (éd. et trad. par V. G. Berry), New York: Columbia University Press, 1948, 154 p.; Guillaume de Tyr, Willelmi Tyrensis Archiepiscopi Chronicon (éd. par R. H. B. C. Huygens), Turnhout: Brepols, 1986, 441 p.; Geoffroi de Villehardouin, La conquête de Constantinople, Paris: Garnier-Flammarion, 1969, 192 p.

[7] Parmi les chroniques qui traitent des Byzantins et qui sont les plus connues et fréquemment consultées: Anonyme, Gesta Francorum et aliorum Hierosolimitanorum (éd. et trad. par L. Bréhier), Paris: Belles Lettres, 1924, 258 p.; Pierre Tudebode, Historia de Hierosolymintano Itinere (éd. et trad. par J. H. Hill et L. L. Hill), Philadelphia: American Philosophical Society, 1974, 137 p.; Raymond d’Aguilers, Le “Liber” de Raymond d’Aguilers (éd. par J. H. Hill et L. L. Hill), Paris: Librairie Orientaliste Paul Geuthner, 1969, 165 p.; Foucher de Chartres, Historia Hierosolimitana (éd. par H. Hagenmeyer), Heidelberg, 1913, 913 p.; Robert le Moine, Historia Iherosolimitana, dans Recueil des Historiens des Croisades. Historiens Occidentaux, III, Paris: Les Belles Lettres, 1866: 717-882; Guibert de Nogent, Dei gesta per Francos et cinq autres textes (éd. par R. H. B. C. Huygens), Turnhout: Brepols, 1996, 441 p.; Baudri de Dol, Historia Jerosolimitana, dans Recueil des Historiens des Croisades. Historiens Occidentaux, IV, Paris, 1879: 1-111; Ekkehart d’Aura, Hierosolymita (éd. par H. Hagenmeyer), Tübingen: Verlag und Druck von Franz Fues, 1877, 412 p.; Ordéric Vital, The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis (éd. et trad. par M. Chibnall), Oxford: Clarendon Press, 1978; Otton de Freising, Ottonis et Rahewini. Gesta Frederici I Imperatoris (éd. par G. Waitz et B. de Simson), Hanovre, 1912, 385 p.; ‘Ansbert’, Expeditione Friderici Imperatoris (éd. par J. Dobrowsky), Prague, 1827, 138 p.; Continuateur de Guillaume de Tyr, The Old French Continuation of William of Tyre, 1184-1197 (trad. par P. W. Edbury), dans The Conquest of Jerusalem and the Third Crusade: Sources in Translation, Aldershot: Ashgate, 1996, 196 p.; Robert de Clari, La conquête de Constantinople (éd. et trad. par A. Micha), Paris: C. Bourgeois, 1991, 238 p. Nous avons en général favorisé ces sources à celles des cités italiennes, qui retiennent davantage des considérations économiques dans leur représentation des Byzantins et avec qui les rapports ne se limitaient pas essentiellement au contexte des croisades.

[8] Anne Comnène, Alexiade (éd. et trad. par B. Leib), Paris: Belles Lettres, 1967-1989, 3 tomes; Jean Kinnamos, Historiarum Libri VII (éd. par J.-P. Migne), dans Patrologiae Graecae, Turnhout: Brepols, 1864, tome 133; Nicétas Choniatès, Nicetae Choniatae Historia (éd. par J. A. Van Dieten), Berlin-New York, 1975, 2 vols.

[9] Quelques exemples: Albert d’Aix, VIII, 26: 575; Pierre Tudebode, II, 2: 18; Raymond d’Aguilers, II: 41; Guillaume de Tyr, II, 19: 143 et 186; Ordéric Vital, IX, 14: 143 et X, 12: 277; Geoffroi de Villehardouin, xxxix, 186: 79.

[10] Guillaume de Tyr nous résume bien cette idée dans sa description de la réception de Raymond de Saint-Gilles par Alexis en 1097: “ipse cum paucis Constantinopolim ingressus, sepius citatus, precendentibus eum imperialibus apocrisiariis suam imperatori presentiam exhibuit, ubi tam ab eo quam a suis illustribus et inclitis, qui ei assistebant, honorifice susceptus et benigne plurimum plena humanitate tractatus est; Guillaume de Tyr, II, 19: 143. Guillaume met ici l’emphase sur la présence des hauts dignitaires de l’empire lors de l’audience, qui avait pour effet de rendre honneur à l’importance et au rang du seigneur en question.

[11] G. Ostrogorsky, “The Byzantine Emperor and the Hierarchical World Order”, The Slavonic and East European Review 35 (1956-1957): 13.

[12] Étienne de Blois décrit ainsi son arrivée à Constantinople et sa réception par Alexis: “Ad urbem Constantinopolim cum ingenti gaudio, Dei gratia, perveni imperator vero digne et honeste et quasi filium suum me diligentissime susceptit et amplissimis ac pretiosissimis donis ditavit, et in toto Dei exercitu et nostro non est dux neque comes neque aliqua potens persona, cui magis credat vel faveat quam mihi. Vere, mi dilecta, eius imperialis dignitas persaepe monuit et monet, ut unum ex filiis nostris ei commendemus: ipse vero tantum  tamque praeclarum honorem se ei attributurum promisit, quod nostro minime invidebit. In veritate tibi dico, hodie talis vivens homo non est sub caelo. Ipse enim omnes principe nostros largissime ditat, milites cunctos donis relevat, pauperes omnes dapibus recreat”. Étienne de Blois, Epistulae et chartae (éd. par H. Hagenmeyer), Hildesheim: Georg Olms, 1973: 138-140.

[13] D’autres chroniqueurs, notamment Guillaume de Tyr, ont également reconnu la magnificence de la cour byzantine et laissent transparaître une image généralement positive du cérémonial dans leurs récits, mais un certaine méfiance est tout de même perceptible quant à la loyauté des Grecs; contrairement à Étienne de Blois, ces chroniqueurs n’échappent pas aux stéréotypes de leur époque.

[14] J. Flori, Pierre l’Ermite…, cit.: 38; J. A. Brundage et J. Shepard ont tous deux dénoncé la crédulité d’Étienne, qui aurait cru comme uniques à sa personne toutes les flatteries dont l’empereur avait l’habitude de prodiguer à ses invités; J. A. Brundage, “An Errant Crusader: Stephen of Blois”, Traditio 16 (1960): 384 et 388; J. Shepard, “When Greek meets Greek: Alexios Comnenos and Bohemond in 1097-1098”, Byzantine and Modern Greek Studies 12 (1988): 214; Bien qu’il ait été sans doute séduit, voire berné, par la réception d’Alexis, l’exception que représente Étienne par rapport à l’attitude des autres seigneurs doit également prendre en compte les circonstances de production de son récit.

[15] Contrairement à Étienne de Blois, Raymond de Saint-Gilles entretint des rapports plutôt tendus avec Alexis dès son arrivée à Constantinople, tout en devenant plus tard un de ses plus fidèles alliés. Sa réaction initiale au cérémonial, bien que négative, exprimait dans ce cas-ci un refus de sa part à prêter le serment que l’empereur exigeait de lui. Le cas de Raymond se distingue toutefois de celui d’Étienne du fait qu’il demeura en discorde avec Alexis jusqu’à Antioche, moment où il se montra sympathique à la cause byzantine pour contrecarrer les prétentions de Bohémond de Tarente sur la capitale syrienne. Des considérations politiques expliquent donc son amitié subséquente avec Alexis, et non sa contestation initiale à certains rituels du cérémonial dans un contexte diplomatique. Pour une discussion plus élaborée de la question, voir Shepard, “When Greek meets Greek…”, cit.: 185-277.

[16] G. Duby, Féodalité, Paris: Gallimard, 1996: 54-55; B. Hamilton, Religion in the Medieval West, Londres, 1986: 136.

[17] Simeonova, “Foreigners in Tenth-Century Byzantium...”, cit.: 231-233. Voir également, idem, “In the Depths of Tenth-Century Byzantine Ceremonial: the Treatment of Arab Prisoners of War at Imperial Banquets”, Byzantine and Modern Greek Studies 22 (1998): 75-104.

[18] Odon de Deuil, IV: 67; Au Xe siècle, Liutprand de Crémone, malgré son changement de discours quelques années plus tard, reconnaît dans l’Antapodosis la splendeur des banquets byzantins et comment le festin contribua à surmonter les tensions diplomatiques du moment: Liutprand de Crémone, The Embassy to Constantinople and Other Writings (éd. par J. J. Norwich), Londres: J. M. Dent, 1993, livre 6, ch. 7-10: 154-156. Au sujet des banquets, voir Simeonova, “Foreigners in Tenth-Century Byzantium…”, cit.: 232.

[19] Plusieurs récits de l’époque expriment l’importance de ce lien engendré par ce geste d’hospitalité, au point où il était considéré comme particulièrement odieux de porter atteinte à celui avec qui on avait partagé un repas. Joinville, Memoirs of the Crusades (trad. par F. T. Marzials), New York: E. P. Dutton & Co., 1958: 216-217; Chanson d’Antioche (trad. par M. de Combarieu du Grès), dans Croisades et pèlerinages: récits, chroniques et voyages en Terre Sainte XIIe - XVIe siècle, Paris: Robert Laffont, 1997, V, 13: 92; C. Bouillot, “Aux antipodes du beau geste: le geste laid et inconvenant dans la littérature des XIIe et XIIIe siècles”, dans Le Beau et le Laid au Moyen Âge (Actes du XIVe colloque du C.U.E.R.M.A; Aix-en-Provence, février 1999), Sénéfiance no. 43, Aix-en-Provence: Publications du C.U.E.R.M.A., 2000: 50.

[20] Anne Comnène, X, xi, 4-5: 232-233.

[21] K. Ciggaar, Western Travellers to Constantinople…, cit.: 54; M. Canard, “Le cérémonial fatimite et le cérémonial byzantin. Essai de comparaison”, Byzantion 21 (1951), 2: 355-420 (en particulier 386).

[22] Odon de Deuil, en particulier, dénonce l’excessivité du protocole byzantin à plusieurs reprises dans son récit; II: 25-27 et III: 59-61.

[23] Cette forme de salutation, de tradition perse et répandue dans les cours orientales, devait être respectée autant par les sujets de l’empire que les étrangers, tel qu’indiqué dans le De ceremoniis aulae byzantinae: πίπτει ἐπ’ ἐδάφους προσκυνῶν; − πίπτει καὶ προσκυνεῖ ; Le livre des cérémonies (éd. et trad. par A. Vogt), Paris: Belles Lettres, 1939, II, c. 56 (47): 49; I, c. 33 (24): 129; I, c. 41 (32): 160; I, c. 9: 56; I, c. 10: 69; I, c. 31 (23): 117; I, c. 38 (29): 150; (éd. de J. J. Reiske), I, 89: 406; I, 91: 414; II, 1: 520; II, 15: 569; II, 24: 624; R. Guilland, “Autour du Livre des Cérémonies de Constantin VII Porphyrogénète. La cérémonie de la προσκύνησις”, Revue des études grecques 59-60 (1946-1947): 251-259; M. McCormick, “Proskynesis”, dans The Oxford Dictionary of Byzantium (A. Kazhdan, dir.), New York, 1991: 1738; Canard, “Le cérémonial fatimite et le cérémonial byzantin…”, cit.: 379 et 385; Simeonova, “Foreigners in Tenth-Century Byzantium…”, cit.: 243; Ostrogorsky, “The Byzantine Emperor and the Hierarchical World Order”, cit.: 3; A. Grabar, L’Empereur dans l’art byzantin, Londres: Variorum Reprints, 1971 [1936]: 85.

[24] L’action de faire obéissance à un homme supérieur en richesses, en puissance et en honneur n’était pas en soi contestée par les croisés, sauf que le rituel byzantin exigeait de dépasser des limites d’abaissement qui frôlaient l’humiliation; Ciggaar, Western Travellers to Constantinople…, cit.: 324-325.

[25] Raoul de Caen et les Gesta francorum, entre autres, dénoncent vivement Bohémond pour s’être humilié devant l’empereur et avoir compromis son honneur en lui prêtant serment; Raoul de Caen, xi: 612-613; Gesta francorum, II, 6: 31. Guibert de Nogent y voit même la honte éternelle des Latins: “quod per Greculos istos, omnium intertissimos, iurare congeremur, nobis esset sempiterne pudentum; III, 4: 154.

[26]Ut caveret versutias et venenatas vestes ipsius Imperatoris ac verba dolosa; et nequaquam ad eum intraret aliqua blanda promissione, sed, extra muros sedens, omnia quae sibi offerret secure susciperet; Albert d’Aix, II, 10: 306. Voir également Guillaume de Tyr, II, 7-8: 170-172.

[27] Cette hypothèse est soutenue par J. H. Pryor, “The oaths of the leaders of the First Crusade to Emperor Alexius I Comnenus: fealty, homage - πίστις, δουλεία”, Parergon 2 (1984): 119. Malgré la réhabilitation récente d’Albert d’Aix dans l’historiographie des croisades, notamment quant à sa crédibilité, son interprétation de l’arrivée des croisés à Constantinople demeure souvent contestée; voir Shepard, “When Greek meets Greek…, cit.: 203. En effet, les conditions de production de la chronique sont nébuleuses et tout nous porte à croire qu’Albert ne soit jamais allé en Orient, basant son récit sur des sources écrites et orales; C. Cahen, “À propos d’Albert d’Aix et de Richard le Pèlerin”, Le Moyen Âge 96 (1990), 1: 31-33. Il est donc fort possible qu’Albert ait comblé les lacunes dans son récit par sa propre interprétation des événements, qui était naturellement sympathique à la cause lotharingienne et qui cherchait à protéger l’honneur de Godefroi sur la question des serments prêtés à Alexis. Dans l’ensemble, toutefois, la chronique d’Albert est de loin la plus complète pour la première croisade et généralement fiable quant aux faits rapportés, complétant les autres sources de la croisade par la qualité et l’indépendance des détails fournis; J. Flori, Pierre l’Ermite…, cit.: 52 (47-65 pour un survol historiographique plus complet).

[28] Anne Comnène, X, ix, 11: 226.

[29]Nam qua sedulitate accipiter laqueos, aut hamum piscis, ea is fraudulentam Graecorum familiaritatem horrebat. Ideo regis munera aspernatus, jam tum praesentiam ejus subterfugere proposuerat; Raoul de Caen, x: 612 et xii: 613 [traduction par F. Guizot]. Il faut considérer le récit de Raoul en tant que panégyrique de Tancrède, ce qui soulève certaines questions sur la crédibilité. Cet épisode en particulier, toutefois, nous est corroboré par d’autres chroniqueurs. Voir entre autres, Albert d’Aix, II, 19: 313; Gesta francorum, II, 7: 32-35.

[30] “Je crains les Grecs, même lorsqu’ils font des présents”; Virgile, L’Énéide, Paris: Flammarion, s.d.: 37. Sur l’influence de Virgile au XIIe siècle, voir B. Munk Olsen, “Virgile et la renaissance du XIIe siècle”, dans Lectures médiévales de Virgile. Actes du Colloque organisé par l’École française de Rome (Rome, 25-28 octobre 1982), Rome: École française de Rome, 1985: 31-48.

[31] Selon Kinnamos, Conrad n’était pas un empereur, mais bien le “roi des Allemands” (Κορράδου τοῦ Ἀλαμανῶν ῥηγὸς); il ne pouvait y avoir qu’un seul empereur et c’était celui de Byzance; Jean Kinnamos, II, 12: 68.

[32] Odon de Deuil, III: 49; Jean Kinnamos, II, 14: 74-75; W. M. Daly, “Christian Fraternity, the Crusaders, and the Security of Constantinople, 1097-1204: The Precarious Survival of an Ideal”, Mediaeval Studies 22 (1960): 59.

[33] D’un point de vue féodal, un tel déplacement aurait sans doute été perçu comme celui du vassal vers son suzerain, selon la tradition vassalique alors en vigueur en Occident; J. Le Goff, “Le rituel symbolique de la vassalité”, dans idem, Pour un autre Moyen Âge, Paris: Gallimard, 1977: 397. La portée de ce geste aurait d’autant plus été amplifiée par la réticence des croisés à prêter un serment à l’empereur, la distinction entre la fidélité et l’hommage soulevant des contentions importantes. À ce sujet, voir J. H. Pryor, “The oaths of the leaders of the First Crusade…”, cit.: 111-141.

[34] Craignant l’arrivée de l’armée de Louis VII, Manuel se résigna à laisser passer Conrad sur la rive asiatique malgré l’échec des négociations. Cet exemple nous porte à croire que la dignité impériale dépassait les considérations diplomatiques immédiates. Par ailleurs, la même situation se présenta entre Louis et Manuel quelque temps après leur première rencontre. Lorsque l’empereur invita de nouveau Louis à venir le rencontrer, ce dernier refusa et lui proposa plutôt de venir à lui. Il est possible que le roi redoutait la position privilégiée dont avait auparavant bénificié l’empereur dans son palais. En raison du refus de Manuel de se déplacer, la rencontre n’eût jamais lieu; Odon de Deuil, IV: 77.

[35] Odon de Deuil, VI: 109; Otton de Freising, I, lxiv: 90; Jean Kinnamos, II, 19: 86-87. Malheureusement, les chroniqueurs négligent de nous informer sur la façon dont les deux souverains ont concilié leurs prétentions respectives lors de leur rencontre, ce qui à son tour évoque l’aspect délicat de la question.

[36] Le seul contact de Richard Cœur-de-Lion avec les Grecs fut à Chypre. Philippe Auguste avait pour sa part informé Isaac II de son intention de passer par Constantinople, mais le roi décida finalement de se rendre directement à Acre par les voies maritimes. Ciggaar, Western Travellers to Constantinople…, cit.: 130, 155 et 174.

[37] Ansbert: 59-80; Nicétas Choniatès, V, 2: 402-403. Pour un survol des rapports particuliers entre Isaac et Barberousse, voir Ch. M. Brand, Byzantium confronts the West, 1180-1204, Cambridge: Harvard University Press, 1968: 176-178.

[38] Le silence relatif des chroniqueurs latins s’explique de différentes façons. Souvent il est dû à la simple ignorance de l’événement en question, la plupart des chroniqueurs n’étant pas des témoins directs du cérémonial, de sorte qu’il est possible que les détails des audiences ne leur soient pas parvenus. Dans certains cas, il peut s’agir d’un manque d’intérêt des chroniqueurs, qui préféraient ne pas trop s’éloigner de la vocation première de leur récit, soit la guerre contre les musulmans. Enfin, d’autres chroniqueurs ont peut-être jugé imprudent de s’attarder à des exemples où les seigneurs portaient atteinte à la dignité et à l’honneur de l’empereur, un tel comportement n’étant clairement pas conforme aux normes de bonne conduite de la courtoisie féodale.

[39]Ἴσθι ὦ βασιλεῦ, ὡς ἐγὼ ὁ βασιλεὺς τῶν βασιλέων καὶ ὁ μείζων τῶν υπ’ οὐρανόν. Καὶ καταλαμβάνοντά με ἤδη ἐνδέχεται ὑπαντῆσαι τε καὶ δέξασθαι μεγαλοπρεπῶς και ἀξίως τῆς ἐμῆς εὐγενείας”; Anne Comnène, X, vii, 1: 213.

[40] Paul Riant propose qu’Anne devait avoir une copie de la lettre sous la main, qu’elle aurait résumée en quelques lignes; P. Riant, “Inventaire critique des lettres historiques de croisades”, dans Archives de l’Orient Latin, Paris: E. Leroux, 1881, vol. I: 121. Anne n’avait sans doute plus un accès direct aux documents officiels après la mort de son père en 1118, mais encore l’information aurait pu lui être fournie par ces nombreux contacts à la cour impériale.

[41] Riant, “Inventaire critique…”, cit.: 121.

[42] Or, si Hughes s’était vraiment adressé à Alexis comme le prétend Anne, l’interprétation contraire serait tout aussi valable. Supposant que Hughes ait eu vent de certains rituels humiliants du cérémonial byzantin avant son arrivée à Constantinople, son attitude pourrait se traduire par une crainte d’être dénigré par l’empereur, d’où son message soulignant son statut et sa naissance.

[43]Αἰτῶ γοῦν ἀφ’ ὑμῶν πληροφορίαν λαβεῖν εἰς τὸ παντελὲς μὴ ἀτίμως ὑποδεχθῆαι παρὰ τοῦ αὐτοκράτορος, αλλὰ πρὸ ἓξ σταδίων τοὺς γνησιωτάτους τῶν καθ’ αἷμα προςῳκειωμένων αὐτῷ τὴν ἐμὴν προιήσασθαι προϋπάτησιν, περὶ δὲ τὴν βασιλικὴν σκηνὴν πελάσαντα ἆμα τῷ τὰς τύλας εἰσιέναι, καὶ αὐτὸν τῆς βασιλικῆς ἐξαναστάντα περιωπῆς ἐντίμως με ὑποδέξασθαι καὶ μηδ’ ἡντιναοῦν ἀναφορὰν τῶν προγεγονυιῶν συμφωνιῶν γεγονέναι μοι ἢ ὅλως εἰς κρίσιν ἀγαγέσθαι με, ἀλλ’ ἐλεύθερον ἄδειαν σχόντα κατὰ τὸ ἐμοὶ βουλητὸν εἰπεῖν ὁπόσα καὶ βούλομαι. Πρὸς δὲ τούτοις καὶ τὸν βασιλέα τῆς ἐμῆς κρατῆσαι χειρὸς καὶ πρὸς τῇ κεφαλῇ τῆς κλίνης αὐτοῦ παραστῆσαι με, καὶ μετὰ δύο χλαμύδων τὴν εἴσοδον ποιηςάμενον μηδ’ ὅλως εἰς προσκύνησιν κάμψαι γόνυ ἢ τράχηλον τῷ αὐτοκράτορι”, Anne Comnène, XIII, ix, 4 : 119.

[44] Anne Comnène, XIV, i: 141. En vérité, toutefois, la victoire de Bohémond est relative, si ce n’est que les moyens par lesquels il y est parvenu se veulent un écho ironique de la crainte de plusieurs croisés face aux attraits et aux incitatifs du cérémonial.

[45]Hostem mihi te dignor, nec amicum”; Raoul de Caen, xviii: 619-620; La tente impériale aurait été une bannière fort honorable pour Tancrède, selon l’admiration de ses contemporains pour de tels pavillons; Otton de Freising, III, vii: 171.

[46] Il faut également y voir des déformations possibles liées à la transmission orale de l’information, Raoul n’ayant pas participé à la première croisade. Pour une analyse de la disposition de Raoul vis-à-vis les Grecs, voir J.-C. Payen, “L’image du Grec dans la chronique normande: sur un passage de Raoul de Caen”, dans Images et signes de l’Orient dans l’Occident médiéval (Actes du Xe congrès international de la Société Rencesvals; Aix-en-Provence, février 1981), Aix-en-Provence: Éditions Jeanne Laffite, 1982: 269-280.

[47]ἢ οὐκ οἶσθα, ὅτι καθαπερεὶ στρουθίον ὑπὸ ταῖς ἡμετέραις γεγένησαι ἤδη παλάμαις; κἂν θελήσωμεν, οὐκ ἂν φθάνοις αὐτικα παραπολλύμενος. ἐννόησον ὡς ἐκεῖνοι τὴν χώραν κατέχουσι ταύτην, ὧν οἱ πρόγονοι πᾶσαν τὴν γῆν περιῆλθον τοῖς ὅπλοις, ὑμῶν τε αὐτῶν καὶ λοιπῶν ἁπάντων τῶν ὑφ’ ἡλίῳ ἐκυρίευσαν ἐθνῶν. ταῦτα ὑπολογίζεσθαι σε χρεὼν καὶ προςέτι ὡς οὔτε νεώς ποτε ἐπιβήσῃ τῆς βασιλείου οὔτε τι ὧν ἐπιτελὲς ἔσται σοι παρ’ ἡμῶν, ἀλλά σε τὴν αὐτὴν καὶ πάλιν οἱ τῶν ἵππων οἴσουσι πόδες”, Jean Kinnamos, II, 16: 79 [traduction de J. Rosenblum]. Kinnamos écrit entre 1180 et 1183, mais il est possible qu’il ait eu accès à la correspondance entre Manuel et Conrad dans les archives impériales.

[48] Continuateur, 173: 137.

[49]οὐ χρείαν” ἔφασκον “Ἀλαμανοὶ τοιούτων ἔχουσι θεαμάτων, οὔτε μὴν ἐπιτηδείων γυναιξὶν ἐμπορπημάτων καὶ στολισμάτων φιλοῦσι θειασταὶ καθεστάναι, αἷς ἡ κονὶα καὶ κρήδεμνα καὶ ἐνώτια παμφανόωντα καὶ τὸ ἀρέσαι τοῖς ἀνδράσι διαφερόντως ἀσπάζεται.” ἀλλὰ καὶ Ῥωμαίους μορμολύττοντες “νῦν ἱκάνει καιρὸς” ἔλεγον “μεθαρμοσθῆναι τῶν γυναικωδῶν ἐμπορπήσεων καὶ σιδήρῳ περισταλῆναι ἀντὶ χρυσοῦ”; Nicétas Choniatès, VI, 1: 477. Ces propos résument bien la représentation générale que les Latins avaient des Grecs; il est d’autant plus intéressant qu’ils soient prononcés par un chroniqueur byzantin, comme quoi les Grecs étaient pleinement conscients de leur image chez les Latins.

[50] Geoffroi de Villehardouin, XLVI, 214: 88.

[51]Mult tindrent li Gré à grand mervoille et à grant oltrage ceste desfiance; et distrent que onques mais nus n’avoit esté si ardiz qui ossast l’empereor de Constantinople desfier en sa chambre meïsmes. Mult fist as messages malvais semblant l’empereres Alexis, et tuit li Grieu qui maintes foiz lor avoient fait mult biel. Li bruis fu granz par là dedenz; et li message s’en tornent et vienent à la porte et montent sor les chevaus. Quant il furent defors la porte, n’i ot celui qui ne fust mult liez; et ne fu mie granz mervoille, que il erent mult de grant peril eschampé; que mult se tint à pou que il ne furent tuit mort ou pris; Geoffroi de Villehardouin, XLVI-XLVII, 215-216: 89 [traduction par J. Longnon].

[52]Ἴδε, ποῖος χωρίτης κάθηται μόνος παρισταμένων αὐτῷ τοιούτων ἡγενόνων”; Anne Comnène, X, x, 6-7: 229-230. Albert d’Aix remarque également cette coutume des Byzantins qui était étrange pour les Latins; Albert d’Aix, II, 16: 310-311.

[53] Anne Comnène, X, x, 7: 230.

[54] Nicétas Choniatès, II, 2: 86.

[55] Dès 1137, Raymond de Poitiers avait dû reconnaître la suzeraineté de Byzance, une concession qui avait évidemment porté un dur coup à l’orgueil des Latins. Les princes d’Antioche, à vrai dire, avouaient cette suzeraineté plus en théorie qu’en pratique. Sur cette question, voir T. S. Asbridge, The Creation of the Principality of Antioch, 1098-1130, Woodbridge: Boydell Press, 2000: 92-99.

[56] Guillaume de Tyr, XV, 4: 678-679.

[57] C. Bouillot, “Aux antipodes du beau geste… ”, cit.: 49.

[58] Guillaume de Tyr, XV, 4: 679.

[59] Jean Kinnamos, IV, 21: 186-187; Guillaume de Tyr, XVIII, 25: 847-848. Précisons que Guillaume de Tyr néglige de mentionner les détails humiliants de cette procession, se limitant au fait que le prince et le roi étaient présents lors de l’entrée triomphale de Manuel. Il nous paraît difficile de trancher définitivement sur les détails de cette cérémonie, Guillaume de Tyr et Jean Kinnamos n’étant ni l’un ni l’autre des témoins oculaires de l’événement. Pour une analyse approfondie de l’objectivité de Jean Kinnamos et de Guillaume de Tyr, voir R.-J. Lilie, Byzantium and the Crusader States 1096-1204, Oxford: Clarendon Press, 1993: 277-297.

[60]Βασιλεὺς δὲ προσιέναι τὸν ῥῆγα μαθὼν ἄλλοτε ἄλλους τῶν ἐπι δόξης προσυπαντᾶν αὐτῷ ἔπεμπε καὶ τοὺς ἐπιδοξοτέρους κατόπιν ἄρχι καὶ τῶν ἐπ’ ἀδελφιδαῖς αὐτῷ γαμβρῶν, προσεποῦντας αὐτὸν καὶ τὰ εἰχότα τιμήσοντας, ἕως παρ’ αὐτὸν βασιλέα ἦλθεν. ὁ μὲν οὖν οὕτως ἀξίως τοῦ Δαβὶδ θπόνου καὶ ἐτίμα καὶ ἐδεξιοῦτο τὸν ἄνθρωπον· ὁ δὲ εἴτε τούτοις κατεπαρδεὶς εἴτε καὶ ξύμφυτόν τινα τρέφων ἀλαζονίαν, ἐπειδήπερ εἰς τὴν βαςίλειον παρῆλθεν αὐλήν, ὑπό τε τῶν βασιλείων ῥαβδούχων καὶ Ῥωμαίων τῶν ἐπὶ δόξης παραπεμπόμενος ἐνταῦθα τοῦ ἵππου ἀπέβη, ἔνθα καὶ βασιλεὺς αὐτὸ ποιεῖν εἴθιστο. ἐφ’ οἷς ἀγερωχίαν αὐτοῦ καταγνοὺς βασιλεὺς πολλὰ τῶν ἔπι μᾶλλον εἰς τιμὴν ὁρώντων ἐνέλιπεν αὐτῷ. εἶδε δὲ ὅμως αὐτὸν καὶ προσεῖπεν ἕδραν τέ τινα χθαμαλὴν καθιζῆται παρέθετο, συνωμίλησέ τε πολλάκις αὐτῷ καὶ ἐν συσσιτίῳ παρέλαβεν.”; Jean Kinnamos, IV, 20: 124-125 [traduction de J. Rosemblum].

[61] En effet, le rituel de descendre du cheval à des endroits désignés n’était pas seulement d’origine byzantine, mais également fatimite. Baudouin connaissait forcément les coutumes de ses deux rivaux les plus importants. Le De ceremoniis indique les endroits et les circonstances où ce protocole devait être respecté; éd. de J. J. Reiske, I, 10: 84, 9; I, 17: 107, 5. Concernant le cérémonial fatimite, voir Canard, “Le cérémonial fatimite et le cérémonial byzantin…”, cit.: 363.

[62] La présence du Maître des cérémonies assurait le bon déroulement de chaque cérémonie, ce qui écartait habituellement toute forme d’improvisation. Toutefois, la coutume latine en matière de salutation consistait à descendre de son cheval devant celui à qui l’on adressait son salut, comme quoi une confusion aurait pu survenir à l’arrivée de Baudouin à la résidence impériale. Sur le salut courtois, voir Bouillot, “Aux antipodes du beau geste…”, cit.: 49, de même que K. Sittl, Die Gebärde der Griechen und Römer, Leipzig, 1890: 152.

[63] Selon Philotée, qui écrit au Xe siècle un traité sur les préséances, le simple fait d’“introduire une erreur ou une confusion dans les réceptions impériales serait ruiner la valeur des titres impériaux”; N. Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines des IXe et Xe siècles, Paris: Éditions du centre national de la recherche scientifique, 1972: 22.

[64] Shepard, “‘Father’ or ‘Scorpion’?: Style and substance in Alexius’ diplomacy”, dans Alexios I Komnenos (M. E. Mullett et D. C. Smythe, dir.), Belfast: Belfast Byzantine Texts and Translations, 1996: 91.

[65] Jean Zonaras, Epitomae historiarumd. par T. Büttner-Wobst), Bonn: Corpus scriptorum historiae byzantinae, 1897, XVIII, 29, 19-27: 766-767; Jean l’Oxite, “Diatribes de Jean l’Oxite contre Alexis Ier Comnène” (éd. et trad. par P. Gautier), Revue des études byzantines 28 (1970): 5-55.

[66] Anne Comnène, XIII, ii, 1: 92.

[67] Le fait qu’Alexis ait accepté de prendre Bohémond par la main lors du traité de Devol en 1108 doit notamment être considéré comme un geste notable de fraternité militaire; Shepard, “‘Father’ or ‘Scorpion’?...”. cit.: 92 et 96.

[68] Liutprand de Crémone, en 949, prétend que la distance entre l’empereur et lui était telle qu’une conversation entre les deux était impossible sans la présence d’un intermédiaire; Liutprand de Crémone, Antapodosis (trad. par F. A. Wright), dans The Embassy to Constantinople and other writings, Londres: J. M. Dent, 1993, VI, 5: 153. Nous pouvons supposer que la salle d’audience d’Alexis au palais des Blachernes était beaucoup moins formelle que le Chrysotriklinos du Grand Palais, si ce n’est qu’il était possible, selon Anne Comnène, pour les croisés d’atteindre le trône impérial en tirant des flèches de l’extérieur; Anne Comnène, X, ix, 6: 223.

[69] Guillaume de Tyr, XVIII, 25: 847-849.

[70] Geoffroi de Villehardouin, xxxviii-xxxix, 185-189: 189-192. Nous ne devons guère nous surprendre d’un cérémonial moins rigoureux à cette époque, si ce n’est de l’instabilité politique et du statut particulier des croisés, qui posaient comme les champions d’Alexis IV. Robert de Clari remarque par ailleurs que, lors d’une visite du roi de Nubie, Alexis IV se serait levé pour l’accueillir et lui aurait fait grande fête, contrairement au protocole habituel; Robert de Clari, liv: 73.

[71] Odon de Deuil, IV: 77.

[72] Guillaume de Tyr, XVIII, 30-31: 854-857; B. Hamilton, “Manuel I Comnenus and Baldwin IV of Jerusalem”, dans Καθηγητρια: Essays presented to Joan Hussey for her Eightieth Birthday (J. Chrysostomides, dir.), Camberley: Porphyrogenitus, 1988: 356.

[73] R.-J. Lilie, Byzantium and the Crusader States…, cit.: 136-138; Guillaume de Tyr, XV, 19-20: 700-702.

[74]Nudis enim, ut dicitur, pedibus, indutus, laneis, manicis usque ad cubitum decurtatis, fune circa collum religato, gladium habens in manu nudum, quem mucrone tenens cuius capulum domino imperatori porrigeret, coram universis legionibus domino imperatori presentatus est ibique ante pedes eius ad terram prostratus, tradito domino imperatori gladio, tam diu iacuit, quousque cunctis vertertur in nauseam et Latinitatis gloriam verteret in obprobrium”; Guillaume de Tyr, XVIII, 23: 845. Cet épisode est corroboré par Jean Kinnamos, IV, 18: 181-183.

[75] Shepard, “Information, disinformation and delay in Byzantine diplomacy”, Byzantinische Forschungen 10 (1985): 235; J. Haldon, “Blood and ink: some observations on Byzantine attitudes towards warfare and diplomacy”, dans Shepard et S. Franklin, Byzantine diplomacy: Papers from the Twenty-fourth Spring Symposium of Byzantine Studies, Aldershot: Variorum, 1992: 282.

[76] D. Obolensky, “The Principles and Methods of Byzantine Diplomacy”, dans Actes du XIIe congrès International d'Études Byzantines, I, Belgrade, 1963: 45-61; voir également les différentes études contenues dans Byzantine diplomacy: Papers from the Twenty-fourth Spring Symposium of Byzantine Studies, cit.

[77] C’est notamment l’argument dénoncé dans les Gesta francorum et les autres chroniques appartenant à la même tradition; Gesta francorum, II, 6: 31.

[78] Ce fut le cas de Renaud de Châtillon qui, malgré une rivalité de longue date avec Byzance, préféra un rapprochement dès que cela lui parut profitable. Il en va de même pour la politique de plusieurs rois de Jérusalem qui consentirent à certaines alliances avec les Byzantins malgré leurs rivalités antérieures. À ce sujet, voir le passage de Guillaume de Tyr concernant la réception à Constantinople d’Amaury Ier par Manuel Comnène en 1171; Guillaume de Tyr, XX, 22-23: 940-945; S. Runciman, “The Visit of King Amalric I to Constantinople in 1171”, dans Outremer: Studies in the history of the Crusading Kingdom of Jerusalem (B. Z. Kedar, H. E. Mayer et R. C. Smail, dirs.), Jerusalem: Yad Izhak Ben-Zvi Institute, 1982: 153-158; Hamilton, “Manuel I Comnenus and Baldwin IV of Jerusalem”, cit.: 359-368.