Sur le vénitien Gian Giacomo Locadello,
un prétendant princier peu connu
Cristian Luca
Université de Galaţi
In honorem magistri Ştefan Ştefănescu
I
l y a, dans l'historiographie roumaine, une série d'opinions diverses sur un personnage controversé, bien que pas fameux, à savoir le prétendant vénitien Gian Giacomo Locadello. Les différences consistent justement en l'acceptation ou le refus ab initio de son identification avec un autre citoyen de la Serenissima Repubblica, le marchand Bartolomeo Locadello, auteur hypothétique d'une Brève description de la Valachie [1], impliqué dans le commerce en Valachie et dans la politique au service de Matei Basarab. Traitée d'une manière trop sommaire dans la littérature de spécialité, la candidature de Gian Giacomo Locadello au trône de la Moldavie se doit être reconsidérée après avoir soigneusement étudié les documents contemporains, susceptibles de relever de nouvelles informations sur l'identité de ce prétendant et sur tout le problème qui le concerne.Au fait, tout ce que nous savons maintenant sur lui-même et ses actions entreprises afin d'occuper le trône est dû à des sources documentaires italiennes [2] et hollandaises [3] renfermant des informations de grande importance consignées dans la capitale de l'Empire Ottoman ou bien issues d'ici. A partir de ces sources, M. Ciuntu esquissait en 1940, l'évolution sinueuse des négociations de Constantinople pour le trône moldave, pendant l'intervalle chronologique 1622-1623, tout en considérant que Gian Giacomo Locadello et Bartolomeo Locadello sont deux personnages distincts, ayant vécu et agi dans des périodes et des conditions différentes, et tenant une position individualisée dans l'évolution des événements politiques qui concernaient l'histoire des Roumains dans la première moitié du XVIIe siècle [4]. Dans l'absence d'une explication plausible des raisons pour lesquelles la même personne s'appelle en 1622-1623 Gian Giacomo Locadello et après 1629, Bartolomeo Locadello, une biographie [5] relativement récente du dernier le considère comme celui qui a aspiré au trône de la Moldavie mais aussi qui a eu de nombreuses liaisons avec la Valachie; et l'auteur de considérer, sans réserve, qu'il faut envisager un seul protagoniste des exploits. Dans l'histoire des relations roumano-vénitiennes, la candidature du prétendant vénitien au trône de la Moldavie constitue un moment à part, soulignée par une nouvelle contribution à l'étude des relations roumano-vénitiennes: "[...] Gian Giacomo Locadello, segretario del bailo, di famiglia bergamasca inserita nella rete commerciale tra Venezia e Cipro [...] avrebbe ottenuto il trono per pochi giorni: l’unico documento che gli attribuisce il titolo di principe sembra autentico, lasciando chiare tracce di questo curioso episodio" [6].
Quant à nous, nous avons l'intention d'éclaircir ce "curioso episodio", dans la mesure où les documents publiés et la valorisation d'une source inédite nous le permettent, tout en plaidant en faveur d'une délimitation précise entre les événements de la période 1622-1623 et ceux d'après 1629 et, implicitement pour accepter l'individualisation des deux protagonistes: Gian Giacomo Locadello et, respectivement Bartolomeo Locadello.
Il se pourrait qu'il y ait une relation de parenté entre les deux, ce qui suggère que le prétendant vénitien, tout comme le négociant, avait ses racines à Bergamo, une ville de la terraferma de la République de Saint Marc. Son père, "excellent bourgeois et avocat à Venise" [7], s'occupait du commerce vénéto-ottoman, ayant des relations d'affaires avec les marchands de Constantinople, là où Gian Giacomo Locadello lui-même prenait une part active au déroulement des transactions commerciales, en tant que représentant des négociants de la lagune [8]. N'étant pas issu d'une des famiglie patrizie, et par conséquent n'ayant pas la permission de suivre cursus honorem qui lui aurait assuré l'accès aux hautes dignités de l'Etat, Gian Giacomo Locadello remplissait la fonction de secrétaire [9] du baile vénitien à Constantinople, et continuait cependant à s'occuper de ses propres intérêts commerciaux. Les transactions avec les marchandises vénitiennes de luxe – étoffes de choix et, peut - être bijoux ou verrerie – ont rendu plus faciles ses contacts avec les hauts dignitaires de la Sublime Porte et il a attiré l'attention de la soeur du sultan Osman II, qui avait manifesté de l'intérêt pour les marchandises envoyées de la ville de Saint Marc à Locadello [10]. C'est à elle qu'il a livré "robbe [mercantili] [...] per il valor com’egli dice di 12 mille scudi" et en échange elle proposa au secrétaire vénitien, à la suggestion, paraît-il, de ses intimes, un soutien politique nécessaire en vue des négociations destinées à déterminer le Sultan de lui donner le trône de la Moldavie [11]. Il se peut que sa première tentative d'être investi sur le trône de l'un des Pays Roumains, la Valachie en l'occurence, fût en 1618, fait supposé aussi dans une traduction roumaine de 1835 d'après l'original slavone perdu d'un document émis le 2 juin 1620 à l'ordre de Gavril Movilă, prince régnant de la Valachie, acte par lequel on renforçait le droit de propriété des paysans libres du département de Vâlcea, terrains qu'ils possédaient "dès les règnes du Voïvode Alexandre, du Voïvode Mihnea, Mihail et Alecsandre Voïvode et encore Ioan Iacov Voïvode" [12]. Les princes régnants mentionnés dans ce document sont Alexandre II Mircea (1568-1577), Mihnea II le Turc (1577-1583, 1585-1591), Michel le Brave (1593-1601) et Gian Giacomo Locadello, qui prétendait être le fils d'Aron le Tiran (1591, 1592-1595) et prenant l'identité de Ioan Iacov. S'il est bien vrai que c'est une copie d'un document authentique, alors on pourrait admettre un règne éphémère du Vénitien Gian Giacomo Locadello en Valachie [13], pendant la révolte de Lupu Mehedinţeanu, mais sans avoir effectivement exercé les prérogatifs qu'il détenait depuis quelques jours seulement [14]. Par conséquent, nous avons du mal à accepter que le règne bref du Vénitien – si on le prend pour réel - se soit en quelque sorte matérialisé ou bien eût eu quelque échos dans la Valachie de l'an 1618. Nous pensons que ce document interne qui fait référence à Ioan Iacov Voïvode est bien douteux et doit être considéré avec beaucoup de prudence.
Les aspirations du secrétaire Gian Giacomo Locadello allaient bientôt être connues à Constantinople: l'ambassadeur hollandais Cornelius Haga notait dans son rapport du 19 février 1622 l'intérêt du Vénitien pour "la principauté de la Moldavie", tout en considérant que les démarches du prétendant se faisaient "sans que le baile [...] fût intéressé [...] tant soit peu" à celles-ci [15]. Et pourtant, témoignant encore une fois du réseau informatif remarquable des représentances diplomatiques de la Serenissima, le baile Zorzi Giustinian informait à son tour, en hâte, à la même date – " [...] come ho scritto nelle mie de 19 febraio a quei Eccellentissimi Signori", et mentionnait dans un dispacci ultérieur – les efforts entrepris par Locadello pour occuper le trône de la Moldavie [16]. Au commencement du mois de mars, la même année, le secrétaire vénitien avait un entretien avec le dragoman du Grand Vizir et il se montrait prêt à offrir "50 mila taleri per il Re [le Sultan n.n.] 40 mille per il Visir, et 15 mille ad esso Talchis", tel qu'il est inscrit dans la correspondance que le baile a adressée au doge [17], et prétendait être le fils du feu Aron Voïvode le Tiran [18], geste qui devait assurer la légitimité requise pour son aspiration au trône. A Venise, le Sénat de la République de Saint Marc considérait les intentions de Locadello inacceptables et, après avoir écouté le père de celui-ci et s'être convaincu du tournant dangereux que toute cette affaire pouvait prendre pour l'État, transmettait à son diplomate de Constantinople des dispositions précises: "[...] doverete per quelle vie caute sicure et manco strepitose assicurarvi della sua persona per mandarlo poi con buona custodia quanto prima in questa città nostra [...] [et] consignare immediatamente tutte le scritture publiche et sostituire il luogo suo di segretario al fidelissimo Angelo Alessandri" [19]. Aussitôt le baile procéda à la destitution de Locadello, avant le 30 avril 1622, mais ne pouvait pas l'arrêter, parce que: "non habitando egli più in questa casa [la résidence diplomatique vénitienne n.n.], ma in quella dentro in Pera, dove teniva le sue robbe mercantili, non si potria se non usar con gran violenza e tumulto, et con manifesto pericolo di male conseguenze" et il explique, dans la même lettre adressée au doge à la date sus-mentionnée, que les ambitions de son ancien secrétaire étaient nourries par l'attitude de la soeur du sultan qui préférait payer les marchandises qu'on lui avait fournies par des promesses d'appui pour le trône de la Moldavie; autant en firent quelques-uns de ses proches stimulés eux-aussi par le prétendant lui-même enclin à récompenser généreusement ses souteneurs [20]. Zorzi Giustinian rapportait à son tour aux hauts magistrats de la ville lagunaire, Inquisitori di Stato [21], la situation de Gian Giacomo Locadello et, tout en connaissant les intentions des Ottomans de récompenser Radu Mihnea – pour avoir servi d'intermédiaire dans le conflit entre la Sublime Porte et la Pologne – et investissant son fils Alexandre sur le trône d'un des Pays Roumains, il relatait amplement à celui-ci les intrigues auxquelles s'est livré le candidat vénitien à Constantinople. C'est ainsi que de telles informations étaient oralement présentées à Bartolomeo Minetti, le beau-frère du voïvode de Valachie, et transmises par écrit à Radu Mihnea, au cours du mois d'avril 1622 [22]. La persuasion dont Locadello a fait preuve et ses liens avec de hauts dignitaires turcs, conséquence naturelle des faveurs que la soeur du sultan lui accordait – mais aussi des marchandises vénitiennes de luxe qu'il leur offrait – ont engendré d'innombrables rumeurs sur la finalité de ses efforts pour se hisser sur le trône de la Moldavie. Un avviso de Venise, daté le 26 mars 1622, apportait à Rome la nouvelle de la nomination de Giovanni Jacomo Locatelli en tant que Prencipe di Moldavia [23]. En voilà une affirmation qui laisse croire que c'était bien le Sultan qui avait investi Locadello comme prince régnant de la Moldavie. Au fait, cet avis transmet des informations surévaluées, ce qui nous fait affirmer que la rumeur de l'investiture du prétendant vénitien sur le trône moldave n'est qu'une conséquence de l'intensification de ses démarches dans ce sens et nullement une certitude que l'on doive croire sans réserve. D'ailleurs, il n'y a pas de document vénitien important – et surtout la correspondance envoyée par le baile de Constantinople aux magistratures de la République, ne relève d'un résultat positif aux insistances de Locadello auprès de la Sublime Porte, situation qui, juste par l'importance de son impact sur la politique étrangère de la Serenissima, n'aurait pas échappé à l'attention du représentant diplomatique de celle-ci dans la capitale de l'Empire Ottoman.
Dans une instruction que le Sénat à adressée au baile Zorzi Giustinian on lit que ce dernier a essayé de suivre de près les actions de Locadello et en a expédié avec régularité des notes à la ville de la lagune: à ces rapports s'ajoutent aussi ceux du 5 et 19 mars 1622 [24] et 2 avril [25] de la même année, dont le contenu reste, pour l'instant, indirectement et succintement connu, et ils s'inscrivent parmi les mesures destinées à décourager ou bien à éliminer la possibilité d'accomplir les aspirations du secrétaire vénitien. Trois dispositions, datées le 13 mai 1622, émises par le même haut organisme de la Serenissima Repubblica, après avoir consulté le Conseil des Dix – magistrats qui désappouvaient eux-aussi l'attitude de Locadello – offraient au baile les garanties financières et politiques requises pour prendre des mesures immédiates soit pour arrêter, soit pour liquider l'ancien fonctionnaire de la représentance diplomatique vénitienne à Constantinople; les documents en question sont assez explicites quant à la manière de saisir les intrigues qui portaient atteinte aux principes de la politique étrangère et la solution indiquée juste pour des raisons d'État, tout en confirmant à Zorzi Giustinian la pleine "autorità di spendere fino alla summa di cecchini due mille... acciocchè per qualunque sicura via per la morte di costui [Gian Giacomo Locadello n.n.] resti libera la Republica da quelle molestie che si potriano ricevere" [26]. Malgré l'opposition que Venise manifestait envers ses aspirations, Locadello a poursuivi son but, tout en s'efforçant de hâter l'adoption d'une solution favorable à son égard et il a utilisé à cet effet tout ce qu'il possédait: les marchandises envoyées à Constantinople pour être vendues soit par son père soit par les négociants dont il était le représentant, mais aussi les crédits contractés qu'il garantissait avec une bonne partie des mêmes biens commerciaux [27].
Il paraît que les entretiens du baile Giustinian avec le grand vizir et d'autres hauts dignitaires ottomans ont porté fruit car la diplomatie vénitienne reçut des promesses fermes que l'ancien secrétaire ne serait pas sur le trône de la Moldavie [28], mais tous ces traités allaient être foulés aux pieds par les nouvelles réalités dans la Capitale de l'Empire Ottoman après la révolte des janissaires qui a mené à des changements importants dans le pouvoir. Locadello a essayé d'en tirer profit, car il comptait sur ses liaisons avec le commandant des janissaires et ses proches, et espérait bien jouir, dans ces circonstances, de l'appui nécessaire pour que le nouveau Sultan Mustapha Ier l'investît au trône de la Moldavie [29]. Mais le baile vénitien a tenté de contrecarrer les actions du prétendant et a demandé au grand vizir d'ignorer les propositions insistentes que celui-ci et ses souteneurs faisaient pour penser à un changement au trône moldave et il souligne l'imposture du candidat car il s'était acquis une ascendence princière fictive. Après deux messages de ce type adressés au grand vizir par des intermédiaires [30], Zorzi Giustinian parvint à obtenir une audience au début du mois d'août 1622, pendant laquelle il a eu la possibilité de réitérer l'opposition catégorique de Venise envers les prétentions de l'ancien secrétaire à son Ambassade de Constantinople [31]. Bien que dans la lettre envoyée au doge Antonio Priuli (1618-1623) le 6 août 1622, Giustinian précise le fait que le grand vizir lui avait confié "[...] che [...] non si pensava a far mutatione in quel Principato [Moldavie n.n.], et che quando saria il tempo haveria a memoria il mio ufficio, e la effettuatione del mio desiderio" [32], le Sénat vénitien savait, du même diplomate, peut-être, que "[...] [il] Visir promette di non darli il Principato di Moldavia se gli desse tutto l'oro di Venetia" [33]. Mais ce haut forum de la Serenissima Repubblica connaissait des faits récents sur les démarches incessantes de Locadello, et le sénateur Alvise Contarini d'écrire dans ses notes sur les débats du Consiglio dei Pregadi que, pendant que le dignitaire turc confirmait devant le baile l'opposition de la Porte à la candidature de Locadello au trône de la Moldavie, celui-ci ne cessait pas de suivre, infatigablement, son désir d'accéder au trône par l'appui du commandant des janissaires et des fonctionnaires influents auprès du Sultan, auxquels il avait payé des sommes considérables pour soutenir sa cause [34].
Concerné pour la perspective de possibles conséquences négatives dans les relations vénéto-ottomanes, comme suite à l'intérêt qu'un citoyen de la République avait pour le trône d'un pays vassal à la Porte, le Sénat de la Serenissima essaya de trouver une solution pour empêcher la continuation des actions de Locadello. C'est ainsi que, le 22 juillet 1622 Alvise Contarini prononça un discours dans le Sénat où il exposa grandement les dégâts subis par la Venise à cause des ambitions de l'ancien secrétaire du baile de Constantinople, tout en exprimant la conviction que la seule solution dans ce cas c'est la dynamisation des efforts entrepris par Zorzi Giustinian dans le but de faire le grand vizir et le Sultan refuser les sollicitations de Locadello et, implicitement, les propositions des dignitaires turcs qui le soutenaient [35]. D'autre part, le prétendant vénitien ne se montrait pas disposé à céder dans la confrontation avec toutes les adversités et il chercha des souteneurs parmi ceux qui auraient été directement intéressés à un éventuel changement de prince régnant en Moldavie. Une lettre qu'il avait signée Iovan Iacobo Vaivoda [36], et où il offrait à la Pologne ses services d'intermédiaire de la paix entre les Polonais et les Turcs, en sa qualité de futur voïvode de la Moldavie, fut interceptée par Ştefan II Tomşa et expédiée à Cornelius Haga, l'ambassadeur hollandais à Constantinople qui la confiait, à son tour, au baile Giustinian pour la porter à la connaissance du doge [37]. Demandant l'appui de la République nobiliaire, Locadello espérait bien que l'ambassadeur polonais qui arrivait à Constantinople pour négocier la paix avec la Sublime Porte serait lui aussi intéressé de persuader les Ottomans à remplacer Ştefan II Tomşa afin de réinstaurer des relations cordiales entre les Polonais et les Ottomans [38]. Mais ce plan a échoué et le baile écrivait en 1622 "[...] li necessarj ufficij [...] per interromper al Lucadello le Speranze del suo fevore" [39].
Comblé de dettes, chassé par les créanciers et dépourvu de l'appui des dignitaires ottomans – situation due également aux insistances du baile Giustinian pour le priver du soutien politique – le prétendant vénitien est pris et jeté dans la prison d'Edikule en avril 1623, après s'être pour quelque temps caché dans la ville, car il ne disposait pas de l'argent nécessaire pour payer ses dettes [40]. Après son emprisonnement, le baile a régulièrement rapporté au doge sur l'état du prisonnier et en a reçu des instructions comment s'y prendre pour que son ancien secrétaire revienne en sa garde [41]. Mais, craignant les conséquences négatives du transfert de Locadello du prison d'Edikule à la résidence diplomatique vénitienne de Constantinople, où les créanciers du prétendant auraient fait des pressions pour récupérer leur argent ou bien le débiteur, le baile n'a pas obéi aux dispositions du doge et a laissé son ancien secrétaire dans la même prison ottomane, considérant qu'il s'y trouvait en toute sécurité et ne pouvait provoquer d'autres ennuis aux intérêts de la Serenissima Repubblica [42].
La période d'emprisonnement se prolongeait et alors Locadello, épouvanté par les intrigues de ses adversaires qui auraient pu mener à des mesures radicales contre lui, pensait même à se convertir à l'Islam, comme une dernière tentative pour sauver sa vie en cas de la peine capitale et même le rendre libre [43]. Le détrônement du sultan Mustapha Ier et l'avénement au trône de Murad IV ont fait revenir dans les cercles tout-puissants du pouvoir certains de ceux qui avaient soutenu la candidature du Vénitien pour le trône de la Moldavie; la soeur du nouveau sultan, à laquelle le prétendant avait fourni, une année auparavant des marchandises de luxe en échange de son soutien pour obtenir le trône, retrouvait sa position privilégiée face aux facteurs politiques décisionnels de la Sublime Porte [44]. Bien que Locadello sollicitât sa liberté au prix de "25 o 30 somme de danari", le grand vizir ignora l'offre et tint sa promesse faite au baile vénitien de continuer à tenir le prétendant enfermé [45]. Confronté à l'opposition du grand vizir et l'adversité du diplomate vénitien, Gian Giacomo Locadello a choisi la seule alternative valable pour obtenir sa liberté: abjurer et se convertir à l'islamisme. C'est ainsi que, sur l'instance de la soeur du sultan, le grand vizir a accepté la conversion du Vénitien qui s'est passée à l'aube du 16 septembre 1623 [46]. Le 30 septembre de la même année l'ambassadeur hollandais Cornelius Haga rapportait que l'ancien secrétaire "de monsieur le baile vénitien [...] fut reçu parmi les pages du Sultan Murad, afin de l'instruire en langue turque et droit mahométan" [47].
Protagoniste d'un épisode insolite, remarqué comme tel par ses contemporains mêmes, le Vénitien Locadello a lamentablement achevé son trajet politique au bout duquel il espérait devenir le prince régnant de la Moldavie. Devenu musulman, l'abjuré vénitien a acquis une nouvelle identité que, d'ailleurs, l'on ne connaît pas. Il est hors de doute que son existence soit restée liée à la cour du Sultan. Après 1623 l'ou ne trouve plus, à ce que nous sachions, pas même de sommaires mentions concernant Gian Giacomo Locadello [48]. L'identifier donc avec un autre Vénitien, originaire de Bergamo et, très probablement son parent, c'est tout à fait sans fondement du moment que l'ancien prétendant, devenu musulman, ne pouvait pas revenir au christianisme sans irriter les Ottomans on encore sans apparaître en quelque sorte dans les documents occidentaux de l'époque. Et après tant d'efforts faits pour empêcher la nomination de Locadello en tant que voïvode de la Moldavie, la diplomatie vénitienne n'aurait par accordé encore un fois de confiance à ce personnage compromis par ses actions dirigées contre les intérêts de la République de Saint Marc. Outre les arguments logiques issus du déroulement des événements et qui témoignent d'une distinction indubitable entre les deux Vénitiens, Gian Giacomo Locadello et Bartolomeo Locadello, nous considérons que l'attitude du sénateur Alvise Contarini est édifiante à cet égard. Car, en tant que membre du Sénat de la Serenissima, Contarini s'est prononcé violemment contre l'insistance de Gian Giacomo Locadello d'aspirer au trône de la Moldavie, malgré l'opposition catégorique de la République [49]. Connaissant bien toute l'histoire de la candidature du Vénitien Locadello et se trouvant en 1637 à Constantinople comme représentant diplomatique, le même Alvise Contarini transmettait au doge des informations sur l'initiative de l'édification d'une église catholique à Bucarest par "un tal Locadelli" [50]. Il s'agit, certes, de Bartolomeo Locadello car Gian Giacomo Locadello ne pouvait par être nommé seulement "un certain Locadello", sans faire de référence à son passé pas si lointain, qui avait suffisamment sollicité autant l'intérêt de Contarini que la politique extérieure de la République de Saint Marc. Donc, l'attitude d'Alvise Contarini aussi prouve que ce Locadello de 1637 est une toute autre personne que celui de Constantinople en 1622-1623. Ce dernier était le prétendant Gian Giacomo Locadello, qui a échoué en tant que musulman parmi les employés du sultan, après avoir été empêché d'accéder au trône de la Moldavie, pendant que l'autre était le négociant Bartolomeo Locadello, qui faisait de commerce de produits importés des Pays Roumains, mais il rendait aussi des services diplomatiques, au voïvode valaque Matei Basarab.
[1] C. ESARCU, "O descriere a Valahiei din veacul XVII", dans
Arhiva Societăţii ştiinţifice şi literare din Iaşi 5 (1894): 112-120; Călători străini despre Ţările Române, tome V (soigné par Maria HOLBAN - rédacteur responsable, M. M. ALEXANDRESCU–DERSCA BULGARU, Paul CERNOVODEANU), Bucarest, 1973: 33-36; Andrei PIPPIDI, "I Paesi Romeni e Venezia. Nuove testimonianze", Annuario dell’ Istituto Romeno di Cultura e Ricerca Umanistica di Venezia 1 (1999), doc. III: 37-40.[2] Eudoxiu de HURMUZAKI, Documente privitoare la istoria românilor, tome IV/2, Bucarest, 1884, doc. CCCCXXXVII – CCCCXLIV: 392-398; doc. CCCCXLV, CCCCXLVII – CCCCXLVIII: 399-402; Ibidem, tome VIII, Bucarest, 1894, doc. DLXXVIII: 398-399, doc. DLXXXI-DLXXXIII: 401-402; Andrei VERESS,
Documente privitoare la istoria Ardealului, Moldovei şi Ţării Româneşti, tome IX, Bucarest, 1937, doc. 196: 243; Alvise CONTARINI, Materie trattate in Collegio e Senato. 1622-1623, tome I, Biblioteca Nazionale Marciana – Venise, ms. It. VII. 1236 (= 8693): 88r – 88v, 234r, 287r, 307r-311r.[3] N. IORGA,
Studii şi documente cu privire la istoria românilor, tome XXIII, Bucarest, 1913, doc. XVIII-XIX: 127-130, doc. XXI-XXII: 131-135, doc. XXV-XXVI: 136-138, doc. XXXIV-XXXV: 144-145.[4] M. CIUNTU,
Pretendenţii domneşti în sec. XVII, Bucarest, 1940: 37-40.[5]
Călători străini, tome V: 30-32.[6] A. PIPPIDI, op.cit.: 29.
[7] N. IORGA,
Studii şi documente, tome XXIII, doc. XXI: 132.[8] Ibidem, doc. XXII: 134.
[9] Ibidem, doc. XVII: 128; HURMUZAKI, Documente, tome VIII, doc. DLXXVIII: 398.
[10] N. IORGA,
Studii şi documente, tome XXIII, doc. XVIII: 128; HURMUZAKI, Documente, tome VIII, doc. DLXXVIII: 398; Ibidem, tome IV/2, doc. CCCCXXXVII: 393.[11] Ibidem.
[12]
Documente privind istoria României, veacul XVII, B. Ţara Românească, tome III (rédigé par Ion IONAŞCU, L. LĂZĂRESCU-IONESCU, Barbu CÂMPINA, Eugen STĂNESCU, D. PRODAN, Mihail ROLLER - rédacteur responsable), Bucarest, 1951, doc. 489: 549.[13] A. PIPPIDI, "Un domn necunoscut al Ţării Româneşti",
dans Faţetele istoriei. Existenţe, identităţi, dinamici. Omagiu Academicianului Ştefan Ştefănescu (volume soigné par Tudor TEOTEOI, Bogdan MURGESCU, Şarolta SOLCAN), Bucarest, 2000: 79-85.[14] Ibidem: 84; IDEM, I Paesi Romeni: 29.
[15] N. IORGA,
Studii şi documente, tome XXIII, doc. XVIII: 128.[16] HURMUZAKI, Documente, tome IV/2, doc. CCCCXXXVII: 393.
[17] Ibidem.
[18] N. IORGA,
Studii şi documente, tome XXIII, doc. XIX: 130.[19] HURMUZAKI, Documente, tome VIII, doc. DLXXVIII: 398-399.
[20] Ibidem, tome IV/2, doc. CCCCXXXVII: 393.
[21] Ibidem: 392.
[22] Ibidem: 394.
[23] A. VERESS, Documente, tome IX, doc. 196: 243.
[24] HURMUZAKI, Documente, tome VIII, doc. DLXXXI: 401.
[25] Ibidem.
[26] Ibidem, doc. DLXXXI-DLXXXIII: 401-402.
[27] Ibidem, tome IV/2, doc. CCCCXXXVIII: 394.
[28] Ibidem, doc. CCCCXXXIX: 395.
[29] Ibidem, doc. CCCCXL: 395-396; N. IORGA,
Studii şi documente, tome XXIII, doc. XXI: 130-132, doc. XXII: 134.[30] HURMUZAKI, Documente, tome IV/2, doc. CCCCXL-CCCCXLI: 395-396.
[31] Ibidem, doc. CCCCXLII: 397.
[32] Ibidem.
[33] A. CONTARINI, Materie trattate in Collegio e Senato: 88r - 88v.
[34] Ibidem: 234r.
[35] Ibidem: 307r - 311r.
[36] Ibidem: 287r; HURMUZAKI, Documente, tome IV/2, doc. CCCCXLIII: 397-398; N. IORGA,
Studii şi documente, tome XXIII, doc. XXVI: 137-138.[37] HURMUZAKI, Documente, tome IV/2, doc. CCCCXLIII: 397.
[38] Le document cité à la note 36.
[39] HURMUZAKI, Documente, tome IV/2, doc. CCCCXLV: 399.
[40] N. IORGA,
Studii şi documente, tome XXIII, doc. XXXIV: 144-145.[41] Entre le mois d'avril et le mois de septembre 1623, il y a une riche correspondance entre le baile Zorzi Giustinian et les doges Antonio Priuli et Francesco Contarini, concernant la candidature vénitienne déjà mentionnée au trône de la Moldavie; voir HURMUZAKI, Documente, tome IV/2, doc. CCCCXLVIII: 400-402.
[42] Ibidem.
[43] Ibidem: 401.
[44] Ibidem: 402; M. CIUNTU, op.cit.: 40.
[45] HURMUZAKI, Documente, tome IV/2, doc. CCCCXLVIII: 401.
[46] Ibidem: 402.
[47] N. IORGA,
Studii şi documente, tome XXIII, doc. XXXV: 145.[48] Le document cité par A. PIPPIDI, Un domn necunoscut: 84, ne fait pas référence explicite à l'ancien secrétaire vénitien, étant considéré comme tel par l'auteur de l'article où il est mentionné.
[49] A. CONTARINI, Materie trattate in Collegio e Senato,: 307r-311r.
[50] HURMUZAKI, Documente, tome VIII, doc. DCLVIII: 463.
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