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p. 487
L’idéal
moral dans Historia langobardorum
Ecaterina Lung,
Université de Bucarest
Quand on regarde de près l’œuvre de Paul
Diacre, auteur d’une Histoire des
Lombards très lue pendant le Moyen Âge, on constate que
l’intérêt qu’elle suscite ne réside pas seulement en les informations
factuelles. Plus que par la mémoire des choses passées, c’est la mission qu’il
pense appartenir au peuple lombard qu’intéresse l’auteur. Par conséquence, ses
intentions ne sont pas innocentes, son attitude envers le passé n’est pas
neutre. Il écrit une histoire qui valorise les Lombards, présentés, selon le
modèle biblique et romain, comme peuple élu. Son démarche aboutit vers
un modèle collectif, un idéal qu’il espérait peut-être imposer au peuple réel à
l’intermédiaire des élites politiques et religieuses. Car il ne faut pas
oublier qu’il s’agit d’un auteur chrétien, qui s’était mis au service d’une
dynastie barbare chrétienne.
Donc, en tant
que représentation collective, l’image de
peuple élu suppose des valeurs qui se manifestent “comme des règles et
des lois où se trouve la source
de la conduite idéale, adoptée par une collectivité”[1].
Parmi ces valeurs, il y a certaines qui sont plus fortes, des méta-valeurs, qui
manipule les autres et les articulent systématiquement[2].
Mais quand on
essaye d’analyser le rôle joué par le système de valeurs dans
l’œuvre d’un historien du début du Moyen Age, on a à affronter
quelques difficultés. D’abord, c’est le spécifique de ce type de source, qui
propose un discours sur le passé, et non pas une théorie philosophique ou
morale. Mais il ne faut pas oublier qu’à l’époque circulait l’idée
commune reçue de Cicero, selon laquelle historia
magistra vitae, donc pour tout le monde l’écriture de l’histoire avait
aussi une finalité éducative et morale. Les œuvres historiques
reflètent ainsi les conceptions morales communes à l’époque et
aux milieux où leurs auteurs vivaient.
Une autre difficulté concerne le spécifique des valeurs mises en
œuvre par un auteur qui faisait
aussi partie du clergé chrétien, imbu de la culture classique mais qui était en
même temps le défenseur d’un royaume successeur de l’empire romain. Il
faudrait en conséquence se demander quel type de valeurs a-t-il utilisé pour
construire le portrait-robot du peuple élu qui se trouve dans le centre de son
réflexion historiographique. Notre hypothèse de travail est que Paul
Diacre, comme la plupart des historiens de l’époque, a hérité la conception
romaine des valeurs, qui avait des racines italiques et stoïques, et qu’il
lui a seulement ajouté quelques éléments de la conception chrétienne qui venait
de se mettre en place. C’est beaucoup plus difficile de dire s’il s’agit de
valeurs propres au monde lombarde, dont il se fait l’avocate. On sait très peu de choses sur la
culture germanique sauf les informations ethnographiques romaines,
p. 488
toujours suspectes car liées
à une culture dominante, qui interprète le tout à partir
des modèls préconçus. Il y a aussi quelques éléments qu’on peut décéler
à travers les codes des lois barbares, eux-aussi écrites en latin
à l’aide des juristes romains, et d’une “bureaucratie héritière
de la tradition du Bas-Empire”[3].
Dans ce qui suit, nous allons essayer d’analyser la part jouée par chacune de
ces traditions dans la conception sur les valeurs qui relève de
l’œuvre historique de l’auteur lombard. Nous allons nous concentrer sur
les vertus supposées centrales, car elles font partie intégrante de tout
système de valeurs connu.
Même s’il y
a toujours eu plusieurs représentations de la romanité[4],
l’idéal moral des Romains anciens peut être condensé dans la triade virtus, fides, pietas[5],
qui désigne les plus belles qualités des êtres humaines. Le mot virtus désignait au début l’attitude
digne d’un homme, c’est à dire la virilité, la droiture, l’initiative,
le dynamisme, le courage[6].
Plus tard, avec l’influence de la philosophie et surtout de la morale
stoïcienne, le mot a été employé au sens général de “vertu” en désignant
toute espèce de qualité ou de mérite[7].
Les autres vertus qui faisaient partie de la paradigme classique étaient humanitas, clementia,
benignitas, fidelitas, constantia,
prudentia, amor pacis, ius,
eruditia[8].
Pour les
stoïciens, la vertu s’identifiait avec le bien souverain et avec le
bonheur, ce qui signifiait vivre conformément à la nature humaine, qui
est rationnelle[9]. Parmi les
vertus proposées par les
stoïciens, les plus importantes étaient le courage, le bon sens, la
prudence, la conscience, la tempérance, l’ordre, la convenance, la justice,
l’équité, la bienveillance, la fermeté, la constance[10].
Leurs vues sur la morale convenaient à la conception romaine de la
grandeur et de la gravitas, donc
finalement l’idéal romain de vertu s’est trouvé imprégné de stoïcisme[11].
A l’intermédiaire
des Pères de l’Eglise le christianisme a beaucoup hérité du
stoïcisme, y compris sa conception morale et l’idée des vertus cardinales
(elle-même appartenant à l’origine à Platon): la prudence,
la justice, le courage, la tempérance[12].
Quand l’Eglise a pris en main la notion de vertu, elle a établi aussi une
hiérarchie, avec les vertus théologales en sommet: la Foi, l’espérance, la
charité (ou l’amour)[13].
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A leur arrivée
dans l’Empire romain, les Barbares germaniques semblent apprécier surtout les
vertus guerrières, un peu comme les Romains au début de leur histoire.
Mais le contact prolongé avec la civilisation romaine a contribué à leur
acculturation, donc ils ont accepté la majorité des valeurs romaines et
chrétiennes. D’autre coté, après les premiers siècles de
christianisme, les chrétiens eux-même ont trouvé le moyen d’intégrer les
valeurs guerrières des anciens Romains et des Barbares, en acceptant le
service militaire[14].
D’une certaine manière, Paul Diacre représente la preuve de ce processus
d’acculturation dans le domaine de la morale, même si parfois il
expriment ses propres idéaux, en tant que clerc, et non pas exactement ceux de
la société barbare d’un royaume germanique.
L’accent mis sur
les valeurs partagées par les Barbares a le rôle de créer une identité positive
qui purrait justifier la domination politique d’un certain territoire. Dans un
monde déjà chrétien, les principales valeurs qui définissent l’identité
du peuple élu sont les valeurs religieuses. Donc, la vertu par excellence pour
l’historien d’un peuple barbare est devenue la Foi, un des avatars de
l’ancienne fides des Romains. Mais
parfois, cette vertu chrétienne doit lutter pour s’imposer contre l’ancienne
religion païenne des Barbares et assez souvent il ne s’agit pas de vera fides, de la vraie foi catholique,
mais de l’hérésie arienne, qui n’est jamais considérée comme fides par les historiens.
Paul Diacre est
très intéressé par l’étape pré-chrétienne de l’histoire des Lombards, et
par conséquent on peut découvrir dans son œuvre la valorisation de quelques
vertus païennes. Tout d’abord il faut préciser que la lecture attentive de
l’Historia Langobardorum prouve
qu’avant la conversion au catholicisme, au VIIe siècle, la
croyance la plus répandue parmi les Lombards était le paganisme, et non pas
l’arianisme[15]. Même
si beaucoup d’historiens ont affirmé qu’à leur arrivé en Italie les
Lombards étaient ariens et que seulement ceux d’une autre ethnie étaient
païens[16], Paul
Diacre montre qu’à la fin du VIe siècle la majorité
des Lombards étaient encore païens[17].
Il s’agit pour lui d’un passé glorieux, et il ne semble jamais avoir des
problèmes à l’accepter, puisqu’il était si important pour la
création d’une identité des guerriers en migration[18].
Il souligne les vertus païennes de ses ancêtres, et
premièrement
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le courage au combat[19],
même si tout semblait leur être opposé, comme avant la
confrontation décisive avec les Vandales, qui bénéficiaient de la faveur du
dieu Wotan[20]. Les femmes
des Lombards sont les dépositaires d’une certaine sagesse barbare, une vertu
d’autant plus appréciée par Paul qu’elle assure la victoire sur un ennemi
supérieur du point de vue numérique[21].
Les prêtresses des Lombards, appelés à l’époque Winilli, savent
obtenir la faveur de la déesse Frija, la femme de Wotan, et, par une ruse, la victoire
est attribuée à leur peuple. Dès lors, les Winilli ont changé du
nom, ce qui a été interprété comme une étape dans leur ethnogenèse[22].
Aussi, la sagesse barbare est incarnée dans la figure de Gombara, la
mère d’Ibor et Aio, les premiers chefs des Winniles, “femme de
tête et de conseil”[23].
Mais pour Paul
Diacre comme pour les autres historiens des peuples barbares, la religion
païenne n’a rien à voir avec la vraie fides, qui existe seulement dans le christianisme. C’est pour ça
qu’il souligne les cas de conversion au catholicisme parmi les Lombards,
même si avant le VIIe siècle ils semblent aussi isolés,
et le rythme du passage à la vraie foi assez lent[24].
Il affirme que la reine Théodolinde a convaincu son mari, Agilulf, d’embrasser
la foi catholique[25],
même si en réalité il semble que le roi, bienveillant envers les
chrétiens orthodoxes, a gardé sa propre religion. Le cas le plus connu de
conversion est celui de Droctulf, duc lombard passé dans le champ byzantin et
devenu chrétien de confession nicéene[26], mentionné aussi par les historiens byzantins
de l’époque[27]. Partager
la même foi avec les Byzantins était un argument utilisé par les Lombards
au VIe siècle, selon Procope de Césarée[28],
ce qui nous semble une nouvelle preuve en faveur d’une arianisation plus
tardive des élites lombardes.
On a remarqué
l’importance des vertus païennes
pendant les premières étapes de l’histoire des Lombards. Mais l’argument
le plus important dans la constitution d’une identité positive et qui peut
justifier la maîtrise d’un territoire reste la vraie foi chrétienne. La foi
établie à Nicée reste la source de toutes les vertus pour ceux qui la
partagent, conformément à l’idée stoïcienne de la chaîne des
vertus, dont l’une entraîne
p. 491
les autres[29].
De ce point de vue, le moment crucial de l’histoire d’un peuple barbare devrait
être la conversion au catholicisme.
Les historiens
modernes ont assez souvent remarqué que Paul Diacre fait preuve d’une certaine
discrétion concernant la conversion des Lombards à l’orthodoxie
catholique, même si à l’époque c’était un fait essentiel pour la
transition de l’état de barbarie à la civilisation[30].
Il ne dit pas grand chose sur la conversion à la vraie foi, mais aussi
il dit peu sur l’arianisme des Lombards[31].
On peut supposer que l’élite lombarde est devenue arienne sous l’influence des
éléments gépides et ostrogothes de leur armée[32].
Paul écrit qu’au milieu du VIIe siècle, dans la majorité des
villes il y avait des évêques ariens, mais il raconte aussi l’accueil
chaleureux fait à saint Colomban et à ses moines, ce qui
suggère l’existence d’une forte communauté orthodoxe[33].
Il nous semble que d’une certaine façon, Paul surestime le rôle de l’arianisme
parmi les Lombards, pour mieux souligner l’importance prise ultérieurement par
la vraie fides. Leur pietas particulière envers saint Jean Baptiste, sorte de patron
“national”[34], auquel la
reine Théodolinde a dédié la basilique de Monza[35],
assure la protection surnaturelle pour leur royaume. Le déclin politique et
militaire du royaume lombard est mis par Paul Diacre en relation directe avec
l’abandon de la révérence pour la basilique de Saint Jean de Monza[36].
L’auteur souligne
la piété catholique chaque fois quand il le peut, et surtout pour les rois de
la période plus tardive, quand l’arianisme était déjà seulement un
souvenir. Le roi Perctarit est ainsi caractérisé comme “pieux, de foi
catholique”, et l’auteur nous donne comme preuve son attachement à la
justice et la générosité envers les pauvres[37].
Aussi, une des plus grandes vertus du roi Liutprand, l’héros préféré par Paul
Diacre, est d’être “extremement pieux”, et comme jadis Narses, il obtient
des victoires grâce à son christianisme fervent, “se fiant toujours
davantage aux prières qu’aux armes”[38].
L’identité
collective du peuple élu est construite par recours aux vertus autres que
celles qui appartiennent au domaine religieux. Un rôle très important
est joué par les vertus militaires ou morales qui caractérisent le group
ethnique dans son ensemble ou les différentes
individualités.
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Paul Diacre commence son œuvre avec un éloge dédié
à un peuple qui, au moment où il écrit son histoire, n’a plus
d’existence politique autonome. L’Etat lombard était anéanti par Charlemagne,
mais l’œuvre de Paul ne donne pas l’impression qu’il décrit la fin d’un
monde. Il écrit sans complexes et sans trop exagérer l’histoire d’un peuple
barbare qui évolue vers la civilisation et qui a son droit à l’existence
politique. Au début, les Lombards sont comme toutes les autres populations
germaniques, un peuple barbare et féroce[39],
mais on peut se demander si pour lui cette férocité est vraiment un défaut,
compte tenu du fait qu’elle facilite la conquête de l’Italie. Et cette
conquête, même violente, instaure une époque de paix, car les
Lombards “ont par la suite
régné avec bonheur sur toute l’Italie”[40].
Paul Diacre construit son discours pour mieux expliquer les raisons qui ont
permis aux Lombards de devenir le peuple élu qui assure enfin la félicité pour
le berceau de l’ancien Empire Romain.
Les Lombards,
comme les peuples antiques, font preuve de plusieurs vertus, parmi lesquelles
les plus importantes sont le courage, la force, la sagesse. Ils montrent leur
courage par leur manière de lutter, et leur force par la facilité avec
laquelle ils vaincrent leurs ennemis.
Le courage des
Lombards est illustré plusieurs fois dans l’histoire, soit par exploits
collectives, soit par exemples individuels. Au cours d’une lutte contre les
Bulgares, qui avaient tué l’un de leur premiers rois, Agelmund, les Lombards se
sont battus férocement, même s’ils étaient moins nombreux que leurs
ennemis[41].
Sous forme d’audace, le courage est présent dans de nombreux récits, comme dans
celui d’Alboïn, qui ose demander au roi gépide Turisindus les armes de son
fils, qu’il avait tué au combat[42].
Il existe aussi des cas où l’auteur parle simplement de l’audace de ses
personnages, quand il fait leur portrait, comme celui de Grimoald, “qui primait
par son audace”[43].
Leur force
surpasse de loin celle des autres peuples avec lesquelles ils entrent en
contact. Un exemple parlant de la force physique des Lombards est l’histoire
d’Amalongus, écuyer de Grimoald, qui était si fort qu’il pouvait soulever de sa
selle un soldat byzantin transpercé par sa lance[44].
Mais on peut se demander si les exploits guerriers d’Amalongus ne s’expliquent
aussi par les vertus surnaturelles de la lance royale, dont il était le
porteur, car chez les Lombards il y avait toute une tradition païenne
concernant le symbole et le pouvoir de cette arme[45]. Un autre cas spectaculaire est celui de
Peredeus, écuyer et frère de lait du roi Alboïn, “un homme d’une
force physique peu ordinaire”, qui réfugié à Constantinople à
cause d’un complot contre son maître, se montre un nouveau Samson, tuant un
lion “de belle taille” et deux patriciens
p. 493
de l’empereur[46].
Ce culte de la force physique s’explique peut-être aussi par les
conditions de vie en ce début de Moyen Âge, quand seulement les plus forts
avaient la chance de survivre. Une telle société “a tendance à révérer
la force, la prouesse, à être prête au combat et à sentir
la vie comme un combat”[47].
L’intelligence
des Lombards est pratique, mais toujours efficace. Ils font preuve de cette
vertu si appréciée par les anciens à l’occasion d’une stratagème
utilisée pour gagner la faveur de Wotan; quand ils répandent de faux bruits
pour inspirer crainte à leurs ennemis; quand, en fin, ils transforment
les esclaves italiens en leurs alliés en les offrant la liberté[48].
Un autre exemple est offert par la rusée de Grimoald, qui, ayant peu de
soldats, fait passer et repasser les mêmes individus sous les yeux des
ambassadeurs Avars, qui vont convaincre le chagan de se retirer de Frioul[49].
A ces vertus ils
ajoutent un amour sauvage pour la liberté, qu’ils sont prêts à
défendre à tout prix, car, selon le roi Lamissio, “mieux vaut laisser
son âme dans la bataille qu’être le jouet de l’ennemi comme les esclaves
de bas étage”[50].
Leur vertu
guerrière est si grande, que les Romains et les Barbares n’ont aucune
chance de leur résister, ils sont comme la nature déchaînée. Par conséquent,
à leur arrivée en Italie ils détiennent très peu d’éléments de
culture, soit quelques légendes et chansons qui parlent des exploits du roi
Alboïn[51]. Même
plus tard, vers la fin de leur histoire, la culture ne représente pas leur
point fort, car Paul Diacre nous dit sur le roi Liutprand qu’il ignorait les
lettres, mais il ajoute qu’il faisait “jeu égal avec les philosophes”[52].
Au début ils manquent d’humanitas, car ils pillent les églises, tuent
les prêtres et les habitants, détruisent les villes[53].
Ce climat de violence représente un état transitoire dans leur histoire. Leur
évolution vers la civilisation commence assez tôt, avec le roi Authari qui
instaure une sorte de discipline qui élimine la violence, les pillages et les
assassinats[54]. C’est
l’image de l’âge d’or instauré par un roi qui fait ainsi preuve de sagesse en
entreprenant une restauration plus que nécessaire[55].
Chez Paul Diacre les responsables des destinées du peuple sont presque toujours
les rois, donc il nous semble important de présenter son image idéale du
monarque. Le modèle pour les rois lombards n’est pas offert seulement
par les empereurs de Byzance, qui fournissent à l’auteur la liste des
vertus paradigmatiques[56],
mais aussi par Narses, le général qui triomphe de ses ennemis plutôt par sa
piété matérialisée dans les prières que par le
p. 494
combat[57].
Sa présence parmi les rois lombards n’est pas si bizarre qu’elle pourrait
sembler à la première vue, car l’auteur le considère un
vrai dominus Italiae, dans une liste de
rois qui va de Théodoric l’Ostrogoth jusqu’à Alboïn[58].
Le roi lombard Liutprand lui ressemble beaucoup dans la vision de Paul, et on
peut affirmer qu’il représente l’idéal, et que les autres rois marquent les
étapes dans le chemin vers l’accomplissement de celui-ci. Aussi comme les
autres auteurs, Paul insiste sur les vertus militaires des rois lombards,
parfois au détriment des autres types des vertus, moins présentes[59].
Alboïn est un des rois exemplaires, plein de courage au combat, et qui
manifeste aussi une certaine humanitas
à l’occasion de son entrée en Italie, car les destructions faites par
son armée ne sont pas trop grandes[60].
La seule chose qu’on peut lui reprocher est le meurtre du père de
Rosamonde, sa femme. Quand il l’oblige de boire d’une coupe fait du crane de
son père, elle prend sa revanche et fait assassiner son mari, action
justifiée par la conception barbare sur l’honneur[61],
mais à condamner car elle met en cause la stabilité de royaume lombard[62].
La principale vertu d’Alboïn reste sa charité envers l’Eglise, manifesté
même avant sa conversion au catholicisme. Pour les rois de la famille de
la reine Théodolinda, si importante pour le progrès du catholicisme
parmi les Lombards, la vraie foi chrétienne représente la vertu la plus
importante, comme chez Adaloald, rex
gratia Dei[63]. Mais les
rois ariens peuvent eux-aussi manifester des vertus, comme Rothari, dont
l’amour pour la justice est à l’origine de son activité législative[64].
Même si, selon la tradition antique, le fait de vivre sous le
règne des lois donne la mesure de la civilisation de chaque peuple, pour
Paul l’indice le plus sûr de ce processus est le respect envers l’Église.
Après la conversion, et surtout dès l’époque de la reine
Théodolinda, la plus importante action d’un roi lombard était de manifester sa
piété en construisant une église, la forme chrétienne de l’ancien patronage des
œuvres publiques[65].
La qualité de peuple élu est liée non seulement à la conversion des
Lombards au catholicisme, mais aussi au respect particulier pour le sanctuaire
de Saint Jean Baptiste, à Monza, qui représente leur “contrat” avec la
divinité protectrice. Cette
p. 495
protection se révèle
si efficace, que même le tombeau d’un roi arien, comme Rothari, qui se
trouvait dans cette “église-symbole pour les Lombards”[66],
est protégé par le saint contre le pillage[67].
Paul semble penser que la destruction du royaume lombard est la suite de la
manque de respect pour ce contrat, de la même manière que les
Romains pensaient que la chute de Rome a été la conséquence de l’abandon du
culte des anciens dieux.
L’histoire écrite
par Paul s’interrompt brutalement avec le règne de Liutprand, le dernier
grand roi lombard. On ne peut pas dire si c’était un accident ou le choix
conscient de l’historien, qui aurait préféré montrer son peuple sur le sommet
de sa gloire, avant la chute finale sous les coups des Francs. L’idée centrale
que Paul arrive à nous transmettre est que les Lombards sont devenus le
peuple élu, qu’ils ont édifié un Etat fort, cohérent, et que les nouveaux conquérants
ont dû collaborer avec leurs valeureux sujets. Il soutient ainsi la
légitimité du règne lombard de l’Italie, et il suggère aussi,
peut être, que cette légitimité a été héritée par les principautés
indépendante, en particulier par le duché de Bénévent[68].
Nous avons donc
montré comment notre auteur présente le peuple barbare auquel il s’est attaché
en tant que peuple élu à l’intermédiaire des vertus chrétiennes,
guerrières et, moins souvent, simplement morales. Paul Diacre garde un
certain équilibre entre les vertus morales, chrétiennes et les vertus
militaires, de tradition romaine et barbare. Mais son but est évident: montrer
que son peuple n’est plus barbare, qu’il a dépassé cette étape de son évolution
et qu’il a accès aux valeurs de la civilisation, qu’il est le peuple élu
du point de vue religieux et culturel. Et cette démonstration est mise au
profit d’une nouvelle légitimité politique, qui justifie l’existence d’un
royaume barbare et ses relations d’une position d’indépendance avec un Empire
Romain d’Orient trop faible ou trop éloigné pour représenter l’autorité réelle
et avec le nouveau Empire d’Occident, jeune mais d’une présence envahissante.
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[1] Eugen Cizek, Mentalités et institutions
politiques romaines, Paris, 1996 [1990] : 34.
[2] Ibidem.
[3] Jean-Pierre Delumeau, Isabelle Heullant-Donat, L’Italie au Moyen Âge, Ve-XVe siècle,
Paris, 2000: 19.
[4] Andrea Giardina (dir.), L’homme romain, Paris, 1992: 9.
[5] François Paschoud, Roma Aeterna, Rome, 1967: 323.
[6] Jean-Claude Fredouille, Dictionnaire de la civilisation romaine, Paris: Larousse, 1992,
article Virtus.
[7] Ibidem.
[8] Bruno Luiselli, Storia culturale dei rapporti tra mondo romano e mondo germanico,
Rome, 1992.
[9] Frédérique Ildefonse, Les Stoïciens, I: Zenon, Cléanthe, Chrysippe, Paris, 2000:
146-148.
[10] Jean Brun, Le stoïcisme, Paris, 1992 [1958]: 98.
[11] Fredouille, op. cit.
[12] André Bridoux, Le stoïcisme et son influence, Paris, 1966: 106.
[13] Fernand Comte, Les grandes notions du christianisme, Bordas, 1996: 220.
[14] Histoire du christianisme, vol. I (dir.
par J.-M. Mayer, Ch. et Luce Pietri, A. Vauchez, M. Venard),
Paris, 2000: 264.
[15]
Steven C. Fanning, “Lombard Arianism Reconsidered”, Speculum
56 (1981), 2: 241-258.
[16] Voir, par exemple,
Carlrichard Brühl, “Storia dei Longobardi”, dans Magistra
barbaritas. I Barbari in Italia
(éd. par
Giovanni Pugliese Carratelli),
Milan, 2e éd., 1986: 97-126.
[17] Paul Diacre, Histoire des Lombards (trad. François Bougard), Brepols, 1994: IV, 6; IV, 29.
[18]
Lotte Hedeager, “Migration Period Europe: the Formation of a
Political Mentality”, dans Rituals of Power. From Late Antiquity to
the Early Middle Ages (éd. par Frans Theuws,
Janet L. Nelson), Brill, Leiden,
Boston, Köln, 2000: 17.
[19]
Walter Pohl, “Memory, Identity and Power in Lombard Italy”,
dans The Uses of the Past in the Early Middle Ages (éd. par Yitzak Hen et Matthew Innes), Cambridge, 2000: 26.
[20] Paul Diacre, op. cit.: I, 8.
[21] Ibidem.
[22]
Herwig Wolfram, “Origo et religio. Ethnic traditions and literature in early
medieval texts”, Early Medieval Europe 3 (1994), 1: 22.
[23] Paul Diacre, op. cit.: I, 3.
[24] Pohl, “Deliberate ambiguity: The Lombards and
Christianity”, Christianizing Peoples and Converting Individuals
(éd. par Guyda Armstrong et Ian
N. Wood), 7, Turnhout, 2000: 58.
[25] Paul Diacre, op. cit.: IV, 5.
[26] Ibidem: III, 19.
[27] Theophilact Symocatta, Domnia imparatului Mauriciu (éd. par H. Mihãescu), Bucarest, 1985: II, 17.
[28] Procopius, Rãzboiul cu goþii (ed.
par Mihãescu), Bucarest, 1963: I,
34, 24.
[29] Dictionnaire encyclopédique du christianisme
ancien, 2, Paris: Cerf, 1990, article Vertu.
[30] Nicola Cilento, “La storiografia nell’età barbarica. Fonti occidentali sui
barbari in Italia”, dans Magistra barbaritas. I
Barbari in Italia, cit.: 330.
[31] Stefano Gaspari, “Roma e i Longobardi”, Roma nell’Alto Medioevo, Settimane di
studio del centro italiano di studi sull’Alto Medioevo 48, Spolète,
2001: 226.
[32] Fanning, Lombard arianism reconsidered, cit.: 252.
[33] Paul Diacre, op. cit.: IV, 42; IV, 41.
[34] Gian Pietro Brogiolo, “Capitali e residenze regie nell’Italia longobarda”, dans Sedes
regiae (ann. 400-800) (éd. par Gisela Ripoll
et Joseph M. Gurt), Barcelone,
2000: 141.
[35] Paul Diacre, op. cit.: IV, 21.
[36] Ibidem: V,
6.
[37] Ibidem: V, 37.
[38] Ibidem: VI, 58.
[39] Ibidem: I,
1.
[41] Ibidem: I, 17.
[42] Ibidem: I,
24.
[43] Ibidem: V, 33.
[44] Ibidem: VI, 52.
[45] Gaspari, “Kingship Rituals and Ideology in Lombard
Italy”, dans Rituals of Power, cit.: 99.
[46] Paul Diacre, op. cit.: II, 28; II, 30.
[47] Robert Delort, La vie au Moyen Âge, Paris, 1982: 59.
[48] Paul Diacre, op. cit.: I, 13.
[49] Ibidem: V,
21.
[50] Ibidem: I,
10.
[51] Ibidem: I, 27.
[52] Ibidem: VI, 58.
[53] Ibidem: II, 32.
[54] Ibidem: III, 16.
[55]
Gabrielle Zanella, “La legittimazione del potere regale nelle
«Storie» di Gregorio di Tours e Paolo Diacono”, Studi Medievali,
3e série, 30 (1990), 1: 73.
[56] Pour la conception
sur les vertus imperials, voir A. Wallace-Hadrill,
“The Emperor and His Virtues”, Historia
30 (1981): 298-323.
[57] Paul Diacre, op. cit.: II, 3.
[58] Pohl, “L’armée romaine et les Lombards: stratégies militaires et politiques”,
dans L’armée romaine et les Barbares du IIIe au VIIe
siècle. Mémoires publiées par l’Association Française
d’Archéologie Mérovingienne, 5 (éd. par Françoise Vallet et Michel Kazanski),
1993: 291.
[59] Zanella, op. cit.: 74.
[60] Paul Diacre, op. cit.: II, 32.
[61] Pour une analyse de
la conception sur l’honneur barbare, voir Nira Gradowicz-Pancer, “«L’Honneur
oblige». Esquise d’une cartographie des conduites et des strategies de
l’honneur au Ve et VIe siècles”, Revue
belge de philologie et d’histoire 74 (1996), 2: 273-293.
[62] Jon
N. Sutherland, “The idea of revenge in lombard society in
the eight and tenth centuries: the cases of Paul the Deacon and Liutprand of
Cremona”, Speculum 50 (1975): 397.
[63] Paul Diacre, op. cit.: IV, 30.
[64] Ibidem: IV,
44.
[65] Gaspari, “Bisanzio e i Longobardi. I rapporti fra l’Impero e una stirpe barbarica
al tramonto del sistema tardo-antico”, dans Europa medievale e mondo
bizantino. Contatti effettivi e possibilità di studi comparati, Tavola
ronda del XVIII Congresso del CISH, Montréal, 29 agosto 1995 (éd. par G. Arnaldi et G. Cavallo), Roma, 1997: 49.
[66] Gaspari, Roma
e i longobardi, cit.: 227.
[67] Paul Diacre, op. cit.: IV, 47.
[68]
Paul S. Barnwell, “War and peace: historiography and
seventh-century embassies”, Early Medieval Europe 6 (1997), 2:
131.