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Le Royaume de Hongrie et les missions franciscaines dans les régions sous domination mongole du XIIIe siècle au XVe siècle:

un exemple de géopolitique religieuse

 

Thomas  Tãnase,

Université de Paris I Sorbonne

 

Au XIIIe et au XIVe siècles, la mer Noire prend une importance capitale dans l’histoire des échanges internationaux grâce à l’ouverture de contacts commerciaux directs entre l’Occident latin européen et l’Asie, ouverture rendue possible par la domination politique mongole qui s’étend depuis la mer Noire et Bagdad (prise en 1258) jusqu’à Pékin, dont les Mongols font leur capitale sous le nom de Khanbaliq en 1260. Dorénavant, et jusqu’à Christophe Colomb, qui ne voulait qu’atteindre les Indes par l’Occident, la recherche d’un contact direct avec l’Asie restera la première motivation des explorateurs et des marchands occidentaux. L’instauration d’un pouvoir unique leur permet de circuler dans une sécurité relative dans tout l’empire, et sur des routes améliorées, d’autant plus que les Mongols se montrent tolérants en matière de religion. La Perse et l’Asie centrale, dont, sous une domination musulmane hostile, des guerres incessantes rendaient le territoire dangereux, sont désormais soumises à un pouvoir efficace, et les souverains qui exercent leur autorité sur ces régions apaisées acceptent volontiers des pourparlers avec les émissaires chrétiens.

Soulagées par le retrait des Mongolls qui, en 1241, avaient envahi la Pologne et la Hongrie, et les avaient menacées directement, les puissances chrétiennes d’Occident réalisent vite que la pax mongolica permet aux voyageurs latins d’atteindre des populations inconnues et d’aller jusqu’en Chine, et cela même après le démembrement, en 1260, de l’empire mongol unitaire, scindé en plusieurs khanats concurrents (le nord de la mer Noire, la Crimée et une partie de la Sibérie méridionale et occidentale sont dominées par la Horde d’Or, la Perse par les Il-Khans, l’Asie centrale autour de Boukhara et Samarkand constitue le khanat du Djaghataï). Il s’agit d’une véritable révolution géographique pour l’Occident latin, qui se rend compte soudainement que le christianisme latin n’occupe qu’une partie très restreinte du monde connu, et que les populations païennes, dont on supposait qu’elles n’étaient qu’une quantité négligeable aux confins de l’univers méditerranéen, méritent, par leur nombre, l’intérêt.

La mer Noire devient une interface privilégiée pour ces échanges qui se développent et font communiquer l’Occident latin et l’Extrême-Orient. Grâce à sa réinsertion dans l’économie-monde, sur les routes vers l’Extrême-Orient, la région prend une importance nouvelle pour l’Occident latin, phénomène étudié par Georges Brãtianu et Michel Balard[1]. Tandis que se développent des colonies marchandes en Crimée, la Caffa génoise et la Soldaïa vénitienne, des communautés de commerçants italiens s’installent dans les villes d’importance, notamment Saraï, la capitale de la Horde d’Or, et s’avancent jusque dans le Djagataï. Un exemple célèbre et significatif est celui de Nicolas et Maffeo Polo qui en 1261, à partir de la mer Noire et Soldaïa où

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ils faisaient des affaires, décident de se lancer plus en avant sur les routes de l’Asie et gagnent la Chine.

Le rôle de la mer Noire ne saurait se limiter à un simple débouché du commerce asiatique, étant donnée l’importance du commerce de produits régionaux (céréales, cire et esclaves). Cependant, ce rôle est loin d’être négligeable, et ce d’autant plus qu’à la même époque les derniers vestiges des Etats Latins d’Orient disparaissent définitivement: Acre est conquise en 1291 par les Mameluks. L’espace pontique s’insère dans une organisation géographique eurasiatique (et même mondiale, si l’on se situe dans le cadre géographique latin de l’époque dont l’Amérique et l’Afrique sub-saharienne sont absentes): l’Occident latin envoie des marchands jusqu’à l’autre bout du monde, organise des routes commerciales et essaye de nouer à partir du milieu du XIIIe siècle des relations diplomatiques suivies avec les pouvoirs mongols, et ce jusqu’à la désorganisation progressive de ceux-ci au cours de la seconde moitié du XIVe siècle. La Perse à partir des années 1330 et la Horde d’Or à partir des années 1360 s’affaiblissent et tombent en proie aux guerres civiles, tandis que les Mongols sont chassés de Chine en 1368. Cependant, malgré ces évènements et les ravages de la Grande Peste qui sévit en Occident, ce n’est vraiment qu’à la fin du XIVe siècle et au cours du siècle suivant qu’il devient impossible d’accéder en Asie centrale et en Chine par la mer Noire, et ce sous le coup de deux évènements: la conversion complète et irréversible de l’Asie centrale à la foi musulmane et surtout l’avancée ottomane qui coupe une nouvelle fois la route de l’Asie pour les Occidentaux latins.

Toutefois, un des aspects fondamenttaux de cette organisation est souvent laissé de côté, alors qu’il témoigne par ailleurs de l’importance de la mer Noire dans ce contexte historique. En effet, tout autant que par des marchands, l’Asie mongole est parcourue par les frères issus des ordres mendiants franciscains (ou Frères mineurs) et dominicains (ou Frères prêcheurs), qui, à la même époque, sont en train de transformer la chrétienté en Occident et de donner un poids nouveau à l’autorité pontificale à laquelle ils sont soumis. Ce sont des Franciscains, Jean du Plancarpin, envoyé par le Pape en 1245 pour appeler à la conversion le souverain mongol, et Guillaume de Rubrouck, envoyé par Saint-Louis en 1253, qui établissent les premiers contacts avec les souverains mongols. Par la suite, des communautés de religieux latins s’installent dans toute l’Asie, et ce jusqu’à la Chine du Grand-Khan, qu’ils peuvent atteindre par l’Inde (via la Perse sous domination mongole) comme par l’Asie centrale. Les Frères mendiants tentent de profiter de la présence autour des souverains mongols de nombreux captifs déracinés issus des chrétientés orientales non orthodoxes (et notamment nestorienne et arménienne), ainsi que de souverains nestoriens d’Asie centrale qui se sont mis au service des souverains mongols, et auxquels les Franciscains vont offrir une Eglise et un encadrement religieux. Il ne faut pas oublier non plus l’existence de chrétiens latins à cette cour, pris comme captifs au cours de la campagne de 1241. Les missionnaires latins cherchent à gagner de l’influence auprès des souverains mongols afin de les convertir, sans toutefois obtenir un réel succès dans cette dernière tâche. C’est ainsi qu’apparaissent des communautés chrétiennes jusqu’à Pékin. Face à ce mouvement qu’elle a initié, la Papauté décide de créer de nouveaux évêchés en Asie et étend la carte ecclésiastique occidentale jusqu’en Chine: elle crée en 1307 un archevêché à Khanbaliq, dont la juridiction épouse les limites du pouvoir mongol, de la mer de Chine à la mer Noire, et comprend en théorie les chrétiens de rite latin du Djagataï et de la Horde d’Or. A un moment où par ailleurs la Papauté mène une politique active d’union religieuse avec les chrétiens orthodoxes et non orthodoxes, il s’agit bien d’organiser, sous l’autorité de Rome, une chrétienté recouvrant l’ensemble du monde

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connu –à l’exclusion, bien entendu, de l’Islam qui, en cas de réussite de cette politique, se retrouverait cerné.

Cependant la région où l’acttion menée obtient les meilleurs résultats, c’est celle dominée par la Horde d’Or, où les frères mendiants créent de nombreux établissements, organisent des communautés latines jusqu’au cœur de l’Asie centrale et mènent une politique active auprès des souverains. Le succès de cette politique est consacré par la décision en 1318 d’organiser un évêché à Caffa, devenue le centre du commerce génois autour de la mer Noire, dont la juridiction s’étend à une bonne partie des territoires de la Horde d’Or (alors que l’organisation de l’Eglise en territoire mongol était en théorie laissée à l’entière discrétion de l’archevêque de Khanbaliq). Compte tenu des distances, l’évêché de Caffa était parfaitement autonome. Cependant, sa dépendance hiérarchique vis-à-vis de Khanbaliq ne fut jamais officiellement levée, et ce jusqu’à ce qu’elle perde son sens avec la disparition du siège de Khanbaliq au XVe siècle, signe que pour le souverain pontife ce qui se passait au nord de la mer Noire et en Asie centrale ne pouvait être complètement séparé de l’Extrême-Orient. L’évêché de Caffa, qui dure jusqu’à la conquête de la ville par les Ottomans en 1475, avait une juridiction qui s’étendait bien au-delà de la colonie génoise, puisqu’elle allait de Varna en Bulgarie jusqu’à Saraï sur la Volga. Sa création fut suivie de l’institution provisoire de plusieurs autres évêchés en Asie centrale, dont la création cherchait manifestement à remplir le vide de structures religieuses latines entre l’évêché de Caffa et la Chine[2].

L’étude de l’action des frèrres mendiants, et principalement celle des Franciscains, est intéressante parce qu’elle permet de préciser et même, en partie, de changer les perspectives historiques: en effet, cet essor des contacts entre l’Occident latin et l’Asie n’est pas le fruit d’initiatives commerciales fortuites, mais procède d’une volonté réfléchie des pouvoirs occidentaux d’étendre leurs réseaux jusqu’au bout d’un monde qui au XIIIe et au XIVe siècles prend des dimensions nouvelles. L’activité des marchands repose elle-même sur une pratique géographique, celle des routes commerciales et des contacts marchands directs et réguliers avec l’ensemble de l’Asie sous domination mongole. Mais cette tentative ne se comprend que si l’on prend en compte la volonté pontificale d’une organisation universelle qui lui soit soumise, ce que les papes se mettent à espérer au moment où ils voient s’ouvrir l’espace mongol qu’ils rêvent de gagner par la conversion des princes mongols qui l’ont unifié et le dominent.

Cette volonté repose sur une actionn politique concrète: si la création d’évêchés doit encore beaucoup au hasard et aux différentes initiatives sur le terrain, la Papauté encourage les frères mendiants à partir en mission, convertir les populations rencontrées, et elle prépare si bien matériellement, financièrement et intellectuellement (en exigeant une expérience du contact avec les étrangers et de bonnes connaissances linguistiques) leur départ que ceux-ci finissent par occuper des positions stratégiques dans les différentes cours mongoles. La Papauté, alors en plein développement centralisateur en Occident, encourage des missions sur lesquelles elle veut garder une autorité directe par l’intermédiaire des Frères mendiants, lesquels n’ont à répondre de leurs actes qu’envers le souverain pontife. L’implantation une fois réussie, la Papauté met en place des évêchés dont la charge est toujours confiée à des frères mendiants afin d’assurer l’indépendance

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de ces sièges vis-à-vis de toute autre puissance latine (et notamment génoise ou vénitienne). Cette relance de l’idéal missionnaire repose entièrement sur les cadres canoniques définis par la Papauté (et plus précisément par la bulle cum hora undecima, réitérée régulièrement), et témoigne d’une politique très volontariste.

Le rôle des puissances laïquess est considérablement diminué: en aucun cas un roi ou son entourage ecclésial ne peut prétendre organiser une mission, ni être l’intermédiaire ou l’agent exécutant des missions au service de la Papauté, afin d’en profiter pour étendre son autorité aux nouvelles provinces ecclésiastiques créées. En d’autres termes, est exclue une interaction entre Eglise et pouvoir laïque comme à l’époque carolingienne, lorsque Charlemagne avait obtenu la conversion des Saxons à la fois par les succès de son armée et par ceux d’une activité missionnaire qu’il contrôlait, et que l’avancée de la foi chrétienne allait de pair avec celle de l’autorité de l’empire carolingien. Le souverain pontife est d’autant plus jaloux de son indépendance, que très vite il mène une politique d’équilibre entre ses agents Franciscains et Dominicains, ce dont témoignent ses hésitations de 1245 qui aboutissent, après l’envoi de Plancarpin, à l’annulation du départ d’une deuxième mission franciscaine auprès des Mongols, remplacée par celle de deux Dominicains, Ascelin de Crémone et André de Longjumeau, de même que la création en 1318 de l’archevêché de Sultanieh (du nom de la capitale des Il-Khans mongols de Perse), confiée au Dominicains, et qui incorpore une partie de l’Asie franciscaine (et notamment le Djagataï)[3].

Si les souverains mongols demandentt eux aussi des missionnaires pour donner un signe de leur volonté d’entretenir de bonnes relations avec l’Occident latin et avec celui qu’ils peuvent croire son souverain, le Pape, le prestige culturel des missionnaires franciscains est loin d’égaler celui de l’empire byzantin auprès des Slaves du IXe siècle, à même de séduire des populations attirées par le modèle byzantin, et de rallier des souverains pour lesquels le rapport avec Constantinople était capital. Pour les souverains bulgares, par exemple, adopter le christianisme était un moyen de parler d’égal à égal avec le basileus. Pour les souverains de la Horde d’Or, les relations avec l’Occident latin n’étaient qu’un problème parmi d’autres (pour ne pas parler des Mongols de Khanbaliq), et en tout état de cause, l’attrait culturel de l’Occident était quasi-nul. L’accueil fait aux Franciscains aux cours mongoles était, sauf exception, d’ordre strictement diplomatique, et les succès de ces derniers auprès des populations, limité (surtout en comparaison des succès remportés par l’Islam), si ce n’est auprès des chrétiens non catholiques, ramenés au sein de l’Eglise romaine. La création d’une carte religieuse qui s’étend jusqu’à Khanbaliq, et d’un archevêché dans cette ville pour sa communauté chrétienne bien réelle, mais de faible ampleur[4], relevait d’abord d’un espoir, celui d’une possible conversion des souverains mongols, qu’il fallait aider en développant les structures ecclésiales, et ensuite d’une volonté: affirmer l’universalité de l’Eglise latine, qui se devait d’être à la mesure de ce nouveau monde depuis peu ouvert aux Latins. De fait, l’action de l’Eglise, son installation auprès des communautés marchandes

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jusqu’en Chine, et les nombreux récits et lettres qui circulaient en Occident donnaient le sens de cette aventure: il s’agissait d’accomplir la vocation universelle de la chrétienté.

Cependant, pour reprendre l’exemplee de Caffa, il est illusoire de penser que les Génois n’avaient pas leur mot à dire dans la gestion de l’évêché, étant donné leur présence matérielle et politique sur le terrain. De même, pour remplir leur mission, les frères mendiants devaient s’appuyer sur des réseaux politiques existants, profitant des recommandations de ceux susceptibles de les introduire auprès des gens en place. Rien n’était possible sur le terrain sans l’aide de couvents qui avaient eux-mêmes besoin d’un soutien financier et d’un approvisionnement en hommes. De ce fait, la Papauté était toujours obligée de construire son action en s’appuyant sur des puissances laïques, qui en retiraient une capacité d’influence. Malgré la volonté centralisatrice de la Papauté, et l’absence de compétence juridique d’un autre intervenant dans le cadre de ces missions, l’équilibre des pouvoirs sur le terrain était plus complexe que ce que les études portant sur le sujet ont envisagé, et laissait une marge de manœuvre et aux puissances laïques et aux ordres mendiant eux-mêmes, qui n’étaient pas en toute occasion des exécutant fidèles (il suffit de penser à la querelle de la pauvreté et au nombre de Franciscains qui ont fait œuvre de mission alors que l’orthodoxie de leur foi était mise en cause par le souverain pontife).

Ainsi, la construction d’une chrétiienté latine universelle fait aussi apparaître réseaux et luttes d’influence. Or l’activité religieuse latine dans les régions sous domination mongole est en général décrite soit dans les limites d’une étude locale, sans insérer cette activité dans l’environnement international, soit en évoquant simplement l’envoi des missionnaires depuis Rome et en faisant d’eux des agents de la Papauté, alors qu’il nous est impossible de l’appréhender si l’on ne comprend pas qu’il existe des routes et des réseaux religieux, similaires aux routes commerciales, qui vont de l’Occident latin vers les régions mongoles. Cette vaste construction géopolitique à l’échelle de l’Asie sous domination mongole est l’objet d’un travail de recherche actuellement en cours qu’il serait impossible de résumer en quelques pages. Ce que l’on voudrait étudier dans cet article, c’est, à titre d’exemple, l’histoire et l’échec d’un de ces réseaux, parmi plusieurs autres, que la Papauté par l’intermédiaire des Franciscains a mis en place, afin de montrer concrètement comment l’Eglise d’Occident construisait son implantation dans ces régions qui s’ouvraient aux Occidentaux. La plaque tournante du réseau que nous étudierons ici, c’est le royaume de Hongrie, devenu une des portes d’entrée de l’espace mongol pour les Latins. En effet, celui-ci a pris une importance primordiale pour la construction de la présence religieuse occidentale au Nord de la mer Noire, et jusqu’en Sibérie, dans l’espace dominé par la Horde d’or. Grâce à l’action et à la présence hongroise dans cette région, les marchands et les frères mendiants italiens venus de Caffa pouvaient s’enfoncer jusqu’en Asie centrale et en Chine. Grâce à une action combinée au nord de la mer Noire et dans les Balkans, la Hongrie a pu s’imposer dans le jeu diplomatique de l’Occident latin comme un Etat de première importance, jusqu’à ce que cette fonction de plaque tournante disparaisse, entraînant au XVe siècle la perte d’importance de la Hongrie puis sa chute finale. Ce rôle joué par la Hongrie n’est d’ailleurs pas sans effet sur l’histoire des populations roumaines, qui ont été un acteur de ce processus historique.

 

La Hongrie et les missions comanes: première avancée au Nord de la mer Noire et premières informations sur les Mongols. La situation de la Hongrie dans la première moitié du

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XIIIe siècle est loin d’être simple et apaisée, surtout sous le règne d’André II, qui tente sans succès d’étendre ses territoires au détriment des principautés russes (et notamment celle de Halicz), puis de se faire couronner empereur latin de Constantinople, ce à quoi la Papauté s’oppose[5]. L’échec de cette politique est à l’origine de l’affaiblissement du pouvoir royal, obligé de céder devant les nobles et de leur accorder en 1222 la Bulle d’or, qui renforce leur pouvoir. Le règne d’André II se termine même par un affrontement ouvert entre Grégoire IX et André II, qui mène à l’excommunication de ce dernier par le fidèle représentant du Pape, l’archevêque de Strigonien (Esztergom), un Français, du nom de Robert. La situation s’apaise quelque peu avec l’accession au trône de Bela IV (1235-1270), proche de Robert de Strigonien, qui se montre nettement plus conciliant envers le souverain pontife, sans doute plus par nécessité que par choix.

C’est dans ce contexte qu’arrivent les ordres mendiants dans le royaume, qui y connaissent un vif succès, à commencer par les Dominicains, qui à partir de 1221 s’introduisent au cœur de la monarchie hongroise. On comprend que ce rapide succès des mendiants en Hongrie est bien lié à la situation politique, et l’inclination du nouveau souverain pour eux est aussi une manière pour lui de prouver son allégeance au Pape, attaché à la promotion de ces ordres qui passent pour ses agents directs, bousculant les hiérarchies religieuses traditionnelles. Les Frères prêcheurs se chargent alors d’une première mission cruciale pour l’avenir de la Hongrie: la prédication dans les régions sous domination comane, qui aboutit même à la création d’un évêché des Comans (notons l’expression d’ episcopus Cumanorum) en 1227[6]. Les Comans, c’est ce peuple d’origine turque qui domine dans la première moitié du XIIIe siècle (avant l’invasion mongole qui va les chasser de leurs terres) un vaste espace allant des bouches du Danube à la plaine de Crimée, et nul doute que ces missions ne s’adressaient pas qu’aux Comans, mais également aux populations qui leur étaient soumises même si, comme les Valaques, elles étaient de rite byzantin: l’évêque des Comans devait être assisté d’un vicaire de rite grec pour les populations valaques. De fait, la Relatio Sviperti de missionibus provinciae Hungariae nous montre un groupe de Dominicains envoyés par le fondateur des missions dominicaines de Hongrie, Paul, partir d’abord pour la région de Severin afin de ramener à l’union les schismatiques et ensuite passer en pays coman proprement dit pour convertir les infidèles. Il faut ainsi noter que si c’est l’arrivée des Mongols qui a permis aux Latins de s’avancer en Asie, la volonté d’expansion missionnaire n’est pas créée par cet évènement, mais profite de l’occasion. Ses causes sont à chercher dans l’histoire des mentalités de l’Occident latin lui-même et de la mutation liée à l’apparition des ordres mendiants, qui dès leur naissance sont orientés vers l’activité missionnaire. Les frères mendiants associent dans un même effort les régions danubiennes et les plaines du nord de la mer Noire, et leur action s’avance jusque fort loin, puisque le territoire parcouru par les Comans s’étend jusqu’à la Volga. Le rôle spécifique de la Hongrie apparaît à l’occasion, puisqu’elle sert de base de départ et que les missionnaires en sont originaires. Mais le mouvement est indépendant d’un pouvoir politique contesté par la Papauté,

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qui s’institue en protectrice de l’évêché des Comans et affirme l’absolue indépendance de cet évêché vis-à-vis de l’Eglise comme de la monarchie hongroises. Cependant, les Dominicains sont dans une situation plus complexe qu’elle n’en a l’air: agents de la Papauté dans un royaume dont les relations avec le Saint-siège sont difficiles, ils sont cependant proches du roi, qui en fait son alibi auprès du Pape.

Les Franciscains, même s’ils ont en cette première moitié du siècle moins d’importance dans le royaume de Hongrie que les Dominicains, s’installent dès 1229 dans la capitale, à Esztergom, envoyés par Jean de Plancarpin qui, avant de devenir célèbre pour son voyage chez les Mongols, est le principal artisan de leur arrivée en Europe centrale et orientale, qu’il supervise depuis l’Allemagne où il est ministre général en 1228. Leur progression en Hongrie est elle aussi assez rapide. Leur activité en Comanie, une fois arrivés dans le royaume hongrois, n’est pas directement attestée par un document et est loin d’être assurée. Cependant, il n’y a pas de raison pour qu’aucun d’entre eux n’ait participé à ce mouvement majeur alors que leurs structures et leur mode de fonctionnement les y engageaient. Certains documents peuvent nous faire penser qu’ils étaient présents sur le terrain, comme la lettre d’un évêque hongrois envoyée à l’évêque de Paris, que nous a gardée la chronique de Matthieu Paris, et qui parle des invasions mongoles en évoquant la mort de missionnaires dominicains et franciscains envoyés par le roi de Hongrie dans les terres comanes[7] (lettre qui met au passage en évidence un lien entre les missionnaires mendiants en terre comane et Bela IV). Ce qui fait d’une mission qu’elle est qualifiée de franciscaine ou de dominicaine, ce n’est pas une présence exclusive sur le terrain, mais l’appartenance des frères qui ont en responsabilité son encadrement et qui dominent la hiérarchie religieuse. La majorité des missionnaires et ceux qui reçoivent la consécration ecclésiastique en terre comane sont des Dominicains, mais cela ne signifie pas pour autant que les Franciscains soient absents sur le terrain. A tout le moins les Franciscains de Hongrie ont été informés de ce qui se passait. Or, c’est à partir de cette mission que se font les premiers contacts avec les Mongols, puisque le Dominicain Julien de Hongrie arrivant en grande Hongrie voit des habitants fuir et le prévenir de l’arrivée des Mongols, de leurs intentions hostiles et de leur soif de conquêtes illimitées, ce qui le fait rebrousser chemin pour avertir en 1237 la chrétienté latine de la menace imminente qui se profilait à l’horizon.

En effet, l’arrivée des Mongols en 1241 était loin d’être imprévue. En fait les Latins l’attendaient sous une forme ou sous une autre depuis la cinquième croisade et le siège de Damiette en 1219, quand les légendes sur des souverains orientaux chrétiens (le roi David et le prêtre Jean) qui s’étaient soulevés et allaient prendre les musulmans à revers commencèrent à circuler[8]. La monarchie hongroise avait elle-même des informations venues de ses propres sources: Aubri de Trois-Fontaines signale que déjà en 1223 André II informait le Pape de la victoire des Mongols sur les Russes à la Kalka[9]. Au-delà du voyage de Julien, les missions comanes ont dû elles aussi apporter leur lot d’informations sur ces Mongols qui avaient atteint la

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Russie et la Géorgie dès les années 1220 et étaient les voisins des Comans. Il faut ajouter que le royaume latin de Constantinople lui-même était sans doute déjà en contact avec ces derniers, même si la nature de ces contacts est très mal connue: Jean Richard montre à travers la chronique d’Aubri de Trois-Fontaines que la cour de l’empereur latin Baudouin II avait noué des liens avec les Comans, que des alliances matrimoniales avaient été négociées et qu’un personnage comme Jean de Hainault, avec lequel Rubrouck s’entretient lors de son séjour à Constantinople, connaissait probablement le Coman[10]. Or, les Franciscains avaient deux points d’implantation sûrs: la Hongrie, où la famille royale ne tarde pas à leur montrer ses faveurs et Constantinople, auprès de Jean de Brienne. Un personnage aussi important que Jean du Plancarpin, qui supervisait le développement de l’ordre en Europe centrale et entretenait des liens étroits avec les principaux souverains de la région devait avoir obtenu lui aussi des informations, et fut envoyé vers les Mongols non pas seulement comme un éclaireur en territoire inconnu, mais bien comme quelqu’un qui avait une connaissance exceptionnelle de la région pour un Latin.

Notons que l’itinéraire continentall emprunté par Julien de Hongrie pour son retour vers sa patrie est exactement celui que prendra Plancarpin en sens inverse en 1245. C’est un article de Denis Sinor qui est le premier à nous attirer l’attention sur tout ce que doivent les premiers voyages franciscains à ces missions hongroises[11]. Pourtant, Guillaume de Rubrouck ne dit rien d’autre quand il écrit que c’est grâce aux informations données par les Frères prêcheurs qui avaient voyagé dans ces régions qu’il lui avait été possible d’identifier la Grande-Hongrie. La description qu’il donne de la région et de ses peuples est un autre indice de cette influence des voyageurs hongrois, et en particulier la filiation qu’il fait entre les Huns et les Hongrois, qui n’est pas certaine mais qui correspond à une vision des Hongrois sur eux-mêmes mise en valeur à partir de la période que nous étudions. Même dans ses erreurs, Rubrouck manifeste cette influence, parlant de la Grande Valachie, terme diffusé par les textes hongrois de l’époque qui avaient imaginés un foyer valaque similaire au foyer de la Grande-Hongrie[12]. Jean de Plancarpin utilise lui aussi cette référence à la Grande-Hongrie dans son récit. Plancarpin comme Rubrouck sont en fait fortement influencés par les descriptions faites par les Hongrois dont ils reprennent la nomenclature, alors qu’elle ne fait pas partie des références spontanées d’un Italien ou d’un auteur de langue française.

Manifestement les récits hongrois oont circulé, et Denis Sinor nous donne même le nom d’un personnage qui joue un rôle dans cette diffusion, à savoir Berthold d’Andesch, patriarche d’Aquilée, auquel il est fait référence dans un des manuscrits du récit de Julien, et qui était l’oncle maternel de Bela IV et le beau-frère de Philippe Auguste. Ce personnage servait d’intermédiaire entre Bela et les grandes puissances de l’époque. Il aurait, d’après Richard de Saint-Germain, rencontré Frédéric II “pro facto tartarorum”. Il est tout naturellement présent au concile de Lyon et participe à la définition de la politique pontificale. Denis Sinor nous montre ainsi comment

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l’information à pu se diffuser à travers l’action d’un important personnage passé de la cour de Hongrie à la cour pontificale, qui attire l’attention de l’empereur comme du Pape sur le danger mongol et la position hongroise, en utilisant probablement les informations acquises par les missionnaires en terre comane. Avec l’invasion mongole, l’évêché de Comanie disparaît et l’œuvre des missionnaires hongrois semble réduite à néant. Pourtant, les premiers contacts franciscains avec les Mongols doivent leur réussite à ces premières missions et aux informations qu’elles avaient transmises. Par ailleurs, la cour royale jouait un rôle dans l’envoi de frères mendiants (selon le document donné par Matthieu Paris), collectait et diffusait les informations qu’ils apportaient, et s’en servait pour essayer de gagner à sa cause et mobiliser les cours européennes. Si la monarchie hongroise ne joue pas de rôle institutionnel dans ces missions qui ne dépendent que du Pape, elle tente cependant de s’insérer dans leur déroulement et d’utiliser les informations qu’elles apportent pour renforcer sa position, jouer de la menace mongole et attirer la protection pontificale ou impériale.

 

La Hongrie et l’installation des Frranciscains du Danube à la Volga. Cependant, l’arrivée des Mongols reste un choc brutal et un basculement. Les informations qui circulaient n’ont manifestement pas servi à grande chose, et en tout cas pas à mettre en place une mobilisation de l’ensemble de la latinité pour repousser l’envahisseur, ce qui n’a guère lieu de nous étonner si l’on tient compte du contexte et notamment de l’opposition brutale du Pape Innocent IV et de l’empereur Frédéric II. Une fois le choc passé, la peur d’une nouvelle attaque subsiste. Le roi de Hongrie ne peut que constater que le souverain pontife lui a été de peu d’aide en 1241. Le souverain pontife, qui au concile de Lyon de 1245 cherche à régler toutes les questions dans leur globalité, et notamment le problème posé par Frédéric II, ne peut laisser de côté un défi aussi grand que celui lancé par les Mongols. En envoyant plusieurs groupes de missionnaires vers les souverains mongols, qui cheminent sur des chemins différents, est-européen pour Plancarpin et proche-oriental pour les Dominicains Ascelin de Crémone et André de Longjumeau, Innocent IV ébauche une véritable tentative d’organisation géographique destinée à établir un système d’alerte pour mobiliser la chrétienté en cas de nouvelle attaque. La publicité donnée au problème mongol ne dessert pas les objectifs du souverain pontife, et un Franciscain comme Plancarpin lui est fort utile non seulement pour les informations qu’il ramène et les contacts établis auprès de Batu et Güyük, mais également pour la publicité faite autour de son entreprise, dont plusieurs récits ont été rédigés. Le récit de Plancarpin lui-même comporte un vibrant appel à l’union de toute la chrétienté latine pour résister aux Mongols, et dans la bouche de ce Franciscain qui met en avant l’œuvre de mission qu’il a accomplie à la demande du souverain pontife, cette union ne peut se faire que sous la domination du Pape. La prise de conscience de l’ensemble du monde latin au moment où apparaît la menace mongole d’une unité commune, qui est celle de la foi, sert la Papauté.

En réponse à cette menace, IInnocent IV conçoit un système d’alarme global, dans lequel la Hongrie joue un rôle de plaque tournante: Jean de Plancarpin utilise ses contacts slaves et son amitié avec les souverains de Bohême et de Pologne, acquise à l’époque où il exerçait la direction des Franciscains dans l’espace germanique, pour mener à la fois une mission d’union auprès des souverains russes et arriver jusqu’au camp du souverain mongol Batu, ou il noue les premiers contacts avec le pouvoir mongol et parachève par la même occasion son travail d’union en convertissant le duc de Souzdal, Jaroslav, présent lui aussi au camp mongol, peu avant que ce

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dernier ne meure empoisonné. Le 22 janvier 1248, après le retour de Plancarpin, Innocent IV envoie toute une série de lettres: la première est destinée au prince Daniel de Halicz (que Plancarpin a rencontré au retour de son voyage) et lui demande d’avertir les Chevaliers teutoniques au moindre signe de mouvement des Mongols. Par le même envoi, le Pape adresse une lettre aux Chevaliers Teutoniques qui leur demande de l’avertir dès qu’eux-mêmes seraient informés d’un mouvement mongol par Daniel ou Alexandre Nevsky, le fils de Jaroslav de Souzdal. A l’occasion de cet envoi Innocent IV joint une lettre à Alexandre qui fait état de la conversion par Plancarpin de son père Jaroslav, que le Saint-Père vient d’apprendre avec le retour auprès de lui de son envoyé. La négociation avec les Mongols n’est donc qu’un aspect de la mission de Plancarpin: la Papauté, effrayée par les attaques mongoles a probablement conçu dès 1245 un système d’alerte géographique pour mobiliser au plus vite l’ensemble de la chrétienté latine si la menace réapparaissait[13]. Nous voyons ici l’utilisation par le souverain pontife d’une première route et d’un premier réseau, celui des Slaves de l’Est et des Russes. Mais en même temps, dès 1247, Innocent IV demande à la Hongrie de donner l’alarme en cas d’attaque mongole, tout en louant par la même occasion sur la recommandation du provincial franciscain de Hongrie les efforts de la reine de Hongrie pour jouer des ses liens familiaux et dynastiques et ramener à l’Union Jean III Vatatzès, le souverain grec de Nicée, preuve que la Hongrie était aussi valorisée pour son réseau grec et balkanique et que le souverain pontife inscrivait la défense contre les Mongols dans une organisation géographique globale[14]. En fait la politique pontificale met en place une couverture défensive de l’Occident latin à trois rideaux et à trois niveaux d’alerte, le russe, le teutonique et finalement le hongrois qui doit sonner la mobilisation générale.

De son côté, le souverain hongrois reste soumis à la menace mongole, et joue la carte des Frères mineurs hongrois pour montrer sa bonne volonté et son réel besoin d’aide, sans trop d’efficacité dans un premier temps, puisque ce système d’alerte est en réalité fait plutôt pour protéger la France et l’Italie que la Hongrie. En effet, même si l’alarme est donnée à temps par les principautés russes ou la Hongrie, la mobilisation risque de toute manière de se faire trop tard pour cette dernière, à supposer qu’elle ait lieu. La lettre de 1254 envoyée par Bela IV à Innocent IV met en scène la situation périlleuse de ce royaume entouré de puissants ennemis, et recevant si peu d’aide du monde latin. La lettre sonne en fait comme une mise en accusation du système diplomatique mis en place par Innocent IV face aux Mongols de la part d’un souverain qui a joué la carte de l’obéissance au Pape. De plus, une lettre d’introduction qui accompagne la lettre à Innocent IV nous apprend que c’est le ministre provincial des Frères mineurs de Hongrie, Jacques, ou son délégué qui achemine ce message auprès du Pape[15]. Les Franciscains de Hongrie, conscients de leur situation privilégiée à la cour, et du rôle privilégié de la Hongrie comme plaque

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tournante de la politique religieuse et diplomatique (vis-à-vis des Grecs comme vis-à-vis des Mongols) décident de s’engager auprès du souverain pontife en faveur de Bela IV.

Cette défense reste cependant peu pprofitable pour la Hongrie, et en 1247 ce n’est pas la croisade contre les Mongols que les mendiants prêchent en Hongrie, mais la croisade contre Frédéric II. Il ne reste plus à la politique hongroise qu’à utiliser ses propres ressources, et utiliser des moyens qui ne sont pas forcément bien vus à la cour pontificale, comme une alliance dynastique avec les Comans, qui, pour certains entrés en Hongrie dès 1237, ont fui en masse devant les invasions mongoles, se sont réfugiés en Hongrie, sous la protection du roi, et que l’on tente de christianiser à l’occasion. Si le souverain pontife met en garde le roi de Hongrie contre cette alliance, ce dernier n’en tient pas compte, et lorsque des difficultés apparaissent avec les Comans à l’intérieur du royaume, c’est un légat pontifical, Philippe de Fermo, qui vient se charger de la réalisation effective de leur conversion en 1279. Il ne faut pas s’imaginer la monarchie hongroise complètement soumise au Saint-Siège, surtout que la situation devient extrêmement instable au cours de cette deuxième moitié du siècle. Cependant le souverain pontife comme la monarchie hongroise ont tout intérêt à encourager les missions franciscaines dans les régions sous domination mongole, qui, quelque soit la situation, connaissent un bel essor. Ces derniers bénéficient également d’une faveur nouvelle à la cour hongroise, où les Dominicains sont quelque peu tombés en disgrâce, après que la princesse Marguerite qui s’était retirée dans un couvent dominicain ait refusé en 1260 le mariage arrangé pour elle avec le roi de Bohême, acte interprété comme une tentative dominicaine de s’insérer dans les affaires de la royauté[16]. Le confesseur dominicain du roi est remplacé par un confesseur franciscain, signe de la position dominante prise à présent par les Frères mineurs dans le royaume. Nous avons vu plus haut que les Dominicains avaient joués le rôle majeur dans la diffusion de la latinité dans l’espace coman. Mais dorénavant le rôle de ceux-ci auprès de la Horde d’or, la nouvelle puissance qui apparaît au nord de la mer Noire, reste limité comparé à celui des Franciscains.

Dans ce contexte, la Hongrie deviennt un des relais essentiels de l’action des Franciscains auprès de la Horde d’Or. Dès 1278 la présence des Franciscains dans les régions sous domination mongole est prouvée par la demande que fait le provincial franciscain de Hongrie auprès du Pape: constatant que les Frères mineurs ont opéré de nombreuses conversions en pays tatare, que la cité de Multo (à identifier peut-être avec Milcov[17]) à la frontière avec les régions tatares a été détruite par les Mongols et qu’il n’y a plus depuis une quarantaine d’années d’évêque qui puisse conférer les sacrements aux missionnaires eux-mêmes, le provincial demande au souverain pontife de rétablir un évêque[18]. Ce document qui nous montre pour la première fois l’installation de missionnaires franciscains parmi les Tatares (“inter tartaros”), installés bien au-delà de Milcov, dont le caractère frontalier est mis en évidence (“civitas de multo, posita in confinibus Tartarorum”). Cette demande semble bien vouloir restaurer l’héritage de l’évêché des Comans, et

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associe encore une fois dans un même ensemble les populations de rite grec (comme à Milcov) des régions roumaines et l’action auprès des Mongols dans un vaste ensemble qualifié du vocable de “tartare”. Cette demande illustre de plus le rôle joué par les Franciscains de Hongrie, puisque c’est le provincial de Hongrie qui est tenu au courant des avancées de l’opération, s’inquiète des blocages institutionnels et prend sur lui de réclamer au souverain pontife la nomination d’un évêque, à un moment où le pouvoir hongrois est en train d’imploser, et où le Saint-Siège envoie un légat pour reprendre la situation en main. Dans ce contexte, c’est auprès du Pape que les Franciscains de Hongrie recherchent un soutien que d’ailleurs ils n’obtiennent pas, puisque le légat du Pape ne donne pas suite à leur demande.

Cette demande laisse supposer que lla Hongrie a bien tenu un rôle important de soutien aux premières missions vers le territoire de la Horde d’Or, où les Franciscains mettent en place ce qu’ils appellent la vicairie de “Tartarie aquilonaire” dès 1274. Nous possédons plusieurs témoignages nous parlant expressément de missionnaires hongrois à l’œuvre. Une étape importante dans l’avancée des ces missionnaires est franchie en 1287: une lettre envoyée par un franciscain de Gazarie (c’est-à-dire de Crimée) met en scène les résultats spectaculaires obtenus par les Franciscains, qui oeuvrent auprès de tribus païennes, qui sont soutenus dans leur action par le chef mongol Nogaï après que des heurts les aient opposé la communauté musulmane de Solgat, et obtiennent même de baptiser une des femmes de Nogaï, l’impératrice Jaylak, malgré les rivalités avec les Arméniens ou les chrétiens de rite grec. Cette lettre nous apprend en outre que les Franciscains avaient déjà organisé leur présence dans cette région et mis en place leurs structures d’encadrement habituelles (des couvents répartis en custodies, le tout sous la direction d’un provincial), preuve d’une présence qui avait déjà atteint un caractère permanent et régulier. Or cette lettre est en fait écrite par un Hongrois, nommé Ladislas, promu à une fonction importante, celle de custode de Gazarie, et qui a également été le frère chargé d’administrer le baptême à Jaylak, ce qui témoigne de l’importance prise par certains Franciscains hongrois dans cette région. Cette lettre nous donne en outre une liste de personnes récemment décédées et ayant participé à la mission, parmi lesquelles un traducteur hongrois, ce qui nous permet de penser qu’un des atouts des Hongrois pouvait être une relative proximité linguistique et culturelle avec les Comans (en comparaison avec les autres peuples de l’Occident latin). Une lettre envoyée par les Franciscains de Caffa en 1321 demande d’ailleurs l’envoi de missionnaires en insistant pour que ceux-ci soient anglais, allemands ou hongrois. Elle précise qu’il n’y a pas grande utilité à envoyer des missionnaires français ou italiens: ceux-ci seraient incapables d’apprendre les langues étrangères et accomplir leur mission dans des conditions acceptables[19]. En 1320 c’est toujours un Franciscain Hongrois, Johanca, qui raconte dans une lettre envoyée au général de l’ordre, Michel de Césène, son aventure: accompagné de trois frères, dont deux sont eux aussi hongrois, il s’avance bien au-delà de la Gazarie, allant jusqu’au Bachkir et en Sibérie occidentale[20]. Ainsi, l’importance prise par les Franciscains hongrois dans ces missions à l’intérieur du territoire de la Horde d’Or n’est pas négligeable, même si bien entendu le mouvement est européen, et que des missionnaires viennent de tous les pays pour s’enfoncer vers

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l’Asie centrale et Cathay à partir des positions acquises dans la Horde d’Or. Or il est difficile de penser, étant donné le lien organique qui existait entre les Franciscains de Hongrie et la monarchie hongroise, que cette dernière n’était pas impliquée dans ce processus.

La faveur évidente dont disposent lles Frères mineurs en Hongrie, gage de leur réussite dans les régions mongoles permet aussi à la monarchie hongroise d’envoyer un message politique. Cette faveur s’explique par le fait que la monarchie hongroise joue la carte des Frères mineurs pour affirmer son rôle auprès de la Papauté, et culmine avec un événement qui a frappé les esprits: en 1270 le roi Bela IV se fait enterrer à sa mort dans le couvent franciscain d’Esztergom au lieu de se faire enterrer dans la cathédrale, comme cela était de coutume jusque là, ce qui donne lieu à un conflit entre l’évêque de cette ville et les Frères mineurs. La monarchie hongroise se place de manière ostentatoire sous la protection des Franciscains, et cherche à participer à la sainteté de l’ordre en exaltant une figure comme sainte Elisabeth, apparentée à Bela IV, enterrée en 1234 dans un couvent franciscain qu’elle a fait construire à ses propres frais, et sanctifiée dès 1235. En 1267, c’est le tour de la tante de Bela, Hedwige, morte en 1243 et proche elle aussi des Franciscains, d’être sanctifiée. La monarchie hongroise, qui est obligée par les circonstances de mener une politique comane en désaccord avec les instructions du souverain pontife, a besoin que les Franciscains témoignent de la sainteté. Ainsi l’importance prise par les missionnaires hongrois dans les régions mongoles repose sur plusieurs atouts: celui de la proximité géographique, celui surtout d’une longue expérience de ces régions et celui du soutien sans faille de la monarchie qui a besoin d’eux pour donner un surcroît de légitimité à sa propre action. Si le XIIIe siècle voit le développement des missions entièrement dominées par le Saint-Siège, cela ne signifie pas forcément que la monarchie hongroise n’a aucun lien avec l’action missionnaire des mendiants venus de Hongrie. Elle n’en a certes aucun juridiquement parlant. Mais alors que la situation de l’après 1241 reste difficile avec la Papauté, la monarchie hongroise joue la carte des Frères mineurs hongrois, et ceux-ci peuvent en échange des avantages obtenus tenter d’influencer le souverain pontife en faveur de la Hongrie, et obtenir même une reconnaissance du caractère positif joué par celui-ci dans l’extension du christianisme romain, comme le montrent les lettres de 1246 et 1254. Les avantages gagnés par les franciscains de Hongrie leur permettent d’envoyer des hommes en terre mongole, de soutenir les missions, et de se retrouver dans une position d’intermédiaire, à l’image du provincial de Hongrie en 1278.Quant au souverain pontife, selon les circonstances, il valorise l’action du souverain hongrois sur la foi des Franciscains ou la remet en cause et peut poser des limites au souhaits des franciscains de Hongrie (comme le montre l’échec de la demande de 1278). Nous sommes confrontés à un jeu politique à trois très subtil, mais dont le rapport de force évolue considérablement avec l’arrivée au pouvoir de la dynastie angevine.

 

Les monarchie angevine en Hongrie: avancée dans les Balkans et menace ottomane. Cette union des Franciscains et de la monarchie est loin d’être remise en cause lorsque la dynastie angevine est littéralement installée sur le trône hongrois par le souverain pontife. La présence franciscaine hongroise dans les régions dominées par la Horde d’Or continue au cours de ces années-là, comme en témoigne la lettre de Johanca de1320. De manière assez classique, les Angevins, justement parce qu’ils sont des souverains étrangers, récupèrent les traditions de la monarchie hongroise, et prennent garde de ne pas les bousculer pour ne pas créer de mécontentement, même s’ils cherchent en même temps à renforcer la royauté au détriment des

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barons, toujours susceptibles de s’opposer à tout renforcement du pouvoir royal. Dans cette situation délicate, il est nécessaire pour eux de s’inscrire dans cette stratégie de sainteté aux côtés des Franciscains hongrois, essentielle de toute manière pour un pouvoir qui tire sa légitimité de sa soumission au Pape, et qui possède une illustre tradition de sainteté franciscaine qui lui est propre: une des grandes figures de la famille angevine, Saint Louis de Toulouse, fils de Charles II de Naples, qui a préféré la pauvreté franciscaine aux responsabilités politiques qui l’attendaient, est devenu un modèle aristocratique de renoncement, et a été canonisé en 1317, très peu de temps après sa mort. Il incarne à la fois la famille angevine et la tradition franciscaine de dévotion, de pauvreté et de renoncement.

Cette image pieuse de la monarchie hongroise se retrouve dans de nombreux ouvrages du XIVe siècle. De nombreux textes franciscains qui glorifient l’action missionnaire de l’ordre y associent tout naturellement la monarchie hongroise, présentée comme missionnaire par excellence, et dont les relations parfois difficiles avec la Papauté sont oubliées. En témoigne une des plus célèbres histoires de l’ordre, la Chronique des vingt-quatre généraux de l’ordre, écrite vers 1380. Cette exaltation de la monarchie hongroise se retrouve même chez un auteur franciscain du sud de la France entaché du soupçon d’hérésie mais très prisé en son temps, Jean de Roquetaillade. Ce dernier se fait dans ses écrits le défenseur inflexible de la famille angevine face à sa grande rivale européenne, la dynastie aragonaise. Dans son Liber ostentor de 1356, il présente la vocation sainte de la famille d’Anjou: combattre l’Antéchrist sur le point de se révéler au monde sous deux figures, d’abord celle d’un envahisseur mongol venu de Chine, puis celle du souverain d’Aragon. Le rôle dévolu dans cette vision à la monarchie hongroise est clair: elle ne se justifie que par la lutte contre les Mongols. Une fois encore, ce qui légitime la place de la monarchie hongroise dans l’équilibre de l’Occident latin de l’époque, c’est sa fonction de contact et de rempart face aux Mongols[21].

Mais son rôle réel est bien entenduu plus complexe : Louis I d’Anjou, qui mène au cours de son long règne (1342-1382) une véritable politique d’expansion et de renforcement de la monarchie hongroise, joue aussi bien du registre militaire que du registre missionnaire, l’un servant à justifier l’autre. Cette expansion militaire se fait essentiellement vers les Balkans, avec le plein appui du souverain pontife, ce qui ne va pas sans provoquer également des heurts avec les souverains mongols. C’est à l’occasion d’un de ces incidents que nous entendons parler d’un personnage fort intéressant, qui montre comment l’action des Franciscains auprès des souverains mongols allait bien au delà de la simple mission.

Le personnage en question est le frrère franciscain Elie de Hongrie. Nous le connaissons grâce à deux ambassades qu’il a menées à Avignon en 1340 et 1342, envoyé par le khan de la Horde d’Or, Özbäg[22]. En fait, il apparaît qu’Elie joue un rôle de premier plan à la cour de Özbäg, souverain musulman, qui mène toutefois une politique relativement favorable aux chrétiens latins, et que son rôle est encore plus considérable auprès du fils de celui-ci, Tanibeg, très favorable aux Franciscains. Mais si nous prenons la lettre pontificale envoyée par le Pape à Özbäg en 1340,

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même si la plus grande partie est consacrée aux remerciements d’usage pour la générosité du souverain envers les chrétiens, l’essentiel nous semble être d’ordre politique et faire d’Elie un véritable diplomate, ce qui est tout à fait conforme aux pratiques mongoles. C’est la fin de la lettre qui nous semble constituer le point central de l’ambassade d’Elie: elle mentionne un litige frontalier entre le prince mongol et les rois de Pologne et de Hongrie, pour lequel Benoît XII propose sa médiation[23]. Nous voyons à l’occasion comment un Franciscain hongrois, frère Elie, sert d’intermédiaire entre le souverain mongol et la Papauté pour que en dernière instance la Papauté elle même serve d’intermédiaire avec la Pologne et la Hongrie et leur conseille ardemment de donner satisfaction au Khan pour éviter une nouvelle guerre. Ainsi, grâce à ce Franciscain de la cour du Khan, Benoît XII peut tenter de prévenir une nouvelle guerre, alors que le rapport de force semble encore balancer du côté de la Horde d’Or.

Elie apparaît ici plus comme un ambbassadeur et un intermédiaire politique que comme un simple missionnaire, et l’importance qu’il a prise à la cour du Khan est particulièrement significative à cette date là, où les choses bougent à la cour des souverains de la Horde d’Or, même si comme souvent il est difficile d’y voir clair faute de documents. La lettre du Pape nous parle d’un complot qui aurait essayé de faire périr Özbäg en mettant le feu à son palais, et de musulmans qui auraient voulu en attribuer la responsabilité aux chrétiens pour déclencher une action contre eux. Lorsqu’ Özbäg meurt en 1340, c’est son fils Tanibeg qui monte sur le trône, dont le christianisme semble pour une fois certain, et dont Elie apparaît comme un mentor. Cependant il meurt assassiné pendant qu’Elie est absent, envoyé à Avignon pour la seconde fois. Avec l’arrivée au pouvoir du nouveau souverain Djanibeg, qui se montre un musulman beaucoup plus défavorable aux chrétiens que son père, les espoirs de basculement du royaume qui semblaient réels sous Tanibeg et qui ont probablement suscité cette réaction musulmane, sont réduits à néant. C’est ce même souverain qui est responsable de l’attaque contre Caffa en 1343, puis d’une nouvelle guerre en 1345 contre la Hongrie et la Pologne qui s’achève par la défaite des Mongols en Transylvanie[24], et permet à la fois au royaume de Hongrie d’étendre son influence vers l’Est et aux principautés roumaines de s’affirmer à l’occasion de l’affaiblissement mongol. La Hongrie est encore une fois la terre d’origine d’un missionnaires, sauf qu’ici il s’agit d’un personnage politique central pris dans une époque de bouleversement des rapports de force, à un moment où les jeux ne sont pas encore faits, où les évènements auraient pu prendre une toute autre tournure, dans laquelle son action aurait pu être déterminante. Pour arriver à une telle position à la cour d’Özbeg, il est raisonnable de penser qu’Elie avait d’emblée des relations politiques et diplomatiques, notamment avec son pays d’origine, qui ont pu le rendre apprécié par les souverains mongols. De fait son ambassade concerne les relations entre la Hongrie et la Horde d’Or bien plus que la simple situation des chrétiens latins à la cour du Khan. Mais en même temps son action se fait bien au service de la Papauté, à laquelle seule il rend des comptes, et qui

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s’impose grâce à lui comme le véritable médiateur entre les monarchies hongroises et polonaises d’un côté et la Horde d’Or de l’autre.

L’affaiblissement de la Horde d’or,, confirmé par la période d’anarchie dans laquelle entre cette région après 1359, permet à la monarchie hongroise d’étendre son action au-delà de ses frontières de manière beaucoup plus directe, tandis que les souverains moldaves et valaques prennent leur autonomie dans une région où le pouvoir mongol avait du mal se maintenir. A l’action de la Hongrie, qui comme la Pologne cherche à imposer sa domination à ces principautés, s’ajoute l’action des missionnaires franciscains, qui renforcent leur présence sur ce terrain avec une nouvelle vigueur, et qui mènent une politique de grande envergue dans toutes les directions, soutenue par la monarchie hongroise, avec l’appui du souverain pontife. La Papauté l’inscrit dans le même cadre juridique que le reste des missions avec la bulle du 28 juillet 1369, destinée aux missionnaires franciscains qui partent en Valachie, Bosnie et Serbie, auxquels elle attribue de nouveau des privilèges comparables à ceux des missionnaires partant pour les pays mongols ou musulmans. Urbain inscrit très explicitement cette action dans la continuité des politiques menées par les souverains pontifes, et notamment par Jean XXII au début du XIVe siècle[25]. Au même moment, Louis I étend son pouvoir en Serbie et Bosnie, où les Franciscains ont installé une vicairie qui reste matériellement très dépendante de la Hongrie[26]. Le soutien des barons hongrois et des compagnons de guerre de Louis se voit d’ailleurs directement par ce privilège accordé à un baron hongrois qui se bat aux côtés de Louis pour qu’il puisse fonder un couvent franciscain aux frontières du royaume de Hongrie avec les régions schismatiques de Serbie[27]. Il semble bien qu’en fait, la vicairie de Bosnie ait aussi pour objectif de servir de base à l’action franciscaine dans la principauté valaque[28].

C’est à cette occasion qu’un missionnaire venu de Split, Antoine de Spoleto, fait oeuvre de mission en Valachie, apprend la langue locale, et par ses prêches obtient de si nombreuses conversions qu’il demande la création d’une province ecclésiastique. Mais face à cette initiative non contrôlée, c’est à l’évêque d’Esztergom et à Louis I que le Pape Grégoire IX demande d’assurer le contrôle de cette initiative. L’action missionnaire du roi de Hongrie est louée par le souverain pontife à plusieurs reprises, et l’extension militaire de ce dernier dans les Balkans se fait doublée et justifiée par l’action des missionnaires franciscains dont il est le principal soutien. L’activité des Franciscains hongrois profite de l’affaiblissement mongol pour s’asseoir de manière beaucoup plus forte grâce au soutien armé de la monarchie hongroise. Le rapport de force a évolué en l’espace d’un siècle. L’intervention directe de la monarchie hongroise dans les missions franciscaines et son influence sur les régions gagnées par ces missions se voit nettement mieux: Grégoire IX donne même à Louis I et à son Eglise la capacité de se poser en arbitres et influer directement sur les nouvelles structures religieuses.

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Toutefois la Hongrie n’est pas la seule monarchie à aider les Franciscains dans la région. Dans le dernier quart du XIVe siècle, l’espace moldave prend de plus en plus d’importance pour les échanges commerciaux, et la Pologne cherche également à le dominer. C’est donc sans surprise que nous voyons se déployer en Moldavie une activité franciscaine qui part de Pologne. Les Franciscains obtiennent ainsi la constitution d’un évêché à Siret, dont le premier évêque en titre est André de Cracovie, qui continue probablement à exercer ses fonctions depuis la Pologne. L’action de la mission franciscaine dans la région utilise donc deux réseaux et deux royaumes, le réseau hongrois qui s’appuie sur une organisation avancée en Bosnie pour gagner la Valachie, et le royaume de Pologne, qui soutient la vicairie franciscaine de Russie, mentionnée dès 1343[29], qui comprend Siret, la Moldavie et les couvents des bouches du Danube, passés de la vicairie de Tartarie aquilonaire à celle de Russie: la Pologne a ainsi réussi à s’immiscer dans la route vers la Crimée. En outre la Papauté prend elle aussi part aux événements, à la fois en confirmant les résultats obtenus, en confiant des responsabilités et en limitant parfois le champ d’action des missionnaires. La Papauté veut toujours éviter une mainmise hongroise sur cette région et, tout en encourageant la Hongrie, mène une politique de contrepoids. La constitution de l’évêché de Siret, détaché de l’évêché de Halicz, est aussi due à une volonté de rééquilibrage: c’est Louis d’Anjou qui domine alors Halicz et veut rattacher cette province au royaume hongrois, projet évidement contrarié par la création d’un évêché distinct lié à la Pologne. On comprend mieux aussi les motivations qui ont poussé Lacko à passer sous la protection du Saint-Siège: c’était un moyen de se choisir un protecteur pour tempérer les ambitions hongroises[30]. De son côté, Louis I ne s’est pas fait prier pour ne pas donner de suite à l’action d’Antoine de Spalato mentionnée plus haut, et dont le résultat logique en cas de succès aurait été la nomination d’un évêque pour les Valaques, qui risquait à terme de devenir indépendant des Hongrois.

Cependant, la Papauté garde une vission globale de sa politique, et n’abandonne pas l’Eglise latine de Chine. Malgré l’instabilité croissante de la Horde d’Or et de l’Asie centrale, le souverain pontife lance de nouvelles missions vers Khanbaliq, à l’image de celle de 1370, qui prennent de nouveau la route continentale, et ses finances en prélevant sur leur route les aumônes des églises et couvents qu’elles rencontrent sur leur chemin depuis Constantinople jusqu’en Asie centrale, en passant par Caffa, Soldaïa et Saraï[31]. Grâce à la bulle pontificale qui l’y autorise, il est possible de voir concrètement comment se finance une mission, comment les Franciscains obtiennent les subsides nécessaires à leurs dépenses et de constater que ce n’est pas en obtenant une somme directement déboursée à Rome ou Avignon que les missions sont financées, mais que c’est le réseau ecclésiastique de l’Eglise latine hors des régions latines qui est mis à disposition. Nous voyons ici un cas d’utilisation financière d’un réseau ecclésial autour de la mer Noire, qui n’est pas sans analogie avec le réseau marchand et les lettres de change, et dont le but est de favoriser la pénétration en Chine, alors même que les liens ont été rompus.

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C’est dans ce contexte de relance ddes mission qu’en 1369 le Pape ordonne à la comtesse de Serbie de racheter son vœu de croisade pour financer une mission franciscaine partant pour les régions “tartares”, et de livrer une somme d’argent à un Franciscain de passage ou de la faire transiter jusqu’à Venise pour qu’elle soit disponible au plus vite pour les Franciscains qui se préparent à partir[32]. Par cette lettre, la Papauté met à contribution un espace frontalier de la latinité, où son action ne cesse de progresser grâce à l’action de la monarchie hongroise de concert avec les missions franciscaines, et fait rebondir les missions vers la mer Noire et l’Asie. Les espaces frontaliers où l’implantation franciscaine est plus forte, les Balkans, Constantinople, la Crimée doivent servir de soutien financier et matériel pour relancer les expéditions vers l’étranger lointain et renouer les liens entre l’Occident latin et l’Extrême-Orient. Ainsi l’activité franciscaine dans les Balkans n’est pas seulement locale, mais, combinée à la politique d’expansion régionale de Louis I, elle renforce les positions chrétiennes latines dans les Balkans, permet de soutenir les missions en “Tartarie” et de construire de nouveaux réseaux vers l’Extrême-Orient. Si la grande peste et le conflit de 1343 ont sérieusement perturbé les liens entre l’Occident latin et l’Asie et remis en cause le rôle de carrefour de la mer Noire, cela ne signifie pas que toutes les relations se soient interrompues, et que l’histoire de cet espace redevienne immédiatement une simple question régionale: l’élan missionnaire n’est pas refroidi par la crise du milieu du XIVe siècle. Nous retrouvons en fait de nouveau nos trois acteurs, la Papauté, la monarchie hongroise et les Franciscains. L’avancée hongroise dans les Balkans et auprès des principautés roumaines est justifiée auprès du Pape par l’action des Franciscains, qui en ressortent très renforcés. La densification de la présence franciscaine dans cet espace est un point d’affrontement entre les monarchies polonaises et hongroises pour contrôler la nouvelle route de la mer Noire. De plus, la Papauté voit encore plus loin et continue de penser à la construction d’un réseau de financement pour des missions plus lointaines, vers l’Extrême-Orient, qui utilise les nouveaux points acquis grâce à l’expansion hongroise dans les Balkans et aux marges occidentales de la Horde d’Or.

A la fin du XIVe si&egraave;cle et plus encore au XVe siècle, ce bel édifice se rompt et les missions vers l’Asie mongole deviennent très difficiles à cause de l’avancée ottomane qui coupe la route vers l’Asie et finit par avoir raison de la Hongrie elle-même. Dès lors, la mobilisation contre les Ottomans ne doit pas être vue simplement dans une perspective proche-orientale, comme une mobilisation face à la puissance musulmane émergente du moment. Il s’agit aussi d’une défense pour les Balkans, dont le monde latin cherche à garder le contrôle tout comme il cherche à maintenir la route de la mer Noire. Cependant, la Papauté ne perd pas tout espoir de sauver l’organisation missionnaire. Le 14 janvier 1433, une bulle qui rappelle la faveur dont disposait auprès de Jean XXII l’action missionnaire des Frères mineurs dans les Balkans confie aux Frères mineurs de la vicairie de Bosnie le soin de s’occuper des Eglise de Serbie, Bulgarie et de Valachie[33]. Ce privilège est par la suite étendu: en 1439, l’évêque de Zewerien (Schwerin, en Allemagne) et les Frères mineurs de Bosnie se voient confier le soin de la Moldavie, puis les régions confiées aux soins de la province de Bosnie finissent par comprendre en 1445 la

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Transylvanie et les régions scythes, c’est-à-dire le nord de la mer Noire jusqu’à Caffa[34]. Entre temps, une nouvelle mission destinée à la Moldavie et aux “partes Scythiae” est organisée en 1442, conduite par le Franciscain Denis de Wylak, accompagné de nombreux frères[35]. La lecture de ces bulles est double: elle montre à la fois une désorganisation du réseau ecclésiastique de ces régions et un souci constant pour elles de la part de la Papauté, avec la mise en place ad hoc d’une nouvelle structure franciscaine qui repose sur des points géographiques sûrs, à partir desquels on conçoit une politique de soutien aux régions en difficulté.

L’époque voit également une relancee de l’idée de croisade pour faire face à l’avancée ottomane. Cependant, de manière significative, la mobilisation des Latins ne se fait pas à temps pour sauver Constantinople, mais pour sauver Belgrade en 1248, et à travers elle la route vers la Hongrie. Cette fois-ci il ne s’agit plus d’attendre que la Hongrie soit attaquée pour défendre le reste de la latinité comme en 1241, mais de prendre les devants pour sauver les Balkans eux-mêmes et à travers eux ces routes vers la mer Noire et cette Asie que les Latins ont découvertes à l’occasion de l’arrivée des Mongols. C’est là l’occasion de la dernière grande association entre la Hongrie et les Franciscains, qui ne cessent de plaider à Rome la cause de la croisade: ainsi, c’est grâce aux capacités militaires de Jean Hunyadi et à la capacité de prêche et de mobilisation de l’un des saints issu des rangs de l’ordre, Jean de Capistran, au centre de tout un réseau de mobilisation à la cour du souverain pontife[36] que Belgrade est sauvée en 1456, offrant un répit à la monarchie hongroise. Cependant, déjà à cette époque, les Franciscains de la péninsule Ibérique se nourrissent de l’exemple fourni par leurs prédécesseurs et des connaissances acquises par les missionnaires franciscains des XIIIe et XIVe siècles et contribuent à accroître l’engouement pour les explorations, auxquelles ils participent, et notamment celles d’un Christophe Colomb. Avec le succès de ces explorations, l’intérêt de l’Occident latin se détourne de la mer Noire et de l’Asie centrale, pour se tourner vers l’Amérique et une Asie gagnée par la mer. De plus, dès 1475 la ville de Caffa ne peut être sauvée, malgré la mobilisation des Franciscains qui prêchent la croisade: elle tombe aux mains des Ottomans. Après cinquante ans d’anarchie, la Horde d’Or se scinde définitivement en 1502 en plusieurs khanats rivaux pris entre l’empire ottoman et la puissance russe émergente. Le rôle stratégique de la Hongrie dès lors n’existe plus, et il n’y aura plus en 1526 de nouvelle mobilisation pour sauver la monarchie hongroise, à l’image de celle organisée naguère par Jean de Capistran. Lorsque l’intérêt pour la Hongrie, les Balkans et la plaine danubienne devient purement régional, qu’il n’est plus relié à l’Asie et aux routes de la Chine, cette région ne tarde pas à cesser de compter pour les Occidentaux et à tomber aux mains des Ottomans. La monarchie hongroise ne survit pas longtemps à la Horde d’Or et à cette Asie mongole qui avait permis à l’Occident latin et à la Chine de communiquer. Les Franciscains jouent en revanche un rôle crucial dans la conversion au christianisme romain des Philippines ou de l’Amérique, associés cette fois aux empires espagnols et portugais, grâce auxquels ils peuvent retrouver l’Extrême-Orient.

 

 

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[1] Georges I. Brãtianu, La Mer Noire. Des origines à la conquête ottomane, Munich, 1969; Michel Balard, La Romanie Génoise (XIIe-début du XVe), 2 vol., Paris-Gênes, 1978.

[2] Pour la création de l’évêché de Caffa et les évêchés d’Asie centrale au début du XIVe siècle, voir Giorgio Fedalto, La Chiesa latina in Oriente, vol. 1, Vérone, 1973-1978; Jean Richard, La Papauté et les missions d’Orient (XIIIe-XVe siècles) (2e édition), Rome, 1998: 156-166.

[3] Ibidem: 169-180.

[4] Lodovico Pellegrini nous rappelle qu’en Chine “si trattava di una presenza di carattere certamente ‘missionario’, ma che di fatto finiva col risolversi in un’opera di assistenza ai gruppi di cattolici, che, provenendo dall’Occidente per ragioni di commercio, si erano stanziati più o meno temporaneamente nei centri di snodo del traffico mercantile verso l’Oriente”, Cfr. Lodovico Pellegrini, “I quadri e i tempi dell’espansione dell’Ordine”, Francesco d’Assisi e il primo secolo de storia francescana, Turin: 165-201, 196.

[5] Denis Sinor, History of Hungary, Londres, 1959: 58.

[6] Par la décision de l’archevêque d’Esztergom, confirmée en 1228 par Grégoire IX. Sur ces missions dominicaines en terre comane, voir Richard, op. cit.: 21-26. Sur ce sujet des missions comanes et les rapports entre Dominicains et monarchie hongroise au XIIIe siècle, on consultera également ªerban Turcuº, Sfântul Scaun ºi românii în secolul al XIII-lea, Bucarest, 2001: 158-170, 284-302, et sur le problème des liens entre la monarchie hongroise et le Saint-Siège voir Ibidem: 83-132.

[7] Matthieu Paris, Chronica majora (édition rédigée par Henry Richard Luard), vol. VI: 75.

[8] Richard, “L’Extrême Orient légendaire au Moyen-Âge: Roi David et Prêtre Jean”, Annales d’Ethiopie II (1957): 225-242, réimprimé dans Orient et Occident au Moyen-Âge: contacts et relations (XIIe-XVe siècles), Londres, 1976: 225-242. Gian Andri Bezzola, Die Mongolen in Abendländischer Sicht (1220-1270). Ein Beitrag zur Frage der Völkerbegegnungen, Berne-Munich, 1974: chapitre 1 et 13-18.

[9] Sinor, “Les relations entre les Mongols et l’Europe jusqu’à la mort d’Arghoun et de Bela IV”, Cahiers d’histoire mondiale 3 (1956): 39-62, 40.

[10] Richard, “A propos de la mission de Baudoin de Hainaut: l’empire latin de Constantinople et les Mongols”, Journal des Savants 1992: 115-123.

[11] Sinor, “Un voyageur du XIIIe siècle: le Dominicain Julien de Hongrie”, Bulletin of the School of Oriental and Asiatic Studies 14 (1952): 589-602.

[12] Sur Rubrouck et les Valaques, voir Paul Pelliot, Œuvres posthumes, II: Notes sur l’histoire de la Horde d’Or (édition rédigé par Louis Hambis), Paris, 1949: 144-159. Le passage sur les Valaques se trouve dans Guillaume de Rubrouck, “Itinerarium”, Sinica franciscana, vol. I, Itinera et relationes fratrum Minorum saeculi XIII et XIV, Quaracchi-Florence, 1929: chapitre XXI, 219-220.

[13] Pour l’ensemble de ces lettres, voir Pontificia commissio ad redigendum codicem juris canonici orientalis, series III, vol. IV/1, Acta Innocentii IV (1ère partie) (édition rédigée par T. Halušèynsckyi et M. M. Wojnar), Rome, 1960-1966: doc. 57-59 (28 janvier 1248), 108-110.

[14] Registres et Lettres des Papes du XIIIe siècle (Bibliothèques des écoles françaises d’Athènes et de Rome, series 2), Innocent IV (édition rédigée par Elie Berger), vol. I, Paris: doc. 2954 (30 janvier 1247), doc. 2957 (4 février 1247).

[15] Pontificia commissio, cit., series III, vol. IV/1: doc. 112, 191, pour la lettre à Innocent IV, et Augustin Theiner, Vetera monumenta historica Hungariam sacram illustrantiam, vol. I, Rome, 1859-1860: doc. 340, 230-232, qui contient les deux lettres.

[16] Erik Fügedi, “La formation des villes et les ordres mendiants en Hongrie”, Annales: Economies, Sociétés, Civilisations 25 (1970): 971.

[17] Turcuº, op. cit.: 166-167.

[18] Nous connaissons cette demande par la réponse donnée par Nicolas III, qui charge Philippe de Fermo d’examiner cette question, lettre du 7 octobre 1278, voir Pontificia commissio, cit., series III, vol. V: doc. 27, 59-60. La lettre reproduite dans la note 28, de la même date, est destinée au provincial de Hongrie et renouvelle des privilèges pour les missionnaires.

[19] M. Bihl, A. C. Moule, “De duabus epistolis Fratrum Minorum Tartariae Aquilonaris” (édition rédigée par Arthur Christopher), Archivum franciscanum historicum 16 (1923): 89-112, 109.

[20] Bihl, Moule, “Tria nova documenta de missionibus Fratrum Minorum Tartariae Aquilonaris”, Archivum franciscanum historicum 17 (1924): 55-71.

[21] Felicitas Schmieder, Europa und dir Fremden. Die Mongolen im Urteil des Abendlandes vom 13. bis in das 15. Jhdt., Sigmaringen, 1994: 278.

[22] Girolamo Golubovich, Biblioteca bio-bibliographica della Terra Santa e dell’Oriente francescano, vol. IV, Quaracchi, 1913: 226-236; le texte de la lettre que nous donnons se trouve aux pages 227 et 228.

[23]Et insuper, cum, sicut intelleximus, inter tuos et carissimorum in Christo filiorum nostrorum Hungariae et Poloniae regum officiales et subditos in confiniis imperi tui et regnorum regum praedictorum quandoque suscitari contigat dissensiones et guerras, ex quibus strages hominum, lapsus rerum et animarum amarius deploranda pericula subsequntur si reges praedicti inferrent tibi vel iniurias indebitas vel offensas et id nobis duxeris intimandum, haec per reges ipsos precabimur facere, quantum cum Deo poterimus, tibi et tuis rationabiliter emendari”.

[24] Balard, op. cit.: 154 et Bertold Spuler, Die Goldene Horde. Die Mongolen in Russland 1223-1502, Wiesbaden, 1955: 103-105; sur le rôle d’Elie à la cour mongole, Ibidem: 239.

[25] Pontificia commissio, cit., series III, vol. VII/2, Acta Urbani V (édition rédigée par Aloysius Tãutu), Rome, 1952: doc. 159 (28 juillet 1369), 262.

[26] Une bulle donnée par Theiner, op. cit., vol. 1: 13 décembre 1369, donne aux Frères mineurs de Bosnie l’autorisation “ut extram provinciam suam possint mendicare” étant données leurs grandes difficultés matérielles, et mentionne la Hongrie.

[27] Pontificia commissio, cit., series III, vol. XII, Acta Gregorii XI (édition rédigée par Tãutu), Rome, 1966: doc. 45 (11 septembre 1372), 89-90.

[28] Viorel Achim, “Ordinul franciscan în Þãrile Române în secolele XIV-XV. Aspecte teritoriale”, Revista istoricã 7 (1996), 5-6: 401.

[29] Mentionnée dans le catalogue des couvents franciscains qui accompagne l’Historiae satyricae de Paulin de Venise, et publiée par Conrad Eubel, Provinciale Ordinis Fratrum Minorum Vestustissumum secundum Codicem Vaticanum, Quaracchi-Florence, 1892.

[30] Achim, op. cit.: 408.

[31] Conrad Eubel, Bullarium franciscanum, vol. VI, Rome: doc. 1083 et Golubovich, op. cit., vol. V: 147.

[32] Lettre du 14 décembre 1369 dans Pontificia commissio, cit., series III, vol. XI, Acta Urbani V (édition rédigée par Tãutu), Rome, 1964: doc. 175, 298-299.

[33] Ulrich Hünteman, Bullarium franciscanum, nouvelle série, vol. I, (1431-1455), Quaracchi-Florence, 1929: doc. 109 (30 septembre 1433), 56-59.

[34] Ibidem: doc. 1814 (15 septembre 1439), 597 et doc. 868 (29 janvier 1445), 416.

[35] Ibidem: doc. 1818 (1 juillet 1442), 899-900.

[36] Keneth M. Setton, The Papacy and the Levant (1204-1517), vol. II, Philadelphie, 1976: 164.