Back to Homepage Annuario 2003
p. 49
Les relations diplomatiques entre Grecs et Latins
dans la perspective politico-culturelle du XIIe siècle:
les réactions des croisés au cérémonial byzantin selon les chroniqueurs occidentaux des croisades
Marc
Carrier,
Université
de Paris I
La représentation
des Grecs perfides et efféminés, telle que constatée en Occident au Moyen Âge,
a fait l’objet de plusieurs études au cours des dernières années, mais
sans jamais réellement s’attarder en profondeur aux significations culturelles
du phénomène, ni aux conséquences qu’elles ont occasionné entre Grecs et
Latins. Ce présent article se veut une tentative d’aborder le problème
de façon concrète et fait suite à une première ébauche
proposée dans cette même revue en 2002[1].
Dans ce premier article, il était question précisément de la représentation du
cérémonial byzantin selon les chroniqueurs des croisades au XIIe
siècle. Les quatre premières croisades proposaient en effet pour
notre étude une période charnière dans l’évolution des rapports entre Grecs
et Latins, notamment par la recrudescence d’un discours péjoratif envers les
Byzantins et, par extension, d’échanges de plus en plus difficiles entre les
deux mondes. Par l’entremise d’une approche culturelle, il fut proposé que
l’antagonisme résultait principalement d’un conflit de valeurs mettant en
opposition la société féodale et le monde byzantin. Les Byzantins ne
répondaient pas aux attentes de fraternité chrétienne des croisés et
s’opposaient particulièrement à eux sur des questions d’honneur, de
courage et de loyauté; toutes des valeurs qui reflétaient en fait un idéal
chevaleresque en pleine évolution. Ainsi, les Grecs étaient perçus comme
perfides du fait qu’on les soupçonnait de négocier avec l’ennemi, d’induire en
erreur les chefs de la croisade et, surtout, de vouloir contrecarrer l’objectif
de l’expédition. Ils étaient également considérés comme efféminés de par leur
mollesse et la décadence de leur mode de vie, de même qu’une absence de
qualités guerrières. Bref, ce manque de loyauté et cette perception de
couardise faisaient d’eux des félons, dont l’image n’était guère
favorisée par des usurpations fréquentes du pouvoir et d’autres gestes que les
croisés considéraient ignobles.
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Que ces
accusations aient été fondées ou non, ou même qu’elles aient été ou non
une sorte de “projection inconsciente”[2]
de certains tares dont les croisés craignaient être eux-mêmes
coupables, il reste que les Latins en étaient convaincus et que
plusieurs manifestations de la civilisation byzantine semblaient à leurs
yeux les corroborer. Le cérémonial byzantin, perçu surtout dans un contexte
diplomatique, nous offre un modèle idéal pour comprendre ces
représentations des croisés. Bien qu’empreint de la magnificence et de
l’exotisme qui était à la base de la fascination médiévale d’un Orient
certes imaginaire, les croisés ont également perçu, voire confondu, dans le
cérémonial certains des vices qu’ils attribuaient aux Grecs. Notre étude
précédente, en effet, a établi les similitudes entre la représentation des
Grecs perfides et efféminés et la représentation du cérémonial byzantin chez
les chroniqueurs des croisades. Le cérémonial était un véhicule de la perfidie
des Grecs, basé principalement sur l’image négative que les croisés
attribuaient à l’empereur et qui était généralisée à l’ensemble
des Byzantins. Les chroniqueurs nous mettent particulièrement en garde
contre les paroles déloyales et les cadeaux « empoisonnés » de
l’empereur[3].
En effet, plus d’un chroniqueur a souligné comment l’amitié que l’empereur
manifestait aux seigneurs était incompatible avec ses actions, laissant ainsi
planer le doute sur sa sincérité. Les vêtements et tous les accessoires
superflus du cérémonial, quant à eux, étaient perçus comme des
diversions cherchant à brouiller les véritables enjeux diplomatiques,
alors que les cadeaux exprimaient les dangers liés à l’appât du gain,
susceptible de faire plier la volonté des croisés à celle de l’empereur[4].
Au même titre que la perfidia,
les chroniqueurs ont également signalé l’ignavia
qui caractérisait le cérémonial et qui évoquait la décadence des mœurs
orientales. Il ne faut guère se surprendre si les nombreux eunuques qui
composaient la cour impériale, de même que les vêtements et les
ornements flamboyants qui les accompagnaient, ont été perçus comme efféminés
par des spectateurs occidentaux. Ce stéréotype, en effet, n’était pas limité
aux Byzantins, étant traditionnellement généralisé à la plupart des
peuples orientaux.
L’essentiel du
mépris − ou du silence − de certains chroniqueurs était toutefois
dirigé envers les rituels du cérémonial qui se voulaient humiliants et qui
venaient compromettre l’honneur des seigneurs occidentaux qui devaient s’y
soumettre. Nous reviendrons amplement sur ce point précis un peu plus loin. Ce
qu’il faut retenir de cette réticence face au cérémonial est avant tout la
détérioration potentielle des rapports diplomatiques entre Byzantins et croisés
au XIIe siècle. Une question évidente se pose: à
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quel point ces deux
phénomènes sont-ils liés? Le XIIe siècle, en effet,
fut une période de profondes remises en question au sein de la chrétienté, plus
encore entre Grecs et Latins, et les événements de 1204 en sont les fâcheux
résultats. Les hypothèses cherchant à expliquer cette
détérioration abondent: certains y voient des enjeux politiques ou des
rivalités économiques, d’autres des querelles religieuses ou des contrastes
culturels. Bien que la réponse réside sans doute dans un compromis de
l’ensemble de ces théories, c’est avant tout le facteur culturel qui nous
intéresse ici: la représentation du cérémonial byzantin par les croisés
est-elle un reflet des relations gréco-latines du XIIe
siècle? Plus encore, l’attitude négative des croisés et les réactions
qu’ils ont eues face au cérémonial ont-elles eu un impact sur leurs rapports
avec les Byzantins?
C’est un
questionnement certes audacieux, mais qui a le mérite d’être soulevé. Il
s’agit en fait de passer de la simple représentation à la réaction qu’a
entraîné cette représentation, pour ainsi aller au-delà des
significations culturelles du phénomène et aborder leurs conséquences
sur les rapports entre Grecs et Latins. Une réaction peut certes se manifester
sous différentes formes: elle implique habituellement une action, mais qui
n’est pas forcément physique; elle peut donc se limiter à une attitude,
une opinion ou même un commentaire qui est basé sur ou qui découle de la
représentation en question. Les sources qui nous préoccupent ne nous permettent
pas toujours de dégager des réactions aussi nuancées, mais elles nous
présentent tout de même des réactions qui sont plus visibles et dont
l’impact est plus significatif. Nous partons donc du principe que ces réactions
plus visibles, qu’elles aient été positives ou non, ont sans doute influencé le
déroulement des rencontres diplomatiques et par conséquent eu un quelconque
impact sur l’évolution des relations gréco-latines dans leur ensemble. Il en va
de même pour les “contre réactions” des Byzantins, que nous aborderons
plus loin, et qui se traduisent par des répliques ou des réponses face aux
réactions des croisés et dont les répercussions peuvent également avoir eu un
impact sur le processus diplomatique. Mais bien que l’étude de ces renvois
diplomatiques entre croisés et Byzantins soit essentielle à notre
questionnement, une autre nuance plus subtile et tout aussi importante doit
également être abordée: il s’agit de déterminer si les réactions des
croisés constituent bien un rejet du cérémonial byzantin ou plutôt un rejet de
la politique impériale byzantine. La nuance à ce niveau est bien
particulière, bien qu’elle puisse sembler simpliste à la base. En
effet, plusieurs s’entendront pour dire qu’en principe des intérêts
politiques immédiats viennent habituellement supplanter de simples
préoccupations culturelles, de sorte que la détérioration des rapports au XIIe
siècle s’expliquerait mieux par des facteurs tangibles que des concepts
abstraits de diversité culturelle. Ils ont, à vrai dire, généralement
raison. Mais encore faut-il admettre que certaines nuances peuvent venir
compliquer une réponse trop hâtive, et c’est précisément dans cette optique que
nous abordons la présente étude.
Les sources qui
nous concernent comportent certaines limites que nous nous devons d’énumérer
ici. Il s’agit en fait de déterminer dans quelle mesure les chroniques des
croisades sont en mesure de répondre à notre questionnement. Le
principal obstacle concerne avant tout le paradoxe méthodologique qui se pose
entre étudier les représentations et dégager ensuite les réactions. En effet,
la représentation des Grecs que nous avons établie est celle des chroniqueurs
alors que les réactions que nous tentons
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d’étudier sont celles des
dirigeants de la croisade. Or, même si ce sont ces mêmes
chroniqueurs qui nous relatent les réactions, rien ne nous prouve avec certitude
que leur représentation était partagée par leur seigneur respectif.
L’historiographie concernant les chroniqueurs de la première croisade le
démontre bien, tout comme les études portant sur les croisades subséquentes;
entre autres, l’attitude particulière d’Odon de Deuil en contraste avec
celle de Louis VII lors la deuxième croisade a déjà été soulevée
dans cette optique[5]. Sauf pour
Étienne de Blois et Geoffroi de Villehardouin, de même que quelques
correspondances limitées, nous ne possédons aucun document écrit directement de
la main des seigneurs; Villehardouin, par ailleurs, est le seul seigneur qui
nous a fait part de réactions face au cérémonial byzantin. C’est pourquoi il
est impératif d’aborder les représentations dans leur sens plus global plutôt
qu’individuel, pour ainsi tenter de répondre aux exigences plus générales de
notre questionnement qui, rappelons-le, cherche à dégager des tendances
qui s’étendent sur un peu plus d’un siècle.
Les principaux
récits occidentaux qui nous font part des réactions des dirigeants de la
croisade se limitent essentiellement à cinq auteurs: Raoul de Caen,
Albert d’Aix, Odon de Deuil, Guillaume de Tyr et Geoffroi de Villehardouin[6].
Ce corpus est certes plus restreint que l’ensemble des sources qui traitent des
quatre premières croisades; celles-ci, bien qu’utiles pour dégager les
représentations, se montrent plus brèves en ce qui concerne les
réactions[7].
Parmi nos cinq principaux
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chroniqueurs, seulement
trois sont des témoins oculaires de ce qu’ils racontent: il s’agit d’Odon de
Deuil et de Geoffroi de Villehardouin, tandis que Guillaume de Tyr,
généralement fiable, ne fut témoin que pour certaines périodes et certains
événements seulement. Nos deux seules sources pour la première croisade,
Raoul de Caen et Albert d’Aix, ne sont pas des témoins directs, le premier
étant arrivé à Antioche en 1107, le second n’étant jamais allé en Orient
et ayant basé son récit sur d’autres témoignages à la fois écrits et
oraux; nous reviendrons plus loin sur le cas particulier d’Albert. Nous devons
évidemment tenir compte des risques d’exagération ou d’embellissements en ce
qui concerne les témoignages indirects des réactions des croisés, bien que les
récits directs ne soient pas forcément exempts de ce même danger. Une
autre considération concerne Guillaume de Tyr, qui représente la perspective du
royaume de Jérusalem, où les rapports avec les Byzantins étaient
beaucoup plus nuancés. Son attitude se veut par conséquent plus tolérante, si
ce n’est qu’il était plus familier avec les mœurs orientales, mais encore
verrons-nous qu’une meilleure compréhension du cérémonial byzantin peut
impliquer des réactions plus subtiles qui échapperaient à un spectateur
étranger et que Guillaume ne négligea pas de nous souligner.
Alors que pour
l’étude des représentations il était possible de se contenter uniquement des
chroniques occidentales, l’étude des réactions, en contrepartie, exige un
éventail de sources plus étendu. Les chroniques byzantines du XIIe
siècle se proposent justement de combler les lacunes et les limites que
nous imposent les chroniques latines des croisades. Trois principaux auteurs
retiennent notre attention: Anne Comnène, Jean Kinnamos et Nicétas
Choniatès[8]. Leurs
chroniques nous présentent des préoccupations différentes des chroniques
occidentales: bien que ces dernières soient généralement plus
fidèles aux intentions et aux motivations des croisés, les chroniques
byzantines sont celles qui dénoncent le plus souvent les réactions négatives
des croisés, du fait que celles-ci manifestaient habituellement un affront
à leur culture qui était pour eux à la fois choquant et
intolérable. Bien que plus riches en information, ces chroniques se limitent
toutefois à une interprétation byzantine des réactions des croisés qui
fait souvent place à l’exagération, voire à l’erreur, et qui
servait habituellement à illustrer leur propre représentation des
Latins, notamment leur arrogance et surtout leur insolence. Mais partiales ou
non, ces sources sont les seules dont nous disposons, et
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nous nous proposons de les
utiliser de notre mieux dans le cadre de notre étude. Par ailleurs, nous
pouvons nuancer le biais des chroniqueurs byzantins sous le principe qu’ils
n’auraient pas eu intérêt à inventer de toute pièce ce qui
cherchait justement à ridiculiser leur culture et le prestige de leur
empire. Enfin, les chroniques byzantines nous offrent un avantage de
comparaison avec les sources occidentales, pour ainsi trancher sur les
incongruences dans les récits et, par extension, mieux saisir l’impact des
réactions sur les relations gréco-latines.
I. Réactions positives au cérémonial byzantin:
Notre étude
précédente nous a démontré comment la représentation des Grecs, et par
extension celle du cérémonial byzantin, pouvait être ambiguë chez les
chroniqueurs des croisades. Les représentations négatives sont généralement
plus apparentes dans les récits, du fait que les chroniqueurs s’acharnaient
davantage à décrire ce qui leur semblait inusité, et ceci surtout dans
le contexte des tensions diplomatiques avec les Byzantins; le cérémonial était
perçu comme un élément perturbateur dans les négociations avec les Grecs et
était décrit en tant que tel en ce qui concerne les représentations. En
contrepartie, les représentations “plus positives” du cérémonial sont tout aussi
nombreuses dans les chroniques, quoique plus discrètes. Plus d’un
chroniqueur, en effet, a résumé une audience diplomatique en quelques mots
seulement, se limitant simplement à mentionner que les seigneurs avaient
été reçus « de façon honorable » par le basileus[9].
L’adverbe honorabiliter était
évidemment employé pour signifier que les seigneurs avaient été reçus selon la
dignité de leur rang et de leur naissance, ou du moins qu’on avait respecté les
marques de courtoisie à leur égard; le cérémonial byzantin, avec sa
largesse et son système de préséances bien fixé, aurait certes bien
véhiculé une telle impression[10].
À
première vue, cette impression suggère une représentation
positive du cérémonial, ou du moins une reconnaissance de la libéralité des
Byzantins. En revanche, certains facteurs nous demandent de nuancer cette
conclusion hâtive. D’abord, la majorité des chroniqueurs du XIIe
siècle reconnaissaient la dignité de l’institution impériale, qui était
à la fois ancestrale et fermement enracinée dans les mentalités
médiévales[11]; ceci
aurait eu pour effet de nuancer, voire éclipser, toute représentation
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négative du cérémonial, sans
toutefois insinuer une représentation positive. Parallèlement, les
chroniqueurs médiévaux évitaient habituellement de décrire ce qui n’avait pas
une incidence directe pour la compréhension de leur récit, de sorte qu’une
description aussi brève exprimerait une simple reconnaissance des normes
de courtoisie médiévale, sans forcément s’attarder aux aspects plus négatifs de
leur représentation du cérémonial. Par ailleurs, peu de chroniqueurs ont été
des témoins directs d’une audience impériale, de sorte qu’il soit possible
qu’ils aient comblé leur manque d’information par des tournures littéraires
fréquemment employées dans les récits médiévaux; encore une fois, nous ne
pouvons garantir ici une représentation positive du cérémonial. Bref, ces
chroniqueurs qui se montrent plus réservés dans leur description du cérémonial
n’expriment pas forcément une approbation du cérémonial. En contrepartie, leur
brièveté est tout aussi manifeste en ce qui concerne les réactions,
suggérant un désintérêt plutôt général pour ces aspects normatifs du
processus diplomatique.
Il nous est
toutefois possible de constater des réactions positives dans certains récits de
la croisade, sans que cela ne soit explicitement signalé par les chroniqueurs.
Étienne de Blois, par exemple, exprime dans ses lettres à son épouse
Adèle de Normandie une disposition fort favorable aux Byzantins, en
particulier à Alexis Ier Comnène qui lui prodigua
plusieurs libéralités et fit preuve de grande magnificence à son égard[12].
Le témoignage d’Étienne de Blois est en fait un des seuls parmi tous les récits
du XIIe siècle à ne faire aucune allusion quelle
qu’elle soit à la perfidie des Grecs[13].
Le fait que la rédaction des lettres soit contemporaine aux événements racontés
ne doit guère nous surprendre à ce niveau; la plupart des récits
de la première croisade ont été rédigés, du moins dans leur forme
finale, après la prise de Jérusalem, donc à la lumière de
la rivalité entre Grecs et Latins suscitée par la question d’Antioche et le
rôle des Byzantins dans l’expédition[14].
Quoi qu’il en soit, les récits de la première croisade
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s’accordent tous sur les
bons rapports entre Étienne et Alexis, et ceci jusqu’à leur rencontre
à Philomélion en juin 1098. Ceci constitue en soi une réaction,
évidemment favorable, suscitée sans doute par les résultats positifs de la
rencontre entre Étienne et Alexis à Constantinople et où le cérémonial
a joué un rôle important dans le succès des négociations[15].
Voilà en
somme pourquoi nous devons parfois interpréter, malgré le silence des
chroniqueurs, des réactions positives au cérémonial byzantin; il est plus
courant, en effet, de signaler les discordes plutôt que les éléments ayant peu
de conséquence à l’intérêt du récit. Certains aspects du
cérémonial byzantin, par ailleurs, concordaient bien avec les attentes des
croisés, notamment leur représentation du souverain et l’hospitalité dont ils
espéraient de lui. Or, les seigneurs de la croisade n’ont pu faire autrement
que de réagir favorablement aux éléments qui concordaient avec les mentalités
occidentales de l’époque. Ainsi, la générosité de l’empereur suscitait la
faveur des seigneurs et contribuait à son prestige et à sa puissance,
voire à l’idéal du souverain
médiéval[16]. L’octroi
des cadeaux avait également un rôle important dans le processus diplomatique,
de même qu’une fonction symbolique dans le contexte cérémoniel: l’échange
de dons servait à sceller les ententes conclues pendant l’audience et
représentait le lien qui avait été créé entre les deux partis. Bien que perçus
par certains comme une façon de soudoyer et compromettre la volonté des
seigneurs, les cadeaux ont dans l’ensemble favorisé les relations entre croisés
et Byzantins et ont contribué au prestige de l’autorité impériale.
Tout aussi prisée
était l’hospitalité de l’empereur, notamment la pompe qu’il étalait à
ses invités, les banquets auxquels il les conviait, de même que les
somptueux logements qu’il leur accordait − du moins pour ceux qui étaient
invités à séjourner dans la capitale. Malgré le caractère
hautement cérémoniel des banquets et la complexité des préséances qui les
composait, les Occidentaux y retrouvaient tout de même des références
culturelles partagées par l’ensemble du monde médiéval, y compris l’Islam:
entre autres des valeurs de partage et d’hospitalité, mais également une
évocation du
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repas-sacrifice rituel, de
tradition clairement judéo-chrétienne[17].
Comme le don, l’hospitalité de l’empereur servait de “pont culturel”, créait
des liens solides avec les croisés et, par conséquent, suscitait chez eux des
réactions forcément positives. Odon de Deuil, l’un des détracteurs les plus
virulents des Grecs, avoue justement avoir été charmé par les banquets
organisés par Manuel Ier Comnène pour Louis VII, une réaction
positive en soi, bien qu’il y soupçonnait une perfidie quelconque[18].
En fait, les liens engendrés par le rituel du festin étaient quasi-sacrés, ce
qui explique pourquoi certains rois et seigneurs de la croisade ont si mal
réagi lorsqu’ils ont plus tard soupçonné une trahison de l’empereur; dans leur
optique, un tel geste transgressait un aspect important de la morale chrétienne
médiévale[19]. Selon Anne
Comnène, Bohémond de Tarente était suffisamment méfiant des intentions
d’Alexis en 1097 pour remettre en question cette convention médiévale en
soupçonnant que l’empereur avait empoisonné la nourriture qu’il lui avait
envoyée. La crainte s’avéra fausse, toutefois, et Bohémond n’aurait par la suite
pas dédaigné de prêter un serment à l’empereur, supposément avec
beaucoup d’empressement[20].
Bref, malgré les intentions sans doute politiques de Bohémond, nous ne pouvons
négliger l’importance de l’hospitalité et des dons dans les liens établis alors
entre celui-ci et Alexis, surtout à la lumière de leurs conflits
précédents.
II. Réactions négatives au cérémonial byzantin:
Les réactions
négatives, nous l’avons évoqué, sont plus apparentes dans les chroniques des
croisades. Qu’il y ait eu des réactions négatives face au cérémonial n’est
guère surprenant, surtout à la lumière des divergences
culturelles entre l’Orient et l’Occident chrétiens au XIIe
siècle. À ce niveau, les chroniqueurs ont su passer outre
l’émerveillement initial engendré par le cérémonial pour faire ressortir les
éléments qui
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leur paraissaient
inhabituels et qui venaient, par extension, perturber les rapports
diplomatiques entre les croisés et les Byzantins. Dans certains cas, ils ont
même établi une corrélation entre le cérémonial et leur représentation
des Grecs, en y percevant notamment des indices d’artifices et de décadence de
leur civilisation. Mais c’est avant tout le caractère rigoureux, parfois
même humiliant, du cérémonial qui a engendré le plus de réactions négatives
de la part des croisés. Dans certains cas, une mauvaise interprétation de
certains rituels peut expliquer l’indignation des dirigeants de la croisade;
les croisés n’étaient point des diplomates et, tout comme la majorité des
étrangers qui se rendaient à la cour byzantine, ils n’étaient pas en
mesure de comprendre la portée symbolique du cérémonial, ni ses subtilités.
Mais les rituels que les croisés étaient en mesure de comprendre, notamment
ceux qui venaient compromettre leur honneur et leur fierté, ont forcément suscité
leur indignation, ce qui à son tour a eu un impact sur les rapports
diplomatiques.
La sévérité du
cérémonial posa évidemment un obstacle. Le protocole impérial était
particulièrement rigoureux et offrait un contraste avec les manières
plus décontractées des cours occidentales de l’époque. Il était interdit, par
exemple, de parler en présence de l’empereur, sauf si on était invité à
le faire. Il était tout aussi interdit de s’adresser directement à
l’empereur, de sorte que le dialogue devait se faire par l’entremise d’un
interprète, et ceci même si les deux interlocuteurs parlaient la
même langue. Qui plus est, tous devaient demeurer debout en présence de
l’empereur, ce dernier étant le seul, sauf pour quelques exceptions, qui
pouvait s’asseoir[21].
Les seigneurs d’Occident, et même les rois, étaient évidemment peu
accoutumés à un tel protocole, qu’ils considéraient démesuré[22].
Le rituel de proskynesis est
toutefois celui qui suscita le plus de mépris. Celui-ci consistait à se prosterner
de tout son long sur le sol, et ceci à trois reprises, en guise
d’obéissance à l’empereur; il était également coutume de baiser les
pieds et les genoux du basileus, selon le cas[23].
Les chefs croisés ont protesté plus d’une fois,
parfois véhémentement, contre ces rites d’adoration
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humiliants qui
venaient compromettre leur honneur et leur fierté[24].
Jumelé au fait que certains empereurs ont exigé un serment des seigneurs,
considéré comme honteux par plusieurs chroniqueurs, les réactions des croisés
n’étaient guère destinées à être positives. Bref, selon
l’idée que les Grecs étaient déloyaux, paresseux et sans honneur, l’idée de se
soumettre à de tels rituels venait compromettre l’honneur des croisés
eux-mêmes. Les chroniqueurs, en effet, se montrent plutôt critiques
envers les seigneurs qui se sont soumis aux conditions des Byzantins, malgré
que les motivations de ces derniers étaient sans doute conditionnées par des
besoins plus urgents que de simples questions d’orgueil[25].
Les réactions
négatives qu’ont engendrées ces aspects du cérémonial se sont manifestées sous
différentes formes, mais le plus souvent elles se traduisaient par des affronts
au cérémonial; devant l’impuissance qu’imposaient les circonstances, cette
forme de réaction est devenue le seul recours de certains dirigeants pour
manifester leur rejet des prétentions impériales et des valeurs byzantines.
Cette dissidence, nous le verrons, était parfois très rusée, au point
que certains rois et seigneurs ont su “contre utiliser” le cérémonial à
leur avantage; ceux-ci avaient clairement compris l’ampleur du cérémonial et
l’importance que lui accordaient les Byzantins. Nous pouvons catégoriser les
réactions des croisés sous trois formes: le contournement du cérémonial, les
comportements insolents et les transgressions directes du protocole. Nous nous
proposons d’aborder ces trois aspects séparément, en se limitant aux exemples
qui illustrent le mieux notre propos.
a) Contournement du cérémonial:
Une des réactions
les plus fréquentes, de par sa simplicité et sa subtilité, était simplement
d’éviter de rencontrer l’empereur et ainsi être dispensé de toutes les
formalités diplomatiques et cérémonielles. Or, le cérémonial était
indissociable de l’empereur; puisque les seigneurs doutaient de la loyauté de
l’empereur, le cérémonial devenait un instrument de sa perfidie. C’est avant
tout la sincérité des paroles mielleuses, des rituels d’adoption et des cadeaux
qui était mise en doute. En contournant tous ces éléments, les seigneurs
s’assuraient de ne pas être malgré eux des victimes des machinations des
Grecs, donc ne courraient pas le risque de compromettre leur honneur. Les
exemples de ce type de réaction sont nombreux, surtout en ce qui a trait
à la première croisade, bien qu’il soit parfois nécessaire de
leur porter un œil critique.
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L’épisode de
Godefroi de Bouillon en 1096, qui nous est en grande partie relaté par Albert
d’Aix, nous propose un cas particulier. Étant à la tête de la
première véritable armée qui rejoint Constantinople, Godefroi nous
présente un aperçu des relations qui caractérisèrent les Grecs et Latins
pendant tout le XIIe siècle, notamment une méfiance et une
incompréhension quasi-chroniques de l’Autre. Suite à quelques mises en
garde faites aux croisés sur les manières perfides d’Alexis, Godefroi
refusa les invitations répétées de l’empereur de venir à sa rencontre.
Selon Albert, certains détracteurs implorèrent Godefroi de demeurer
à l’abri des “paroles trompeuses” et des “vêtements empoisonnés”
de l’empereur[26]. Il s’agit
évidemment d’une référence aux pompes et aux magnificences qui entouraient le
basileus et qui étaient destinées à distraire, voire à intimider,
les seigneurs. Le fait qu’Albert ait choisi de dénoncer ces éléments précis du
cérémonial est particulier, si ce n’est qu’il nous paraît plus logique
d’attribuer la décision de Godefroi à une crainte de devoir prêter
un serment de vassalité à l’empereur, plutôt qu’uniquement à des
considérations de perfidie dans le cérémonial[27]. Il est possible
que l’interprétation d’Albert découlât d’un manque d’information qu’il aurait
tenté de combler par un scénario qu’il considérait plausible; au niveau des
mentalités, ceci nous en dit long sur l’opinion qu’on avait du cérémonial
byzantin à l’époque. Mais quoi que peuvent avoir été les véritables
motivations de Godefroi, les deux interprétations associent tout de même
la crainte d’une audience avec l’empereur à des éléments du cérémonial.
Le cérémonial, soit au niveau rituel ou visuel, était perçu comme suffisamment
menaçant pour inciter Godefroi à contourner tout le processus
diplomatique. Cette réaction face au cérémonial eût forcément des
conséquences négatives, d’autant plus que ce délai suscita la méfiance d’Alexis
quant aux intentions des croisés. Ce n’est que lorsque les tensions entre les
deux camps dégénérèrent en conflit armé que Godefroi se plia aux
exigences de l’empereur. Il faut croire d’ailleurs que les craintes initiales
de Godefroi avaient été en quelque sorte
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justifiées, si ce
n’est qu’il bénéficia de tous les attraits du cérémonial (cadeaux, banquets,
etc.), pour finalement prêter le serment requis[28].
Godefroi ne fut
pas le seul à craindre le caractère incitatif du cérémonial,
particulièrement sur la question du serment exigé par Alexis. Raymond de
Saint-Gilles et Bohémond de Tarente manifestèrent eux aussi une
réticence plus ou moins marquée à rencontrer Alexis. Tancrède de
Hauteville, toutefois, se serait montré le plus audacieux dans sa tentative de
contourner le cérémonial: pour éviter Alexis, le neveu de Bohémond se serait
déguisé en simple piéton et aurait traversé le Bosphore avec ses hommes
à l’insu des autorités byzantines. Selon Raoul de Caen, Tancrède
“avait en horreur l’amitié perfide des Grecs, autant que l’épervier redoute les
filets, ou le poisson l’hameçon; aussi, dédaignant les présens du roi, avait-il
résolu de fuir même sa présence.”[29] La crainte de
devoir prêter un serment à Alexis est encore une fois en cause
ici, mais tout comme Albert d’Aix, Raoul retient le prétexte des éléments
incitatifs du cérémonial. Le fait que les récits d’Albert et de Raoul sont
indépendants l’un de l’autre souligne davantage l’importance que les
chroniqueurs attribuaient au cérémonial dans les échecs diplomatiques des
croisés avec les Byzantins. Ainsi, les cadeaux étaient perçus comme un appât
qu’il fallait redouter, tout comme les autres flatteries qui risquaient de les
prendre au piège. L’allusion au timeo
Danaos et dona ferentes de Virgile est manifeste dans cet exemple, selon
l’idée bien admise au Moyen Âge que l’antique ville de Troie avait été conquise
par la perfidie dissimulée dans les cadeaux des Grecs[30].
Malgré les craintes des croisés, la volonté impériale devait tout de même
persévérer: après la prise de Nicée, Tancrède fut finalement
contraint de rencontrer Alexis et de lui prêter serment, comme quoi
à la fin on ne pouvait échapper à “l’hameçon” de la diplomatie
byzantine.
Les croisades
subséquentes présentent un contexte différent en ce qui a trait au
contournement du cérémonial. Les rois et les empereurs occidentaux qui
passèrent par Constantinople ont forcément perçus différemment le
cérémonial et la diplomatie des Byzantins. Après un demi siècle
de contacts avec Byzance, les Latins étaient plus en mesure d’anticiper leurs
rapports avec les Grecs. De plus, la présence de souverains occidentaux
à Constantinople rendait la situation plus délicate en matière de
cérémonial. Par exemple, les Hohenstaufen, tout comme leurs prédécesseurs
ottoniens, étaient moins en mesure d’être irrités par le protocole
byzantin, si ce n’est qu’ils aspiraient à un
p. 62
cérémonial aussi
élaboré à leur propre cour. Par contre, le cérémonial byzantin leur
était tout aussi insupportable du fait qu’il menaçait leurs propres prétentions
impériales. En effet, les empereurs germaniques et byzantins se disputaient depuis
plusieurs siècles l’exclusivité du titre impérial et Jean Kinnamos nous
démontre que le débat était encore bien vivant lorsque Conrad III campait sous
les murs de Constantinople en 1147[31].
Dans ce contexte, le cérémonial servait justement d’instrument pour justifier
les prétentions de l’un envers l’autre. C’est pourquoi Conrad refusa
l’invitation de Manuel de venir à sa rencontre dans la ville et proposa
plutôt au basileus de se présenter à lui à l’extérieur de la
ville[32].
La demande allait évidemment à l’encontre du protocole byzantin, qui
stipulait qu’on se déplaçait vers l’empereur et non le contraire. Par ailleurs,
le palais offrait au basileus un avantage coercitif sur son homologue allemand,
un détail qui n’aurait pas échappé à ce dernier et qui reflète
bien les craintes exprimées précédemment par Albert d’Aix et Raoul de Caen.
Manuel rejeta évidemment la proposition de Conrad sous prétexte qu’elle n’était
pas digne de son office, alors que Conrad refusait de changer d’avis, selon le
principe que son déplacement aurait symbolisé la déférence de l’inférieur vers
le supérieur[33]. Faute de
trouver un compromis, Conrad traversa finalement le Bosphore sans rencontrer
Manuel, comme quoi le cérémonial était dans ce cas précis devenu un obstacle au
bon déroulement du processus diplomatique[34].
Tout comme Tancrède, la réussite de Conrad fut cependant de courte
durée: suite à la défaite de son armée, malade et épuisé, l’empereur dut
séjourner pendant quelques mois à Constantinople, où il aurait
bénéficié d’une réception splendide[35].
p. 63
Enfin, la troisième
croisade ne nous présente un scénario guère différent. Richard
Cœur-de-Lion et Philippe Auguste ont favorisé les voies maritimes pour se
rendre en Terre Sainte, évitant ainsi les embûches que leurs prédécesseurs
avaient subi à Constantinople[36].
Frédéric Barberousse, quant à lui, emprunta la route terrestre malgré
ses relations particulièrement tendues avec Isaac II Ange. La diplomatie
byzantine n’était pas inconnue de Barberousse, si ce n’est qu’il avait lui
aussi séjourné à Constantinople avec son oncle, Conrad III, en 1149. Ses
rapports avec les Byzantins s’étaient toutefois détériorés au point où
une rencontre avec Isaac devenait impossible autant d’un point de vue
idéologique que politique; Frédéric se contenta donc de communiquer avec son
homologue par l’entremise d’ambassadeurs. La méfiance et la discorde, par
ailleurs, compliquèrent considérablement les négociations[37].
Sauf pour la quatrième croisade, dont le contexte et les motivations
étaient bien particuliers, les croisades du XIIe siècle n’ont
fait qu’alimenter l’idée que les Byzantins représentaient un obstacle à
l’itinéraire des croisés vers Jérusalem, de même qu’à l’ensemble
des objectifs des chrétiens en Terre sainte. De plus, l’explosion de violence
entre Grecs et marchands latins qui marqua le dernier quart du XIIe
siècle se culmina aux échecs diplomatiques des croisades précédentes, de
sorte que les participants de la troisième croisade ont hésité
d’emprunter la route traditionnelle qui passait par Constantinople. Contourner
Constantinople, c’était éviter la diplomatie, des négociations souvent
difficiles avec les Grecs et une trahison potentielle de leur part;
l’alternative du transport maritime, plus coûteuse mais plus rapide et
moins dangereuse, devenait alors fort intéressante.
b) “Insolence” des croisés:
Le contournement
du cérémonial se voulait une manière plutôt passive de surmonter les
obstacles diplomatiques du fait qu’elle évitait la confrontation. Certains
seigneurs ont par contre préféré une approche plus directe pour défier
l’empereur. Habituellement, cette « insolence » s’est manifestée par
une volonté de se montrer comme l’égal du basileus, ou encore d’insulter son
autorité. Les chroniques latines, qui auraient eu tout intérêt à
rapporter ces affronts pour souligner la fierté des croisés face à
l’empereur, sont pourtant plus discrètes à ce niveau que les
chroniques byzantines[38].
p. 64
L’insolence des croisés dans
un contexte cérémoniel est fréquemment dénoncée par les chroniqueurs grecs dans
le but d’illustrer par des exemples leur propre représentation des Latins,
notamment leur arrogance, leur versatilité et leur cupidité. La crédibilité des
récits byzantins doit forcément être soulevée à ce niveau,
particulièrement lorsque les chroniques latines ne nous permettent pas
de corroborer les faits rapportés. Ceci ne constitue pas forcément un obstacle
à notre analyse, si ce n’est que même les faux témoignages nous
informent sur les mentalités; dans ce cas-ci, la représentation byzantine des réactions
des croisés, ou du moins une constatation de l’attitude générale des croisés
face au cérémonial illustrée par des exemples plus ou moins exagérés. Tel que
mentionné plus haut, toutefois, il nous paraît peu probable que les
chroniqueurs byzantins aient pu inventer de toute pièce ces affronts qui
tournaient au ridicule l’autorité impériale. Tout au plus, il faut dénoncer les
exagérations possibles du récit et, si possible, formuler des interprétations.
L’exemple sans
doute le plus connu et le plus cité nous provient d’Anne Comnène et
concerne l’arrivée de Hughes de Vermandois en 1096. Selon elle, le frère
du roi de France aurait annoncé son arrivée à Alexis par un
message dont elle fournit un extrait:
“Sache, basileus, […]
que je suis le basileus des basileis, le plus grand de ceux qui vivent sous les
cieux. Aussi, dès mon arrivée, convient-il que l’on vienne à ma
rencontre et que l’on m’accueille avec une pompe digne de ma haute naissance.”[39]
Cet extrait a
souvent été critiqué et avec raison. Sachant qu’Anne bénéficiait de sources
d’information nombreuses et variées lors de la rédaction de son ouvrage, il
nous paraît inutile de douter de l’authenticité de la lettre, ni du fait
qu’elle y aurait eu accès par un intermédiaire quelconque pour la
consulter[40]. En
contrepartie, Hughes n’aurait certainement pas employé le titre de βασιλεὺς
τῶν βασιλέων pour se
désigner, mais aurait plutôt préféré une formule telle que Hugo, filius et frater regum Franciae, comme il était coutume en
Occident[41]. Lors de la
rédaction de son récit vers 1148, Anne était
p. 65
clairement en mesure de
faire la distinction entre ces deux formules, ce qui exclut la possibilité
d’une mauvaise traduction de sa part. Comment donc interpréter ce passage? Que
Hughes ait été hautain dans son adresse n’est sans doute pas impossible, tout
comme il est fort probable qu’Anne ait déformé, sinon exagéré, le passage en
question. Faute de pouvoir consulter la lettre originale, le véritable
intérêt du passage provient donc de l’emploi récurent du cérémonial comme
un prétexte pour expliquer les tensions diplomatiques alors en cause, et ceci
autant de la part des chroniqueurs grecs que latins. Ainsi, Anne aurait exagéré
l’importance que s’attribuait Hughes, sans doute pour accentuer son humiliation
lorsqu’il arriva à Durazzo avec quelques hommes seulement, le restant de
sa flotte ayant péri dans un naufrage. Anne se moque d’autant plus de la
requête de Hughes du fait qu’Alexis lui aurait finalement accordé une
réception honorable malgré son piètre état. Bref, peu importe le
véritable contenu du message de Hughes de Vermandois, l’indice du cérémonial
nous paraît encore une fois comme un enjeu fort important dans le processus
diplomatique, ou du moins comme un prétexte valable pour exprimer les
prétentions des partis concernés; dans ce cas-ci, dénoncer l’insolence que les
Byzantins percevaient chez les Latins[42].
Un autre aspect
de la perception byzantine d’insolence chez les croisés provient de leur
crainte d’être humiliés par le cérémonial. Les Normands et les Allemands
étaient généralement plus susceptibles de craindre les rituels byzantins du
fait qu’ils étaient plus en mesure de comprendre les subtilités du cérémonial.
Le résultat fut une attitude généralement provocatrice à l’égard de
l’empereur, se traduisant parfois par des tentatives de “contre utiliser” le
cérémonial pour faire valoir ses propres prétentions. Ces revendications ont
été interprétées par les chroniqueurs byzantins comme “insolentes”, qu’ils
dénoncent par la suite dans leurs récits. Anne Comnène nous rapporte,
par exemple, les exigences que Bohémond de Tarente aurait fait à Alexis
suite à l’échec du siège de Durazzo en 1108. L’armée normande
étant alors trop affaiblie pour affronter les Byzantins, l’empereur avait
proposé à Bohémond de venir à lui pour faire la paix. Pour
Bohémond, consentir à une telle invitation signifiait non seulement la
perte de souveraineté de la principauté d’Antioche, mais également une
humiliation importante pour l’ensemble des Normands. Bohémond se résigna donc
à concéder la première perte, mais non la deuxième; il
accepta de rencontrer l’empereur, mais seulement sous certaines conditions qui
ne porteraient pas atteinte à sa fierté. Selon Anne, il dicta ses
demandes aux ambassadeurs byzantins selon l’arrogance “innée” des Normands:
“Je vous demande de me donner la pleine assurance que je serai reçu
avec égard par l’autocrator; à six stades de distance, les plus proches
de ses parents par le sang viendront à ma rencontre et, lorsque je serai
arrivé à la tente impériale, au moment d’en franchir les portes, le
basileus lui-
p. 66
même se
lèvera du trône impérial pour m’accueillir avec honneur, sans la moindre
allusion à nos traités antérieurs et sans faire aucunement mon
procès; mais j’aurai pleine liberté de dire, comme je voudrai, tout ce
que je voudrai. En outre, le basileus me prendra par la main et me mettra
à la place d’honneur; j’entrerai avec deux chevaliers, sans nullement
fléchir le genou ou incliner la tête devant l’autocrator en signe
d’adoration.”[43]
À la
lumière des relations particulières entre Alexis et Bohémond, de
même que du caractère souvent provocateur de ce dernier, la
vraisemblance de ce passage ne saurait être contestée. La requête
de Bohémond concernait précisément les aspects du cérémonial qui risquaient de
compromettre son honneur, notamment l’exemption de la proskynesis, la liberté de parole et la permission de s’asseoir.
Bohémond était sans doute conscient de l’audace de sa demande, alors que du
côté byzantin on dénonçait l’arrogance du Normand qui se croyait en mesure de
se soustraire à l’ordre et la discipline de l’autorité impériale. Alexis
consentit tout de même à certaines demandes, sans doute par souci
de diplomatie, mais exclut toute concession sur la proskynesis et refusa également de se lever de son trône à
l’arrivée de Bohémond; l’idéologie impériale était immuable sur ces points. Ces
concessions constituaient tout de même de grandes marques d’honneur
à l’égard du Normand, et celui-ci le savait très bien. Il faut en
fait y voir un geste calculé de Bohémond, celui-ci ayant sans doute eu la ferme
conviction d’avoir montré un peu d’humilité à Alexis tout en défendant
ses propres revendications. Le cérémonial constituait donc à la base
l’élément qui aurait pu faire échouer la diplomatie, mais qui à la fin
avait eu le potentiel de la faire réussir. Chaque parti y trouva son compte:
Alexis avait la satisfaction d’avoir mis un terme définitif aux ambitions de
Bohémond en Orient, tandis que ce dernier fut gratifié du titre de sébaste et
d’une forte somme d’argent[44].
Ces tentatives de
défier le cérémonial avaient clairement pour objectif de rétablir un certain
équilibre dans les rapports de force entre les croisés et l’empereur, un atout
certes important dans leurs négociations avec lui. La provocation fut toutefois
poussée à l’extrême lorsque certains croisés tentèrent de
se mesurer comme l’égal de l’empereur. Raoul de Caen nous offre un exemple
suite à l’échec de Tancrède de contourner le cérémonial.
Cherchant à obtenir de lui un serment, Alexis aurait invité le Normand
à lui demander tout ce qu’il voulait, croyant que celui-ci réclamerait
comme
p. 67
ses prédécesseurs de l’or ou
d’autres objets précieux. Selon Raoul, Tancrède aurait toutefois demandé
ce qu’il savait être impossible, soit la tente impériale, un pavillon
immense qui frappait l’imaginaire de par son ouvrage et qui était la fierté de
l’empereur. Alexis se montra évidemment fort offensé par l’arrogance de
Tancrède, qui se croyait digne de posséder un tel emblème de
pouvoir, comparable même aux insignes impériaux. L’empereur aurait
renvoyé Tancrède en déclarant qu’il ne le voulait ni pour ennemi, ni
pour ami, ce à quoi ce dernier aurait répondu qu’il voulait Alexis pour
ennemi, et non pour ami[45].
La crédibilité de Raoul sur cet événement est fort discutable, si ce n’est que
le passage a été écrit à la lumière du conflit subséquent entre
Alexis et les Normands concernant Antioche, donc à un moment
particulièrement sensible pour la fierté des Latins et leurs
revendications face aux Byzantins. L’audace de Tancrède doit par
conséquent être mesurée selon que le récit propose un panégyrique du
futur prince d’Antioche[46].
Mais encore la simple représentation de Raoul sur le déroulement de l’audience
illustre clairement l’importance pour les croisés de se mesurer au cérémonial,
puisque celui-ci constituait un élément crucial dans la balance diplomatique,
susceptible d’influencer ultimement les négociations et les accords conclus.
Quoique partiale,
cette disposition présomptueuse au cérémonial byzantin n’est guère limitée
à Raoul de Caen, mais est également dénoncée dans les sources byzantines
par de nombreux autres exemples. Entre autres, Jean Kinnamos signale la
requête arrogante de Conrad III à Manuel Comnène, qui
commandait que le dromon impérial soit mis à la disposition des
Allemands pour traverser le Bosphore. Or, tout comme la tente d’Alexis, le
navire impérial constituait un emblème du pouvoir, de sorte que la
requête insinuait une insulte à l’autorité impériale. La réponse
du basileus évoque à quel point cette insolence risquait de faire
escalader les tensions entre les croisés et les Byzantins:
“Ne sais-tu pas que
tu es comme un moineau entre nos mains? Et que, si nous le voulions, tu
périrais à l’instant? Réfléchis que les ancêtres des gens qui
habitent ce pays ont porté leurs armes sur la terre entière, et qu’ils
ont commandé à vous aussi bien qu’à toutes les autres nations
sous le soleil. Il faut aussi que tu te rendes compte que tu n’embarqueras pas
sur le navire impérial et que nous ne plierons à aucune de tes
exigences: les pieds de tes chevaux devront, au retour, fouler le chemin par
lequel tu es venu.”[47]
p. 68
Malgré l’offense
commise, l’incident n’engendra pas à la fin de conséquences fâcheuses
entre Manuel et Conrad. Comme il était souvent le cas dans de pareilles
situations, les Byzantins s’indignaient de l’insolence des croisés, mais ne
passaient que rarement à l’acte. Un exemple en particulier nous est
relaté à la fois par les chroniqueurs latins et byzantins. Il s’agit
d’une ambassade qu’Henri VI envoya au basileus Alexis III en 1196 et qui
concernait justement le passage éventuel des troupes allemandes par
Constantinople pour la croisade qui se préparait. Le continuateur de Guillaume
de Tyr rapporte qu’Alexis aurait rehaussé son palais avec de grands et somptueux
décors dans le but de vanter ses richesses aux ambassadeurs allemands. Lors de
l’audience, le basileus aurait présomptueusement demandé aux envoyés si leur
propre empereur avait autant de richesses dans son palais. Ce à quoi les
ambassadeurs allemands auraient répondu que leur empereur avait beaucoup plus
de richesses, car sa fortune se mesurait par l’admiration et le respect de ses
sujets, de même que des territoires plus étendus[48].
Nicétas Choniatès, dans sa version, amplifie davantage l’insolence des
Latins: ceux-ci auraient dénoncé tout l’attirail de la cour impériale,
considérant que les somptueux costumes et autres parures du corps étaient
dignes d’être portés par des femmes plutôt que des hommes. Pour intimider
les Byzantins, ils leur auraient ensuite suggéré de préférer le fer aux
dorures, selon que les Grecs étaient efféminés et peu enclin à faire la
guerre[49].
Malgré sa colère, Alexis ne pouvait se permettre un conflit avec
l’empereur germanique, de sorte qu’il n’y eût aucune représailles
à l’outrage commis par les ambassadeurs. Les considérations
diplomatiques l’emportèrent sur l’insulte immédiate à l’autorité
impériale, l’alternative de la guerre étant fort plus coûteuse que la
satisfaction de venger l’affront de quelques ambassadeurs.
Quelles étaient
les motivations des croisés en provoquant ainsi les Byzantins?
Qu’espéraient-ils en retirer, si ce n’est que la satisfaction d’avoir montré un
peu d’humilité aux Grecs, et ceci au péril des intérêts diplomatiques de
chaque parti, voire même de leur propre vie? Les exemples précédents
suggèrent qu’ils pouvaient se permettre de tels affronts lorsque les
circonstances étaient à leur avantage, le contraire étant également vrai
pour les Byzantins lorsqu’ils étaient en position de force. Le cérémonial devenait
en quelque sorte un manège, une équation subtile dans la balance
p. 69
des pouvoirs en défendant
des prétentions qui seraient autrement demeurées muettes. Il y avait toutefois
des risques à adopter une telle politique, comme le souligne Geoffroi de
Villehardouin dans son témoignage du fameux discours de Conon de Béthume
à l’intention d’Alexis IV en 1203. Conon, un chevalier reconnu pour son
éloquence, lui aurait audacieusement annoncé lors d’une audience que s’il ne
tenait pas ses conventions envers les croisés, ceux-ci ne le considérerait ni
pour seigneur ni pour ami, ajoutant ensuite une allégation à la perfidie
des Grecs en soulignant que les Latins eux-mêmes n’avaient pas coutume
d’agir traîtreusement.[50]
Le sous-entendu moral est clair ici, de même que l’allusion à la
perfidie des Grecs. Les croisés pouvaient certes se permettre cet ultimatum, si
ce ne que l’armée qui allait ultimement prendre d’assaut la ville campait sous
ses murs. Selon Villehardouin, toutefois:
“Les Grecs tinrent à bien grande merveille et grand outrage ce
défi, et ils dirent que jamais nul n’avait été si hardi qu’il osât défier
l’empereur de Constantinople en sa chambre même. L’empereur Alexis fit
aux messagers très mauvais visage, et tous les Grecs qui maintes fois le
leur avaient fait bien beau. Le bruit fut très grand par le palais; et
les messagers s’en retournent, et viennent à la porte et montent sur
leurs chevaux. Quand ils furent hors de la porte, il n’y en eut pas un qui ne
fût très joyeux; et ce ne fut pas grande merveille, car ils
étaient échappées de très grand péril, parce qu’il tint à bien
peu qu’ils ne fussent tous tués ou pris.”[51]
De toute
évidence, cet outrage frôlait les limites de l’audace que les croisés pouvaient
se permettre, et ceci même lorsque les circonstances leur étaient
favorables; comme quoi les affronts des croisés n’étaient pas toujours sans
conséquence, une riposte de la part des Byzantins étant toujours possible. Mais
encore les affronts des croisés se limitaient à des paroles et des
insultes; l’analyse de réactions plus concrètes nous permettra justement
de déterminer jusqu’où l’enjeu du cérémonial a pu influencer les
rapports entre Grecs et Latins au XIIe siècle.
c) Transgression du protocole:
La dernière
forme de réaction concerne les transgressions du protocole, donc les réactions
face à des rituels plus précis du cérémonial. Selon le principe
où l’action a plus de portée que la parole, certains croisés ont préféré
cette approche plutôt que de se
p. 70
limiter à simplement
éviter le cérémonial ou encore se montrer insolent. L’ambiguïté de cette
réaction avait par ailleurs une portée particulière: il était possible
de feindre l’ignorance pour expliquer la transgression commise, si ce n’est que
pour narguer les Byzantins sans risquer des répercussions directes. Une
question s’impose alors: les croisés connaissaient-ils suffisamment les
subtilités du cérémonial pour être pleinement conscients de la portée de
leurs gestes? Il s’agit, en effet, de distinguer les transgressions volontaires
du protocole des incidents légitimes liés à une mauvaise compréhension
des subtilités symboliques en jeu. À première vue, la
dernière alternative nous paraît plausible en raison de la compréhension
limitée que les croisés pouvaient avoir des coutumes byzantines. Par contre,
l’ignorance ne saurait être la seule explication dans tous les cas, si ce
n’est que les chroniqueurs ont généralement dénoncé des transgressions portant
sur des éléments plutôt superficiels du cérémonial et non sur des rituels bien
subtils qui auraient normalement échappé à la compréhension d’un
étranger. En fait, les croisés contrevenaient à des normes plus
générales de courtoisie dans le monde féodal qui n’auraient pas forcément eu
une très grande incidence chez eux, mais qu’ils savaient être
provocateurs pour les Byzantins qui se voulaient plus formels et protocolaires.
Certes, la transgression était dans de tels cas interprétée différemment par le
porteur du geste que par son destinataire, mais encore reste-t-il que
l’intention, la portée et l’implication de l’affront demeuraient les
mêmes à la base. C’est pourquoi nous devons généralement
interpréter les transgressions des croisés comme étant intentionnelles, et ceci
même s’ils ont parfois réussi à convaincre les Byzantins du
contraire en invoquant leur ignorance.
La
première croisade nous présente un exemple singulier des intentions
souvent provocatrices de certains croisés. Bien que le cérémonial byzantin
était suffisamment étranger aux seigneurs pour permettre des transgressions
“accidentelles”, certains gestes ne
sauraient être expliqués autrement que par une intention de provocation
directe. C’est dans cette optique qu’Anne Comnène nous raconte l’exemple
plutôt frappant du seigneur croisé qui aurait eu l’audace, en 1097, de
s’asseoir sur le trône d’Alexis. La transgression visait justement l’usage
voulant que tous demeurent debout en présence de l’empereur; n’ayant pas
d’équivalent en Europe, le seigneur en question considérait le protocole comme
insultant pour tous les grands hommes d’Occident qui devaient patienter ainsi
auprès de lui. Pour aggraver cet outrage déjà fort répréhensible,
le seigneur aurait ensuite lancé un défi à l’empereur, tout en remettant
en question son honneur[52].
Les Latins étaient pleinement conscients de l’outrage, non seulement d’avoir
manqué au protocole, mais également de s’être assis sur le trône
même de l’empereur, de sorte que Baudouin de Boulogne dut intervenir en
réprimandant le coupable sous prétexte qu’il devait respecter les coutumes du
pays. Quant à Alexis, Anne prétend qu’il toléra cette arrogance innée
aux Latins, se
p. 71
contentant de mettre en
garde le seigneur sur les difficultés qu’il rencontrerait contre les Turcs
lorsqu’il aurait traversé en Asie mineure[53].
Cet épisode n’étant
pas corroboré par des sources latines, il nous est difficile d’établir avec
certitude son authenticité. Si nous admettons toutefois que le geste de ce
seigneur latin était calculé, nous ne pouvons non plus affirmer le contraire
pour la période suivant la première croisade. En effet, dans un contexte
d’interactions de plus en plus fréquentes entre Grecs et Latins, l’ignorance ne
peut être considérée comme un prétexte pour expliquer les transgressions
du cérémonial. Ainsi, ceux qui entretenaient les rapports les plus développés
avec les Byzantins étaient ceux qui savaient le mieux transgresser le
cérémonial, allant parfois même jusqu’à le ridiculiser. Nicétas
Choniatès dénonce, par exemple, une parodie orchestrée par les Vénitiens
en 1149. Lors d’un conflit avec les Byzantins, les Vénitiens auraient capturé
un vaisseau byzantin, sur lequel ils auraient ensuite couronné et vêtu un
Éthiopien du costume impérial, tournant ainsi à la dérision les
cérémonies byzantines en le paradant à la vue de tous. Malgré le désir
de vengeance de l’empereur, Nicétas explique que des besoins plus pressants le
poussèrent à pardonner ce crime en guise de paix avec les
Vénitiens[54]. Cependant,
outre cet exemple, des affronts aussi directs au cérémonial n’étaient pas
fréquents, les transgressions se voulant généralement plus subtiles.
Les États latins
présentent justement un contexte qui demandait des réactions plus nuancées.
D’abord, les Latins d’Orient étaient plus familiers avec les coutumes
orientales, autant byzantines que musulmanes. Les dirigeants de ces États,
particulièrement ceux d’Antioche et de Jérusalem, entretenaient des
rapports suffisamment fréquents avec les Byzantins pour avoir une appréciation
beaucoup plus complète de leur cérémonial. Des préoccupations
diplomatiques imposaient par contre des réactions plus subtiles, moins
susceptibles d’avoir des répercussions trop dramatiques. La principauté
d’Antioche, en effet, devait traiter la question embarrassante de la
suzeraineté byzantine, tandis que le royaume de Jérusalem dépendait en partie
de l’appui des Grecs contre les pressions persistantes du monde musulman.
Malgré un antagonisme marqué entre Latins d’Orient et Byzantins, toute
transgression du cérémonial se devait d’être subtile, sans quoi les
alliances déjà précaires risquaient d’en souffrir.
Les princes
d’Antioche et les comtes d’Édesse sont sans doute ceux qui ont su le mieux
gérer le cérémonial byzantin, à la fois par nécessité et par compromis
diplomatique. Désirant maintenir leur souveraineté tout en se résignant
à la suzeraineté de Byzance, leurs machinations visaient habituellement
à détraquer subtilement les politiques impériales à leur égard[55].
À la lumière de ce que nous avons exposé précédemment, il n’est
guère surprenant que le cérémonial ait servi d’instrument dans la
p. 72
réalisation de leurs
ambitions. Guillaume de Tyr nous fait part d’un stratagème, en 1138, du
prince Raymond de Poitiers et de Jocelyn II d’Édesse qui visait à
débarrasser Antioche de Jean II Comnène, celui-ci ayant réclamé la ville
comme base d’opération pour ses campagnes en Orient. Pour ce faire, Jocelyn
souleva secrètement la populace contre les Byzantins en répandant la
rumeur que l’empereur avait l’intention de demeurer indéfiniment dans la ville.
Devant la foule enragée, Jocelyn feignit de prendre la fuite et arriva,
à bout de souffle, dans le palais où était logé Jean. Il fit
ensuite irruption dans la pièce où se trouvait l’empereur et se
jeta à ses pieds. Jean, fort surpris de cette entrée précipitée, demanda
avec irritation à Jocelyn pourquoi il s’était présenté à lui sans
respecter le protocole et la discipline impériale. Le comte d’Édesse répliqua
que la nécessité dépassait toutes les lois; la poursuite d’une multitude
enragée et le péril de la mort l’avaient contraint à transgresser le
protocole habituel[56].
Selon les conventions médiévales en matière d’étiquette, l’empressement
ou l’urgence pouvait effectivement servir de prétexte pour excuser un
manquement au protocole, à condition que l’intention de la personne ne
laisse présager un outrage volontaire[57].
Le comte semble dans ce cas-ci avoir convaincu l’empereur de ses bonnes
intentions, malgré la ruse qui se tramait. L’empereur, craignant une révolte,
décida de quitter la ville. Nous pouvons facilement imaginer la satisfaction de
Jocelyn, qui avait su débarrasser la ville des Byzantins tout en transgressant
le protocole dans le but de rendre la situation plus dramatique et
convaincante. Selon Guillaume de Tyr, l’empereur n’aurait soupçonné aucune
supercherie, étant convaincu de la loyauté de Raymond et Jocelyn[58].
Une autre
tentative de détraquer une cérémonie byzantine fut tentée en 1159 par le prince
d’Antioche Renaud de Châtillon et le roi de Jérusalem Baudouin III. Pour
célébrer le jour de Pâques, Jean Kinnamos et Guillaume de Tyr expliquent que
Manuel Comnène organisa une entrée triomphale dans Antioche pour
symboliser son triomphe définitif sur la principauté: Kinnamos précise que
Renaud de Châtillon et d’autres nobles posèrent en tant que valets,
marchant à pied autour du cheval du basileus, tandis que Baudouin
suivait à distance, couronné et à cheval, mais sans ses autres
insignes royaux. Pour détourner cette cérémonie dont le symbolisme était lourd
en conséquences, Guillaume prétend que les Latins tentèrent de
convaincre Manuel que sa vie serait en danger si la procession avait lieu.
Celui-ci ne se laissa toutefois pas enlacer par la même ruse dont son
père avait été victime et les croisés furent contraints de se plier
à sa volonté[59].
L’épisode nous démontre que les Byzantins étaient désormais conscients des
tentatives de bafouer le cérémonial en raison de ses implications symboliques
et
p. 73
idéologiques. Pourtant,
malgré cette mauvaise volonté, de même que d’autres fourberies
antérieures − les Byzantins semblaient maintenant comprendre la
supercherie dont Jean avait été victime −, aucune sanction
concrète ne fut dirigée contre les États latins. Sans doute faut-il
encore une fois y voir des considérations essentiellement politiques.
Peu de temps
auparavant, un incident en matière de protocole s’était par ailleurs
produit entre Manuel et Baudouin. Ce dernier avait fait le voyage à
Antioche pour traiter avec l’empereur et leur rencontre nous est relatée par
Kinnamos:
“Le basileus, informé de l’approche
du roi, envoya à sa rencontre de place en place des dignitaires de plus
en plus éminents, jusqu’aux époux de ses nièces, pour le saluer et lui
rendre les honneurs habituels, jusqu’à son arrivée auprès du
basileus en personne: telle fut l’étendue des honneurs qu’il réserva à
l’occupant du trône de David. Mais Baudouin soit exalté par ces honneurs, soit
par une forfanterie naturelle, une fois parvenu à la résidence
impériale, escorté par les huissiers impériaux et les dignitaires romains, ne
descendit de cheval qu’à l’endroit où seul le basileus le fait.
Reconnaissant à ce geste son arrogance, le basileus laissa de côté
beaucoup de marques d’honneur qu’il envisageait de lui témoigner. Il le vit
cependant, le salua, le fit asseoir sur un siège bas, lui accorda
plusieurs entrevues et l’invita à sa table.”[60]
Il
nous paraît plutôt difficile d’attribuer cette transgression à
l’ignorance de Baudouin; le roi aurait été suffisamment familier avec les
coutumes byzantines pour comprendre la portée de son geste[61].
Encore est-il possible qu’il y ait eu une confusion quelconque, ou encore une
mégarde de la part de Baudouin, bien qu’une telle hypothèse confronte le
caractère habituellement rigoureux et bien régi du cérémonial[62]. Si
la
p. 74
transgression
était volontaire comme le prétend Kinnamos, les motifs du roi demeurent
obscurs; Baudouin n’aurait pas eu intérêt à s’aliéner l’appui des
Byzantins, notamment en raison des menaces musulmanes qui pesaient contre son
royaume, bien que ses propres prétentions sur la principauté d’Antioche aient
pu l’inciter à provoquer l’empereur, ne serait-ce que symboliquement.
Quoi qu’il en soit, les répercussions furent minimes: Kinnamos mentionne que
certaines marques d’honneur furent refusées au roi, mais encore d’autres
honneurs non négligeables lui furent accordées, notamment la permission de
partager la table de l’empereur et de s’asseoir en sa présence. Manuel, en
fait, dépendait tout autant de l’amitié de Baudouin pour contrer la menace
musulmane, ce qui peut expliquer encore une fois cette tolérance de sa part,
marquée seulement par un soupçon de mécontentement.
III. Réactions byzantines aux transgressions du cérémonial:
L’impact
diplomatique découlant des transgressions des croisés ne peut être mesuré
qu’en fonction des réactions qu’elles ont suscitées chez les Byzantins. Or, jusqu’à
présent, il nous a été possible de dégager quelques réactions aux outrages
commis par les croisés, comme quoi les Byzantins ne sont pas demeurés
indifférents aux insultes qui leur étaient destinées. En fait, le basileus ne
pouvait faire autrement que de réagir à ces transgressions, ne serait-ce
que du point de vue de l’idéologie impériale:
le cérémonial byzantin était si strictement régi et planifié que le
moindre dysfonctionnement était considéré comme un terrible scandale
susceptible de ruiner la gloire impériale[63].
Pourtant, parmi tous les exemples énumérés précédemment, aucun croisé n’a été
sévèrement puni pour ses fautes, encore moins menacé de mort. Sauf pour
quelques exceptions, les croisés ont même bénéficié des marques d’honneur
qui leur étaient dus, et ceci malgré le caractère grave de leur
comportement.
Pourquoi les
Byzantins ont-ils toléré de tels outrages de la part des Latins? Pourquoi
n’ont-ils pas puni l’audace du seigneur qui s’était assis sur le trône
impérial, ou encore l’insolence manifeste d’ennemis jurés tels que
Tancrède et Bohémond? L’explication la plus évidente, déjà
évoquée, semble être une question de nécessité, surtout lorsque la
présence des croisés constituait une menace immédiate pour la capitale byzantine.
Les chroniqueurs byzantins, quant à eux, préféraient justifier ces
avilissements de l’autorité impériale en vantant la tolérance des empereurs qui
avaient su, par leur magnanimité et leur patience, interagir avec de tels
barbares. Une autre explication, plus rigoureuse, concerne le laxisme de
certains empereurs du XIIe siècle en matière de
cérémonial. Plusieurs indices nous portent à croire, par exemple,
qu’Alexis Comnène n’était pas particulièrement rigoureux à
ce niveau, malgré ses talents de diplomate qui faisaient pourtant de lui un
vrai disciple du modèle de Constantin VII
p. 75
Porphyrogénète[64].
Plusieurs contemporains ont observé, en effet, le caractère plutôt
inusité de cet empereur, qui se distinguait à bien des niveaux de ses
prédécesseurs[65]. Anne
Comnène le décrit par ailleurs comme un soldat, un homme pragmatique
reconnu pour la familiarité qu’il manifestait envers ses hommes[66].
Sa politique était quant à elle axée davantage sur une base personnelle
et moins sur des intermédiaires, de sorte qu’il n’est pas exclu qu’il ait
manifesté une certaine fraternité militaire envers ces grands seigneurs qui
venaient d’Occident, nonobstant de ces différends avec eux[67].
Comment expliquer, sinon, que le trône d’Alexis était suffisamment accessible
aux croisés pour que l’un d’entre eux puisse s’y asseoir? Ou encore comment
interpréter les concessions cérémonielles qu’Alexis aurait fait à
Bohémond, un compromis qui aurait sans doute été considéré intolérable par tout
autre empereur[68]? Alexis ne
fut d’ailleurs pas le seul à manifester un tel laxisme. En 1159, Manuel
Comnène aurait, au grand désarroi de ses sujets, temporairement oublié
la dignité de son office pour soigner une blessure de chasse du roi de
Jérusalem, Baudouin III[69].
Alexis IV, quant à lui, aurait entretenu des entretiens plutôt familiers
avec les seigneurs de la quatrième croisade, les recevant à au
moins une occasion de façon informelle et en privé[70].
Malgré le modèle rigoureux du cérémonial au Xe siècle,
il semble que ces empereurs du XIIe siècle étaient moins
enclins vers un protocole draconien et, par conséquent, moins disposés à
être outré par le comportement des croisés.
p. 76
Mais quoique plus
tolérants, Alexis Comnène et ses successeurs avaient tout de même
une image impériale à maintenir. Lorsque les circonstances le permettaient,
les Byzantins ont su réagir aux affronts des croisés: parfois on leur refusait
certaines libéralités, comme ce fut le cas pour Tancrède et Conrad, qui
n’obtinrent ni la tente impériale ni le dromon impérial; d’autres fois, les
différends se traduisaient par des escarmouches militaires, comme nous le
démontre l’épisode où Godefroi de Bouillon refusa de rencontrer Alexis.
Lorsque les Byzantins étaient en position de force, ceux-ci se montraient
encore moins tolérants aux écarts de conduite des croisés. Ainsi, lorsque Louis
VII eût traversé le Bosphore, Manuel se montra particulièrement
arrogant aux ambassadeurs français, la menace militaire ayant été écartée[71].
L’attitude de certains empereurs face aux États latins témoigne également de
cette tendance, notamment sur des questions d’alliances ou de mariages
politiques: par exemple, Manuel serait arbitrairement revenu sur sa décision
d’épouser Mélisende, la sœur du comte de Tripoli, semble-t-il en raison
d’un rapport défavorable qu’il aurait reçu de ses ambassadeurs. Rejetant ses
conventions antérieures et toutes les normes diplomatiques, il maria plutôt la
cousine de Mélisende, la sœur de Bohémond III d’Antioche[72].
Parallèlement, l’impudence des Latins d’Orient ne resta pas toujours
impunie: lorsque Jean II apprit la déception qui avait été orchestrée par
Jocelyn II d’Antioche, il adopta une politique plus sévère à
l’égard d’Édesse et d’Antioche, planifiant même de soumettre les deux
villes, bien qu’il mourut avant de pouvoir mettre son projet à exécution[73].
Enfin, dans les situations les plus extrêmes, les Byzantins ont employé
le cérémonial pour humilier les Latins. Ce fut le cas pour Renaud de Châtillon,
alors régent d’Antioche, qui contesta l’autorité impériale en pillant Chypre en
1156, mais qui dut ensuite implorer le pardon de Manuel lorsque celui-ci
organisa une offensive en 1159 contre la principauté déjà vulnérable.
Renaud fut alors contraint de se présenter à l’empereur en tant que
suppliant lors d’une cérémonie particulièrement humiliante qui piqua gravement
l’orgueil de tous les Latins[74].
Bref, ces
exemples confirment bien que les répliques des Byzantins étaient conditionnées
par les circonstances, quoiqu’elles n’aient pas engendré de crises irréparables
entre les Grecs et les Latins. Préférant la plume à l’épée, les
Byzantins ont à vrai dire privilégié des compromis dans leurs
interactions avec les croisés, et ceci
p. 77
malgré les ambitions de leur
idéologie impériale[75].
Plusieurs ont vu dans cette politique une des manifestations du succès
de la diplomatie byzantine, notamment dans le contexte mouvementé, voire
hasardeux, du XIIe siècle[76].
Les empereurs ont par conséquent su être modérés dans leurs réactions
face aux croisés et jongler avec des situations qui étaient potentiellement
volatiles − des dangers qu’ils ne purent pourtant surmonter indéfiniment,
comme en font foi les événements de 1204.
Conclusion:
Nous devons
à présent tirer des conclusions à la lumière de ce que
nous avons exposé précédemment. Néanmoins, proposer une réponse définitive
à notre questionnement initial nous paraît téméraire. Divers facteurs
viennent en effet nuancer notre enquête sur l’impact diplomatique des
réactions des croisés face au cérémonial byzantin. Entre autres, la crédibilité
des sources pose un obstacle particulier, ce qui explique pourquoi elle a
retenue notre attention tout au long de cette analyse. Le contexte de
production souvent ambigu des chroniques, de même que la lourde tradition
historiographique qui en découle, compliquent des interprétations qui se veulent
particulièrement délicates. Il devient par conséquent difficile
d’établir avec certitude la portée des nuances ou encore les motivations
précises des chroniqueurs, autant latins que grecs, quant à leur
interprétation des réactions croisées et byzantines. Malgré ce prisme
déformant, tout historien doit parvenir à composer avec les limites que
lui imposent les documents à sa disposition, et c’est ce que nous nous
sommes proposés de faire jusqu’à présent. Ainsi sommes-nous parvenus
à dégager certaines tendances que nous sommes maintenant en mesure
d’établir.
Tout d’abord,
notre analyse a démontré que les transgressions du cérémonial par les croisés
n’ont pas eu un impact significatif sur leurs rapports avec les Grecs. Par
“significatif”, nous entendons que les outrages des croisés n’étaient pas des
facteurs suffisamment importants pour faire écrouler le processus diplomatique
dans son ensemble. En effet, les Grecs et Latins ont entretenu des rapports
tout de même opportunistes tout au long du XIIe siècle,
et ceci malgré un antagonisme de plus en plus marqué entre eux. Des
considérations politiques prédominent par ailleurs dans la plupart des
conflits, éclipsant souvent des facteurs plus abstraits tels que la culture et
la religion. Ce constat est clairement démontré par le fait que les Byzantins
n’ont jamais risqué une confrontation militaire d’envergure sur l’unique base
d’un outrage au cérémonial, alors que celui-ci symbolisait le fondement
même de leur idéologie impériale, de leur vision
p. 78
du monde, voire de leur civilisation.
À la limite, ils se sont permis des réprimandes lorsque les
circonstances le permettaient, mais sans plus. Les croisés, quant à eux,
n’ont su faire abstraction de ces mêmes considérations politiques,
notamment dans leurs réactions face au cérémonial. Ainsi, les chroniqueurs
dénoncent le fait que les seigneurs de la première croisade ont
prêté un serment de fidélité à l’empereur par nécessité politique,
faisant abstraction de toute contestation du cérémonial ou déshonneur que
celui-ci aurait pu engendrer[77].
Pareillement, les dirigeants des États latins ont souvent reconsidéré leurs
conflits avec les Grecs en adoptant une politique pro-byzantine dès que
cela favorisait leurs intérêts, nonobstant des implications idéologiques
ou symboliques[78].
Que les
transgressions aient eu un impact néfaste, toutefois, ne saurait guère
être mis en doute. En favorisant une approche culturelle, notre analyse a
précisément voulu démontrer que les considérations politiques des croisés ont
été envenimées par des facteurs d’altérité, qu’ils soient culturels ou
religieux. Les réactions des croisés, même si conditionnées d’abord par
une opposition à la politique étrangère des Byzantins,
demeuraient à la base un rejet du cérémonial en tant que manifestation
culturelle de la civilisation byzantine. Bref, sans forcément avoir eu un
impact “significatif”, nous ne pouvons contester que ces réactions aient eu des
conséquences ne serait-ce symboliques. Après tout, c’est par
l’intermédiaire de celles-ci que les Latins ont pu exprimer les différences qui
les opposaient aux Grecs et ainsi dénoncer des divergences qui seraient
autrement demeurées tacites. En se tramant dans la sphère diplomatique,
ces transgressions ont en quelque sorte officialisé l’échec des croisés de
retrouver à Byzance un homologue chrétien partageant les mêmes
valeurs et objectifs, ce qui à son tour a inévitablement conditionné
leurs rapports avec les Grecs tout au long du XIIe siècle. La
nuance à ce niveau, cependant, est que les réactions des croisés
constituent une manifestation des tensions existantes entre Grecs et Latins, et
non la cause elle-même de ces tensions. Or, cette simple considération
propose en elle-même une approche différente pour mieux comprendre les
mécanismes d’altérité du XIIe siècle et ainsi offrir une
perspective nouvelle sur cet aspect bien précis des mentalités médiévales.
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e ricerca umanistica 5 (2003), edited by ªerban Marin, Rudolf Dinu, Ion
Bulei and Cristian Luca, Bucharest, 2004
No permission is granted for commercial use.
© ªerban Marin, March 2004, Bucharest, Romania
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[1] Marc Carrier, “Perfidious
and Effeminate Greeks: the Representations of Byzantine Ceremonial in the
Western Chronicles of the Crusades (1096-1204)”, Annuario. Istituto Romeno
di Cultura e Ricerca Umanistica 4 (2002): 47-68. Parmi les ouvrages récents
qui abordent certains aspects de la question, voir entre autres K. N. Ciggaar, Western Travellers to Constantinople. The West and Byzantium, 962-1204:
Cultural and Political Relations. New York, E. J. Brill, 1996, p. 19; voir
également L. Simeonova, “Foreigners in Tenth-Century Byzantium: a
Contribution to the History of Cultural Encounter”, dans Strangers to
themselves: the Byzantine outsider (D. Smythe,
dir.), Aldershot: Ashgate, 2000: 229-244.
[2] Le concept de
projection comme mécanisme de l’altérité, qui établit la “représentation des autres
comme une représentation de soi déplacée”, est de plus en plus employée pour
comprendre la représentation médiévale des musulmans par les chrétiens. Voir
entre autres H. Benveniste,
“Joinville et les ‘autres’: les procédés de représentations dans l’Histoire de saint Louis”, Le Moyen Âge 102 (1996): 45; F. Affergan, Exotisme et altérité: essai sur les fondements d'une critique de
l'anthropologie, Paris: Presses universitaires de France, 1987: 88.
[3] Ce discours est récurrent chez les chroniqueurs des croisades, mais ces
points précis sont surtout exprimés par Albert d’Aix, sur qui nous reviendrons
plus loin.
[4] L’idée que les
cadeaux impériaux dissimulaient une déception quelconque était bien généralisée
au XIIe siècle et renvoyait au Timeo Danaos et dona ferentes de la tradition virgilienne.
[5] Voir notamment H. Mayr-Harting, “Odo of Deuil, the
Second Crusade and the Monastery of Saint-Denis”, dans M. A. Meyer, The Culture of Christendom. Essays in Medieval History in Commemoration
of Denis L. T. Bethell, Londres: Hambledon Press, 1993: 225-241. Une
récapitulation fort complète de l’historiographie des sources de la
première croisade nous est proposée par J. Flori, Pierre
l’Ermite et la première croisade, Paris: Fayard, 1999: 31-66.
[6] Raoul de Caen, Gesta Tancredi, dans Recueil des Historiens des Croisades.
Historiens Occidentaux, III, 1866: 587-716; Albert d’Aix, The
Historia Iherosolimitana of Albert Aachen. A Critical Edition (éd. par S.
B. Edgington), Londres: London
University, 1991, 944 p.; Odon de Deuil, De
profectione Ludovici VII in Orientem. The Journey of Louis VII to the East
(éd. et trad. par V. G. Berry),
New York: Columbia University Press, 1948, 154 p.; Guillaume de Tyr, Willelmi
Tyrensis Archiepiscopi Chronicon (éd. par R. H. B. C. Huygens), Turnhout: Brepols, 1986, 441
p.; Geoffroi de Villehardouin, La conquête de Constantinople,
Paris: Garnier-Flammarion, 1969, 192 p.
[7] Parmi les
chroniques qui traitent des Byzantins et qui sont les plus connues et
fréquemment consultées: Anonyme, Gesta Francorum et aliorum
Hierosolimitanorum (éd. et trad. par L. Bréhier),
Paris: Belles Lettres, 1924, 258 p.; Pierre
Tudebode, Historia de
Hierosolymintano Itinere (éd. et trad. par J. H. Hill et L. L. Hill),
Philadelphia: American Philosophical Society, 1974, 137 p.; Raymond d’Aguilers, Le “Liber” de Raymond d’Aguilers (éd.
par J. H. Hill et L. L. Hill), Paris: Librairie Orientaliste
Paul Geuthner, 1969, 165 p.; Foucher de
Chartres, Historia Hierosolimitana
(éd. par H. Hagenmeyer),
Heidelberg, 1913, 913 p.; Robert le
Moine, Historia Iherosolimitana, dans Recueil des Historiens des Croisades. Historiens Occidentaux, III,
Paris: Les Belles Lettres, 1866: 717-882; Guibert
de Nogent, Dei gesta per Francos et cinq autres textes (éd. par
R. H. B. C. Huygens), Turnhout:
Brepols, 1996, 441 p.; Baudri de Dol,
Historia Jerosolimitana, dans
Recueil des Historiens des Croisades. Historiens Occidentaux, IV, Paris,
1879: 1-111; Ekkehart d’Aura, Hierosolymita
(éd. par H. Hagenmeyer), Tübingen: Verlag und Druck von
Franz Fues, 1877, 412 p.; Ordéric Vital,
The Ecclesiastical History of Orderic
Vitalis (éd. et trad. par M. Chibnall),
Oxford: Clarendon Press, 1978; Otton de
Freising, Ottonis et Rahewini.
Gesta Frederici I Imperatoris (éd. par G. Waitz
et B. de Simson), Hanovre, 1912,
385 p.; ‘Ansbert’, Expeditione Friderici Imperatoris (éd.
par J. Dobrowsky), Prague, 1827,
138 p.; Continuateur de Guillaume
de Tyr, The Old French Continuation of
William of Tyre, 1184-1197 (trad.
par P. W. Edbury), dans The
Conquest of Jerusalem and the Third Crusade: Sources in Translation,
Aldershot: Ashgate, 1996, 196 p.; Robert
de Clari, La conquête de
Constantinople (éd. et trad. par A. Micha),
Paris: C. Bourgeois, 1991, 238 p. Nous avons en général favorisé ces sources
à celles des cités italiennes, qui retiennent davantage des
considérations économiques dans leur représentation des Byzantins et avec qui
les rapports ne se limitaient pas essentiellement au contexte des croisades.
[8] Anne Comnène, Alexiade (éd. et trad. par B. Leib), Paris: Belles Lettres,
1967-1989, 3 tomes; Jean Kinnamos,
Historiarum Libri VII (éd. par J.-P. Migne), dans Patrologiae Graecae,
Turnhout: Brepols, 1864, tome 133; Nicétas
Choniatès, Nicetae Choniatae Historia (éd. par J. A. Van Dieten), Berlin-New York, 1975, 2
vols.
[9] Quelques
exemples: Albert d’Aix, VIII, 26:
575; Pierre Tudebode, II, 2: 18; Raymond d’Aguilers, II: 41; Guillaume de Tyr, II, 19: 143 et 186; Ordéric Vital, IX, 14: 143 et X, 12:
277; Geoffroi de Villehardouin,
xxxix, 186: 79.
[10] Guillaume de Tyr
nous résume bien cette idée dans sa description de la réception de Raymond de
Saint-Gilles par Alexis en 1097: “ipse cum paucis Constantinopolim ingressus, sepius citatus,
precendentibus eum imperialibus apocrisiariis suam imperatori presentiam
exhibuit, ubi tam ab eo quam a suis illustribus et inclitis, qui ei
assistebant, honorifice susceptus et benigne plurimum plena humanitate
tractatus est”; Guillaume de Tyr, II,
19: 143. Guillaume met ici l’emphase sur la présence des hauts dignitaires de
l’empire lors de l’audience, qui avait pour effet de rendre honneur à
l’importance et au rang du seigneur en question.
[11] G. Ostrogorsky, “The
Byzantine Emperor and the Hierarchical World Order”, The Slavonic and East European Review 35 (1956-1957): 13.
[12] Étienne de Blois décrit ainsi son arrivée
à Constantinople et sa réception par Alexis: “Ad urbem
Constantinopolim cum ingenti gaudio, Dei gratia, perveni imperator vero digne
et honeste et quasi filium suum me diligentissime susceptit et amplissimis ac
pretiosissimis donis ditavit, et in toto Dei exercitu et nostro non est dux
neque comes neque aliqua potens persona, cui magis credat vel faveat quam mihi.
Vere, mi dilecta, eius imperialis dignitas persaepe monuit et monet, ut unum ex
filiis nostris ei commendemus: ipse vero tantum tamque praeclarum honorem se ei attributurum promisit, quod
nostro minime invidebit. In veritate tibi dico, hodie talis vivens homo non est
sub caelo. Ipse enim omnes principe nostros largissime ditat, milites cunctos
donis relevat, pauperes omnes dapibus recreat”. Étienne de Blois, Epistulae et
chartae (éd. par H. Hagenmeyer),
Hildesheim: Georg Olms, 1973: 138-140.
[13] D’autres
chroniqueurs, notamment Guillaume de Tyr, ont également reconnu la magnificence
de la cour byzantine et laissent transparaître une image généralement positive
du cérémonial dans leurs récits, mais un certaine méfiance est tout de
même perceptible quant à la loyauté des Grecs; contrairement
à Étienne de Blois, ces chroniqueurs n’échappent pas aux stéréotypes de
leur époque.
[14] J. Flori, Pierre l’Ermite…, cit.: 38; J.
A. Brundage et J. Shepard ont tous deux dénoncé la crédulité d’Étienne, qui
aurait cru comme uniques à sa personne toutes les flatteries dont
l’empereur avait l’habitude de prodiguer à ses invités; J. A. Brundage, “An Errant
Crusader: Stephen of Blois”, Traditio
16 (1960): 384 et 388; J. Shepard,
“When Greek meets Greek: Alexios Comnenos and Bohemond in 1097-1098”, Byzantine and Modern Greek Studies 12
(1988): 214; Bien qu’il ait été sans doute séduit, voire
berné, par la réception d’Alexis, l’exception que représente Étienne par
rapport à l’attitude des autres seigneurs doit également prendre en
compte les circonstances de production de son récit.
[15] Contrairement
à Étienne de Blois, Raymond de Saint-Gilles entretint des rapports
plutôt tendus avec Alexis dès son arrivée à Constantinople, tout
en devenant plus tard un de ses plus fidèles alliés. Sa réaction
initiale au cérémonial, bien que négative, exprimait dans ce cas-ci un refus de
sa part à prêter le serment que l’empereur exigeait de lui. Le cas
de Raymond se distingue toutefois de celui d’Étienne du fait qu’il demeura en
discorde avec Alexis jusqu’à Antioche, moment où il se montra
sympathique à la cause byzantine pour contrecarrer les prétentions de
Bohémond de Tarente sur la capitale syrienne. Des considérations politiques
expliquent donc son amitié subséquente avec Alexis, et non sa contestation
initiale à certains rituels du cérémonial dans un contexte diplomatique.
Pour une discussion plus élaborée de la question, voir Shepard, “When Greek
meets Greek…”, cit.: 185-277.
[16] G. Duby, Féodalité, Paris: Gallimard, 1996:
54-55; B.
Hamilton, Religion in the
Medieval West, Londres, 1986: 136.
[17] Simeonova, “Foreigners in Tenth-Century
Byzantium...”, cit.: 231-233. Voir également, idem, “In the Depths of Tenth-Century Byzantine Ceremonial: the Treatment of
Arab Prisoners of War at Imperial Banquets”, Byzantine and Modern Greek
Studies 22 (1998): 75-104.
[18] Odon de Deuil, IV: 67; Au Xe
siècle, Liutprand de Crémone, malgré son changement de discours quelques
années plus tard, reconnaît dans l’Antapodosis
la splendeur des banquets byzantins et comment le festin contribua à
surmonter les tensions diplomatiques du moment: Liutprand de Crémone, The
Embassy to Constantinople and Other Writings (éd. par J. J. Norwich), Londres: J. M. Dent, 1993,
livre 6, ch. 7-10: 154-156. Au sujet des banquets, voir Simeonova, “Foreigners
in Tenth-Century Byzantium…”, cit.: 232.
[19] Plusieurs récits
de l’époque expriment l’importance de ce lien engendré par ce geste
d’hospitalité, au point où il était considéré comme
particulièrement odieux de porter atteinte à celui avec qui on
avait partagé un repas. Joinville,
Memoirs of the Crusades (trad. par F. T. Marzials), New York: E. P. Dutton & Co., 1958: 216-217; Chanson d’Antioche (trad. par M. de Combarieu du Grès), dans Croisades et pèlerinages: récits,
chroniques et voyages en Terre Sainte XIIe - XVIe
siècle, Paris: Robert Laffont, 1997, V, 13: 92; C. Bouillot, “Aux antipodes du beau
geste: le geste laid et inconvenant dans la littérature des XIIe et
XIIIe siècles”, dans Le Beau et le Laid au Moyen Âge
(Actes du XIVe colloque du C.U.E.R.M.A; Aix-en-Provence, février 1999), Sénéfiance
no. 43, Aix-en-Provence: Publications du C.U.E.R.M.A., 2000: 50.
[20] Anne Comnène, X, xi, 4-5:
232-233.
[21] K. Ciggaar, Western Travellers to Constantinople…,
cit.: 54; M. Canard, “Le cérémonial
fatimite et le cérémonial byzantin. Essai de comparaison”, Byzantion 21 (1951),
2: 355-420 (en particulier 386).
[22] Odon de Deuil, en particulier, dénonce
l’excessivité du protocole byzantin à plusieurs reprises dans son récit;
II: 25-27 et III: 59-61.
[23] Cette forme de salutation, de tradition perse et répandue dans les cours
orientales, devait être respectée autant par les sujets de l’empire que
les étrangers, tel qu’indiqué dans le De
ceremoniis aulae byzantinae: πίπτει ἐπ’
ἐδάφους
προσκυνῶν; −
πίπτει καὶ
προσκυνεῖ
; Le livre des cérémonies (éd. et trad.
par A. Vogt), Paris: Belles
Lettres, 1939, II, c. 56 (47): 49; I, c. 33 (24): 129; I, c. 41 (32): 160; I,
c. 9: 56; I, c. 10: 69; I, c. 31 (23): 117; I, c. 38 (29): 150; (éd. de J. J. Reiske), I, 89: 406; I, 91: 414;
II, 1: 520; II, 15: 569; II, 24: 624; R.
Guilland, “Autour du Livre des Cérémonies de Constantin VII
Porphyrogénète. La cérémonie de la προσκύνησις”, Revue des
études grecques 59-60 (1946-1947): 251-259; M. McCormick, “Proskynesis”, dans The Oxford Dictionary of Byzantium (A. Kazhdan, dir.), New York, 1991: 1738; Canard, “Le cérémonial fatimite et
le cérémonial byzantin…”, cit.: 379 et 385; Simeonova,
“Foreigners in Tenth-Century
Byzantium…”, cit.: 243; Ostrogorsky, “The Byzantine Emperor and the Hierarchical World Order”, cit.: 3; A. Grabar, L’Empereur
dans l’art byzantin, Londres: Variorum Reprints, 1971 [1936]: 85.
[24] L’action de
faire obéissance à un homme supérieur en richesses, en puissance et en
honneur n’était pas en soi contestée par les croisés, sauf que le rituel
byzantin exigeait de dépasser des limites d’abaissement qui frôlaient
l’humiliation; Ciggaar, Western Travellers to
Constantinople…, cit.: 324-325.
[25] Raoul de Caen et
les Gesta francorum, entre autres,
dénoncent vivement Bohémond pour s’être humilié devant l’empereur et
avoir compromis son honneur en lui prêtant serment; Raoul de Caen,
xi: 612-613; Gesta francorum, II,
6: 31. Guibert de Nogent y voit
même la honte éternelle des Latins: “quod
per Greculos istos, omnium intertissimos, iurare congeremur, nobis esset
sempiterne pudentum”; III, 4:
154.
[26] “Ut caveret versutias et venenatas vestes
ipsius Imperatoris ac verba dolosa; et nequaquam ad eum intraret aliqua blanda
promissione, sed, extra muros sedens, omnia quae sibi offerret secure
susciperet”; Albert d’Aix, II, 10: 306. Voir
également Guillaume de Tyr, II,
7-8: 170-172.
[27] Cette
hypothèse est soutenue par J. H.
Pryor, “The oaths of the leaders of the First Crusade to Emperor Alexius
I Comnenus: fealty, homage - πίστις,
δουλεία”, Parergon 2 (1984):
119. Malgré la réhabilitation récente d’Albert d’Aix dans l’historiographie des
croisades, notamment quant à sa crédibilité, son interprétation de
l’arrivée des croisés à Constantinople demeure souvent contestée; voir Shepard, “When Greek meets Greek…,
cit.: 203. En effet, les conditions de production de la chronique sont
nébuleuses et tout nous porte à croire qu’Albert ne soit jamais allé en
Orient, basant son récit sur des sources écrites et orales; C. Cahen, “À propos d’Albert
d’Aix et de Richard le Pèlerin”, Le Moyen Âge 96 (1990), 1:
31-33. Il est donc fort possible qu’Albert ait comblé les lacunes dans son
récit par sa propre interprétation des événements, qui était naturellement
sympathique à la cause lotharingienne et qui cherchait à protéger
l’honneur de Godefroi sur la question des serments prêtés à
Alexis. Dans l’ensemble, toutefois, la chronique d’Albert est de loin la plus
complète pour la première croisade et généralement fiable quant
aux faits rapportés, complétant les autres sources de la croisade par la
qualité et l’indépendance des détails fournis; J. Flori, Pierre
l’Ermite…, cit.: 52 (47-65 pour un survol historiographique plus complet).
[28] Anne Comnène, X, ix, 11: 226.
[29] “Nam qua sedulitate accipiter
laqueos, aut hamum piscis, ea is fraudulentam Graecorum familiaritatem
horrebat. Ideo regis munera aspernatus, jam tum praesentiam ejus subterfugere
proposuerat”; Raoul de Caen, x: 612 et xii: 613 [traduction par
F. Guizot]. Il faut considérer le récit de Raoul en tant que panégyrique de
Tancrède, ce qui soulève certaines questions sur la crédibilité.
Cet épisode en particulier, toutefois, nous est corroboré par d’autres
chroniqueurs. Voir entre autres, Albert
d’Aix, II, 19: 313; Gesta
francorum, II, 7: 32-35.
[30] “Je crains les
Grecs, même lorsqu’ils font des présents”; Virgile, L’Énéide, Paris: Flammarion, s.d.: 37. Sur
l’influence de Virgile au XIIe siècle, voir B. Munk Olsen, “Virgile et la
renaissance du XIIe siècle”, dans Lectures médiévales de Virgile. Actes du Colloque organisé par l’École française
de Rome (Rome, 25-28 octobre 1982), Rome: École française de Rome, 1985:
31-48.
[31] Selon Kinnamos, Conrad n’était pas un empereur, mais bien le “roi des
Allemands” (Κορράδου
τοῦ Ἀλαμανῶν
ῥηγὸς); il ne pouvait y avoir
qu’un seul empereur et c’était celui de Byzance; Jean Kinnamos, II, 12: 68.
[32] Odon de Deuil, III: 49; Jean Kinnamos, II, 14: 74-75; W. M. Daly, “Christian Fraternity, the
Crusaders, and the Security of Constantinople, 1097-1204: The Precarious
Survival of an Ideal”, Mediaeval Studies
22 (1960): 59.
[33] D’un point de
vue féodal, un tel déplacement aurait sans doute été perçu comme celui du
vassal vers son suzerain, selon la tradition vassalique alors en vigueur en
Occident; J. Le Goff, “Le rituel
symbolique de la vassalité”, dans idem,
Pour un autre Moyen Âge, Paris: Gallimard, 1977: 397. La portée de ce
geste aurait d’autant plus été amplifiée par la réticence des croisés à
prêter un serment à l’empereur, la distinction entre la fidélité
et l’hommage soulevant des contentions importantes. À ce sujet, voir J. H. Pryor, “The oaths of the leaders of the First Crusade…”, cit.: 111-141.
[34] Craignant
l’arrivée de l’armée de Louis VII, Manuel se résigna à laisser passer
Conrad sur la rive asiatique malgré l’échec des négociations. Cet exemple nous porte
à croire que la dignité impériale dépassait les considérations
diplomatiques immédiates. Par ailleurs, la même situation se présenta
entre Louis et Manuel quelque temps après leur première
rencontre. Lorsque l’empereur invita de nouveau Louis à venir le
rencontrer, ce dernier refusa et lui proposa plutôt de venir à lui. Il
est possible que le roi redoutait la position privilégiée dont avait auparavant
bénificié l’empereur dans son palais. En raison du refus de Manuel de se
déplacer, la rencontre n’eût jamais lieu; Odon de Deuil, IV: 77.
[35] Odon de Deuil,
VI: 109; Otton de Freising, I,
lxiv: 90; Jean Kinnamos, II, 19:
86-87. Malheureusement, les chroniqueurs négligent de nous informer sur la
façon dont les deux souverains ont concilié leurs prétentions respectives lors
de leur rencontre, ce qui à son tour évoque l’aspect délicat de la question.
[36] Le seul contact de Richard Cœur-de-Lion avec les Grecs fut
à Chypre. Philippe Auguste avait pour sa part informé Isaac II de son
intention de passer par Constantinople, mais le roi décida finalement de se
rendre directement à Acre par les voies maritimes. Ciggaar,
Western Travellers to Constantinople…,
cit.: 130, 155 et 174.
[37] Ansbert: 59-80; Nicétas Choniatès, V, 2: 402-403. Pour un survol des
rapports particuliers entre Isaac et Barberousse, voir Ch. M. Brand, Byzantium confronts the West, 1180-1204, Cambridge: Harvard
University Press, 1968: 176-178.
[38] Le silence
relatif des chroniqueurs latins s’explique de différentes façons. Souvent il
est dû à la simple ignorance de l’événement en question, la
plupart des chroniqueurs n’étant pas des témoins directs du cérémonial, de
sorte qu’il est possible que les détails des audiences ne leur soient pas
parvenus. Dans certains cas, il peut s’agir d’un manque d’intérêt des
chroniqueurs, qui préféraient ne pas trop s’éloigner de la vocation
première de leur récit, soit la guerre contre les musulmans. Enfin,
d’autres chroniqueurs ont peut-être jugé imprudent de s’attarder à
des exemples où les seigneurs portaient atteinte à la dignité et
à l’honneur de l’empereur, un tel comportement n’étant clairement pas
conforme aux normes de bonne conduite de la courtoisie féodale.
[39] “Ἴσθι
ὦ βασιλεῦ, ὡς
ἐγὼ ὁ βασιλεὺς
τῶν βασιλέων
καὶ ὁ μείζων
τῶν υπ’ οὐρανόν.
Καὶ
καταλαμβάνοντά
με ἤδη
ἐνδέχεται
ὑπαντῆσαι τε
καὶ δέξασθαι μεγαλοπρεπῶς
και ἀξίως τῆς
ἐμῆς
εὐγενείας”; Anne Comnène, X,
vii, 1: 213.
[40] Paul Riant
propose qu’Anne devait avoir une copie
de la lettre sous la main, qu’elle aurait résumée en quelques lignes; P. Riant, “Inventaire critique des lettres historiques de croisades”, dans Archives de l’Orient Latin, Paris: E.
Leroux, 1881, vol. I: 121. Anne n’avait sans doute plus un accès
direct aux documents officiels après la mort de son père en 1118,
mais encore l’information aurait pu lui être fournie par ces nombreux
contacts à la cour impériale.
[41] Riant, “Inventaire critique…”, cit.: 121.
[42] Or, si Hughes
s’était vraiment adressé à Alexis comme le prétend Anne,
l’interprétation contraire serait tout aussi valable. Supposant que Hughes ait
eu vent de certains rituels humiliants du cérémonial byzantin avant son arrivée
à Constantinople, son attitude pourrait se traduire par une crainte
d’être dénigré par l’empereur, d’où son message soulignant son
statut et sa naissance.
[43] “Αἰτῶ
γοῦν ἀφ’ ὑμῶν
πληροφορίαν
λαβεῖν εἰς τὸ
παντελὲς μὴ
ἀτίμως
ὑποδεχθῆαι
παρὰ τοῦ
αὐτοκράτορος,
αλλὰ πρὸ ἓξ
σταδίων τοὺς
γνησιωτάτους
τῶν καθ’ αἷμα
προςῳκειωμένων
αὐτῷ τὴν ἐμὴν
προιήσασθαι
προϋπάτησιν,
περὶ δὲ τὴν
βασιλικὴν
σκηνὴν
πελάσαντα ἆμα
τῷ τὰς τύλας εἰσιέναι,
καὶ αὐτὸν τῆς
βασιλικῆς
ἐξαναστάντα περιωπῆς
ἐντίμως με
ὑποδέξασθαι
καὶ μηδ’ ἡντιναοῦν
ἀναφορὰν τῶν
προγεγονυιῶν
συμφωνιῶν
γεγονέναι μοι
ἢ ὅλως εἰς
κρίσιν
ἀγαγέσθαι με,
ἀλλ’ ἐλεύθερον
ἄδειαν σχόντα
κατὰ τὸ ἐμοὶ
βουλητὸν εἰπεῖν
ὁπόσα καὶ
βούλομαι. Πρὸς
δὲ τούτοις καὶ
τὸν βασιλέα
τῆς ἐμῆς
κρατῆσαι
χειρὸς καὶ
πρὸς τῇ κεφαλῇ
τῆς κλίνης
αὐτοῦ παραστῆσαι
με, καὶ μετὰ δύο
χλαμύδων τὴν
εἴσοδον ποιηςάμενον
μηδ’ ὅλως εἰς
προσκύνησιν
κάμψαι γόνυ ἢ
τράχηλον τῷ
αὐτοκράτορι”, Anne Comnène,
XIII, ix, 4 : 119.
[44] Anne Comnène, XIV,
i: 141. En vérité, toutefois, la victoire de Bohémond est relative, si ce n’est
que les moyens par lesquels il y est parvenu se veulent un écho ironique
de la crainte de plusieurs croisés face aux attraits et aux incitatifs du
cérémonial.
[45] “Hostem mihi te dignor, nec
amicum”; Raoul de Caen,
xviii: 619-620; La tente impériale aurait été une bannière fort
honorable pour Tancrède, selon l’admiration de ses contemporains pour de
tels pavillons; Otton de Freising,
III, vii: 171.
[46] Il faut également
y voir des déformations possibles liées à la transmission orale de
l’information, Raoul n’ayant pas participé à la première
croisade. Pour une analyse de la disposition de Raoul vis-à-vis les Grecs, voir J.-C. Payen, “L’image du Grec dans la chronique normande: sur un passage de Raoul
de Caen”, dans Images et signes de
l’Orient dans l’Occident médiéval (Actes du Xe congrès international de
la Société Rencesvals; Aix-en-Provence, février 1981), Aix-en-Provence:
Éditions Jeanne Laffite, 1982:
269-280.
[47] “ἢ
οὐκ οἶσθα, ὅτι
καθαπερεὶ
στρουθίον ὑπὸ
ταῖς ἡμετέραις
γεγένησαι ἤδη
παλάμαις; κἂν
θελήσωμεν, οὐκ
ἂν φθάνοις
αὐτικα
παραπολλύμενος.
ἐννόησον ὡς
ἐκεῖνοι τὴν
χώραν
κατέχουσι
ταύτην, ὧν οἱ
πρόγονοι
πᾶσαν τὴν γῆν
περιῆλθον
τοῖς ὅπλοις,
ὑμῶν τε αὐτῶν
καὶ λοιπῶν
ἁπάντων τῶν ὑφ’
ἡλίῳ
ἐκυρίευσαν
ἐθνῶν. ταῦτα
ὑπολογίζεσθαι
σε χρεὼν καὶ
προςέτι ὡς
οὔτε νεώς ποτε
ἐπιβήσῃ τῆς
βασιλείου
οὔτε τι ὧν
ἐπιτελὲς
ἔσται σοι παρ’
ἡμῶν, ἀλλά σε
τὴν αὐτὴν καὶ
πάλιν οἱ τῶν
ἵππων οἴσουσι
πόδες”, Jean Kinnamos, II, 16: 79 [traduction
de J. Rosenblum]. Kinnamos écrit
entre 1180 et 1183, mais il est possible qu’il ait eu accès à la
correspondance entre Manuel et Conrad dans les archives impériales.
[48] Continuateur, 173: 137.
[49] “οὐ
χρείαν”
ἔφασκον
“Ἀλαμανοὶ
τοιούτων
ἔχουσι
θεαμάτων, οὔτε
μὴν
ἐπιτηδείων
γυναιξὶν
ἐμπορπημάτων
καὶ
στολισμάτων
φιλοῦσι
θειασταὶ
καθεστάναι,
αἷς ἡ κονὶα καὶ
κρήδεμνα καὶ
ἐνώτια
παμφανόωντα
καὶ τὸ ἀρέσαι
τοῖς ἀνδράσι
διαφερόντως
ἀσπάζεται.”
ἀλλὰ καὶ
Ῥωμαίους
μορμολύττοντες
“νῦν ἱκάνει
καιρὸς” ἔλεγον
“μεθαρμοσθῆναι
τῶν
γυναικωδῶν
ἐμπορπήσεων
καὶ σιδήρῳ
περισταλῆναι
ἀντὶ χρυσοῦ”;
Nicétas Choniatès, VI, 1: 477. Ces propos
résument bien la représentation générale que les Latins avaient des Grecs; il
est d’autant plus intéressant qu’ils soient prononcés par un chroniqueur
byzantin, comme quoi les Grecs étaient pleinement conscients de leur image chez
les Latins.
[50] Geoffroi de Villehardouin,
XLVI, 214: 88.
[51] “Mult tindrent li Gré à
grand mervoille et à grant oltrage ceste desfiance; et distrent que onques
mais nus n’avoit esté si ardiz qui ossast l’empereor de Constantinople desfier
en sa chambre meïsmes. Mult fist as messages malvais semblant l’empereres
Alexis, et tuit li Grieu qui maintes foiz lor avoient fait mult biel. Li bruis
fu granz par là dedenz; et li message s’en tornent et vienent à
la porte et montent sor les chevaus. Quant il furent defors la porte, n’i ot
celui qui ne fust mult liez; et ne fu mie granz mervoille, que il erent mult de
grant peril eschampé; que mult se tint à pou que il ne furent tuit mort
ou pris”; Geoffroi de Villehardouin, XLVI-XLVII,
215-216: 89 [traduction par J. Longnon].
[52]“Ἴδε,
ποῖος χωρίτης
κάθηται μόνος
παρισταμένων
αὐτῷ τοιούτων
ἡγενόνων”;
Anne Comnène, X, x, 6-7:
229-230. Albert d’Aix remarque également cette coutume des Byzantins qui était
étrange pour les Latins; Albert d’Aix,
II, 16: 310-311.
[53] Anne Comnène, X, x, 7: 230.
[54] Nicétas Choniatès, II, 2: 86.
[55] Dès 1137,
Raymond de Poitiers avait dû reconnaître la suzeraineté de Byzance, une
concession qui avait évidemment porté un dur coup à l’orgueil des
Latins. Les princes d’Antioche, à vrai dire, avouaient cette suzeraineté
plus en théorie qu’en pratique. Sur cette question, voir T. S. Asbridge, The Creation of
the Principality of Antioch, 1098-1130, Woodbridge: Boydell Press,
2000: 92-99.
[56] Guillaume de Tyr, XV, 4:
678-679.
[57] C. Bouillot, “Aux antipodes du beau
geste… ”, cit.: 49.
[58] Guillaume de Tyr, XV, 4:
679.
[59] Jean Kinnamos, IV, 21:
186-187; Guillaume de Tyr, XVIII,
25: 847-848. Précisons que Guillaume de Tyr néglige de mentionner les détails
humiliants de cette procession, se limitant au fait que le prince et le roi
étaient présents lors de l’entrée triomphale de Manuel. Il nous paraît
difficile de trancher définitivement sur les détails de cette cérémonie,
Guillaume de Tyr et Jean Kinnamos n’étant ni l’un ni l’autre des témoins
oculaires de l’événement. Pour une analyse
approfondie de l’objectivité de Jean Kinnamos et de Guillaume de Tyr, voir R.-J. Lilie, Byzantium and the Crusader States 1096-1204, Oxford:
Clarendon Press, 1993: 277-297.
[60] “Βασιλεὺς
δὲ προσιέναι
τὸν ῥῆγα μαθὼν
ἄλλοτε ἄλλους
τῶν ἐπι δόξης
προσυπαντᾶν
αὐτῷ ἔπεμπε
καὶ τοὺς
ἐπιδοξοτέρους
κατόπιν ἄρχι
καὶ τῶν ἐπ’ ἀδελφιδαῖς
αὐτῷ γαμβρῶν,
προσεποῦντας
αὐτὸν καὶ τὰ
εἰχότα
τιμήσοντας,
ἕως παρ’ αὐτὸν
βασιλέα ἦλθεν.
ὁ μὲν οὖν οὕτως
ἀξίως τοῦ
Δαβὶδ θπόνου
καὶ ἐτίμα καὶ
ἐδεξιοῦτο τὸν ἄνθρωπον·
ὁ δὲ εἴτε
τούτοις
κατεπαρδεὶς
εἴτε καὶ
ξύμφυτόν τινα
τρέφων
ἀλαζονίαν,
ἐπειδήπερ εἰς
τὴν βαςίλειον
παρῆλθεν
αὐλήν, ὑπό τε
τῶν βασιλείων
ῥαβδούχων καὶ
Ῥωμαίων τῶν
ἐπὶ δόξης
παραπεμπόμενος
ἐνταῦθα τοῦ
ἵππου ἀπέβη,
ἔνθα καὶ
βασιλεὺς αὐτὸ
ποιεῖν
εἴθιστο. ἐφ’ οἷς
ἀγερωχίαν
αὐτοῦ
καταγνοὺς βασιλεὺς
πολλὰ τῶν ἔπι
μᾶλλον εἰς
τιμὴν ὁρώντων
ἐνέλιπεν αὐτῷ.
εἶδε δὲ ὅμως
αὐτὸν καὶ
προσεῖπεν ἕδραν
τέ τινα
χθαμαλὴν
καθιζῆται
παρέθετο,
συνωμίλησέ τε
πολλάκις αὐτῷ
καὶ ἐν
συσσιτίῳ
παρέλαβεν.”; Jean Kinnamos, IV, 20:
124-125 [traduction de J. Rosemblum].
[61] En effet, le
rituel de descendre du cheval à des endroits désignés n’était pas
seulement d’origine byzantine, mais également fatimite. Baudouin connaissait
forcément les coutumes de ses deux rivaux les plus importants. Le De ceremoniis indique les endroits et
les circonstances où ce protocole devait être respecté; éd. de J. J. Reiske, I, 10: 84, 9; I, 17: 107,
5. Concernant le cérémonial fatimite, voir Canard, “Le cérémonial fatimite et le cérémonial
byzantin…”, cit.: 363.
[62] La présence du
Maître des cérémonies assurait le bon déroulement de chaque cérémonie, ce qui
écartait habituellement toute forme d’improvisation. Toutefois, la coutume
latine en matière de salutation consistait à descendre de son
cheval devant celui à qui l’on adressait son salut, comme quoi une
confusion aurait pu survenir à l’arrivée de Baudouin à la
résidence impériale. Sur le salut courtois, voir Bouillot, “Aux antipodes du beau geste…”, cit.: 49, de
même que K. Sittl, Die
Gebärde der Griechen und Römer, Leipzig, 1890: 152.
[63] Selon Philotée,
qui écrit au Xe siècle un traité sur les préséances, le simple fait
d’“introduire une erreur ou une confusion dans les réceptions impériales serait
ruiner la valeur des titres impériaux”; N. Oikonomidès,
Les listes de préséance byzantines des
IXe et Xe siècles, Paris: Éditions du centre national de la
recherche scientifique, 1972: 22.
[64] Shepard,
“‘Father’ or ‘Scorpion’?: Style and substance in Alexius’ diplomacy”, dans Alexios I Komnenos (M. E. Mullett et D. C. Smythe, dir.), Belfast: Belfast
Byzantine Texts and Translations, 1996: 91.
[65] Jean Zonaras, Epitomae historiarum
(éd. par T. Büttner-Wobst), Bonn: Corpus scriptorum historiae byzantinae,
1897, XVIII, 29, 19-27: 766-767; Jean
l’Oxite, “Diatribes de Jean l’Oxite contre Alexis Ier Comnène”
(éd. et trad. par P. Gautier), Revue
des études byzantines 28
(1970): 5-55.
[66] Anne Comnène,
XIII, ii, 1: 92.
[67] Le fait
qu’Alexis ait accepté de prendre Bohémond par la main lors du traité de Devol
en 1108 doit notamment être considéré comme un geste notable de
fraternité militaire; Shepard, “‘Father’ or ‘Scorpion’?...”. cit.: 92 et 96.
[68] Liutprand de
Crémone, en 949, prétend que la distance entre l’empereur et lui était telle
qu’une conversation entre les deux était impossible sans la présence d’un
intermédiaire; Liutprand de
Crémone, Antapodosis (trad. par F. A.
Wright), dans The Embassy to Constantinople and other
writings, Londres: J. M. Dent, 1993, VI,
5: 153. Nous pouvons supposer que la salle d’audience d’Alexis au palais des
Blachernes était beaucoup moins formelle que le Chrysotriklinos du Grand Palais,
si ce n’est qu’il était possible, selon Anne Comnène, pour les croisés
d’atteindre le trône impérial en tirant des flèches de l’extérieur; Anne Comnène, X, ix, 6: 223.
[69] Guillaume de Tyr, XVIII,
25: 847-849.
[70] Geoffroi de Villehardouin,
xxxviii-xxxix, 185-189: 189-192. Nous ne devons guère nous surprendre
d’un cérémonial moins rigoureux à cette époque, si ce n’est de
l’instabilité politique et du statut particulier des croisés, qui posaient
comme les champions d’Alexis IV. Robert de Clari remarque par ailleurs que,
lors d’une visite du roi de Nubie, Alexis IV se serait levé pour l’accueillir
et lui aurait fait grande fête, contrairement au protocole habituel; Robert de Clari, liv: 73.
[71] Odon de Deuil, IV: 77.
[72] Guillaume de Tyr, XVIII, 30-31:
854-857; B. Hamilton, “Manuel I
Comnenus and Baldwin IV of Jerusalem”, dans Καθηγητρια: Essays presented to Joan Hussey for her Eightieth Birthday (J.
Chrysostomides, dir.), Camberley: Porphyrogenitus, 1988: 356.
[73] R.-J. Lilie, Byzantium and the Crusader States…,
cit.: 136-138; Guillaume de Tyr,
XV, 19-20: 700-702.
[74] “Nudis enim,
ut dicitur, pedibus, indutus, laneis, manicis usque ad cubitum decurtatis, fune
circa collum religato, gladium habens in manu nudum, quem mucrone tenens cuius
capulum domino imperatori porrigeret, coram universis legionibus domino
imperatori presentatus est ibique ante pedes eius ad terram prostratus, tradito
domino imperatori gladio, tam diu iacuit, quousque cunctis vertertur in nauseam
et Latinitatis gloriam verteret in obprobrium”; Guillaume de Tyr, XVIII, 23: 845. Cet épisode est corroboré
par Jean Kinnamos, IV, 18:
181-183.
[75] Shepard, “Information, disinformation
and delay in Byzantine diplomacy”, Byzantinische
Forschungen 10 (1985): 235; J.
Haldon, “Blood and ink: some
observations on Byzantine attitudes towards warfare and diplomacy”, dans Shepard et S. Franklin, Byzantine
diplomacy: Papers from the Twenty-fourth Spring Symposium of Byzantine Studies,
Aldershot: Variorum, 1992: 282.
[76] D. Obolensky, “The Principles and
Methods of Byzantine Diplomacy”, dans Actes
du XIIe congrès International d'Études Byzantines, I,
Belgrade, 1963: 45-61; voir également les différentes études contenues dans Byzantine diplomacy: Papers from the
Twenty-fourth Spring Symposium of Byzantine Studies, cit.
[77] C’est notamment l’argument dénoncé dans les Gesta francorum et les autres chroniques appartenant à la
même tradition; Gesta francorum,
II, 6: 31.
[78] Ce fut le cas de
Renaud de Châtillon qui, malgré une rivalité de longue date avec Byzance,
préféra un rapprochement dès que cela lui parut profitable. Il en va de
même pour la politique de plusieurs rois de Jérusalem qui consentirent
à certaines alliances avec les Byzantins malgré leurs rivalités
antérieures. À ce sujet, voir le passage de Guillaume de Tyr concernant
la réception à Constantinople d’Amaury Ier par Manuel Comnène en
1171; Guillaume de Tyr, XX,
22-23: 940-945; S. Runciman, “The
Visit of King Amalric I to Constantinople in 1171”, dans Outremer: Studies in the history of the Crusading Kingdom of Jerusalem
(B. Z. Kedar, H. E. Mayer et R. C. Smail, dirs.), Jerusalem: Yad Izhak Ben-Zvi Institute, 1982:
153-158; Hamilton, “Manuel I
Comnenus and Baldwin IV of Jerusalem”, cit.: 359-368.