Back to
Istituto Romeno’s Publications
Back to Homepage
Annuario 2004-2005
p. 267
Thomas Tãnase,
Université de Paris I Panthéon Sorbonne
L’an dernier, j’avais brièvement exposé dans les
pages de cette même publication une vue générale décrivant la recherche
que j’ai entreprise sur l’action des Franciscains dans les régions sous
domination mongole, où j’avais tenté de démontrer comment un sujet
à présent bien connu pouvait être renouvelé par une approche qui
élargisse les perspectives d’une historiographie très marquée par la
mémoire franciscaine[1].
Cette fois-ci, toujours dans cette même perspective, je voudrais étudier
la fameuse lettre du custode de Gazarie, datée de 1287, qui est un des textes
de référence pour l’étude des missions franciscaines. Mais l’étude de ce
document nous permettra aussi, je l’espère, de mieux connaître un
personnage qui eut une grande renommée jusqu’en Occident: le chef mongol
Nogaï. Sa réputation fut si grande que c’est sur le récit de son ascension
et de sa chute que se clôt Le livre des merveilles de Marco Polo. Le
document qui sert de point de départ à notre article fait toutefois
apparaître Nogaï sous un autre jour, celui de soutien des missions
franciscaines, ce qui nous permettra de regarder de près la méthode des
missionnaires franciscains, en l’insérant dans son contexte, puisque avec cette
lettre, nous sommes à un moment clef: c’est la première fois que
nous voyons apparaître des installations franciscaines implantées dans les
terres de mission mongoles du nord de la mer Noire, alors que le projet d’une
mission auprès des Mongols existait depuis le concile de Lyon de 1245 et
le voyage inédit du Franciscain Jean de Plancarpin, parti découvrir quel était
ce peuple menaçant qui venait de déferler sur l’Occident chrétien. D’une
certaine manière, l’étude des missions franciscaines en terre mongole
commence in medias res: nous ne savons ni comment, ni quand les premiers
couvents sont apparus. Nous savons simplement qu’en 1287 le custode de Gazarie
nous décrit une présence franciscaine déjà structurée et bien développée
dans ce que les Franciscains appellent la «Tartarie aquilonaire», et qui
correspond à l’espace dominé par la Horde d’Or, depuis que vers 1260
l’unité mongole s’est divisée en plusieurs ensembles concurrents, dont
notamment les deux grands rivaux que sont l’empire des Il-Khans en Perse et, au
nord de la mer Noire, la Horde d’Or.
Le document que nous nous proposons
d’étudier ici a déjà retenu l’attention des chercheurs, tout au moins
depuis le début du XXe siècle. Il ne fait en effet pas partie
des documents connus et utilisés par Lucas Wadding au XVIIe
siècle pour sa monumentale histoire des Frères Mineurs. En ce
sens, ce document ne fait pas partie de la mémoire des
p. 268
missions
franciscaines, il ne s’agit pas d’un de ces textes destinés à illustrer
le prestige de l’ordre et son action au service de l’Eglise qui se sont gardés
et ont traversé les siècles comme des morceaux de bravoure (à la
différence par exemple des lettres écrites par Jean de Montecorvino depuis
Khanbaliq, c’est-à-dire Pékin, au début du XIVe). Le document
est édité à la fin du XIXe et au début du XXe
siècle, d’abord par le père Conrad Eubel, fondateur d’une histoire
érudite et positive des Franciscains, puis par le père Jérôme
Golubovich, qui s’est intéressé dans le même esprit à la présence
franciscaine en Terre Sainte et dans l’Orient[2].
Nous allons immédiatement donner le texte de la lettre que, par commodité, nous
avons traduit, afin qu’il soit plus facile d’accès dans le cadre de cet
article, quitte à citer le latin sur les points litigieux ou les
expressions clefs pour notre étude.
«Au très cher
père dans le Christ frère Laurent envoyé par les frères de
Tartarie au vénérable père ministre général, le frère Ladislas,
dit custode de Gazarie[3],
paix éternelle en Dieu. Votre Grâce apprendra que j’ai reçu votre lettre le
sixième jour de la semaine sainte l’an du Seigneur MCCLXXXVII[4],
dans laquelle vous demandiez quelle était la situation au retour du
frère Moïse de la cour impériale. Je vous répondrai
fidèlement sur le retour de ce frère, ce qui ne concerne pas
seulement les chrétiens, mais également tous les Musulmans et tous les autres
infidèles habitant dans cette région.
En
effet, ce frère Moïse est revenu sain et sauf l’année même
où vous nous avez quittés, et même dans une situation bien plus
favorable et bien meilleure que nous l’espérions, guidé par Dieu pour
l’intérêt des frères. En effet, les empereurs Thelebuga et Nohay[5]
ont envoyé chacun un de ses barons les plus puissants, auxquels s’est ajouté un
troisième ambassadeur désigné spécialement pour cette ambassade; les
deux premiers devaient condamner les responsables de la destruction de l’église
et du campanile, le troisième les exécuter de sa propre main sans faire
d’exception, sans être influencé par des questions
p. 269
d’argent, sans que rien ne
fasse obstacle. Ce troisième ambassadeur vint le lendemain de la Saint
Dominique d’août, portant une croix en même temps que les insignes
et les drapeaux de son empereur, et il est entré de manière imposante
dans la ville de Solghat, accompagné de tous les Latins et de la masse infinie
des autres chrétiens ainsi que d’une procession admirable de frères qui
récitaient des litanies, et il a traversé tous les quartiers et places de cette
ville ; et comme lui-même était musulman, tous les musulmans en
restaient hagards, comme des chiens. Les plus puissants des Sarrasins, se
voyant menacés de mort, abandonnant tout ce qu’ils avaient, se sont enfuis dans
la forêt voisine de la cité, et ils se cachèrent là pendant
sept bonnes journées. A la place du campanile abattu et profané, cet
ambassadeur en fit édifier trois, pour la plus grande gloire et la plus grande
joie des chrétiens. Tandis que tous les frères, frappés d’une grande
terreur, avaient des regrets[6]
et priaient le Seigneur autant qu’ils le pouvaient, pour que personne ne meure
à cause d’eux ou de leurs faits, Dieu admirable, qui agit admirablement
en toutes choses, nous libéra miraculeusement, car ceux que nous avions crus
devoir être condamnés à mort sur le champ furent condamnés
à une amende. En fait, avec cette sentence changée admirablement par le
Très-Haut, ce furent plus de six cent mille aspres qui furent envoyés.
Et combien ils payèrent au total, je ne saurais le dire de
manière sûre puisque, ainsi que nous l’avons vu, il s’agit d’une
somme presque impossible à compter.
Ces
mêmes jours est également arrivée l’impératrice Jaylak, l’épouse la plus
importante et la plus puissante de Nohay; elle est entrée dans cette même
ville et elle y vit le couvent des frères avec ses campaniles.
Là, elle a demandé que les frères la baptisent et l’instruisent
dans la foi catholique, et elle a voulu être baptisée dans la ville que
l’on appelle Kerqueti[7].
Je m’y rendais donc, moi le frère Ladislas dit custode de Gazarie en
compagnie de Stéphane, le gardien de Caffa, et là, en présence de
l’archevêque des Arméniens et de tout son clergé, ainsi que de prêtres
et de clercs grecs en nombre, tous venus en protestant
p. 270
et à contrecœur,
elle fut baptisée de nos mains. Et cette même dame nous demanda avec une
grande insistance que des frères restent en cet endroit où elle
fut baptisée, et nous fit donner un lieu dans cette ville où moi, le
frère Ladislas, gardien, avec le frère Paul, ancien gardien de
Saray, j’ai fait ériger une église et j’ai fait construire les établissements
nécessaires en l’honneur de la glorieuse Vierge mère de Dieu. A cet
endroit, cette même dame nous a attribué un procurateur, Ymor, fils de
Molday, seigneur[8], et l’a
instruit sous peine de mort de nous protéger de toute profanation que les
Sarrasins pourraient nous infliger.
Entre
temps, alors que le frère Moise était arrivé à Vicum, le chef de
ce peuple[9],
que l’on appelle Argum, envoya son fils seul, demandant, comme il était
païen, d’envoyer deux frères à ce peuple pour la grâce de
Dieu qui réformeraient dans la foi catholique les fidèles qui existaient
là-bas, et qui baptiseraient ceux qui voulaient se convertir, et il
subviendrait aux frères pour les bêtes aussi bien que pour les
bâtiments et tout ce qui leur serait encore nécessaire. Ce fut cependant la
raison suivante qui l’encouragea à ce mouvement: il y avait dans ce
peuple un Tartare noble et puissant, dont l’épouse était tourmentée depuis
plusieurs années par des démons, sans que la malice ni des mages, ni des
sorciers ne puisse la secourir, et enfin après beaucoup de maux que
cette femme fit subir à ce peuple, il la fit porter à l’église
des frères par une volonté divine. Le mari aussi bien que cette femme
firent le vœu de recevoir la foi chrétienne si Dieu la délivrait de ce mal
grâce aux prières des frères, et elle fut délivrée en public, en
présence de tous, grâce aux mérites de notre bienheureux père François
et aux prières des frères qui servaient d’intercesseurs. A la
demande pressante de l’assistance, et le mari, et la femme furent baptisés
à l’instant même, avec tous les leurs.
Et une
autre jeune fille encore, elle aussi fille d’un noble Tartare, puissant parmi
son peuple, fut délivrée d’une même manière et baptisée en
compagnie de toute la maisonnée de son père, de ses parents et de ses
amis.
Ainsi,
une fois tout cela considéré vous pourrez le réciter au vénérable père Ministre
général, et lui demander des frères, afin que nous puissions envoyer
quelques uns d’entre nous aussi bien à la cour de cette impératrice
qu’auprès de ce peuple dont nous venons de parler. Et s’il veut bien en
envoyer, qu’ils soient envoyés conformément aux articles de la règle.
Fait
à Caffa, six jours avant le dimanche Quasi modo geniti de l’an
MCCLXXXVII.
De même, apprenez que le frère Urbain, nestorien converti, et Tlceu, ermite, et le clerc Nicolas, qui gardait la chapelle de Saint Nicolas, et Karachinus le Hongrois qui nous servait d’interprète sont entrés dans la voie de la chair universelle».
Deux éléments nous semblent évidents ne serait ce
qu’à une lecture rapide de ce document: pour commencer, les Franciscains
de Tartarie aquilonaire jouissent à partir des événements relatés dans
cette lettre d’une faveur nouvelle auprès des deux «imperatores»,
c’est-à-dire des khans, manifestée par la conversion de Jaylak, une des
épouses de Nogaï, le maître de la Horde d’Or. De plus, le frère
Laurent, envoyé des
p. 271
Franciscains
de Gazarie, et le custode de Gazarie, Ladislas, cherchent manifestement
à informer l’Occident latin de leur action, et notamment le ministre
général de l’ordre. Il me semble donc logique de s’intéresser en détail
à la personne même de Nogaï, à ce qui a pu motiver son
geste, et de s’interroger sur les liens entre cette nouvelle implantation
religieuse chez les Mongols et l’ordre franciscain en Occident, dont l’appui
est recherché. En un mot, on ne peut se contenter de relever l’évènement
et de le décrire, mais il faut à tout le moins essayer de le remettre
dans son contexte. C’est pourquoi, après avoir vu les grilles de lecture
de ce document fournies par l’historiographie, nous nous attacherons à
étudier en détail la géopolitique de la mer Noire et de la question orientale
vue par la Papauté, avant de reprendre le texte même du document et de le
relire à la lumière du contexte et de la date de rédaction de la
lettre.
La lettre du custode de Gazarie vue par les historiens. L’analyse de référence de cette lettre, est celle qui a
été faite par le Père Golubovich sur la courte demi-page d’introduction
au texte même. Pour l’essentiel, ce dernier se réjouit de la preuve
certaine d’une véritable institution missionnaire très tôt en Tartarie
aquilonaire, et relève les persécutions endurées du fait des populations
musulmanes. Le conflit semble s’être en effet cristallisé autour de
l’interdiction pour les églises chrétiennes de sonner les cloches qui existe en
dar-al-Islam, et que les musulmans voudraient importer dans une terre où
règne encore la loi mongole, le Yasaq, qui protège toutes les
religions à égalité sans imposer ce genre de restriction; et de fait, on
ajoutera que la simple évocation de cette loi mongole sacrée permet de
comprendre pourquoi de toute manière les émeutiers qui ont abattu le
campanile prenaient de gros risques, surtout s’ils n’avaient obtenu aucune
complicité à un niveau ou un autre de pouvoir, et que cet acte appelait
par définition une réaction très dure et la peine de mort. Le document
sert à étayer la volonté du Père Golubovich de montrer une
implantation missionnaire en Tartarie aquilonaire qui aurait obtenu des
conversions nombreuses et sincères, et même une quasi-conversion
du pouvoir, avant un retour en arrière avec Özbäg puis surtout Gänibäg:
en témoigne l’analyse faite dans cet esprit de la mention d’un «rex et
imperator tartarorum» converti en 1306 sous le nom de Jean que Golubovich
identifie avec le khan Toqtaï lui-même, ce qui est très
incertain[10]. Ainsi, Golubovich
explique qu’il s’agit d’une lettre envoyée à la demande du général de
l’Ordre, qu’il identifie à Matteo d’Acquasparta, et tout naturellement
destinée à informer les frères d’Occident et susciter des
vocations missionnaires. Par ailleurs nous pouvons relever que le nom de
Ladislas semble indiquer une origine est européenne[11],
indication complétée par la mention d’un traducteur hongrois. De la même
manière, si Golubovich dans la note relative à ce texte ne donne
pas d’indications relatives à la localisation de «Vicum», il fait dans
son tableau des couvents de Tartarie aquilonaire un rapprochement avec Vicina,
dont Vicum serait une déformation[12].
Depuis, cette lettre, lue à travers l’analyse de Golubovich, est devenue
un document de référence pour servir d’illustration au thème
p. 272
de
l’extension du christianisme latin à partir du XIIIe
siècle sous l’impulsion des ordres mendiants, extension en effet
spectaculaire, puisqu’elle va jusqu’à Pékin. Reste à en mesurer
les ressorts et la construction, ce que cette lettre nous permet de faire. De
plus, il me semble que le texte même du document démontre le
caractère fragile et quelque peu superficiel de ces implantations,
fortement dépendantes des liens diplomatiques et géopolitiques, dont la lettre
ne parle jamais ouvertement mais qui apparaissent cependant de manière
très claire une fois qu’elle est remise dans son contexte. Nous
voudrions ainsi montrer dans cet article que les conversions de souverains
demandent bien évidemment une analyse politique, et que l’action missionnaire
des Franciscains n’allait pas de soi, mais relevait du contexte géopolitique.
C’est tout le mérite de Jean Richard d’avoir, en ce qui
concerne les missions du nord de la mer Noire, rappelé l’héritage des missions
de la première moitié du XIIIe siècle dans les terres
des Comans, c’est-à-dire dans ces mêmes terres du nord de la mer
Noire d’où les Comans ont été chassés par les Mongols. Cet héritage se
voit notamment lorsqu’en 1279, le provincial de Hongrie rapporte que de
nombreuses conversions ont été opérées dans les régions «tartares», et demande
par voie de conséquence le rétablissement de l’évêché des Comans qui
avait été fondé en 1227 à partir de la Hongrie. Mais comme cette demande
parle aussi de Milcov comme centre de l’évêché, nous sommes du coup
très loin de Saraï et des lieux mentionnés dans la lettre du
custode de Gazarie. Ce hiatus géographique explique pourquoi Jean Richard
évoque le rôle de la Hongrie comme relais et soutien à l’action
missionnaire, mais considère également que celui-ci s’estompe vite[13].
Lorsqu’il en vient à étudier la lettre de 1287 écrite dans la colonie
italienne de Caffa et les évènements qu’elle relate, il reprend pour
l’essentiel l’approche en termes de réussite missionnaire de Golubovich, sans
relier cette lettre ni à la Hongrie, ni surtout au contexte géopolitique
en général. Et pourtant, si nous nous penchons sur la personnalité de
Nogaï, il est impossible de ne pas voir dans les évènements décrits
un geste politique de la part du maître de la Horde d’Or, et de ne pas avoir
présent à l’esprit que les questions liées aux Balkans, à la
Hongrie et à la frontière avec la chrétienté latine sont
fondamentales pour lui.
Car au-delà de cette lettre et de l’activité
proprement missionnaire, il me semble qu’il faut se livrer à l’analyse
du contexte géopolitique, qui a été renouvelée par un certain nombre de travaux
depuis la publication de l’ouvrage de Jean Richard sur la Papauté et les
missions d’Orient. Peu de travaux ont été consacrés au personnage de Nogaï
en lui-même, exception faite d’une monographie publiée en 1922 par
l’académie des sciences de Russie, et écrite en 1918[14].
Mais les travaux de Georges I. Brãtianu, de René Grousset et de Bertold Spuler
sont déjà riches d’informations permettant de bien connaître la
politique du maître de la horde d’Or[15].
De plus, des travaux comme ceux de Reuven Amitai–Preiss
p. 273
ont
fait évoluer la question. En effet, dans une perspective plus centrée sur le
Proche-Orient, elle étudie les liens entre la Horde d’Or et les Mamelouks dans
le détail, et permet ainsi à l’analyse de la géopolitique de l’époque de
devenir beaucoup plus complexe et précise[16].
L’historiographie roumaine, comme le montreront nos différents renvois, apporte
beaucoup elle aussi à l’étude de ce sujet, et en particulier l’ouvrage
de Virgil Ciocîltan sur les Mongols et la mer Noire, qui fait l’analyse de
l’ensemble du jeu géopolitique et commercial autour de la mer Noire, et auquel
notre analyse de la politique de Nogaï doit l’essentiel[17].
Cependant, l’ensemble de ces ouvrages s’intéressent d’abord aux réseaux
commerciaux, et donnent une place réduite au facteur religieux. En règle
générale ils se contentent de citer rapidement l’analyse classique des
missions, sans avoir le temps de lui consacrer une analyse détaillée et
d’insister sur son autonomie et ses initiatives propres. Ainsi, l’étude de la
politique pontificale, incontournable, est évoquée, mais l’étude détaillée de
ses agents sur le terrain cède souvent le pas à l’étude de la
politique des cités marchandes. Seul Brãtianu a véritablement étudié cette
lettre du custode de Gazarie en l’insérant explicitement dans le cadre de la
géopolitique de la mer Noire, et en l’utilisant non pas comme un document
d’illustration des missions, mais comme un élément pour étudier l’ascension du
khan Nogaï et ses liens avec les Italiens ou la Hongrie[18].
Peut-être peut-on développer cette analyse, en remarquant que la Papauté
et l’action des ordres mendiants sont le moteur de l’extension de l’Occident,
comme cela apparaît clairement à ceux qui étudient l’espace roumain et
danubien à cette époque[19].
Ainsi, si nous tenons compte du rôle des missionnaires dans la politique
d’extension de la Papauté et de l’insertion de Nogaï dans les réseaux
diplomatiques de son époque, il me semble que l’on doit en arriver à
compléter l’analyse faite par Golubovich, et que l’on peut légitimement
interpréter cette lettre du custode de Gazarie comme une lettre missionnaire,
certes, mais qui a des conséquences diplomatiques dont l’ensemble des acteurs,
y compris l’auteur de la lettre, sont conscients.
Occident, Mongols et géopolitique de la mer Noire en 1287. Le custode de Gazarie, et Golubovich à sa suite,
nous montrent un Nogaï ami des chrétiens, et qui plus est des chrétiens
latins, auxquels son épouse, Jaylak, par son baptême de la main de
Franciscains mais devant l’ensemble des communautés chrétiennes, semble donner
la primauté sur les autres communautés chrétiennes, dont le document nous
montre par ailleurs la taille imposante[20].
De plus la lettre du custode nous donne une vision bien informée
p. 274
du
pouvoir mongol: elle nous présente Töla Buqa et Nogaï comme deux empereurs
associés. La désignation des deux personnages comme co-empereurs se
complète d’ailleurs parfaitement avec les informations venus des sources
arabes, qui à cette époque appellent parfois Nogaï malik, et
russes, qui l’appellent tsar[21].
Pour autant que l’on puisse en juger (mais cela prête à débat),
seul Töla Buqa était khan en titre, mais il se trouvait dans la dépendance de
Nogaï, chef apparenté à la famille des khans, issue de Ğöçi.
Fruit d’une union illégitime, Nogaï ne pouvait dominer la Horde d’Or en
droit, mais il avait réussi cependant grâce à ses capacités militaires
à se rendre incontournable, à imposer sa domination à Töla
Buqa et à se gagner une principauté (d’où le débat pour savoir
s’il n’aurait pas pris aussi le titre de khan). De fait, le propos de Ladislas
n’était pas d’entrer dans ce genre de détails, au demeurant évidemment bien
connus du frère Laurent qui n’était parti de Gazarie que l’année
précédente. Ce sont les décisions de Nogaï qui comptent, et en
l’occurrence le baptême de son épouse qui montre un engagement ferme de
la part de Nogaï et du pouvoir impérial qu’il contrôle à défendre les
Franciscains. En témoignent les instructions données par Jaylak au nom de son
époux à un chef local, Ymor. Nous noterons au passage que désigner
Jaylak comme «maior et potentior uxor Nohay» est une autre
manière de dire qu’il ne s’agissait que d’une épouse parmi d’autres, et
que si sa conversion représentait un geste, le poids de cet engagement est
affaire d’interprétation.
Cependant, pour faire plus ample connaissance avec le
personnage, lisons ce qu’écrivait Nogaï aux sultans mamelouks en 1270: il
les informait par une ambassade de sa conversion à la religion
musulmane, leur demandait de poursuivre le djihad contre les Il-Khans de Perse,
et leur expliquait que lui et les Mamelouks, ensembles, ils étaient comme les
cinq doigts de la main ; il soutiendrait celui que les musulmans
soutiendraient, et s’opposerait à qui s’opposerait à eux[22].
Cette mention n’a rien d’étonnant: Nogaï pour assurer son pouvoir au sein
de la Horde d’Or ne faisait que reprendre à son compte la politique
menée par le khan Bärkä converti musulman de bonne heure dans les années 1260[23].
L’annonce du conflit entre Horde d’Or et Il-Khans et de la conversion de Bärkä
permirent l’ouverture de négociations entre Mamelouks et Mongols, capitales
pour les Mamelouks, parce qu’ils avaient besoin, pour garantir la stabilité de
leur armée, d’esclaves turcs, souvent venus du nord de la mer Noire (à
l’exemple du plus fameux d’entre eux, Baybars). Il fallait donc assurer vers le
Caire un approvisionnement continu en esclaves qui se faisait de manière
privilégiée depuis la Horde d’Or qui dominait à présent le nord de la
mer Noire. La négociation était également capitale pour les Mongols de la Horde
d’Or qui avaient besoin que les Mamelouks restent en guerre avec le pouvoir des
Il-Khans, afin que ces derniers ne puissent concentrer l’intégralité de leurs
troupes sur un seul front, le Caucase. Au début de son ascension, Nogaï
est un chef militaire habile, au service du khan Bärkä. Jusqu’à la mort
de ce dernier en 1267, il se rend incontournable dans la lutte contre les
Il-Khans, notamment au cours des campagnes de 1262 et de 1266 au cours
p. 275
desquelles
il commence à s’attacher personnellement une partie de troupes[24].
Lorsque après la mort de Bärkä, Nogaï réussit à établir son
pouvoir, sa politique dictée avant tout par des considérations géopolitiques,
passe par un discours religieux: pour cimenter son alliance avec les Mamelouks,
il invoque sa conversion à l’Islam et le front commun qui doit unir les
musulmans face aux infidèles mongols de Perse. L’insistance sur l’Islam
est d’autant plus importante, qu’après tout les Mamelouks pouvaient
avoir des réserves sur cette alliance pourtant si vitale. Pour un Mamelouk du
Caire, les Mongols représentaient naguère un peuple uni, radicalement
différent, et qui avait juré de détruire le pouvoir mamelouk; si aujourd’hui
encore, le siège et la destruction de Bagdad par les Mongols en 1258,
suivi du massacre de la population et de la famille califale sont une blessure
ouverte dans la mémoire musulmane, au moment où commencent les
négociations entre la Horde d’Or et les Mamelouks cet événement avait à
peine cinq ans, et chacun savait que c’est ce qui attendait probablement le
Caire en cas de défaite. Les négociations entamées par les Mamelouks avec Bärkä
étaient dictées par la peur des Il-Khans. De fait, une très grande
méfiance n’a cessé de dominer les relations entre Mamelouks et la Horde d’Or,
bien que leur alliance soit devenue de plus en plus étroite en raison d’intérêts
communs fondamentaux. Mais les deux pouvoirs n’en sont jamais arrivés à
une véritable collaboration militaire et à une attaque simultanée de la
Perse sur les deux fronts; au contraire, dès que l’un des deux camps
tentait de mettre en place ce genre d’attaque, il se retrouvait seul, l’autre
puissance ne s’engageant jamais réellement. Dans le fond, les Mamelouks avaient
intérêt à un conflit prolongé au Caucase, non à la victoire
d’un des deux protagonistes, fut-ce leur allié, qui aurait restauré une unité
mongole menaçante. On saisit l’intérêt dissuasif de cette alliance et de
ces projets théoriques lorsque l’on sait qu’en 1272 Baybars envoyait une lettre
pour informer l’Il-Khan Abaqa de l’attaque en commun qu’il avait planifiée avec
Möngkä Temür, le khan qui dépendait de Nogaï. Cependant, la religion
musulmane de Bärkä avait pu permettre de dépasser les méfiances initiales pour
en arriver au moins à cette alliance qui permettait à chacun de
remplir ses objectifs fondamentaux. Mais le successeur de Bärkä, Möngkä Temür n’était
pas musulman. Cela n’a pas empêché Baybars de lui envoyer une lettre qui
abandonne le discours lié à l’islam, preuve que l’alliance était de
toute manière dictée par des considérations stratégiques. Mais nul doute
que l’utilisation du discours religieux pouvait être utile pour renforcer
une alliance faite par pur réalisme, qui répugnait aux Mamelouks, lesquels
souhaitaient tout sauf de voir la Horde d’Or l’emporter définitivement sur ses
frères ennemis de Perse, et n’étaient donc en aucun cas disposés
à leur apporter une aide réelle. Ce qui nous intéresse ici pour
comprendre l’attitude de Nogaï en 1287, c’est de voir que dans une
situation délicate, où il avait absolument besoin de s’allier les
Mamelouks alors que ces derniers pouvaient avoir des réticences ou des
hésitations, Nogaï a utilisé le discours religieux comme un fondement de
cette nouvelle alliance, destiné à vaincre les réticences, en
renchérissant sur le discours extrémiste des Mamelouks, qui en cette période de
lutte de vie et de mort face aux Mongols et de destruction des derniers restes
des croisades en Terre Sainte menaient une politique particulièrement
rigoureuse au nom de l’Islam (toutes les poches de résistance croisées
p. 276
sont
liquidées avec une très grande dureté dont témoignent la dévastation de
la ville plurimillénaire d’Antioche en 1268 ou le massacre qui suit la prise
d’Acre en 1291; la côte syro-palestinienne est délibérément dévastée pour
empêcher tout nouveau débarquement, la Terre Sainte est réislamisée et la
situation est critique pour les communautés chrétiennes de Syrie–Palestine ou
d’Egypte). Puisqu’il avait besoin des Mamelouks qui instauraient un nouveau
rigorisme musulman et une conception particulièrement dure de la guerre
sainte, Nogaï s’est fait plus musulman que les Mamelouks, dans le discours
du moins, et cette posture et les succès obtenus dans cette alliance lui
ont permis de prendre de l’envergure à l’intérieur de la Horde d’Or.
Toutefois, cette posture à usage externe ne l’a pas empêché de
prendre une posture amicale face aux chrétiens de la Horde d’Or, attitude liée
en partie à ses bonnes relations avec l’empire byzantin.
Certes, notre lettre de 1287 nous montre l’amitié de
Nogaï pour les chrétiens latins. Mais somme toute, si l’on
considère que la montée au pouvoir de Nogaï se fait au cours des
années 1260, cette démonstration d’amitié est quelque peu tardive. Il est vrai
que là encore, Nogaï héritait de la politique favorable aux
chrétiens orthodoxes de Bärkä, qui s’expliquait par le fait que les princes russes
étaient tributaires de la Horde d’Or, et surtout par la position géographique
de Constantinople, capable à tout moment de couper l’acheminement
d’esclaves venus des territoires de la Horde d’Or vers l’Egypte, et par voie de
conséquence de tailler l’alliance entre l’Egypte et la Horde d’Or. On comprend
que pour les souverains de la Horde d’Or, l’alliance byzantine est
complémentaire de l’alliance avec les Mamelouks: il ne sert à rien
d’avoir l’alliance mamelouke si l’on a pas l’alliance byzantine. Dès
lors tout souverain, et c’est ce que feront et Bärkä et Nogaï, doit
appuyer sa diplomatie pro mamelouke (et pro musulmane) sur une diplomatie pro
byzantine (et pro chrétienne orthodoxe). A vrai dire, l’empereur Michel VIII,
après avoir repris la ville aux Vénitiens en 1261, avait bien essayé de
mener une politique faite d’alliances multiples et de duplicité, puisque les
moyens de résistance de l’empire étaient limités, que de tous côtés il avait
à faire à des puissances redoutables (Mongols de la Horde d’or,
Mongols de Perse et leurs soumis -en théorie du moins- turcs, cités italiennes
et surtout projets de croisade et de reconquête de Constantinople du
frère de Saint Louis, Charles de Sicile, toujours susceptibles
d’être soutenus par la Papauté et une bonne partie de la chrétienté
d’Occident). Ainsi Michel VIII est partie prenante de l’ambassade de la Horde
d’Or vers l’Egypte qui arrive au Caire en mai 1263, à laquelle il ajoute
ses propres émissaires lors du passage par Constantinople. Nous noterons en outre
que des émissaires génois faisaient également partie du cortège[25].
Mais la menace perse se faisant justement un peu plus précise en 1264, l’amitié
avec les Mamelouks et la Horde d’Or entraînant une forte inimité avec Hüläghü,
Michel VIII, pour éviter une guerre qu’il n’a pas les moyens de soutenir,
retient à Constantinople pendant deux ans l’ambassade envoyée par les
Mamelouks à la Horde d’Or. La réaction de Bärkä lorsqu’il apprend
l’événement ne se fait pas attendre: il envoie ses troupes dans les Balkans,
sous la direction de Nogaï, qui menace Constantinople, et l’heureuse
médiation des ces mêmes ambassadeurs mamelouks
p. 277
met
fin au conflit, ce qui leur permet de reprendre leur chemin[26].
A partir de 1265, l’alliance entre la Horde d’Or et les Mamelouks inclut
clairement l’empire byzantin, qui laisse passer les navires d’esclaves par les
détroits. Georges Pachymère a décrit en détail la situation dominatrice
de Nogaï. Il explique qu’à partir des évènements de 1264/
1265, Nogaï put asseoir sa domination sur les Balkans et devenir l’homme
clef du système politique de la Horde d’Or, et qu’il s’allia à
Michel VIII. Ainsi, à partir de 1265, et surtout à partir de la
mort de Bärkä en 1267, Nogaï se constitue une principauté dans la plaine
danubienne, d’où il pouvait faire et défaire les souverains bulgares, au
point que la Bulgarie apparaisse comme une dépendance de la Horde d’Or. Il
intervient également avec ses troupes à chaque fois que Michel VIII a
besoin d’aide pour soumettre un récalcitrant à son pouvoir dans les
Balkans, comme par exemple en 1282, lorsque Michel VIII demande l’aide de ses
alliés mongols contre le sebastocrator Jean. Naturellement, cela se traduisit
par un mariage: Michel VIII offrit à Nogaï sa fille illégitime,
Euphrosyne[27]. Là
encore, l’alliance politique est un moyen d’accession au pouvoir pour
Nogaï. Michel VIII choisit de s’allier à lui pour échapper au
danger mongol et pour avoir un allié puissant qui puisse lui permettre
d’écraser toute menace bulgare ou toute révolte dans les Balkans. Mais grâce
à cette alliance Nogaï peut aussi assurer sa domination sur sa
principauté et sur les Balkans. Plus encore, grâce à sa relation
privilégiée avec Michel VIII, Nogaï est celui qui permet de sauver
l’alliance de Saraï avec les Mamelouks, un temps menacée par la situation
à Constantinople. L’évènement tournant de cette montée au
pouvoir, c’est le mariage avec une épouse byzantine. C’est pourquoi cela n’est
pas une coïncidence de voir qu’au moment même où Nogaï
se marie à Euphrosyne (vers 1270), il prend en main la diplomatie avec
les Mamelouks et fait profession de foi musulmane: grâce à Michel VIII,
qui veut la garantie de l’homme fort des Balkans, Nogaï devient l’homme
clef du réseau diplomatique de la Horde d’Or et son véritable maître. Bien entendu,
Euphrosyne garda sa religion. Georges Pachymère nous en a même
laissé un témoignage: décrivant les évènements dans les Balkans
après la mort de Nogaï, et l’attaque de la Bulgarie par le fils de
Nogaï, Geke (que nous transcrirons Ğögā[28]),
en compagnie de son beau-frère, le fils de Terter, Svetoslav,
Pachymère explique que ce dernier s’était marié à une Euphrosyne,
qui était à la fois la
p. 278
petite-fille
d’un Pantaleon, riche marchand, et la fille d’un Tartare. Elle tenait son nom
de sa marraine, qui l’avait baptisée: l’épouse de Nogaï, Euphrosyne[29].
Il était d’usage courant pour les Mongols d’avoir plusieurs épouses, de
confessions différentes, et que les enfants issus d’une même mère
soient cependant de confessions différentes. C’était d’ailleurs là ce
qui avait nourri l’espoir des premiers missionnaires en terre mongole, puisque
Möngkä était le fils d’un Nestorienne, sans que cela ait beaucoup d’influence
sur sa politique religieuse et sa conduite, ainsi que Rubrouck put le
constater. Tout naturellement, Euphrosyne a du servir de protectrice aux
chrétiens orthodoxes des territoires de la Horde d’Or, et ce n’est pas un
hasard si le clergé orthodoxe («grec») apparaît dans notre lettre de 1287. Le
territoire sur lequel les Mongols ont assis leur domination était très
divers même au nord de la mer Noire. Si l’importance des populations
orthodoxes dans les Balkans était évidente, de même que dans la Russie
tributaire, la Crimée qui avait vu passer au cours des siècles les
différentes dominations nomades contenait sans nul doute des populations
mélangées. D’ailleurs Chersonée fut sous domination byzantine directe au XIIe
siècle, jusqu’en 1204, et était le siège d’un évêché[30].
Ibn Battûta dans les années 1330 apporte lui aussi la confirmation d’une
forte implantation chrétienne dans la région, et nous dit même que les
Comans (ou Kiptchaks, comme disaient les Arabes) sont chrétiens, ce qui
relève d’une exagération, mais montre une influence chrétienne certaine,
sans doute russe ou byzantine à l’origine[31].
Rien d’étonnant donc à ce que les Mongols, conformément à leur
tradition de soutien à toutes les religions et de neutralité aient
très tôt dégagé l’église orthodoxe de tout impôt, conformément au Yasaq
traditionnel, et aient accepté la fondation d’un évêché orthodoxe dans la
capitale même de la Horde d’Or, à Saraï, dès 1261,
soumis au métropolite de Kiev, et destiné à encadrer les populations
russes qui se trouvaient à la cour du khan ou les marchands et
diplomates grecs. De plus, l’évêque de Saraï fut
régulièrement utilisé par les souverains mongols pour porter des
ambassades à Constantinople[32].
A cela s’ajoutait un évêché orthodoxe grec, cette fois, à Soldaya[33].
Ainsi, l’église orthodoxe était implantée en Crimée bien avant notre lettre de
1287, et manifestement soutenue par le pouvoir mongol de la région bien avant
que les établissements franciscains n’aient commencé à se développer. De
plus, la politique de Bärkä n’était pas seulement liée à ses relations
avec les princes russes, mais à son véritable rapprochement avec le
pouvoir byzantin, dans le cadre des débuts de cette alliance entre Horde d’or,
empire byzantin et Mamelouks.
Nogaï, en bon mongol traditionnel, et malgré le
discours tenu aux Mamelouks, était en fait un parfait tenant de la politique
traditionnelle mongole en matière religieuse,
p. 279
déjà
décrite et par Jean du Plancarpin et par Rubrouck (ce qui avait amené Rubrouck
à conclure que la mission auprès des Mongols était une impasse et
qu’il fallait relancer les croisades[34]),
politique qui consistait en un mélange de peur et de respect pour tout ce qui
était associé au sacré, d’indifférence fondamentale face aux dogmes et
d’utilisation politique de la religion, pour ne pas dire comme Rubrouck
à propos de Sartaq que la conversion devait beaucoup à la
population à laquelle le chef converti entendait demander des présents
financiers[35]. Cependant,
nous noterons que c’est bien le genre de comportement qui est relevé par
Georges Pachymère lorsqu’il parle de Nogaï (il est vrai qu’il déplorait
l’alliance conclue par Michel VIII, et regrettait que les Byzantins soient
restés indifférents à la destruction des Etats latins d’Orient par les
Mameluks): «L’empereur contracta une alliance avec Nogaï, leur chef, et il
ne cessait pas de lui envoyer de très nombreux présents, tant pour
l’usage vestimentaire que pour la variété alimentaire, en y ajoutant
libéralement des tonneaux entiers de vins parfumés. Voyant ce qu’il y avait
à manger et à boire, Nogaï le recevait avec plaisir et
acceptait d’autre part de l’or et de l’argent sous formes de coupes». Dans la
suite du passage, Pachymère explique qu’en ce qui concernait les
vêtements et les coiffures, Nogaï préférait ses habits coutumiers
assez rustres, à moins que celui qui les lui apportait ne le convainque
qu’ils avaient un pouvoir d’ordre magique[36].
Toujours en chef mongol traditionnel, Nogaï semble avoir eu une femme pour
chaque politique religieuse. Si Jaylak se convertit au catholicisme, bien avant
elle Nogaï avait épousé Euphrosyne pour fonder sa politique pro-byzantine,
levier de son accession au pouvoir. Ajoutons toutefois que Michel VIII avait
lui aussi une fille illégitime pour chaque alliance politique, puisque Hülägü
obtient également une épouse de lignée impériale[37],
et qu’au-delà la solide amitié entre Michel VIII et la Horde d’Or,
Michel VIII a toujours pris soin de ne rien faire pour déplaire aux Il-Khans.
Ainsi, à bien des égards, cette alliance était décevante pour la Horde
d’Or. Plus précisément, elle était décevante pour qui accordait une importance
prioritaire au conflit avec les Il-Khans dans le Caucase, ce qui était le
problème essentiel vu de Saraï. Mais vue des Balkans, cette
alliance était fort profitable, puisqu’elle permettait à Nogaï de
dominer entièrement la région et d’avoir une influence certaine sur les
affaires de l’empire byzantin. Or l’assise du pouvoir de Nogaï à
partir de 1265, comme Pachymère l’explique très clairement, c’est
les Balkans et l’espace danubien,
p. 280
qu’il
domine territorialement, à partir de cette principauté où il
recrute troupes et clients, ce qui lui donne les moyens pour s’imposer si
nécessaire par la force sur les souverains de la Horde d’Or à
Saraï.
Nous avons pu voir l’ampleur de cette politique
internationale de la mer Noire à la Méditerranée dans la seconde moitié
du XIIIe siècle. Mais ce jeu diplomatique ne se laisse pas
réduire à des blocs d’alliances simples, tant la politique de chacun est
ambiguë. De plus, il faut analyser la logique des acteurs et leurs
intérêts propres, qui façonnent cette politique. Ainsi, nul doute que la
politique globale de la Horde d’Or doit beaucoup à la politique
balkanique de Nogaï. A cela s’ajoutent bien évidemment les Latins, et
notamment les Génois, puisque Caffa, d’où vient l’auteur de notre
lettre, centre de l’Eglise latine au nord de la mer Noire, était surtout le
centre du commerce et de la politique génoise dans cette même région.
Depuis 1261 et le traité de Nymphée, les Génois ont obtenu un monopole du
commerce dans l’empire byzantin, qui leur a permis, après la reprise de
Constantinople par Michel VIII et l’expulsion des Vénitiens, de fonder Péra qui
contrôle le commerce du Bosphore, et de dominer le commerce pontique, au
détriment de l’économie byzantine. Ce sont les Génois qui acheminaient les esclaves
venus du nord de la mer Noire à bon port, c’est-à-dire en Egypte
via Constantinople et les détroits. De plus, Michel VIII continuait à
avoir besoin de leur soutien face aux menaces de croisade venues d’Occident.
C’est cette implication des Génois qui a parfois donné l’impression d’un axe
entre Horde d’Or, empire byzantin et Egypte Mamelouke soutenu par les Génois,
comme le montre l’ambassade commune de la Horde d’Or, de Michel VIII et de
Gênes au Caire en 1263. Sauf que les choses se révèlent plus
complexes à l’analyse, comme nous l’avons déjà vu pour les
acteurs orientaux. Mais l’ambiguïté et la duplicité existent tout autant
du côté des Génois. Pour commencer, Michel VIII ne tarde pas à vouloir
revenir sur la position hégémonique prise par les Génois dans l’empire byzantin
grâce aux concessions qui leur ont été faites. Les deux partenaires sont
déjà au bord de la rupture en 1264 (alors que Bärkä est en train
d’envoyer ses troupes sur Constantinople), avant de se réconcilier face
à un ennemi commun: Charles d’Anjou, auquel les Gibelins de Gênes
sont hostiles, et qui menace Constantinople[38].
Naturellement, le premier moyen pour contrer les Génois, auquel Michel VIII
songe dès 1264 est de ramener dans le jeu leurs ennemis vénitiens. Mais
un des objectifs essentiels pour les Vénitiens reste l’accès à la
mer Noire, où ils ont perdu toutes leurs positions après 1261 et
dont l’accès leur est théoriquement barré par les Génois. Il semblerait
toutefois que cela n’ait pas empêché Michel VIII d’affréter en 1272 un
navire vénitien pour aller chercher un émissaire qu’il avait envoyé
auprès de la Horde d’Or (sans doute auprès de Nogaï) –
à tout le moins, les Vénitiens réclamaient quelques années plus tard le
paiement de cet affrètement[39]
Les Vénitiens non seulement ne sont pas absents de la mer Noire au cours des
années 1270, mais ils participent aux
p. 281
échanges
diplomatiques. Pour finir, de réconciliations provisoires en ruptures,
Byzantins et Vénitiens finissent par signer un traité de paix en bonne et due
forme en 1285, et Andronic II (qui a succédé à son père Michel en
1282) donne aussi aux Vénitiens le droit officiel de navigation en mer Noire.
Parallèlement, les Génois eux-mêmes jouent un rôle commercial de
plus en plus important dans l’empire des Il-Khans de Perse, par lequel ils
peuvent atteindre l’Océan Indien et à terme le port de Zayton en Chine,
ce qui veut aussi dire qu’ils deviennent de plus en plus dépendants de leur
position en Perse et de la faveur des Il-Khans. Pour résumer, les navires
d’esclaves génois circulent bien entre Caffa et Alexandrie, mais au lieu d’un
axe diplomatique fort, l’animosité entre Byzantins et Génois grandit, chacun
d’eux cherchant par ailleurs à être en bon termes et avec la Horde
d’Or et avec les Il-Khans. A la volonté d’éviter tout engagement des Génois et
des Byzantins dans le conflit entre Horde d’Or et Il-Khans répond la méfiance
avec laquelle les deux alliés, Mongols de la Horde d’Or et Mamelouks, se
regardent, incapables de mener une politique commune. Gênes est d’autant
plus sensible à l’attrait politique de la Perse que d’une part l’accord
entre Andronic II et les Vénitiens en 1285, qui bat en brèche le
monopole pontique de Gênes, et d’autre part la campagne des Mamelouks
contre le royaume de Petite Arménie la même année, qui ruine le commerce
de ce royaume alors que c’était là que les marchands génois s’étaient
réfugiés après leur expulsion d’Acre par les Vénitiens et les Pisans en
1258, sont tous deux des coups très rudes portés au système
génois. Gênes décide de s’engager aux côtés de l’Arménie et de son allié
du royaume de Chypre, surtout à partir de 1288, et, en réponse à
l’ambassade confiée par l’Il-Khan Argun à Bar Çauma qui arrive en
Occident pour l’hiver 1287, envoie un contingent de Génois à Bagdad pour
préparer une flotte de guerre à mettre au service des Il-Khans dans le
golfe Persique et au-delà, bien évidemment destinée à pirater et
couper les lignes commerciales de l’Océan indien vers l’Egypte, ce qui serait
pour les Il-Khans un moyen de ruiner les Mamelouks[40].
Faut-il s’étonner dès lors de voir au même moment la diplomatie
vénitienne poursuivre sur la lancée du traité de 1285 avec les Byzantins et
tenter de s’insinuer dans les bonnes grâces des Mongols de la Horde d’Or
à la même époque? Ainsi, nous découvrons au travers des rubriques
des décisions du Grand Conseil de Venise la présence d’un consul vénitien
à Saraï en avril 1288[41].
Gênes hésite d’autant plus qu’elle est déchirée pendant cette période par
les querelles entre Guelfes et Gibelins, qui à chaque retournement font
varier sa politique. Or l’attitude face à la Papauté détermine aussi
l’attitude face à la question orientale et pontique.
La Papauté, les Angevins et la question d’Orient en 1287. Les Mongols, que ce soit ceux de Perse ou de la mer
Noire, jouent bien un rôle dans l’ensemble de la diplomatie latine, et qui va
bien au-delà des rivalités entre cités marchandes. Deux
p. 282
problèmes
fondamentaux dominent la question des rapports entre l’Occident latin et son
Orient à cette époque, tout au moins dans la perspective de la puissance
qui est la plus intéressée à cette question: la Papauté. La
première, c’est la défense de ce qui reste d’Etats latins croisés, qui
en 1287 ne sont pas encore tous tombés, malgré la mise sous tutelle du royaume
d’Arménie par les Mamelouks en 1285: Acre continue de résister (jusqu’en 1291);
mais chacun sent que la fin est proche. Pour sauver Acre et reprendre du
terrain aux Mamelouks, il ne semble exister qu’un seul recours: une croisade
soutenue par les ennemis des Mamelouks, les Mongols de Perse. Depuis les années
1250, tout un mouvement d’opinion défend l’idée d’une alliance, dont le
cœur se trouve dans ce royaume chrétien de Petite Arménie. Il est vrai que
les souverains arméniens ont fait le voyage à la cour mongole
déjà à l’époque où l’empire était encore uni, avant 1260[42].
De même, Héthoum l’historien écrit une Fleur des histoires de l’Orient
en 1307 dont le but est de gagner l’Occident latin (et en l’occurrence le
destinataire de l’ouvrage, Clément V) à l’alliance avec les Mongols, au
profit de la Petite Arménie[43].
Si la victoire des Mamelouks sur les Mongols de 1260 est due en partie au fait
que les Croisés, connaissant la soif de conquête des Mongols et effrayés
face à un type d’ennemi inconnu, choisirent d’aider leurs vieux ennemis
privilégies Mamelouks, par la suite, au fur et à mesure que les
Mamelouks se retournèrent contre les Croisés, les grandes puissances
occidentales et la Papauté ne cessèrent d’échanger des ambassades avec
les Il-Khans, de parler de coopération et parfois de tenter vraiment de mettre
cette dernière en pratique, comme dans le cas du prince Edouard qui
débarqua à Acre en 1270, ce qui fuit suivi d’une tentative à vrai
dire peu convaincante, et vite abandonnée, des Mongols de Perse pour ouvrir un
deuxième front; le prince Edouard n’eut plus qu’à rembarquer[44].
C’est dans cette perspective également que fut envoyée l’ambassade d’Argun en
Occident au cours de l’année 1287. Nul doute que l’idée d’une telle alliance
circule aussi à l’intérieur de l’ordre franciscain, très bien
implanté en Petite Arménie et à Chypre. Le futur archevêque de
Khanbaliq, Jean de Montecorvino, fut un proche du roi Héthoum II, qui en 1292
prend l’habit franciscain et le nom de Jean en l’honneur de son guide spirituel[45].
Le même Jean de Montecorvino était d’ailleurs en Perse pour négocier avec
Argoun en 1288[46]. Peu avant
la chute d’Acre en 1291, un Franciscain liée à l’Orient, Fidence de
Padoue, rédige un grand projet de croisade[47]
(projet qui lui avait été demandé au concile de Lyon de 1274) dans lequel il
recommande l’organisation d’un blocus économique de l’Egypte, qui,
explique-t-il, n’apportera aucun dommage aux marchands latins à
condition de détourner les routes commerciales vers la Petite Arménie,
où ces derniers viendraient dorénavant exclusivement[48].
Bien sûr, une alliance militaire avec les Il-Khans est vivement
recommandée
p. 283
(et
d’ailleurs, si le blocus était mis en place, cette alliance serait
indispensable, puisque ce ne peut être que par la Perse que passeraient
les routes commerciales en direction de la Petite Arménie). Le même
Fidence nous décrit également l’acheminement des esclaves depuis la mer Noire
jusqu’au Caire, auquel il espère que le blocus mettra fin. Ce document
me semble représentatif d’une option politique, liée à une implantation
proche orientale et au royaume d’Arménie. En fait, si l’action des
missionnaires a vocation à s’exercer partout et auprès de tous
les peuples, cela n’empêche pas des réseaux de se différentier en
fonction de leur implantation, et qui plus est, les intérêts et discours
ne sont pas les mêmes selon qu’on est installé à la Horde d’Or ou
en Arménie. Alors que les Frères mineurs du Proche-Orient veulent convaincre
la Papauté de privilégier l’alliance avec la Perse, ce qui signifie une
hostilité ouverte face à la Horde d’Or, leurs frères de Tatarie
aquilonaire se doivent de montrer les succès obtenus et de démentir
l’idée d’une Horde d’Or gagnée aux musulmans dans ce contexte de 1287, où
l’Occident latin semble très sensible à l’idée d’une alliance
avec les Il-Khans.
Le deuxième grand problème qui déchire
l’Occident latin de cette époque, c’est la question angevine et la croisade
contre l’empire byzantin. Une fois conquises l’Italie du Sud et la Sicile en
1266 sur la demande de la Papauté, qui élimine ainsi la menace Hohenstaufen, le
projet de Charles d’Anjou c’est de reprendre la politique des Normands de
Sicile et de reconquérir l’empire byzantin. Nous avons déjà vu comment
la victoire du monarque choisi par Urbain IV puis Clément IV amena par effet de
ricochet les Génois à se réconcilier avec Michel VIII. Pour échapper
à l’attaque angevine, Michel VIII entame des négociations d’union
religieuse entre chrétienté byzantine et chrétienté latine, dans lesquelles le
couvent franciscain de Constantinople joue un grand rôle, notamment en la
personne d’un converti grec entré dans l’ordre, Jean Parastron. Les
négociations sont menées au nom de la Papauté par un autre franciscain, Jérôme
d’Ascoli, qui introduit la délégation grecque au concile de Lyon qui proclame
l’union religieuse en 1274. Mais il ne s’agit que d’une pause, dans la mesure
où l’union n’arrive pas à devenir effective, en raison de
l’opposition de la population et d’une bonne partie de l’Eglise byzantine. Bien
que Michel fasse visiter à une délégation pontificale les cachots
remplis d’opposants à l’union[49],
le Pape Nicolas III tire assez rapidement la conclusion que l’union est
inefficace, mais sa politique reste mesurée, car il est relativement hostile
à Charles d’Anjou, qu’il ne veut pas voir dominer l’Italie et la
Papauté; il faut donc empêcher la croisade à Constantinople. Mais
toutes les objections tombent en 1281 quand Simon de Brie, chef du parti pro
angevin à la Curie romaine devient pape sous le nom de Martin IV.
Cependant, Michel VIII et Pierre III d’Aragon, l’adversaire des Angevins pour
la domination de la Méditerranée occidentale, avaient déjà commencé
à préparer un soulèvement en Sicile contre les Angevins, par
l’intermédiaire d’un agent du roi d’Aragon, Jean de Procida, qui d’ailleurs
pour circuler entre Constantinople, la Sicile, et Viterbe où résidait le
Pape Nicolas III se déguisait en Franciscain[50].
Le soulèvement des Vêpres siciliennes éclate en 1282, et met
p. 284
en
jeu l’ensemble de l’équilibre de l’Occident latin. Grâce au soulèvement,
le roi Pierre III d’Aragon prend le contrôle de la Sicile, et Charles d’Anjou,
replié sur Naples, n’est plus en mesure de faire sa croisade. Commence un long
conflit qui ne se déroule pas qu’en Sicile, mais aussi à la Curie
romaine, où chaque désignation de pape prend un tour dramatique, les
Angevins voulant nommer un de leurs fidèles, leurs adversaires voulant
nommer un homme qui mènerait une politique plus mesurée. Le conflit est
tellement dur que le 3 avril 1287, à la mort d’Honorius IV, qui avait
été un soutien indéfectible de Charles d’Anjou dans sa lutte pour récupérer la
Sicile, pendant dix mois, les cardinaux ne purent se mettre d’accord sur la
désignation d’un Pape. Au moment où le custode de Gazarie écrit sa
lettre, la situation s’est envenimée à un point où la chrétienté
latine n’a pas plus de Pape, et n’en aura pas avant presque un an. Le conflit
se reporte enfin sur la Hongrie, qui était un élément clef du système
matrimonial angevin. En effet, le frère de Saint Louis rêvait de
devenir empereur à Constantinople et d’assurer son hégémonie sur
l’Occident latin en partant du principe que les Hohenstaufen étaient éliminés,
que le roi de France était parent, et que le Pape devait être sous
contrôle angevin. En appui à cette politique, le roi de Naples s’allie
avec une monarchie hongroise qui s’est considérablement renforcée et a affirmé
sa vocation au service de l’extension du christianisme latin, jusqu’à ce
que l’arrivée des Mongols en 1241 mette un terme à cet essor. La Hongrie
n’en reste pas moins un point clef pour toute politique sur l’espace est
européen et balkanique (rappelons qu’à cet époque la monarchie polonaise
est divisée et ne peut faire contrepoids), qui permet de faire la jonction avec
l’empire byzantin. Le roi Béla IV décide en 1270 que son petit-fils Ladislas,
âgé de huit ans, soit marié à la fille de Charles, Isabelle, tandis que
le fils de Charles devait épouser Marie, la sœur de Ladislas. Inutile de
dire que Charles d’Anjou mène une politique balkanique destinée à
lui soumettre tout ce qui se trouve entre la Hongrie et l’empire byzantin (et
qui fait face à l’Apulie). Ainsi Charles profita de la situation confuse
qui régnait en Bulgarie au moment de la montée sur le trône de Georges Terter
en 1280, qui n’était pas l’homme de Nogaï, et qui se mit sous la
protection de Charles pour assurer son trône ; tout naturellement, Terter
envoya aussi une ambassade auprès du Pape pour évoquer le retour de l’Eglise
bulgare dans la chrétienté latine. En 1282, le nouveau souverain serbe,
Milutin, hostile aux Byzantins, prenait le parti de Charles[51].
Remarquons que les adversaires des Angevins ont eu eux aussi des politiques
matrimoniales destinées à contrer ces derniers. Ainsi, en 1271, Alphonse
X, roi de Castille, fit une multitude d’alliances et de mariages anti-angevins,
parmi lesquels prenaient évidement bonne place un projet d’union entre une de
ses filles et un fils de Michel VIII, et autre projet d’union matrimoniale avec
un khan tatare ennemi des Hongrois, qui risque donc bien d’être le khan
de la Horde d’Or[52]. Il est
vrai que le père de Pierre III lui-même, Jacques d’Aragon, qui
n’avait pas pour les Angevins la même hostilité que son fils mais qui au
contraire voulait participer
p. 285
à
l’effort de croisade de saint Louis et du prince Edouard, avait tenté de
s’embarquer pour la croisade de 1270, tentative empêchée par une
tempête. Il avait à cette occasion emporté avec lui sa fille, pour
la marier à un roi Tartare (ou son fils) ennemi des Mamelouks, dans
lequel il faut sans doute voir l’Il-Khan[53].
De quelque bord qu’ils soient, les Mongols entrent clairement dans le jeu
diplomatique et même matrimonial des souverains latins. Le fait que le
roi de Castille envisage un mariage avec le souverain de la Horde d’Or à
cause de son inimitié face à la Hongrie montre que face à une
Hongrie liée aux Angevins et très pontificale, l’attitude de la Horde
d’Or est hostile: il s’agit d’une menace très claire dans les Balkans
pour Nogaï, et d’une menace encore plus claire pour son allié Michel VIII,
qui entre lui aussi dans le réseau d’alliés potentiels du roi de Castille. Les
Mongols font donc partie de ce jeu qui se cristallise autour de la chute des
Angevins, et il n’est pas saugrenu d’estimer que Nogaï qui domine les
Balkans est conscient dans une certaine mesure de ce qui se passe à Rome
et dans la chrétienté latine. Les Vêpres siciliennes de 1282 ont aussi
permis à Nogaï d’asseoir de nouveau son influence sur la Bulgarie:
en 1290, Georges Terter et Milutin étaient sous contrôle: Milutin avait reconnu
la souveraineté de Nogaï, le fils de Nogaï avait épousé la fille de
Terter[54],
tandis que le fils de Terter était otage à la cour de Nogaï. Ce
n’était sans doute pas suffisant, puisque Nogaï finit par remplacer Terter
par Smilec[55]. De plus,
la bataille pour les Angevins s’était déplacée sur un autre front, surveillé
attentivement par Nogaï, car dans sa sphère d’influence: la
Hongrie.
La question hongroise en 1287. Béla IV mourut l’année même des mariages
angevins, suivi peu de temps après en 1272 par son fils, qui a régné
sous le nom d’Etienne V. C’est alors Ladislas, âgé de dix ans, et Isabelle
d’Anjou qui montèrent sur le trône[56].
A vrai dire la personne de Ladislas IV le Coman (surnommé ainsi d’après
sa mère comane) est difficile à interpréter, car très
changeante et systématiquement dénigrée par un certain nombre de sources. Les
bulles pontificales l’ont accusé d’être le soutien des Comans
païens, des Sarrasins, des «Tartares». Un certain nombre de chroniqueurs
contemporains dans la lignée des accusations du parti pontifical, lui
reprochèrent de s’être allié aux Tatares au point d’avoir suscité
lui-même l’invasion mongole de 1285 en Transylvanie pour affaiblir sa
propre noblesse soulevée, version souvent reprise par l’historiographie[57].
La vision d’un Ladislas anti-latin, voulant renouer avec l’esprit de la steppe
parcourt l’historiographie
p. 286
de
son règne, que ce soit pour reprendre la condamnation d’une politique en
rupture avec l’héritage de Saint Etienne, ou pour louer l’action de Ladislas et
son ouverture[58], et ce
n’est que plus récemment que l’historiographie hongroise a nuancé la question.
En effet, Ladislas IV n’a pas hésité à massacrer les Comans révoltés en
1282, et il est mort assassiné par ses compagnons comans, dans des conditions
il est vrai obscures. Mais entre temps il semble avoir beaucoup vacillé, dans
une situation dont il faut bien reconnaître qu’elle était intenable. Et
surtout, il avait répudié Isabelle d’Anjou pour lui préférer des épouses
comanes.
Le royaume hongrois était depuis le milieu du XIIe
siècle tout à la fois le fer de lance de l’expansion vers l’Est
du christianisme latin et une société diverse, en partie nomade, avec des
communautés musulmanes et juives importantes. La Hongrie restait liée en partie
avec le monde de la steppe[59].
Ces liens pouvaient être utilisés par la Papauté: c’est de Hongrie que
fut lancé le premier grand projet missionnaire vers la steppe, la mission du
Dominicain Julien de Hongrie parti retrouver la terre originaire des Hongrois
sur la Volga, et ce sont ces mêmes Dominicains de Hongrie qui avaient
fondé l’évêché des Comans dont les limites virtuelles allaient
jusqu’à la Volga[60].
Nous avons eu l’occasion de montrer le rôle incontournable du royaume de
Hongrie dans l’acheminement des premières informations sur les Mongols
vers l’Occident, et leur rôle déterminant dans la réussite des voyages de
Plancarpin ou de Rubrouck[61].
Mais ces liens avec la steppe posaient problème du point de vue
pontifical à partir du moment où ils étaient perçus comme une
menace pour le caractère catholique de la Hongrie. Or la situation n’a
cessé de se dégrader au cours du XIIIe siècle. La monarchie
avait déjà du reconnaître par la Bulle d’or le pouvoir de ses barons
(mouvement soutenu par Rome qui ne voulait pas non plus d’une royauté hongroise
puissante au point de mener une politique indépendante, et qui y gagnait de
pouvoir remettre l’Eglise hongroise sous strict contrôle romain), ce qui
permettait aussi aux groupes nomades de s’affranchir de la tutelle royale. A
cela s’ajouta l’invasion mongole de 1241, qui a profondément bouleversé le
royaume, détruit de fond en comble, et qui n’a guère profité d’une aide
pontificale ou d’une solidarité occidentale. Une première réponse du roi
Béla IV, qui en 1254 faisait grief par un messager franciscain à
Innocent IV de ne guère l’aider[62],
fut de négocier avec les Mongols. Il songea même en 1259 à
p. 287
une
alliance en bonne et due forme, accompagnée d’une coopération militaire, ce qui
compte tenu des usages mongols et des discours qu’ils tenaient à cette
époque aux envoyés latins devait probablement signifier aussi la reconnaissance
d’une forme de vassalité[63].
Le pape Alexandre IV condamna catégoriquement le projet par une bulle du 14
octobre 1259 mais Béla, puis Stéphane ne cessèrent de louvoyer entre les
réalités liées à la menace mongole et les exigences pontificales.
L’entrée des Comans en Hongrie, pourtant encore nomades et à peine
christianisés, fut une deuxième conséquence de l’invasion mongole.
Ladislas IV a en fait hérité d’un royaume complètement déstabilisé, dans
lequel les forces centrifuges déconstruisaient l’équilibre instauré par le roi
Etienne Ier, ce qui se cristallisait autour du problème des Comans, dont
Rome exigeait la conversion et, par voie de conséquence, un abandon des
traditions de la steppe, ce à quoi s’ajoutait l’exigence que la
monarchie joue son rôle de rempart contre les Mongols (et le cas échéant de
paratonnerre au service de l’Italie), au lieu de tergiverser avec eux. Nicolas
III envoya dans ce but en 1279 son légat, Philippe de Fermo, pour remettre
de l’ordre et imposer les vues romaines[64].
C’est dans ce contexte d’une remise en ordre générale du royaume sous tutelle
pontificale que les Franciscains de Hongrie, qui ont toujours fait le pont
entre la monarchie hongroise et l’autorité pontificale font leur demande de
restauration de l’évêché coman, qui n’obtient pas satisfaction (et une
des raisons que l’on peut imaginer à ce refus, c’est que l’on a pas
oublié leur proximité trop grande avec une monarchie qui du point de vue
pontifical a failli). Ladislas hérite de cette remise en ordre, et après
avoir promis d’appliquer les décisions prises par le légat pontifical en 1279,
ne remplit pas ses obligations, ce qui entraîne son excommunication par
Philippe de Fermo en 1280 (et l’arrestation de Philippe de Fermo livré aux
Comans). Cela avant une nouvelle volte-face, qui amène à
l’écrasement des Comans en 1282, dont une part semble s’être enfuie du côté
mongol. Jusqu’au XIIIe siècle, une royauté forte était en
train de latiniser le royaume et d’utiliser son héritage nomade et sa position
géographique aux marges de l’espace latin pour s’étendre vers l’est, sous la
direction pontificale. C’est l’ensemble de cet édifice qui achève de
s’effondrer sous le règne de Ladislas, qui voit l’éclatement des
tensions dues à la latinisation forcée du royaume hongrois, devenue
impossible à partir du moment où l’arrivée des Mongols y a fait
entrer en masse les Comans et a fait apparaître un nouveau pouvoir à sa
frontière, qui cherche à faire entrer la monarchie hongroise dans
sa mouvance.
La situation ne cesse de se détériorer au cours des
années 1280, alors que Ladislas IV se retourne contre le système
diplomatique angevin en répudiant son épouse en 1284 et en choisissant
définitivement le camp des Comans[65],
tandis que la Papauté réagit avec une extrême violence, allant
jusqu’à l’appel à la croisade, justifiée par le caractère
renégat à ses yeux d’un souverain qu’elle décrit comme passé au paganisme,
et soutenant Mongols, Comans et Sarrasins, appel dont Honorius menace Ladislas
le 12 mars 1287, au moment
p. 288
où
le custode de Gazarie s’apprête à annoncer à l’Occident le
geste de Nogaï en faveur des Franciscains de Crimée[66].
Il convient de noter que les différents papes font explicitement référence
à la proximité entre Ladislas et les «Neugerii». Ainsi, la
question de Nogaï est loin d’être indifférente ou ignorée par la
Papauté, qui adopte une attitude d’hostilité extrême. Les différents
commentaires sur la lettre du custode de Gazarie ne citent jamais les bulles
d’Honorius IV ou de son successeur, Nicolas IV, alors que ces bulles
contemporaines de la lettre citent explicitement Nogaï, qui est clairement
perçu comme un adversaire très dangereux, car à la différence
d’autres ennemis (et des lointains Il-Khans de Perse), il intervient
directement à l’intérieur d’un territoire considérée par la Papauté
comme chasse gardée et fer de lance de tout ce qu’elle a construit depuis Saint
Etienne. La bulle de Nicolas IV du mois d’août 1288 est encore plus
explicite, puisqu’elle dit qu’Isabelle a été répudiée au profit de concubines
apparentées à Nogaï[67].Au
plus tard à partir de l’invasion mongole de 1285, Ladislas, qui dans le
fond est un ennemi de toujours de la Papauté, est un allié, voire un soumis de
Nogaï. Il est difficile de savoir si cette invasion de 1285 s’est vraiment
faite à l’instigation de Ladislas. Il est possible que Ladislas, tout en
essayant d’affirmer son autorité, ait essayé d’éviter toute subordination
vis-à-vis de la Papauté comme des Mongols, mais que la volonté de mener
une politique de rapprochement avec les Comans et les non catholiques de son
royaume l’ait amené à se soumettre à Nogaï après que
la réaction de Rome et la démonstration de force du chef mongol lui aient fait
comprendre qu’il fallait de toute manière choisir un camp et un
protecteur. Cette mise sous tutelle de la Hongrie s’inscrit dans la continuité
parfaite de la politique de Nogaï telle qu’elle a commencé à se
dessiner une vingtaine d’années auparavant, et la campagne de 1285
relève d’une action plus générale, puisqu’elle est suivie d’une autre
campagne dès l’année suivante contre la Pologne, ce qui au passage
permettait de resserrer la domination imposée à la principauté de
Halicz. En 1287, Nogaï est directement maître d’un espace allant du Danube
au Dniepr[68]. Il a
satellisé la Bulgarie, il domine indirectement la Hongrie et a eu l’occasion
d’intervenir dans les affaires byzantines. Dernière preuve de cette
influence acquise sur un large espace balkanique et est européen: après
la chute de Nogaï, ses fils pourrait s’être réfugiés en Hongrie[69],
avant que Ğögā ne se replie sur la Bulgarie.
p. 289
La lettre du custode de Gazarie relue à travers la
politique de Nogaï. Résumons
nous: Nogaï, qui contrôle la Horde d’Or, a assis ce pouvoir sur une
domination est européenne et un jeu d’alliances avec les Mamelouks, l’empire
byzantin et les Génois. Mais dans la période qui précède immédiatement
la lettre du custode de Gazarie, il existe un véritable obstacle à cette
domination: c’est la Papauté, qui voit en Nogaï un obstacle pour les deux
axes de sa politique. En effet, Nogaï est le bénéficiaire de la sortie de
la Hongrie du système angevin, et la croisade requiert une collaboration
avec les Il-Khans, c’est-à-dire une rupture avec Nogaï et la fin du
commerce d’esclaves entre la Horde d’or et l’Egypte. Du coup les Génois,
sensibles au destin de la Petite Arménie, hésitent sur la politique à
adopter, ce qui est peut-être perceptible pour Nogaï dès les
années 1285-1287, même si le soutien aux Il-Khans ne s’est pas encore
manifesté de manière ouverte en 1287. Au demeurant, on peut compter sur
les Vénitiens, qui cherchent à regagner le terrain perdu dans l’espace
pontique et à s’insérer dans les faveurs de Nogaï pour lui peindre
en noir la politique génoise. Il ne s’agit pas d’un petit conflit: nous sommes
à la veille de la guerre de Curzola, qui commence officiellement en 1293
après avoir été précédée de plusieurs escarmouches, et dont l’enjeu est
bien le contrôle de la mer Noire[70].
La guerre se déclenche justement à cause de l‘avancée vénitienne dans la
mer Noire, qui pour les Génois est une défaite majeure, à contrebalancer
par une action militaire. De plus, Nogaï, grâce à ses liens avec la
Hongrie et grâce à son système diplomatique ouvert jusqu’à
l’empire byzantin, ne peut pas ne pas être au courant de l’hostilité
déclarée du Pape à sa personne. Au demeurant, cela est bien entendu
encore plus vrai pour les Franciscains de Gazarie, qui ont probablement des
contacts avec la Hongrie, et encore plus sûrement des contacts avec les
autorités romaines (soit directement, soit par l’intermédiaire du général de
l’ordre, et la lettre de 1287 nous montre clairement qu’on allait en Occident
faire connaître sa situation et prendre des instructions). Ajoutons qu’en 1287,
Nogaï sait qu’il doit surveiller sa position à Saraï: en 1285,
le prince Töla Buqa, dont nous voyons en 1287 qu’il est devenu khan entre
temps, avait semble-t-il déjà montré au cours de la campagne de Hongrie
une certaine défiance vis-à-vis de Nogaï[71]
(qui le livra à Toqtaï en 1291, mais le choix fut hasardeux: c’est
Toqtaï qui finit par renverser Nogaï vers 1300). Nogaï sait
aussi qu’il a besoin de l’alliance d’une puissance maritime et que Gênes
reste malgré tout incontournable à cause de Caffa et de sa
forteresse ; il sait surtout que l’alliance avec les Byzantins s’est
sérieusement relâchée depuis la montée sur le trône d’Andronic II. D’ailleurs,
d’après le témoignage de Pachymère, les Byzantins attendaient en
1285 un assaut venu de la Horde d’Or[72].
Reprenons à présent le texte même de la lettre du custode de
Gazarie. Nogaï, ainsi que nous l’avons vu, utilise les gestes religieux
dans un dessein politique. Or chaque acte qui est décrit dans cette lettre a un
caractère politique affirmé. La punition pour la destruction de l’église
de Solgat n’est pas due aux autorités mongoles locales, elle n’est pas due
à
p. 290
une
décision de Nogaï sur un rapport de ses agents, mais il s’agit de la
réponse à une ambassade suffisamment importante pour que le frère
Laurent en demande des nouvelles au custode de Gazarie depuis l’Occident. La
mise en scène de la restauration de l’église est à
caractère public: il s’agit de faire traverser toute la ville par une procession
rassemblant l’ensemble de la communauté chrétienne, première affirmation
de l’union de tous les chrétiens derrière les Franciscains qui y
reçoivent une primauté. L’ensemble de la procession se fait pour qui n’aurait
pas compris sous le signe de la croix associé aux attributs impériaux: le
souverain soutient devant l’ensemble de la population les chrétiens et les
Frères mineurs. Encore une fois, la protection publique accordée
à une communauté religieuse n’a rien de si étonnant et tous les
évènements décrits dans cette lettre sont parfaitement conformes aux
pratiques mongoles telles que nous les connaissons par ailleurs, y compris le
fait d’envoyer un ambassadeur musulman pour châtier la
communauté musulmane de la ville, manière de montrer qu’un Mongol
converti à l’Islam doit rester Mongol, et que le Yasaq passe avant les
coutumes coraniques. Cependant en 1287 la région semble déjà largement
musulmane. Non seulement la population peut attaquer les Franciscains, mais les
seigneurs les plus puissants à la cour mongole sont musulmans, à
l’image de cet envoyé spécial de la cour du khan. Le rédacteur de la lettre,
sans s’y attarder, ne tente même pas de cacher la réalité de cette
présence musulmane, sans doute déjà connue de tous en Occident (tout
comme sont connus le commerce d’esclaves et l’alliance entre la Horde d’Or et
les Mamelouks). Mais Ladislas entend montrer que les Franciscains ont quand
même leur chance, à partir du moment où le pouvoir
politique s’engage si clairement en leur faveur. Ladislas veut frapper ceux qui
liront ou entendront lire cette lettre par l’évocation de l’engagement public
de l’ «imperator» affirmé au moyen de ses attributs personnels, les
drapeaux frappés du sceau du Khan, le tamga, (autrement dit les insgniis
imperatorum du texte) et par l’instance sémantique sur l’action de l’envoyé
(la procession traverse tous les quartiers, toutes les places). De plus, il
s’agit non seulement d’une simple punition des coupables, mais d’un acte de
soutien financier aux missions franciscaines, notamment à travers les
amendes infligées. Trois nouveaux campaniles sont construits: l’ancien édifice
n’est pas seulement restauré, et il est agrandi devant tout le monde sur ordre
du pouvoir. Ainsi, l’interprétation de l’évènement par le custode de Gazarie
n’est pas nécessairement exagérée. En témoigne à mon sens le
baptême public de Jaylak. En effet, quelque ait été la sincérité de la
conversion et du baptême, son inscription dans le temps est claire: il
s’agit d’une réponse à l’ambassade du frère Moïse
complémentaire de la restauration de l’église de Solgat. Le fait que Jaylak
soit bien une épouse puissante et importante, est confirmé par d’autres
événements et témoignages. Il s’agit bien évidemment de la même personne
que cette Bailak-hatun qui, d’après an-Nuwairī est envoyée porter
de vive voix un message à Toqtaï après la chute de Töla
Buqa, et qui lui désigne les émirs qui lui sont secrètement opposés, que
Toqtaï sur la demande de Nogaï fait exécuter sur le champ[73].
Si l’on recoupe les récits des historiens arabes et de Rachid-ad-din, Jaylak
était aussi la mère d’un des trois enfants qui ont cherché à
reconstituer
p. 291
la
principauté de leur père, Torai. Elle et son fils se sont opposés au
fils aîné de Nogaï, Ğögā, qui les aurait fait mettre à
mort, avant de se réfugier en Bulgarie devant la contre-attaque de Toqtaï.
Incontestablement, Jaylak était tout à fait dans la tradition de ces
femmes mongoles de pouvoir, qui participaient pleinement aux jeux politiques et
aux crises intestines. Son baptême n’en est que plus un soutien politique
aux Frères mineurs. Il implique la création d’un couvent à
Kirqyer et un engagement des Nogaïs (pour franciser le terme de «neugerii»
et désigner le camp et la famille de Nogaï), qui installe une nouvelle
fois les Franciscains à la tête de la communauté chrétienne de
Crimée, dont le document nous montre très clairement la diversité
d’origine: des Nestoriens (puisqu’au moins un des Franciscains est un Nestorien
converti), qui circulent en Asie centrale auprès des peuples turcs et
jusqu’en Chine depuis le Xe siècle, des Arméniens (n’oublions
pas le rôle des Arméniens dans les réseaux marchands, fortement établis
à Caffa, présents sur les routes de l’Asie, et dont des témoignages
franciscains du début du XIVe nous montrent la présence même
à Zayton en Chine[74]),
des Orthodoxes avec des structures épiscopales ou archiépiscopales déjà
installées, ce qui est loin d’être le cas des Latins. Cette démarche
complémentaire du soutien accordé aux Franciscains de Solgat est d’importance,
puisqu’il ne s’agit pas d’une simple conversion au christianisme latin, mais
qu’elle doit se faire avec la reconnaissance en public de tous les clergés
chrétiens, arménien et grec, qui, pour ce dernier, et dans la logique du texte,
aurait du être présent dans sa totalité, si manifestement la primauté que
ce baptême impérial conférait aux Franciscains n’avait pas été source de
mécontentement. Cependant, malgré l’opposition, une partie du clergé fut tout
de même obligée de venir, à contrecœur (licet omnibus
reluctantibus et invitis), pour sauver les apparences d’une communauté
chrétienne unie derrière les Franciscains choisis par la famille
impériale.
Puisque la démarche religieuse de Nogaï est toujours
à sens politique, c’est bien ainsi que la comprend le frère
Ladislas, qui décrit soigneusement pour ses interlocuteurs sa mise en
scène publique. De plus, lorsqu’il met en valeur l’épouse de Nogaï,
il montre bien que l’importance de l’acte dépasse la simple conversion privée
de Jaylak, et que ce qui est en jeu c’est l’engagement personnel de Nogaï.
La lettre s’avoue comme ayant un but publicitaire. En fait, elle se présente
clairement comme une lettre de lobbying (pour employer un terme
contemporain): le frère Laurent parti en Occident, et qui s’y active
sans doute à soutenir ses frères de Crimée, a demandé des
nouvelles et des preuves de succès, qui démontrent l’efficacité de
l’action franciscaine. Ladislas lui en envoie, et insiste sur la nécessité de
transmettre ces informations au général de l’ordre[75],
pour le gagner aux frères de Crimée et à leur action, que
certains, notamment du côté des partisans de l’alliance avec les Il-Khans
mettaient probablement en question. Le but de la lettre est donc de montrer que
malgré la présence musulmane, les Franciscains de Gazarie continuent de
progresser, et qu’ils sont sur le point de remporter un point décisif grâce aux
positions
p. 292
acquises
à la cour impériale où Jaylak l’épouse de Nogaï, dont on
suggère l’influence sur son époux, pourrait obtenir la conversion de ce
dernier, et dont toute l’action des Franciscains a pour but d’obtenir le
soutien: les Franciscains de Crimée ont choisi de jouer la carte de Nogaï
pour obtenir une protection et commencer une implantation à la cour
mongole, dont on espère qu’à terme elle permettra de convertir le
souverain, ce qui d’expérience est souvent le déclencheur d’un succès
missionnaire. Et de fait, Ladislas a de quoi soutenir son argumentation, car la
lettre nous montre effectivement selon toute apparence un revirement important,
avec la préséance donnée aux Franciscains sur les autres chrétiens, ce qui
explique au passage aisément le mécontentement du clergé «grec» si l’on se
rappelle la position privilégiée que celui-ci avait en Crimée grâce aux bonnes
relations de Bärkä, Nogaï et de Michel VIII. Cette nouvelle préséance
pourrait être liée à l’éloignement de Nogaï et d’Andronic II,
qui se traduit en termes de politique religieuse par une utilité moindre d’une
église orthodoxe de toute manière bien installée et soumise. On saisit ainsi
le ton général de la lettre: elle concerne effectivement tous les musulmans et
les Sarrasins de Crimée, qui doivent tenir compte du message envoyé par
Nogaï à l’Eglise latine par l’intermédiaire des Franciscains, qui
obtiennent une marque de faveur nouvelle qui va au-delà de la simple
tolérance mongole qui les avait laissé jusque là s’installer en Gazarie,
sans leur marquer de soutien particulier.
En effet, si l’on reprend les différentes données, on
peut se faire une idée du développement de la présence franciscaine
jusqu’à cette lettre de 1287. Le problème est difficile puisque
nous voyons apparaître dans la lettre du custode de Gazarie le terme de
vicairie de Tartarie Aquilonaire, mais que nous ignorons quand une telle
structure s’est mise en place: il s’agit de la première mention que nous
en ayons. De plus, même si, comme le suppose le père Golubovich,
la structure de la vicairie de Tartarie aquilonaire a été mise en place au
chapitre de Pérouse en 1263 (ce qui est très incertain: il n’existe
aucune mention d’une telle décision, et le seul argument que l’on puisse
avancer c’est qu’il semble bien qu’au cours de ce chapitre Bonaventure, outre
de créer certaines nouvelles provinces, ait voulu effectuer un découpage et une
organisation définitifs[76]),
il n’en reste pas moins que rien n’indique qu’il ne s’agissait pas là
d’une structure vide, d’un projet qui n’avait pas encore commencé à se
réaliser. Les vicairies ont peut-être été mises en place en tant que
structures administratives en 1263, notamment pour l’Orient (vicaria
orientalis). Cela ne veut pas forcement dire que la vicairie de Tartarie
aquilonaire ait été fondée en 1263 (un exemple de création ultérieure nous est
donné par la création de la vicairie de Cathay, à partir de 1291 et
l’arrivée de Jean de Montecorvino). Rien n’interdit de supposer que la vicairie
de Tartarie aquilonaire ait été crée elle aussi postérieurement à 1263,
au moment où il y eut vraiment une implantation franciscaine. Il me
semble un peu forcé de vouloir tirer du récit du frère Elemosina pour
l’année 1274 une preuve de l’existence d’une vicairie de Tartarie aquilonaire
dès 1263. A l’occasion du concile de Lyon, le frère Elemosina
explique comment les «Tartares», en l’occurrence l’Il-Khan Abaqa,
envoyèrent des ambassadeurs à Lyon qui reçurent le baptême.
Il rajoute: «Et legati nobiles Tartarorum in eodem concilio baptisati
fuerunt. Et gaudentes redierunt in Tartariam, regi suo et
p. 293
gentibus illis magnalia de Christi fide et sancta romana
ecclesia nutiantes. Et ex tunc in Tartaria Aquilonari ecclesia fidelium
plantavit. Ubi per fratres minores decem loca edificata, V in civitatibus, V in
exercitibus et campestriis pascualibus»[77].
Suit une description des premiers succès en Tartarie aquilonaire. Je
note d’abord que pour Elemosina qui écrit en Italie à une date beaucoup
plus tardive (à Assise vers 1335 nous dit le père Golubovich),
où toutes ces considérations politiques que nous avons décrites se sont
estompées, Tatares de Perse et Tatares de la Horde d’Or sont présentés comme un
tout: la chronique d’Elemosina est en fait une de ces chroniques du XIVe
siècle qui ont répandu ces récits de succès franciscains
miraculeux, en évacuant les facteurs politiques qui apparaissent dans des
documents contemporains comme la lettre du custode de Gazarie. Aujourd’hui
encore, nous sommes largement tributaires de cette mémoire franciscaine reprise
par la suite par Wadding, et, dans une moindre mesure, Eubel ou Golubovich. Je
note en gras cependant le ex tunc: selon cette source, en 1274, il n’y a
pas encore d’implantation sûre en Tartarie aquilonaire, et le texte
même me semble montrer que la vicairie de Tartarie aquilonaire est
postérieure à 1274 (plus précisément, dans l’esprit du texte, elle est
fondée peu de temps après 1274. Mais l’imprécision ne peut qu’être
qu’importante dans un texte qui attribue les succès en Tartarie
aquilonaire aux échanges diplomatiques avec les Il-Khans). De même, comme
le mentionne Golubovich lui-même, le premier envoi de missionnaires pour
la vicairie aquilonaire en tant que telle est mentionné en 1280, par une source
de la fin du XIVe siècle[78].
D’ailleurs Rubrouck n’avait rencontré aucun missionnaire en Crimée au cours de
son voyage en 1253, et la présence latine est encore de peu d’envergure jusque
dans les années qui suivent 1261 et le traité de Nymphée, et même jusque
dans les années 1270. Si des marchands vénitiens ont fréquenté Soldaya
dès les années 1250, il ne commence à y avoir une présence latine
permanente qu’avec la fondation de Caffa, au plus tôt en 1267, la véritable
ouverture de la mer Noire aux Génois étant un effet de la réconciliation
génoise et byzantine face à la montée en puissance des Angevins. Et
encore, l’installation n’est que très modeste avant 1281, quand le
premier consul génois est nommé. Le véritable développement du comptoir génois
ne peut pas être daté d’avant les années 1280, lorsque l’on commence voir
circuler régulièrement à Gênes de la monnaie caffariote[79].
Pourtant, la vicairie de Tartarie aquilonaire a toujours eu comme centre Caffa,
et la lettre de Ladislas nous montre en effet une implantation organisée
à partir de Caffa (où la lettre est écrite) et de Saraï.
L’implantation s’est donc développée à partir des colonies de Crimée et
des réseaux marchands qui reliaient la péninsule à la capitale de la
Horde d’Or. Le point de départ est très différent si l’implantation
missionnaire s’est faite à partir du royaume de Hongrie, ce que semble
indiquer la demande du provincial de Hongrie en 1279, manifestement bien
informé de l’action des premiers missionnaires auprès de la Horde d’Or
qu’il se propose d’encadrer à partir de la Hongrie et de Milcov. Si les
premiers missionnaires ont repris l’héritage de l’ancien évêché des
p. 294
Comans,
convertissant surtout entre Milcov et le Siret, cela signifie que les
premières implantations missionnaires se sont faites loin de la Crimée.
La contradiction me semble pouvoir être dépassée si tous tenons compte du
décalage chronologique entre les premières mentions de missions sur les
terres de la Horde d’Or faites en 1274 ou en 1279 et la lettre de 1287, et si
nous tenons compte du fait que la demande du provincial de Hongrie de 1279
indique justement qu’il n’existe pas de véritable structure ecclésiale, et que
l’on cherche à en créer une, ce qui ne fait que renforcer l’idée d’une
absence de structure missionnaire stable en 1274, structure qui ne s’est
développée que par la suite. Jusqu’à l’essor spectaculaire des colonies
italiennes, des missionnaires ont pu parcourir les terres de la Horde d’Or,
comme ils l’avaient fait au-delà du Siret et jusqu’à la Volga
à l’époque de l’évêché des Comans. Nous savons que les
missionnaires franciscains suivaient parfois les peuples nomades dans leurs
migrations et utilisaient des couvents mobiles ; la pratique est également
explicitement attestée par le frère Elemosina pour 1274 lorsqu’il décrit
les succès obtenus en Tartarie aquilonaire[80].
Les informations données par le provincial de Hongrie et par le frère
Elemosina sont en fait complémentaires: dans la seconde moitié des années 1270,
des missionnaires ont parcouru les terres de la Horde d’Or, sans avoir encore
une structure bien implantée qui les soutienne, et probablement sans s’appuyer
vraiment sur les colonies italiennes. L’information est importante: au début,
les premières avancées franciscaines ont été sans doute tolérées par le
pouvoir mongol sans qu’il n’y attache une importance particulière, mais
sont restées modestes. Le soutien montré par Nogaï est dès lors une
nouveauté, et la lettre du custode n’est pas anodine, elle n’est pas un récit
de succès parmi tant d’autres que nous aurions perdu. Les
premières avancées ont pu se faire à partir de la Hongrie et de
ses structures franciscaines et bénéficier du soutien de Béla IV et de Stéphane
V, qui y voyaient un moyen de se rapprocher avec Rome. Cependant l’essor réel
de structures franciscaines solides, calquées sur celles de l’Occident, s’est
probablement appuyé sur l’essor des colonies italiennes et des communautés
latines d’origine marchande sur le territoire de la Horde d’Or à la fin
des années 1270, et a atteint sa pleine maturité en même temps que les
colonies italiennes au cours des années 1280. Avec cet essor, les avancées
ultérieures ont été intégrées dans la structure missionnaire officielle, liée
aux marchands italiens, et les missionnaires d’expérience ont pu avoir une
place de choix dans ces structures. Il ne me semblerait pas absurde que ce
Ladislas, inconnu par ailleurs, s’il était effectivement hongrois, soit un cas
de ce genre: parti de Hongrie, après avoir parcouru les terres mongoles,
il serait devenu le titulaire d’une des charges les plus importantes des
structures franciscaines de la région, celle de custode de Gazarie. Le cas
pourrait d’ailleurs être similaire pour le frère Moïse, dont on
peut supposer qu’il n’a pas été envoyé à la cour mongole sans avoir une
connaissance réelle de ses coutumes et pratiques.
p. 295
Les évènements décrits par le custode de Gazarie
sont dès lors un réel succès diplomatique. Alors que les débuts
de la mission franciscaine sont incertains, qu’ils se sont fait dans l’anonymat
et l’indifférence mongole, tout à coup Nogaï choisit de s’engager
au côté du clergé latin et de le favoriser. Le témoignage le plus spectaculaire
de cet engagement, et de son côté inédit, c’est que le clergé latin peut
s’affirmer sur les autres clergés chrétiens, ce qui est là aussi un
reversement religieux et politique en Crimée. Si la lettre du custode de
Gazarie est notre premier document sur ces missions de Tartarie aquilonaire, ce
n’est peut-être pas seulement un effet des aléas de la transmission des
documents médiévaux. Cela pourrait aussi être du au fait qu’il s’agit ici
de la trace du premier engagement du pouvoir mongol en tant que tel à
accorder une véritable importance politique aux Frères mineurs au-delà
de la tolérance mongole traditionnelle et des contacts qui ont du se nouer dans
la capitale de la Horde d’Or, à Saraï, où les Franciscains
avaient déjà un couvent. Dès lors la lettre n’est pas un récit
anodin de mission, mais raconte un retournement politique dont bénéficient les
Franciscains, représentants du pape et de sa primauté. Reste à se
demander les raisons du revirement de Nogaï. La réponse me semble venir de
la date de la lettre qui, une nouvelle fois, n’est pas indifférente. La lettre
est écrite au mois d’avril de l’année 1287, et plus précisément, pendant la
fête pascale: il était urgent pour Ladislas de répondre à la
lettre de Laurent qu’il avait reçu le samedi saint, et manifestement, l’affaire
ne devait pas traîner. Le retour d’ambassade de Moïse, l’ambassade
à Solgat et le baptême de Jaylak ont selon toute vraisemblance eut
lieu l’année précédente, au début d’août 1286. Plus tôt au cours de la
même année, le frère Laurent est parti pour l’Occident, afin de se
rendre auprès du général de l’Ordre, et il a écrit pour s’informer des
évènements au frère Ladislas au début de 1287. Avant le départ de
Laurent, se sont produits l’attaque musulmane contre l’église des frères
de Solgat et l’envoi du frère Moïse en ambassade à la cour
de Töla Buqa et Nogaï, ce qui nous amène probablement à la
première moitié de l’année 1286 pour le départ de Moïse (à
partir du début du printemps si le frère Laurent est parti après
la fin du mare clausum) et à la fin 1285 ou au début 1286 pour
les déprédations musulmanes. Il faut à ce point de l’analyse apporter
une précision à ce que dit Golubovich. S’il a factuellement raison
lorsqu’il dit que la lettre du custode de Gazarie est destinée au général de
l’Ordre Matteo d’Acquasparta, en revanche ce n’est pas auprès de ce
dernier que le frère Laurent a été envoyé, et le custode de Gazarie
ignore à qui le frère Laurent s’adressera pour demander des
frères (d’ailleurs aucun nom n’est donné dans la lettre) pour la simple
raison qu’en 1286 il n’y a pas de ministre général et que Matteo d’Acquasparta
n’est nommé à la tête de l’ordre qu’en avril 1287, au moment
même où Ladislas rédige sa réponse à Laurent. En fait
lorsque le frère Laurent arrive en Occident en 1286, il n’y a pas de
ministre général car l’ordre est trop divisé pour en nommer un, et désigne un
vicaire provisoire. Ce n’est qu’à la mort de ce dernier que finalement
Matteo est désigné ministre[81].
La situation est délicate à l’intérieur de l’ordre franciscain, divisé
autour de problèmes d’orthodoxie (Pierre Jean Olieu vient d’être
condamné) et d’organisation institutionnelle (d’ailleurs la direction de
l’ordre avait déjà été confiée au même vicaire provisoire entre
1283 et 1285). On comprend dès lors l’importance du
p. 296
lobbying
des frères de Tartarie aquilonaire: dans une période où tout est
possible et où la politique franciscaine est à redéfinir, il est
important d’avoir quelqu’un sur place, surtout que les choses ne vont pas mieux
du côté de la Papauté, elle aussi vacante à partir d’avril 1287. Pendant
l’année 1286 les Frères mineurs n’ont pas de général, et une fois qu’ils
en retrouvent un, c’est la chrétienté latine qui n’a plus de Pape pendant un
an. Les frères de Tartarie aquilonaire ont voulu affirmer leur présence
à un moment dont ils savaient très bien qu’il était critique pour
les institutions de la chrétienté latine et la définition de leur politique.
Mais on ne peut pas non plus ne pas être frappé par la coïncidence
chronologique entre la démarche de Nogaï et les évènements de Hongrie,
à commencer par sa campagne menée en Transylvanie au cours de l’hiver
1284-1285. Les évènements racontés par la lettre interviennent entre
deux campagnes destinées à soumettre l’Europe de l’est, l’une en
Hongrie, l’autre en Pologne. Clairement, le choix de favoriser les Franciscains
de telle manière se fait au moment où Nogaï, tout à
ses affaires hongroises et est européennes, arrive à établir son
influence sur la Hongrie, influence fragile en raison de l’opposition acharnée
de la Papauté à l’idée d’une Hongrie sous influence de la steppe, et de
son engagement de longue durée, repris par les différents pontifes, à
confier la Hongrie aux Angevins, ce que Nogaï doit savoir, lui qui est
héritier de la tradition du pouvoir mongol, qui a toujours disposé d’une
capacité remarquable à collecter l’information. Dès lors, et
compte tenu des antécédents de Nogaï, il me semble que les
évènements relatés par le custode de Gazarie doivent être
interprétés comme une tentative d’apaisement de la part de Nogaï vis-à-vis
de la chrétienté latine par l’intermédiaire de ceux qui en sont les agents, et
perçus comme tels par les Mongols. De la même manière, Nogaï
conscient des hésitations génoises soutient l’église des Génois de Caffa, ce
qui ne l’empêche pas d’ailleurs d’accueillir les émissaires vénitiens. Ce
rapprochement avec les Franciscains, destiné directement à influencer la
Papauté qui s’est mise en guerre face à Nogaï est de nature
à entamer un rapprochement avec l’ensemble des pouvoirs latins, et il me
semble donc que l’on peut considérer que cette lettre témoigne d’un geste de
Nogaï pour se rapprocher de la Papauté et obtenir une cessation des
hostilités, en échange d’un soutien accru à l’église de Rome. Au
minimum, Nogaï cherche à convaincre les Latins qu’il n’est pas un
adversaire, et c’est cette idée que les frères de Tartarie aquilonaire
défendent en Occident. En allant un peu plus loin, on peut considérer
qu’à travers le baptême de son épouse il cultive volontiers
l’ambiguïté sur son rapprochement du christianisme, et laisse la porte
ouverte pour une évolution ultérieure, à cause de la nécessité où
il se trouve d’asseoir sa domination en Europe de l’est, et donc de faire
franchir à son influence les limites de la chrétienté latine considérées
par la Papauté comme intangibles (tout au moins dans le sens Est-ouest). De
même, il voudrait consolider ses soutiens du côté des cités marchandes
italiennes contre les Il-Khans, ou au minimum s’assurer que les marchands
latins ne vont pas entrer dans une alliance avec la Perse qui ne peut que se
retourner conte lui.
Il me semble donc très probable que c’est
l’ensemble d’une stratégie que nous voyons se mettre en place, dont laquelle
les Franciscains de Tartarie aquilonaire se font l’écho en Occident, et qu’ils
provoquent peut-être même en partie par cette ambassade envoyée
à Nogaï à la fin de 1285 ou au début de 1286. Après
tout, si Ladislas est Hongrois, si les informations circulent entre la Hongrie
et la Ghazarie et si les liens entre les
p. 297
Franciscains
de Hongrie et ceux installés chez les Tatares ont continué à exister
jusqu’en 1287, si les Franciscains de Ghazarie, au contact des Génois, sont
informés des évènements en Occident, pourquoi l’ambassade du
frère Moise n’aurait-elle pas présenté à Nogaï les Franciscains
de Gazarie comme susceptibles de plaider en sa faveur en Occident? Dans le
même ordre d’idée, nous remarquerons que Solgat est en plein cœur du
territoire de la Horde d’Or; nous ne sommes pas sur une marge mal maîtrisée.
Les mouvements de foules sont surveillés, et chacun connaît le Yasak et la
rigueur des pouvoirs mongols, qui n’ont aucune pitié lorsqu’il s’agit de punir
les manquements à cette loi à caractère sacré. Or
finalement, l’affaire se termine relativement bien pour les coupables des
déprédations de Solgat, punis à une amende (certes immense), alors qu’en
théorie il fallait effectivement un miracle pour les sauver de l’exécution. Ne
peut-on pas faire l’hypothèse que la clémence de Nogaï soit due
à une certaine passivité du pouvoir mongol au moment de l’attaque de
1285, voire à un accord implicite, à un moment où
Nogaï savait qu’il aurait à en découdre avec ses adversaires
latins? Après tout, cette manière de faire a été utilisée
plusieurs fois par les Mongols et les dirigeants de la Horde d’Or. Par exemple,
en 1322 et 1323 Özbäk a laissé le gouverneur de Crimée s’en prendre à la
communauté grecque de Soldaya, et la seule explication que l’on puisse y voir,
c’est une volonté de se faire bien voir des Mamelouks qui en 1321 avaient
laissé se dérouler de graves émeutes antichrétiennes[82].
La passation de pouvoir à la fin du règne d’Özbäg se fait de
même dans une atmosphère de conflit entre les communautés
religieuses de Saraï[83].
Il s’agit d’une certaine manière du corollaire de la politique
religieuse des Mongols: on se sert de la religion comme d’un outil de
rapprochement diplomatique, mais en cas de conflit, c’est aussi un moyen de
représailles. Dans ce cas, Nogaï, en conflit avec une Papauté qu’il
perçoit comme un opposant en Hongrie et dans les Balkans, et comme un soutien
aux Il-Khans qui influe sur ses alliés latins, aurait laissé la population
musulmane s’en prendre à ceux qui étaient considérés comme les agents de
la Papauté, les Franciscains de Gazarie. Puis, suivant ou non un calcul fait
dès avant l’incident, il se serait laissé convaincre par l’ambassade du
frère Moïse, et aurait adopté la posture de protecteur des
Franciscains, destinée à entamer un rapprochement avec la Papauté,
auquel il avait tout à gagner.
Quoiqu’il en soit, un autre personnage, à part le
frère Ladislas, me semble avoir compris que la politique de Nogaï
était en train de changer et qu’il fallait en tenir compte: c’est le chef du
peuple de «Vicum», dont la conversion est racontée par la fin de la lettre. La
localisation pose problème: Vicum n’est pas identifié, et ne peut
être rapporté à rien d’autre si ce n’est Vicina, sauf que le
rapprochement est incertain, et que Vicina est bien loin de Saraï,
où l’on s’attendrait à priori que le frère Moïse ait
mené son ambassade. A vrai dire l’ensemble du passage est très vague.
Dans le fond nous ne savons même pas où le frère Moïse
a vraiment mené son ambassade: aucun nom n’est cité. Certes, dès cette
époque la Horde d’Or a une véritable capitale, Saraï. Sans aucun doute, si
le frère Ladislas amène avec lui à Quirkyer le
frère Paul, l’ancien gardien du couvent de Saraï, c’est parce ce
dernier a eu l’occasion de fréquenter la cour du khan, et qu’il y a
peut-être connu Jaylak,
p. 298
qui
aurait pu demander sa présence au baptême. Cependant, la cour de la Horde
d’Or est longtemps restée nomadisant. Beaucoup plus tard, dans les années 1330,
Ibn Batttûta la rencontrait au nord du Caucase, auprès d’une
source d’eau thermale, et nous a laissé le récit de l’ordu en mouvement
qui arrivait semblable à une ville, avec ses mosquées et ses marchés sur
des chariots[84]. Il semble
même à lire la lettre, et à supposer que Jaylak ait été
envoyée à Quirkyer par son mari, qu’elle soit venue d’un autre endroit,
puisqu’elle arrive séparément des ambassadeurs de Nogaï et Töla Buqa.
Peut-être ceux-ci n’étaient-ils pas à Saraï avec l’ensemble
de la cour, où se trouvait Jaylak, mais se trouvaient-ils à un
point plus proche de la frontière occidentale de l’empire, où
Nogaï préparait l’invasion de la Pologne. Si nous partons du principe que
l’entrevue a eu lieu au cours de la première moitié de l’année 1286,
cela veut dire qu’un an auparavant Nogaï avait envahi la Hongrie avant de
se retirer, expédition au cours de laquelle, semble-t-il il a eu des pertes[85],
et qu’il était en train de reconstituer ses troupes pour les lancer cette
fois-ci sur la Pologne. Le gros des troupes n’a pas du être débandé au
cours d’une si courte période, et il se pourrait que le khan et Nogaï
aient été en train de superviser leurs troupes dans un espace pas trop éloigné
ni de le Pologne, ni de la Hongrie, ni de Vicina (par rapport à
Saraï), donc à l’ouest du Dniestr plutôt que sur la Volga. Dans ce
cas, on comprendrait également mieux pourquoi une telle discrétion dans la
lettre sur l’endroit où Moïse est allé pour porter son ambassade.
De toute manière, l’actualité était clairement à ces entreprises
militaires de Nogaï vers la chrétienté latine, et il serait surprenant que
les envoyés franciscains aient été ignorants de ces événements ; le
silence n’en est que plus frappant. Une nouvelle fois, il faut bien avouer nos
incertitudes et reconnaître que le lieu où se trouvai Nogaï
relève de la pure hypothèse ; mais du coup on ne peut pas
non plus utiliser cet argument contre l’identification de Vicum à
Vicina.
D’ailleurs le texte ne nous parle même pas
explicitement d’un passage du frère Moise par Vicum à son retour
de la cour des deux empereurs; il pourrait s’agir d’une visite pastorale
à ce Vicum où se trouve une église tenue par des Franciscains, voire
d’un accord préalable avec ce chef qui envoie son fils en délégation juste au
moment où le frère Moïse passe par Vicum, sans que
n’apparaissent des buts très clair à ce qui semble être un
détour. Car la lettre nous montre une implantation missionnaire déjà
présente, et l’existence de cette église où la femme malade est portée,
mais sans qu’aucun nom ne soit donné pour cette implantation, ce qui semble
indiquer que ce n’est qu’après le passage du frère Moïse que
le couvent de Vicum intègre de plein droit le réseau ecclésial
franciscain. Il me semble qu’il s’agit là de l’argument fort en faveur
de Vicina. A la lecture de la lettre, on acquiert la conviction que le couvent
est appelé à se développer et à devenir un lieu d’implantation
ecclésiale des Franciscains pour ce nouveau chef converti et son peuple. Or si
l’on reprend la première liste des couvents de Tartarie aquilonaire que
nous ayons, vers 1320, ce Vicum ne peut se rapporter à aucun autre nom
que Vicina, qui existe dès cette époque,
p. 299
sans
que nous sachions quand et comment le couvent s’est formé[86].
Les quelques éléments de description de la région se recoupent avec ce que nous
savons par ailleurs. A lire précisément la lettre, il me semble que l’on peut
déduire que l’implantation franciscaine était à Vicum même,
où vient le frère Moise, où le noble Tatare a fait porter
son épouse avant de se convertir, et où le chef envoie son fils en
ambassade quand il a apprend la venue de Moïse. En 1285, Vicina est
déjà un comptoir très développé, fréquenté par les marchands
génois[87]:
rien d’étonnant à ce que les Franciscains aient une demeure et une
église. La population de la région est très mélangée; à proximité
de Vicina se trouvent les Alains, peuple en partie christianisé. L’ensemble de
ce qui est raconté est donc très crédible pour la région de Vicina: non
seulement il n’y a pas d’autre nom de couvent que l’on puisse rapprocher de
Vicum, mais compte tenu de la carte de la présence latine sur les terres de la
Horde d’Or vers 1285 et de celle des populations chrétiennes, il me semble
qu’il n’y a pas non plus de région qui corresponde mieux au récit. Cela nous
permet encore une fois de voir comment les succès franciscains sont
aussi très liés à la consolidation de leur primauté sur les
autres communautés chrétiennes. La demande du chef de Vicum précise bien que
les chrétiens de son peuple devront être ramenés au sein de l’Eglise
catholique. Or une nouvelle fois, Vicina, avant d’être le lieu d’une
implantation missionnaire franciscaine encore embryonnaire, est avant tout un
évêché orthodoxe. D’ailleurs, lorsque les Alains passent après la
mort de Nogaï au service de l’empereur byzantin, c’est à
l’évêque de Vicina qu’ils font appel pour obtenir une médiation[88].
Le succès missionnaire doit beaucoup ici comme à Quirkyer et
à Solgat à la mission auprès des autres chrétiens,
d’autant plus importante si Vicum s’identifie avec Vicina. En ce sens, le chef
qui envoie son fils à Vicum, non chrétien mais avec une population de
plus en pus gagnée aux Frères mineurs, est tout à fait sur la
même ligne politique que Nogaï: les Franciscains doivent être
favorisés et recevoir la primauté sur l’ensemble des communautés chrétiennes,
qu’il s’agisse de nouveaux convertis ou de chrétiens d’autres confessions. Si
l’identification avec Vicina est correcte, ce chef de frontière, qui
participe aux campagnes de Nogaï (il est désigné comme un «millenarius»,
c’est-à-dire un chef de troupes) et qui se trouve au cœur de cet
espace que Nogaï essaye de réorganiser autour de son pouvoir applique lui
aussi la politique religieuse de Nogaï, d’autant plus facile à
suivre que son peuple est en partie chrétien. En sens contraire, si nous
regardons la coïncidence chronologique entre le retournement de Nogaï
vis-à-vis des Franciscains et la demande de ce chef militaire, faite
auprès du même frère Moïse, et que nous considérons
cette demande comme due à l’influence de la politique religieuse de
Nogaï qui se fait sentir sur ce chef, alors cette influence a bien plus de
chance de se faire sentir à Vicina, proche des domaines directement
dominés par Nogaï, que dans une région qui serait située beaucoup plus
à l’est.
p. 300
Il apparaît évident que la lettre, qui fait référence
à des miracles, veut inscrire l’action des Frères mineurs dans la
continuité de celle des évangélisateurs des premiers temps ou des missionnaires
du Haut Moyen Âge. En revanche, elle est très discrète sur les
lieux mêmes de l’action et les motifs de Nogaï, ce qui n’est pas
innocent: Nogaï est considéré à la cour pontificale comme un des
ennemis principaux de la chrétienté, à partir du moment où la
Hongrie est en train de passer sous son contrôle et de renouer avec son
héritage préchrétien. Le geste de Nogaï me semble donc devoir être considéré
comme un geste politique, dont la lettre du custode de Gazarie se fait l’écho,
en montrant Nogaï sous un jour favorable au christianisme. Par ailleurs,
obtenir des soutiens importants à la cour mongole, et notamment
auprès de la mère d’un des fils de Nogaï n’est pas anodin:
on peut bien entendu discuter de la sincérité de ces conversions et de leur
utilisation politique, mais rendre le christianisme présent à la cour
mongole, et installer son influence à partir de quelques points
sûrs aurait pu permettre sur plusieurs générations d’imposer le
christianisme aux souverains et à leur entourage. De fait, les khans de
la Horde d’Or et leur entourage se sont bien éloignés petit à petit de
leur héritage mongol d’un autre temps, celui de Gengis khan et des steppes de
la Mongolie; ils se sont convertis, mais à la religion musulmane. Comme
l’a montré Jean Richard, la conversion de Bärkä, élevé probablement dans la
religion musulmane de par la volonté de son père, témoignait de
l’attraction précoce d’une Transoxiane musulmane. Et pourtant, les
Frères mineurs n’ont pas épargné leur peine en Tartarie aquilonaire:
nous connaissons la langue comane grâce au Codex cumanicus, rédigé vers
1330, et à ses traductions d’hymnes religieux en langue comane par des
missionnaires franciscains. Plus étonnant encore, alors que les historiens des
missions aux époques modernes et contemporaines considèrent que mission
et nomadisme sont incompatibles, qu’une mission implique en premier lieu de
sédentariser, nos Frères mineurs n’ont pas hésité à nomadiser avec
les tribus qu’ils accompagnaient. Ils pouvaient aussi essayer de gagner les
autres chrétiens, et, Ibn Battûta en témoigne, la Crimée était loin
d’être musulmane vers 1330. Mais la cour l’était majoritairement.
Pourtant Nogaï, qui dans un premier temps avait repris la politique
musulmane de Bärkä, semble avoir voulu sous l’influence des Balkans et de
l’Europe de l’Est faire évoluer sa politique religieuse. Mais il voulait
surtout faire entrer cet espace sous la domination mongole, et si possible
aller au-delà, ce qui était inacceptable pour la Papauté.
Si notre interprétation de la lettre du custode de
Gazarie comme d’une tentative de lobbying destinée à minimiser le
conflit entre la Horde d’or et la Papauté est juste, il faut bien constater que
ce lobbying n’a donné aucun résultat. Le nouveau pape élu en 1288, Jérôme
d’Ascoli, le premier pape franciscain, qui fait du général de l’ordre, Matthieu
d’Acquasparta, un cardinal, reprend la lutte contre Ladislas de son
prédécesseur, et finit par prêcher la croisade contre le souverain
hongrois. Il reprend la politique de soutien aux Angevins, et l’ancien
négociateur de l’union de Lyon ne pardonne pas aux Byzantins ce qu’il conçoit
comme leur retournement et le non respect de leurs engagements. Manifestement,
la lettre du custode de Gazarie n’a pas eu grand écho, et n’est pas mentionnée
par la suite dans ces chroniques franciscaines qui ont forgé la mémoire
franciscaine. De fait, Nicolas IV relance le rapprochement entre la Papauté et
les Il-Khans, avec l’ambassade auprès d’Argun en 1288 d’un des
missionnaires franciscains les plus remarquables, Jean de Montecorvino, qui
reprendra la route de la Perse dès l’année suivante pour arriver cette
fois jusqu’en Chine et à Pékin à travers le golfe Persique et
l’océan
p. 301
Indien.
Nos Frères Mineurs de Tartarie aquilonaire n’ont guère reçu de
soutien de leur part de leur ordre et de la Papauté au moment où
celle-ci était la plus proche des Franciscains: l’alliance angevine et
l’alliance persane l’ont emporté, et l’action du frère Laurent en
Occident n’a guère donné de résultats. Ladislas IV finit assassiné en
1290, et Nogaï est renversé vers 1300 par Toqtaï, probablement
soutenu par les Génois, lequel ne tarde pas en 1307 à s’en prendre aux
colonies italiennes, devenues trop importantes et à l’alliance
incertaine. Lorsque la situation se stabilise à nouveau, c’est sous un
souverain musulman, Özbäg, et les Franciscains en sont toujours réduits
à demander de pouvoir faire sonner leurs cloches, ce qui est étonnant au
regard du récit de Ladislas, ce qui l’est beaucoup moins si l’on
considère que le geste de Nogaï relevait d’une politique qui a
complètement échoué. Les missions franciscaines gardent cependant une
influence véritable auprès de la Horde d’Or, mais les perspectives évoquées
et les gains politiques obtenus en 1287 ont certainement reçu un coup
d’arrêt. En revanche, la Hongrie est définitivement angevine à
partir de 1310 et de la victoire de Charles Robert, et se prépare à
reprendre son extension au service de la Papauté vers les Balkans et vers
l’Ouest de la Horde d’Or, où le pouvoir fort de Nogaï a disparu.
Les différents acteurs voyaient en 1287 que les jeux n’étaient pas faits ni en
Hongrie ni à la Horde d’Or. Mais le système diplomatique et institutionnel
de l’Eglise issue de la réforme grégorienne ne pouvait concevoir la mission
sans une extension parallèle de la latinité, complémentaire de la
croisade (comme le montrent bien les échanges avec les Il-Khans, dont le but
premier est la défense de la Terre Sainte). Dès lors, les chances de
réussite de la politique de Nogaï et l’alliance que le frère
Moïse et le frère Ladislas semblent avoir esquissé avec l’homme
fort de la Horde d’Or étaient bien minces. Il est également vrai que si
Nogaï ou ses successeurs avaient pu renouveler l’opération de 1285 en
Hongrie, rendue impossible par la Papauté et les Angevins, le rapport de force
entre chrétienté latine et Horde d’Or aurait pu considérablement évoluer.
L’échec de cette alliance annonce la fin de Nogaï, dont Marco Polo fut le
meilleur conteur. Pourtant, c’est vers 1300 que Nogaï fut renversé;
à cette époque Marco Polo venait de passer plusieurs années en captivité
à Gênes. Ce n’est donc évidemment pas au cours de son voyage qu’il
apprit la fin de l’histoire de Nogaï, mais en Italie, où l’on était
manifestement bien informé des derniers rebondissements du nord de la mer
Noire. Décidément, Nogaï n’était pas le chef quelconque d’une région
éloignée et inconnue, mais il était au centre des préoccupations politiques de
l’Occident latin.
Other articles published in
our periodicals by Thomas Tãnase:
For this material,
permission is granted for electronic copying, distribution in print form for
educational purposes and personal use.
Whether you intend to
utilize it in scientific purposes, indicate the source: either this web address
or the Annuario. Istituto Romeno di cultura e ricerca umanistica 6-7
(2004-2005), edited by Ioan-Aurel Pop, Cristian Luca, Florina Ciure, Corina
Gabriela Bãdeliþã, Venice-Bucharest 2005.
No permission is granted for
commercial use.
© ªerban Marin,
October 2005, Bucharest, Romania
Last Updated:
July 2006
Back to Homepage
Annuario 2004-2005
Back to
Istituto Romeno’s Publications
[1] Thomas Tãnase, «Le royaume de Hongrie et les missions
franciscaines dans les régions sous domination mongole du XIIIe
siècle au XVe siècle: un exemple de géopolitique
religieuse», dans Annuario dell’Istituto Romeno di Cultura e Ricerca
Umanistica di Venezia, V, no. 5, 2003, pp. 113-132.
[2] Nous avons travaillé à partir du texte qui fait
référence, celui de Girolamo Golubovich, Biblioteca bio–bibliografica della
Terra Santa et dell’Oriente francescano, II, Quaracchi 1913, no. 148, pp.
444-445; les références du texte d’Eubel sont Conrad Eubel, Bullarii
Franciscani Epitome, Quaracchi 1908, p. 165. Il existe une traduction
partielle du texte en français faite par Pierre Pelliot, Notes sur
l’histoire de la Horde d’Or, Paris 1950, pp. 77-79.
[3] Les implantations franciscaines en terre de mission,
(comme dans les régions de présence moindre en Occident), étaient organisées
non pas en provinces, comme à l’intérieur de la chrétienté latine mais
en vicairies (vicairies d’Orient, de Cathay, etc). Ici, nous voyons l’une
d’entre elle, celle du nord de la mer Noire, autrement dit de Tartarie du nord
(ou «aquilonaire»). Comme dans chaque province, la vicairie est divisée en
custodie. Les listes du XIVe siècle nous donnent deux
custodies, celle de Khazarie (ou Ghazarie), qui correspondait à peu
près à la Crimée et celle de Saraï, la capitale mongole
à proximité de la Volga. Chaque custodie regroupe un certain nombre de
couvents, généralement établis dans des villes, comme par exemple ici ceux de
Caffa, Solgat, Qirqyer en Crimée ou de Saraï.
[4] C’est-à-dire, d’après la datation établie
par G. Golubovich, le 2 avril, Pâques tombant en 1287 le 3 avril, et le premier
dimanche après Pâques (quasi modo geniti) le 10 avril.
[5] En fait «l’empereur Töla-Buqa et son mentor,
Nogaï» pour citer Jean Richard, La Papauté et les missions d’Orient
au Moyen Âge, Ecole française de Rome, 1998, p 90.
[6] Cum fratres omnes, nimio terore percussi, poeniterent
et Dominum quantum poterant exorerarent: le Père Golubovich donne
cette leçon, mais s’interroge sur le sens de la phrase: il se demande s’il ne
faut considérer le texte comme fautif et remplacer poeniterent par peterent.
Mis à part le fait qu’il me semble que l’on attendrait dans ce cas un
complément après peterent (verbe qui dans ce sens est transitif;
Ladislas lui-même emploie plus loin une construction beaucoup plus
usuelle, petere utilisé avec a suivi de l’ablatif: recitare et peterere
fratres ab eodem . La construction est en revanche tout à fait
conforme à l’usage avec un paeniterent intransitif), il me semble
surtout que le poeniterent n’est peut-être pas si absurde que cela
dans l’économie générale du paragraphe et d’une lettre au ton missionnaire: les
frères persécutés n’oublient pas qu’ils doivent aimer même leurs
persécuteurs, et une fois le dommage réparé, se prennent à regretter une
démarche qui aurait du amener à l’exécution de leurs persécuteurs,
évitée par une intervention divine soulignée par Ladislas (intervention qui de
surcroît, par l’amende infligée, donne aux Frères mineurs de Solgat une
fortune considérable). Faute de mieux, je m’efforce donc de garder et de
traduire le poeniterent, en gardant à l’esprit que tout cela
porte à débat et que le seul but de cette traduction est d’offrir au
lecteur un point de départ confortable dans la langue de rédaction de cet
article pour la discussion ultérieure, et ce sans prétendre aucunement que
cette traduction en français ait un caractère scientifique ou définitif,
le texte de référence pour toute discussion restant bien entendu le texte latin
établi par Golubovich dont nous avons donné les références.
[7] Qirqyer d’après J. Richard, op. cit., p.
77, note 2.
[8] Ymor, filium Molday dominum terrae.
[9] millenarius populi illius.
[10] G. Golubovich, op. cit., III, no. 42, p. 171 et
J. Richard, op. cit., p. 157.
[11] Jean Richard estime qu’il était sans doute d’origine
hongroise, Cfr. Ibidem, p. 88, note 88.
[12] G. Golubovich, op. cit., II, p. 262 et suivantes
et pp. 572-573.
[13] J. Richard, op. cit., p. 88.
[14] N. I. Veselovskij, «Han iz temnikov Zolotoj Ordy .
Nogaj i ego vremja», dans Mémoires de l’Académie des Sciences de Russie,
VIIIe série, XIII, no. 6, [Petrograd] 1922.
[15] Gheorghe I. Brãtianu, Recherches sur le commerce
génois dans la mer Noire au XIIIe siècle, Paris 1929;
René Grousset, L’empire des steppes. Attila, Gengis-Khan, Tamerlan, Paris 1939; Bertold Spuler, Die Goldene Horde. Die Mongolen in Rußland, 1223-1502, Wiesbaden 1965; Gh. I. Brãtianu, La mer Noire, des
origines à la conquête ottomane, Munich 1969.
[16] Reuven Amitai–Preiss, Mongols and Mamluks. The
Mamluk-Ilkhanid War, 1260-1281, Cambridge 1995; sur Nogaï voir plus
précisément les pages 79-90.
[17] Virgil Ciocîltan, Mongolii ºi Marea Neagrã în
secolele XIII-XIV. Contribuþia
Cinghizhanizilor la transformarea bazinului pontic în placã turnantã a
comerþului euro-asiatic, Bucarest
1998.
[18] Gh. I. Brãtianu, Recherches sur le commerce génois,
passim.
[19] ªerban Papacostea, Românii în secolul al XIII-lea
între cruciatã si Imperiul mongol, Bucarest 1993, ou ªerban Turcuº, Sfântul
Scaun ºi românii în secolul al XIII-lea, Bucarest 2001.
[20] Puisqu’à Solgat, la procession se fait «comitantibus
ipsum omnibus Latinis et aliis Christianis infinitis».
[21] B. Spuler, op. cit., p. 64.
[22] R. Amitai–Preiss, op. cit., p. 89, d’après
le témoignage du secrétaire de Baibars, Ibn ‛Abd al-Zāhir.
[23] J. Richard, «La conversion de Berke et les débuts de
l’islamisation de la Horde d’Or», dans Revue des Etudes Islamiques,
1967, pp. 173-184.
[24] B. Spuler, op. cit., pp. 42-44, pp. 49-52 et V.
Ciocîltan, op. cit., p. 232, sur la base des historiens Rachid-ed Din,
an-Nuwairi et Baibars.
[25] R. Amitai–Preiss, op. cit., p. 82.
[26] Tout au moins d’après la version de Al-Muffadal.
Cependant l’ensemble des sources mameloukes mentionne ce conflit et en donne
comme cause la rupture de l’alliance par Michel VIII et la rétention des
envoyés mamelouks, ainsi que la résolution du conflit par l’intermédiaire d’une
médiation mamelouke. Pour plus de détails voir V. Ciocîltan, op. cit.,
pp. 226-232 et R. Amitai–Preiss, op. cit., p. 84.
[27] Georges Pachymère, Relations historiques,
Paris 1984, I, III, 25, p. 302. Le mariage a sans doute eu lieu en 1269 ou en
1270, d’après Franz Dölger, Regesten des Kaiserurkunden des
oströmischen Reiches, III, Regesten von 1204-1282, 2è
édition, Munich 1977, no. 1984 a, p. 111. Nous voyons à ce propos qu’il
est un peu rapide de dire comme le fait Golubovich en présentant Nogaï que
ce dernier s’était révolté en 1259, et que Michel VIII s’est allié à lui
pour reprendre Constantinople en 1261.
[28] Correction d’après P. Pelliot, op. cit.,
en tenant du compte du système de transcription des noms mongols adopté
qui est celui de J. Richard, op. cit.
[29] G. Pachymère, Relations historiques, II,
IX, 26, p. 290.
[30] Voir l’articcle «Cherson» dans The Oxford
Dictionary of Byzantium, Oxford 1991.
[31] Ibn Battûta, Voyages, II, traduction de C.
Defremery et B. Sanguinetti, Paris 1982, chapitre 3: La Russie méridionale,
p. 203.
[32] Jean Meyendorff, Byzantium and the Rise of Russia,
New York 1989, p. 46.
[33] B. Spuler, op. cit., p. 37, explique la fondation
de l’évêché par la présence d’Alexandre Nevsky sur place, à
Saraï, en 1263 (il meurt sur le chemin du retour). Mais Bertold Spuler
nous donne aussi dans le même ouvrage, p 231, une liste d’évêques
de Saraï qui commence en 1261. On peut également consulter J. Meyendorff, op.
cit., p. 45, et pour Soldaya, Ibidem, p. 51.
[34] Guillaume de Rubrouck, «Itinerarium», dans A. Van den
Wyngaert, Sinica franciscana, I, Quaracchi 1929, épilogue, p. 331.
[35] G. de Rubrouck, «Itinerarium», XVIII, p. 209, «De
Sartach autem utrum credat in Christo vel non nescio. Hod scio quod christianus
non vult dici, immo magis videtur michi deridere christianos. Ipse enim est in
itinere christianorum, scilicet Ruthenorum, Blacorum, Bulgarorum […] Alanorum,
qui omnes transeunt per eum quando vadunt ad curiam patris sui, defferentes et
munera, unde magis amplectitur eos».
[36] G. Pachymère, Relations historiques, I, V,
5, p. 448.
[37] Ibidem, I, III, 3, p. 235; cette fille naturelle
de Michel est arrivée en Perse après la mort de Hüläghü, et a épousé son
fils, Abaqa, le nouveau khan, ce qui situe son arrivée après le 8
février 1265, et les négociations pour le mariage exactement au moment
où Michel retenait les ambassadeurs mamelouks à Constantinople.
[38] Michel Balard, La Romanie génoise (XIIe-début
du XVe), I, Paris 1978, pp. 49-50.
[39] Le fait est noté par Fr. Dölger, Regesten der
Kaiserurkunden, III, no. 1984 a, p. 111 (l’information est reprise du judicum
venetorum decisiones piraticae publié par G. L. Fr. Tafel et G. M. Thomas, Urkunden zur älteren Handels und Staatsgeschichte
der Republik Venedig mit Besonderer Beziehungen auf Byzanz und die Levante,
III, Vienne 1856, p. 245).
[40] Voir V. Ciocîltan, op. cit., pp. 69-76 pour
l’ensemble de l’épisode; pour l’ambassade de Bar Çauma, voir J. Richard, «La
mission en Europe de Rabban Çauma et l’Union des Eglises», dans [Il] XII
Convegno Volta: Oriente e Occidente nel Medioevo, Rome 1957.
[41] Freddy Thiriet, Délibérations des assemblées
vénitiennes concernant la Romanie, I, Paris 1966, no. CXXIV, p. 55.
[42] Le roi Héthoum I avait envoyé son frère Sempad
auprès des Mongols, avant de se rendre lui-même à la cour
de Möngkä, presque au même moment que Rubrouck; voir C. Mutafian, Le
royaume arménien de Cilicie, Paris 1993, p. 55.
[43] Ibidem, pp. 74-79.
[44] V. Ciocîltan, op. cit., p. 65.
[45] J. Richard, La Papauté et les missions d’Orient,
p. 52 et C. Mutafian, op. cit., p. 70.
[46] J. Richard, La Papauté et les missions d’Orient,
p. 103.
[47] G. Golubovich, op. cit., II, no. 1, pp. 1- 61,
pour la datation voir p. 6.
[48] Ibidem, pp. 47-48.
[49] Donald M. Nicol, The last Centuries of Byzantium,
1261-1453, 2èmé édition, Cambridge 1993, p. 64.
[50] Steven Runciman, The Sicilian Vespers, Cambridge
1992, p. 206; sur l’ensemble du contexte préparant les Vêpres
Siciliennes, voir les chapitres XI et XII du même ouvrage, pp. 171
à 213.
[51] S. Runciman, op. cit., p. 198 et D. M. Nicol, op.
cit., p. 68.
[52] Annales placenti Gibellini, Monumenta Germaniae
Historiae, p. 553: «eodem tempore domnus rex Castello […] fecit
multas parentellas in contrarium regis Karoli […] Alteram vero filiam dare debet filio ducis Paliologhi
imperatori Graecorum inimico dicti regis Caroli […] Unam vero neptem suam dare debet magno cani imperatori
Tartarororum qui est inimicus regis Ungariae cum quo dictus Karolus duplices
parentellas fecit, dedit, et accepit».
[53] Ibidem, pp. 553: «et rex arogenensis […] transire
voluit et non potuit propter ferocitatem maris, secum ducit filiam suam, quam
copullavit in uxorem regi Tartarorum vel eius filio, qui Tartarus est inimicus
Sarracenorum».
[54] Nous avons raconté plus haut comment Ğögā
avait tenté de faire main basse sur la Bulgarie et s’était allié à
Svetoslav, à la fois son beau-frère et le fils de Terter.
[55] B. Spuler, op. cit., pp. 72-74.
[56] Sur l’ensemble du règne voir G. Kristo, Histoire
de la Hongrie Médiévale, I, Rennes 2000, pp. 149-158.
[57] C’est l’analyse que fait B. Spuler, op. cit., pp.
69-70.
[58] G. Vernadsky, Mongoli i Pys, Moscou 2000, pp. 187-188.
[59] P. Engel, The realm of St. Stephen,
Londres–NewYork 2001, p. 97.
[60] La question des frontières de l’évêché des
Comans pose clairement problème. Si le Carmen miserabilis en
situe la frontière orientale sur le Siret, et que sa capitale pourrait
avoir été Milcov, en même temps la domination des Comans qu’il avait pour
vocation d’évangéliser et d’où il tirait son nom avait ses
frontières sur la Volga. C’est ce qui fait dire à Jean Richard
que l’évêché allait bien au-delà du Siret, et qui me fait parler de
frontières virtuelles: il est possible que l’évêché à
proprement parler et les infrastructures ecclésiales se soient trouvés dans la
limite du Siret, mais cette infrastructure avait vocation à s’étendre,
et certains missionnaires pouvaient s’être installés au-delà; voir
J. Richard, La Papauté et les missions d’Orient, p. 25.
[61] Voir l’article cité en entrée, T. Tãnase, op. cit.,
passim et notamment les pages 119-121.
[62] Ponificia commissio ad redigendum codicem juris
canonici orientalis, series III, IV/1, Acta Innocentii IV, 1ère
partie, édition rédige par T. Haluscynkyi et M. M. Wojnar, Rome 1960, no. 112,
p. 191.
[63] Pour un commentaire sur ce projet d’alliance ainsi que
sur les relations de Béla, Etienne et les Mongols, voir ª. Papacostea, op.
cit., pp. 117-122.
[64] Pour une étude détaillé de la légation de Philippe de
Fermo d’un point de vue ecclésial, voir ª. Turcuº, op. cit., pp.
121-126.
[65] P. Engel, op. cit., p. 109.
[66] Registres et Lettres des Papes du XIIIe
siècle. Honorius IV, édité par M. Prou, Bibliothèque des
Ecoles françaises d’Athènes et de Rome 1888, no. 761, p. 539 (12 mars
1287). Honorius demande à Ladislas de reprendre son épouse et de «Tartarorum,
Sarracenorum, Neugeriorum et paganorum, cum quibus se confederaverat, dimissis
erroribus, ad ecclesiam et mores christianos revertur»; l’archevêque
de Strigonien reçoit le droit de prêcher la croisade contre ces
différents peuples, et, au cas où Ladislas ne voudrait pas reprendre son
épouse «tunc per censuram ecclesiasticam compellat».
[67] Registres et Lettres des Papes du XIIIe
siècle. Nicolas IV, édité par E. Langlois, Bibliothèque des
Ecoles françaises d’Athènes et de Rome 1886-1893, no. 201, p. 32 (8
août 1288).
[68] Sur le territoire de Nogaï ainsi que sur sa chute, voir
V. Ciocîltan, op. cit., pp. 231 à 239.
[69] L’expression «Kälär et Bašgird» utilisée par
Rashid-ed-din pour désigner le lieu de fuite renvoie généralement à la
Hongrie (de la Volga ou de Pannonie); voir P. Pelliot, op. cit., pp.
139-141 et V. Ciocîltan, op. cit., p. 234.
[70] Nous reprenons bien évidement ici l’analyse faite par
Gh. I. Brãtianu, Recherches sur le commerce génois, passim.
[71] V. Ciocîltan, op. cit., pp. 232-233.
[72] G. Pachymère, Relations historiques, II,
VII, 29, p. 92 et VII, 37, p. 120; Victor Spinei, Moldavia in 11th-14th
Centuries, Bucarest 1986, p. 121.
[73] Sur l’assimilation de Bailaq et Jaylak, voir P. Pelliot,
op. cit., p. 87; sur le récit d’an-Nuwairi voir V. Ciocîltan, op.
cit., p. 233.
[74] Voir la lettre d’André de Pérouse dans A. Van den
Wyngaert, Sinica franciscana, I, notamment pp. 374-375.
[75] «Haec igiur omnia, si videbitur, poteritis venerabili
patri Misnistro generali recitare et peterere fratres ab eodem».
[76] G. Golubovich, op. cit., II, no. 14, p. 262.
[77] Ibidem, no. 6, p. 125.
[78] «Chronica XXIV Generalium Ordinis Minorum», dans Analecta
Franciscana, III, 1897, p. 372.
[79] M. Balard, op. cit., I, pp. 114-118.
[80] Elemosina décrit cette première implantation: «Inter
istos Tartaros pastores gregum, fratres minores Sancti Francisci habent quinque
loca mobilia in papilionibus filtro coopertis, et cum Tartaris moventur de loco
ad locum, in curribus portantes loca et libros et ustensilia, qui Tartaris
predicant et baptizant et administrant credentibus sacramenta» (G.
Golubovich, op. cit., II, no. 6, p. 125).
[81] Lucas Wadding, Annales minorum, V, 3ème
édition, Quaracchi 1932, p. 167.
[82] V. Ciocîltan, op. cit., p. 177.
[83] J. Richard, La Papauté et les missions d’Orient,
p. 160.
[84] Ibn Battûta, Voyages, II, chapitre 3: La
Russie méridionale, pp. 216-217 et B. Spuler, op. cit., p. 264.
[85] V. Spinei, op. cit., p. 122.
[86] G. Golubovich, op. cit., II, no. 14, p. 262; voir
le catalogue publié par C. Eubel, Provinciale ordinis Fratrum Minorum
vetustissimum secundum Codicum Vaticanum Nr. 1960, Quaracchi 1892.
[87] M. Balard, op. cit., I, pp. 144-147.
[88] Gh. I. Brãtianu, Recherches sur Vicina et Cetatea
Albã, Bucarest 1935, p. 38, sur la base de G. Pachymère, Relations
historiques, II, V, 3.