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La réception de l'œuvre de Mihail Manoïlesco

dans le monde scientifique italien des années 1930

Robert Păiuşan

Académie des Sciences Economiques,

Bucarest

Mihail Manoïlesco (1891-1950) s'est fait distinguer par ses contributions de doctrine économique et politique. elaborée dans la période 1919-1947, son œuvre a été connue et débattue, dès ses débuts, dans les cercles scientifiques internationaux.

Il est notoire que Manoïlesco n'a jamais fait des études économiques, étant si étrange que cela puisse paraître un autodidacte. Un de ses biographes [1] affirme que dans sa formation un grand rôle ont joué les fonctions remplies dès sa jeunesse, qui lui ont donné la possibilité de connaître les réalités èconomiques roumaines et étrangères; ses qualités intellectuelles (la force de travailler et la capacité d'assimiler); sa culture humaniste (il parlait très bien le français, bien l'italien et l'allemand) et scientifique (connaissances de mathématique et de statistique).

Dans les milieux scientifiques italiens des années 1930, les travaux de Manoïlesco se sont réjouis d'un écho remarquable. Ce fait est dû à des causes variées, parmi lesquelles on peut citer:

  1. les constatations, conclusions et solutions formulées par le doctrinaire roumain à des problémes qui concernaient beaucoup les spécialistes italiens, comme la structure corporatiste de l'État, la politique économique protectionniste et l'industrialisation;
  2. la parution de ses principaux travaux en français, suivi par leur traduction en italien et dans d'autres langues accessibles aux spécialistes italiens;
  3. la participation active de Manoïlesco à la vie scientifique italienne et ses permanents liens avec des savants, fonctionnaires culturels et personnalités politiques de la pèriode recherchée.

Manoïlesco débuta presque en même temps dans la vie scientifique et politique, peu après la fin de la première guerre mondiale. Dans ses premièred contributions scientifiques il soutenait l'accroissement du rôle de l'État en économie par l'utilisation des mécanismes financiers, monétaires et de crédit et l'accélération du redressement industriel par l'élargissement de la base technique.

Dans le gouvernment Averesco de 1926-1927, Manoïlesco a détenu la fonction de sous-secrétaire d'Etat au Ministère des Finances. Dans cette qualité officielle, il a entrepris deux voyages en Italie, en mai-juin 1926 et janvier-février 1927. Parmis les buts de ces missions figuraient la préparation d'un traité d'alliance italo-roumain, le règlement de l'ancienne dette roumaine et la conclusion d'un éventuel emprunt roumain en Italie [2]. Pendant ses voyages Manoïlesco a rencontré quelques officialités italiennes de haut rang et a établi des liens personnels dans le monde universitaire de Rome, relations qu'il a su cultiver dans les années à venir.

En 1929 Manoïlesco a publié à Paris, aux éditions Giard, dans l'importante collection Bibliothèque Économique Internationale la première version de son œuvre fondamentale Théorie du protectionnisme et de l'échange international. Le livre a été tout de suite traduit en italien et édité en 1930.

Dans son ouvrage, Manoïlesco utilise son propre instrumentaire méthodologique, redéfinissant ou, selon le cas, introduisant les concepts de productivité du travail, bénéfice individuel et bénéfice national, la stimulation des branches économique les plus productives et la stimulation des producteurs indigènes, par rapport aux étrangers, et au niveau de l'économie mondiale, l'établissement des critères rationnels concernant les droits de douane et la décentralisation économique du monde.

La volume de Manoïlesco a été lu et recensé par des économistes italiens de différentes orientations, comme l'ancien théricien socialiste Achille Loria et les corporatistes G. Arias et E. Corbinno. Entre Manoïlesco, d'un coté, et Loria, de l'autre, s'est déroulée une intéressante polémique portant sur l'originalité et les conséquences de la thése du doctrinaire roumain concernant l'exploitation de certaines nations par les autres par l'intermède du commerce international [3].

A la fin de 1931 et au courant de 1932, en marge de l'ouvrage de Manoïlesco ont été organisés en Italie plusieurs débats et tables rondes. Au centre des controverses se trouvaient les concepts, dont je faisais mention auparavant, de production nette, bénéfice national et productivité du travail.

Pour Manoïlesco la production nette se calculait comme différence entre la valeur de la production globale et les dépense matérielles préexistantes, ou entre les valeurs qui sortent de l'entreprise et celles qui y entrent [4]. Plusieurs auteurs italiens ont remarqué que les deux définitions n'étaient pas équivalentes et la deuxième définition ne portait pas de caractére scientifique. Felice Vinci considérait que la production nette était, en effet, la production brute diminuée par les droits de douane, point de vue rejeté, comme étant simpliste, par Manoïlesco [5]. Ernesto Glane, parmi d'autres, proposait l'élimination de la valeur des biens nonréproductibles du calcul des dses matérieles préexistantes; Manoïlesco accepta cette remarque, mais l'estima comme insignifiant pour sa définition [6].

Le doctrinaire roumain considérait que le bénéfice national exprimait la valeur de la production nette, étant la somme des valeurs nouvellement crées dans chaque entreprise et branche de production. Entre le bénéfice national, définit comme auparavant, et le bénéfice de l'entrepreneur (qui mesurait le montant de son profit), il n'y avait d'après lui aucune relation de détermination. Cette situation, estimait Luigi Bottini, présupposait soit le contrôle de l'Etat sur les entreprises privées, soit l'étatisation des entreprises de grande et moyenne taille [7]. Manoïlesco rejetait cette objection, invoquant l'argument que son analyse se trouvait sur le terrain strictement économique et ne portait par sur les aspects de politique socioéconomique.

Pour Manoïlesco, la productivité du travail se définissait comme rapport entre la valeur de la production nette et le nombre de salaries [8]. Corado Donvito estimait que la définition de Manoïlesco exprimait tout simplement le principe hédoniste, sans aucun élément de nouveauté scientifique. L'auteur roumain admettait cette objection, mais la réduisait à une simple remarque concernant un trait général de l'activité économique [9].

En avril 1932 Manoïlesco a commencé à éditer à Bucarest, en roumain, la revue Lumea Nouă (Le Nouveau Monde), par laquelle il se proposait de populariser ses idées économiques et sociopolitiques dans les rangs du public roumain. Parmi les italiens qu'on retrouve comme auteurs dans les pages de cette revue figuraient Ugo Spirito et Niccolo Gianni. Le dernier, par exemple, était présent avec un article dans le numéro 5, 1934 et avec une recension dans le numéro 3, 1935 [10].

En mai 1931, Manoïlesco a répondu favorablement a l'invitation de participer au congrés scientifique organisé ă Ferrara sur le thčme de la doctrine corporatiste. Ŕ cette manifestation se sont rendu des spécialistes connus en la matičre, italiens - Dino Alfieri, Carlo Costamagna, Ugo Spirito, Carlo Emilio Ferri -, aussi bien qu'étrangers - Werner Sombart, Ottmar Spann etc. Dans son intervention au congrés, Manoïlesco a remarque le rapprochement existent entre ses idées et celles corporatistes italiennes, mais aussi les solutions différents qu'il envisageait dans des problèmes de substance. Ainsi devait l'État corporatiste, aussi bien que des régions géographiques, par la décentralisation du pays. Faisant référence à sa présence, quelques participants italiens considéraient Manoïlesco comme un adepte convaincu du corporatisme, impatient d'appliquer ses idées en Roumanie [11].

En novembre 1932, Manoïlesco a pris part aux travaux du congrès de l'Académie Italienne. Désireuses d'accorder à cet évènement une grande importance, les autorités italiennes ont invité une pléiade de spécialistes étrangers de prestige scientifique, parmi lesquels se trouvaient Gabriel Hanotaux, Werner Sombart, Alfred Weber, Otto v. Franges, Elmer Hantos et beaucoup d'autres. La communication de Manoïlesco a fait une synthèse de sa doctrine économique; l'auteur a insisté surtout sur l'idée de partage de l'Europe en deux groupes de pays - les uns industriels, les autres agricoles -, les pays industriels exploitant les pays agricoles par les biais du commerce international. Sa thèse a été soutenue chaleureusement par beaucoup de participants, y compris par le secrétaire général du congrès, qui l'a mentionné d'une manière particulière dans le rapport final. Les publications italiennes ont largement relaté sur la communication de Manoïlesco, et un extrait de celle-ci a paru sur la manchette de plusieurs journaux [12].

La personnalité et les idées de Manoïlesco se sont maintenues au centre de l'intérêt du monde scientifique italien dans les années suivantes. Quelques échos de son activité apparaissent dans les quotidiens de grand tirage Corriere della Sera, Giornale d'Italia et dans la revue Ottobre.

Manoïlesco a publié à Paris en 1934, dans les éditions F. Alcan, son livre Le Siècle du corporatisme. La doctrine du corporatisme intégral et pur. Dans cet ouvrage, il se propose d'analyser, du point de vue historique, social et économique, les fondements de la doctrine corporatiste. Pour prouver l'opportunité de l'avènement du corporatisme, Manoïlesco entreprend une analyse critique des valeurs propres a l'Etat libéral et à l'économie de marché, qu'ils considèrent comme périmées. De son coté, il décrit l'organisation de l'État corporatiste, ses fonctions, le rôle des corporations, la position des différentes catégories sociales etc. Par l'ensemble du livre, Manoïlesco envisageait la qualité de théoricien de première importance du corporatisme, dans une variante différente de celles qui étaient en voie d'application en Italie, aussi bien qu'en Autriche ou au Portugal.

L'attitude des corporatistes italiens par rapport à cette démarche scientifique de Manoïlesco a été, cette fois-ci, beaucoup plus nuancée. D'un coté, quelques-uns ont signalé avec satisfaction l'apparition d'un livre en mesure de consolider l'échafaudage idéologique corporatiste. Ainsi montrait Giovanni Bortolotto l'importance fondamentale, à son avis, de l'ouvrage de Manoïlesco pour comprendre l'idée corporatiste. Giovanni Marchesi considérait le doctrinaire roumain comme une grande autorité dans la matière, de même Francesco Vito l'appréciait pour l'originalité de sa conception corporatiste [13]. De l'autre coté, les doctrines officiels du corporatisme italien, tel Carlo Costamagna et d'autres, qui revendiquiaient pour eux la qualité de théoriciens du phénomène corporatiste, aussi bien que les officialités italiennes ont exprimé des réserves à l'egard du livre de Manoïlesco.

Dans les années 1936-1937 le doctrinaire roumain a continué de participer à des manifestations scientifiques organisés en Italie et d'entrenir des relations étroites avec les cercles intellectuels du pays. Dans la presse italienne figuraient des recensions, notes et commentaires sur les travaux de Manoïlesco, dont les échos se trouvaient dans la revue Lumea Nouă.

La montée de l'idéologie fasciste à la fin des années 1930, aussi bien que ses propres frustrations politiques ont déterminé le raprochement plus marqué de Manoïlesco des positions du régime fasciste italien. "L'Italie fasciste, notait-il, reprsente le pionnier de l'État nationaliste affirmé par héroisme et constructivisme" [14]. Cette appréciation, et d'autres dans le même registre, ont été réceptionné avec satisfaction dans les milieux culturels lies au régime fasciste italien. Sur la même ligne se situe l'attitude de la revue Lumea Nouă, qui a salué les interventions militaires italiennes en Ethiopie et en Espagne.

Au début de l'année 1938, Manoïlesco a été invité, tout ensemble avec un groupe de sympathisants, aux fêtes organisées par les autorités italiennes à l'occasion du bimillénaire depuis la naissance de l'empereur romain Auguste. Présent aux fêtes, Manoïlesco a fait des déclarations favorables aux résultats économiques et politiques de l'application de la doctrine corporatiste en Italie, déclarations reçues avec satisfaction par ses hôtes [15].

La détérioration de la situation internationale et le déclenchement de la seconde guerra mondiale ont déterminé, parmi d'autres conséquences, la perturbation des relations scientifiques internationales. En plus, la famille Manoïlesco a subi des pertes matérielles, fait de nature à limiter ses possibilités de voyager. Même dans cette situation, le doctrinaire roumain a fardé des contactes étroits avec plusieurs auteurs italiens, et des références à son œuvres étaient présentes dans les articles de A. Fossati, L. Gangemi et G. Signorelli.

En été 1940 Manoïlesco a été désigné ministre des affaires étrangères dans le gouvernmente dirigé par Ion Gigurtu. Sous la pression des forces révisionnistes, soutenues d'ailleurs par les autorités fascistes italiennes, l'Etat roumain a été obligé à accepter des pertes territoriales importantes au bénéfice des États voisins. En sa qualité officielle, Manoïlesco a signé l'arbitrage (considéré par l'historiographie roumaine comme un vrai Diktat) de Vienne, qui établissait la nouvelle ligne de frontiérw roumaino-hongroise [16]. Tout le capital de sympathie, réel ou au moins prétendu, dont jouissait Manoïlesco parmi les officialités et l'opinion publique italienne, n'ont servi à rien: ses tentatives pour le canaliser en faveur de la cause roumaine ont échoué inéluctablement.

[1] V. NECHITA, Doctrina economică şi corporatistă a lui Mihail Manoilescu [La doctrine économique et corporatiste de Mihail Manoïlesco], thèse, Académie des Sciences Économiques, Bucarest, 1971: 17.

[2] M. MANOILESCU, Memorii [Mémoires], Bucarest, 1993: I, 63-65 et 78-82.

[3] Rivista Bancaria, janvier et août, 1930. Voire également M. MANOILESCU, Memorii, Bucarest, 1993: II, 238.

[4] M. MANOILESCU, Forţele naţionale productive şi comerţul exterior. Teoria protecţionismului şi a schimbului internaţional [Les forces nationales productives et le commerce extérieur. La théorie du protectionnisme et de l'échange international], Bucarest, 1986: 67-80.

[5] Ibidem: 81.

[6] L'Economia, décembre 1931.

[7] Rivista di politica economica, juillet 1932: 680-697.

[8] M. MANOILESCU, Forţele naţionale productive şi comerţul exterior: 65-67.

[9] Industria Lombarda de 11 juillet et 10 septembre 1932. Voire également M. MANOILESCU, Forţele naţionale productive şi comerţul exterior: 103.

[10] Lumea Nouă 5, 1934 et 3, 1935.

[11] M. MANOILESCU, Memorii, vol. 2: 314-316.

[12] Ibidem: 339-342.

[13] Ibidem: 371-372.

[14] Lumea Nouă 4, 1947: 231.

[15] Ibidem 2, 1937: 231.

[16] M. MANOILESCU, Dictatul de la Viena [Le diktat de Vienne], Bucarest, 1991: 195-203.

 

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© Şerban Marin, November 2001, Bucharest, Romania

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