en sept parties
Facile credo, plures esse Naturas invisibiles quam visibiles in rerum universitate. Sed horum omnium familiam quis nobis enarrabit ? et gradus et cognationes et discrimina et singulorum munera ? Quid agunt ? quae loca habitant ? Harum rerum notitiam semper ambivit ingenium humanum, nunquam attigit. Juvat, interea, non diffiteor, quandoque in animo, tanquam in tabulâ, majoris et melioris mundi imaginem contemplari : ne mens assuefacta hodiernae vitae minutiis se contrahat nimis, et tota subsidat in pusillas cogitationes. Sed veritati interea invigilandum est, modusque servandus, ut certa ab incertis, diem a nocte, distinguamus. - T. Burnet, Archaeol. Phil., p. 68 (Traduction)
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Comment un navire, après avoir passé la Ligne, fut conduit par des tempêtes dans les froides Contrées qui s’étendent vers le Pôle Sud, et comment de ce lieu il fit route vers les Latitudes tropicales du Grand Océan Pacifique ; et des choses étranges qui advinrent, et de quelle manière le Vieux Marin s’en revint en son propre Pays.
Un vieux Marin rencontre trois Gentilshommes invités à un festin de noces, et en retient un.
Un
vieux Marin approche les convives,
Et en arrête un parmi trois.
« Ô barbe grise à l’œil étincelant,
Tu veux m’arrêter, et pourquoi ?
Chez le marié la porte est
grand ouverte,
Et je suis de ses parents proches ;
Les hôtes sont rendus, la fête est prête,
Et tu peux entendre la noce. »
Il le tient avec sa main
décharnée,
Il dit : « Il était un bateau. »
« Au large ! Lâche-moi, vieille barbe grise ! »
Sa main retomba aussitôt.
Le Convive est ensorcelé par l'œil du vieux coureur des mers, et contraint d'entendre son récit.
Il le tient de son œil
étincelant -
Le Convive cesse son jeu,
L’écoute comme un enfant de trois ans :
Le vieux Marin a ce qu’il veut.
Le Convive est assis sur une
pierre :
Il est bien forcé d’écouter ;
C’est ainsi que poursuivit ce vieil homme,
Le Marin à l’œil enflammé.
« Sous les vivats, le
bateau sort du port.
Nous nous enfoncions tout gaillards
Dessous l’église, dessous la colline,
Au-dessous du sommet du phare.
Le Marin raconte comment le bateau fit voile vers le sud, par bon vent et beau temps, jusqu'à atteindre la Ligne.
Le Soleil se levait côté bâbord,
De l’océan il émergeait !
Et radieux il brillait, puis sur tribord
Dans l’océan redescendait.
Plus haut, plus haut il montait
chaque jour,
Jusqu’à midi coiffer le mât. »
Le Convive se frappa la poitrine,
Car lors le basson résonna.
Le Convive entend la musique nuptiale ; mais le Marin poursuit son récit.
La mariée est entrée dans la
grand-salle,
Comme une rose elle est rougie ;
Hochant la tête vont la précédant
Les ménétriers réjouis.
Le Convive se frappa la
poitrine,
Mais est bien forcé d’écouter.
C’est ainsi que poursuivit ce vieil homme,
Le Marin à l’œil enflammé.
Le bateau est drossé par une tempête vers le pôle sud.
- Puis alors surgit le Vent de tempête,
Fort et tyrannique il se fit :
Frappant de ses ailes irrésistibles,
Vers le sud il nous poursuivit.
Les mâts penchés, la proue
dans l’eau enfouie,
Tel ceux qui, pressés de coups et de cris,
Trouvent encor l’ombre de l’ennemi
Et vers l’avant tendent le front,
Le bateau cinglait, le vent rugissait,
Et vers le sud, oui, nous fuyions.
Vinrent lors et le brouillard
et la neige,
Et prodigieux devint le froid.
Hautes comme le mât, vert d’émeraude,
Des glaces flottaient çà et là.
Le pays des glaces et des bruits effrayants, où il n'y avait rien à voir de vivant.
Dans la bourrasque, les
falaises neigeuses
Répandaient un éclat blafard ;
Pas une forme d’homme ni de bête :
De la glace pour tout regard.
De la glace d’un côté comme
l’autre,
Partout de la glace à foison,
Qui craquait, grognait, grondait, rugissait,
Comme dans une pâmoison !
Jusqu'à ce qu'un grand oiseau de mer, appelé l'Albatros, vînt à traverser le brouillard neigeux, et fût reçu avec grande joie et hospitalité.
À la fin nous croisa un
Albatros,
Il surgit dans le ciel brumeux ;
Et le saluant comme une âme chrétienne,
Nous criâmes le nom de Dieu.
Il mangea des mets inconnus de
lui,
Et resta autour à voler.
La glace se fendit - bruit de tonnerre -
Et le barreur nous fit passer !
Et voici que l'Albatros se révèle oiseau de bon augure, et suit le navire dans son retour vers le nord à travers le brouillard et les glaces flottantes.
Puis un bon vent du sud se mit
d’arrière ;
L’Albatros suivit notre train,
Et chaque jour, pour manger ou jouer,
Il vint à l’appel des marins !
Brume ou nuage, sur la toile ou
le mât,
Il percha durant neuf vêprées,
Comme la Lune luisait toute blanche
Dans le brouillard et ses fumées.
Le vieux Marin, contre les lois de l'hospitalité, tue le saint oiseau de bon augure.
- Que Dieu te sauve, ô toi le
vieux Marin !
De ces démons qui te harassent !
Mais quel regard ? - Avec mon arbalète,
J’ai abattu notre Albatros.
Le
Soleil lors se levait sur tribord,
De l’océan il émergeait
Dans les brumes encore, et sur bâbord
Dans l’océan redescendait.
Et le bon vent du sud soufflait
encore,
Mais d’oiseau, il n’en était point
Qui chaque jour, pour manger ou jouer,
S’en vînt à l’appel des marins !
Ses camarades se récrient contre le vieux Marin, lui reprochant d'avoir tué l'oiseau de bonne fortune.
Et j’avais fait une chose
infernale,
Le malheur ce leur porterait :
Car tous disaient que j’avais tué l’oiseau
Grâce auquel la brise soufflait.
Ah misérable ! dirent-ils, tuer l’oiseau
Grâce auquel la brise soufflait !
Mais une fois le brouillard dissipé, ils justifient cela même, et se rendent ainsi complices du crime.
Ni trouble ni rouge, vraie tête de
Dieu,
Le glorieux Soleil se leva :
Tous dirent lors que j’avais tué l’oiseau
Qui apportait brume et brouillas.
C’était justice de tuer ces oiseaux
Qui apportent brume et brouillas.
La belle brise se maintient ; le bateau pénètre dans l'Océan Pacifique, et fait voile vers le nord, jusqu'à atteindre la Ligne.
La brise soufflait, l’écume
volait,
Le sillage allait librement ;
Nous étions les premiers à pénétrer
Dans ce silencieux océan.
Le bateau soudain s'est vu encalminé.
Tomba la brise, les voiles
tombèrent,
Il faisait un triste accablant ;
Et nous ne parlions plus que pour briser
Le silence de l’océan !
Dans un ciel brûlant qui
semblait de cuivre,
Tout juste au-dessus de la hune,
Le Soleil sanglant perchait à midi,
Pas plus grand que ne l’est la Lune.
Et jour après jour, et jour
après jour,
Nous restâmes encalminés ;
Aussi figés qu’un dessin de navire
Sur un océan dessiné.
Et l'Albatros commence à être vengé.
De l’eau, de l’eau, de l’eau,
partout de l’eau,
Et les planches racornissaient ;
De l’eau, de l’eau, de l’eau, partout de l’eau,
Nulle goutte ne nous restait.
Les profondeurs mêmes se
pourrissaient :
Ô Christ ! Faut-il donc de tels lieux ?
Oui-da, des choses bourbeuses à pattes
Rampaient sur l’océan bourbeux.
Autour, en une cohue
tournoyante,
La nuit, les feux de mort dansaient ;
L’eau, comme les huiles d’une sorcière,
Verte, et bleue, et blanche brûlait.
Un Esprit les avait suivis ; un des habitants invisibles de cette planète, qui ne sont ni anges ni âmes défuntes ; au sujet desquels on peut consulter Josèphe, le savant juif, et Michel Psellus, la platonicien de Constantinople. Ils sont très nombreux, et il n'est pas de climat ou d'élément qui n'en ait un ou davantage.
Et certains dans leurs songes
reconnurent
L’Esprit qui nous affligeait là ;
Par neuf brasses de fond il nous suivait
Depuis la neige et le brouillas.
Et chaque langue, en cette
aridité,
Se flétrissait jusqu’à la souche ;
Nous ne pouvions parler, comme étouffés
Avec de la suie plein la bouche.
Les camarades d'équipage, en leur âpre détresse, voudraient bien rejeter toute la faute sur le vieux Marin : en signe de quoi ils suspendent l'oiseau mort autour de son cou.
Ah ! quelles journées ! quels
regards mauvais
Des jeunes et vieux je reçus !
À la place de la croix, l’Albatros
Autour du cou me fut pendu.
Un
temps épuisant passa. Chaque gorge
Était toute parcheminée.
Un temps épuisant ! un temps épuisant !
Les yeux se voilaient, exténués,
Quand en regardant vers l’ouest, dans le ciel,
Je vis quelque chose approcher.
Le vieux Marin aperçoit un signe sur les éléments.
D’abord, ce parut une menue
tache,
Puis ce parut une nuée ;
Cela bougeait, bougeait, et prit enfin
Quelque forme, eus-je la pensée.
Tache, nuée, forme, eus-je la
pensée !
Et toujours cela s’approchait :
Comme en esquivant un esprit des eaux,
Ce plongeait, louvoyait, virait.
À mesure qu'il se rapproche, il lui semble que c'est un bateau, et au prix d'une lourde rançon, il libère sa parole des entraves de la soif.
La gorge asséchée, les lèvres
grillées,
Nous ne pouvions rire ou pleurer ;
L’aridité nous rendait tous muets !
Je mordis mon bras, le sang j’en suçai,
Et dis : « Une voile ! une voile ! »
Un éclair de joie ;
La gorge asséchée, les lèvres
grillées,
Hagards ils m’ouïrent crier.
« Grand merci ! » grignèrent-ils en leur liesse,
Et aussitôt le souffle en eux se presse,
Comme s’ils étaient tous à boire.
Suivi d'horreur. Car peut-elle être un bateau, cette chose qui avance sans brise ni remous ?
« Regardez ! (dis-je) elle
ne louvoie plus !
Mais au secours s’en vient vers nous.
Elle s’avance tout droit sur sa quille,
Marchant sans brise ni remous ! »
La vague à l’ouest était tout
enflammée,
Le jour était presque fini !
Presque sur la vague à l’ouest reposait
Le brillant Soleil élargi ;
Quand l’étrange forme vira soudain,
Et devant le Soleil se mit.
Il lui semble que ce n'est que le squelette d'un bateau.
Sitôt le Soleil fut rayé de
barres,
(Mère des cieux, porte-nous grâce !)
Comme s’il guignait derrière une grille
De sa large et brûlante face.
Et ses côtes ont l'air de barres sur la face du Soleil couchant.
Hélas ! (pensai-je, et mon cœur
battait fort)
À quelle vitesse elle arrive !
C’est sa voilure qui brille au Soleil,
Tremblant en filandres chétives ?
La Femme-Spectre et sa compagne la Mort, et personne d'autre à bord du bateau-squelette.
C’est donc là sa membrure où le
Soleil
Guignait comme par une grille ?
Et cette femme, est-ce tout l’équipage ?
Est-ce une Mort ? et
seraient-elles deux ?
Avec, c’est la Mort qui
voyage ?
Tel vaisseau, tel équipage !
Ses lèvres étaient rouges, ses
regards fiers,
Ses boucles étaient jaune d’or,
Et sa peau de la lèpre avait le blanc :
Ce cauchemar était Vie-dans-la-Mort,
Qui de l’homme gèle le sang.
La Mort et la Vie-dans-la-Mort ont joué aux dés l'équipage du bateau, et celle-ci gagne le vieux Marin.
La carcasse nue passa tout du
long,
Et les deux formes jouaient aux dés ;
En sifflant trois fois, celle-ci s’écrie :
« Le jeu est fini ! J’ai gagné ! »
Point de crépuscule à la cour du Soleil.
Le Soleil plonge ; les étoiles
s’élancent :
D’un seul bond viennent les ténèbres ;
Dans un long murmure sur l’océan,
Disparut le vaisseau funèbre.
Au lever de la Lune,
Nous écoutions en guettant
alentour !
La peur en mon cœur, comme à une coupe,
Le sang de ma vie buvotait !
La nuit épaisse étouffait les étoiles,
Sous sa lampe le barreur luisait pâle ;
Des voiles la rosée gouttait -
Jusqu’à ce qu’à l’est grimpe à l’horizon
La Lune cornue ; dans sa pointe basse,
Une étoile seule brillait. (*)
L'un après l'autre,
L’un puis l’autre sous la Lune à
l’étoile,
Sans même le temps d’un soupir,
Tous tournèrent dans une angoisse affreuse
Leur œil vers moi pour me maudire.
Ses camarades tombent morts.
Quatre fois cinquante hommes
bien vivants
(Et nul soupir je n’entendis)
Lourdement tombèrent dans un bruit sourd,
L’un puis l’autre, en masse sans vie.
Mais la Vie-dans-la-Mort commence son ouvrage sur le vieux Marin.
Les âmes s’envolèrent de leurs
corps,
Vers le ciel ou vers l’oubliette !
Et chaque âme, en passant auprès de moi,
Sifflait comme mon arbalète !
Le Convive redoute que ce ne soit un Esprit qui lui parle.
-
Tu me fais peur, ô toi le vieux Marin !
J’ai peur de ta main décharnée !
Et tu es long, et très maigre, et très brun,
Comme est la grève côtelée. (**)
J’ai peur de toi et de ton œil
brillant,
De ta main brune décharnée.
- Ne crains rien, ne crains rien, toi le Connvive !
Car ce corps-ci n’est point tombé.
Mais le vieux Marin l'assure de sa vie corporelle, et poursuit en relatant son horrible pénitence.
Tout seul, tout seul, absolument
tout seul,
Sur un vaste, vaste océan !
Et jamais un saint ne prit en pitié
Ma pauvre âme dans les tourments.
Il honnit les créatures du calme,
Ô ces hommes si nombreux et si
beaux !
Et tous morts ils étaient gisants ;
Et mille milliers de choses visqueuses
Vivaient ; et moi pareillement.
Et envie que celles-ci doivent vivre, alors que tant gisent morts.
Je regardais l’océan
pourrissant,
Les yeux vite j’en détournais ;
Je regardais sur le pont pourrissant,
Et là les hommes morts gisaient.
Je regardais le ciel, voulant
prier :
Avant même que ma prière
Eut jailli, un chuchotement damné
Desséchait mon cœur en poussière.
Je fermai les paupières, les
tins closes :
Dans les globes mon pouls battait ;
Le ciel et la mer, la mer et le ciel
Pesaient comme un fardeau sur mon œil las,
Et les morts à mes pieds gisaient.
Mais la malédiction vit pour lui dans l'œil des morts.
La sueur froide s’écoulait de
leurs membres,
Sans qu’ils pourrissent ni ne sentent :
Le regard duquel ils me regardaient
Perdurait en son épouvante.
Une malédiction d’un orphelin
Damnerait un esprit de saint,
Mais oh ! combien plus horrible est encore
Celle dans l’œil d’un homme mort !
Sept jours, sept nuits, je les vis me maudire,
Et pourtant je ne pus mourir.
Dans sa solitude immobile, il s'émeut devant la Lune voyageuse, et les étoiles qui toujours demeurent et toujours pourtant se meuvent ; et partout leur ciel bleu leur appartient : c'est le repos qui leur est assigné, et leur pays natal et leur séjour naturel, où elles entrent sans être annoncées, en maîtres que l'on attend assurément mais dont pourtant la venue amène une joie silencieuse.
Sans tarder nulle part, toujours
mouvante,
La Lune gravissait le ciel.
Avec douceur elle montait, montait,
Une étoile ou deux auprès d’elle.
Ses rayons narguaient la
baille étouffante,
Tels la gelée blanche d’avril ;
Mais dessous l’ombre énorme du navire,
Les eaux ensorcelées brûlaient toujours
D’un terrible rouge immobile.
Au clair de la Lune il observe les créatures du grand calme que Dieu a faites.
Par delà même l’ombre du navire,
Je regardais les serpents d’eau :
Ils se mouvaient en traînées blanchoyantes,
Et quand ils se dressaient, cette lueur fée
Retombait en flocons pâlots.
Au sein même de l’ombre du
navire,
J’admirais leur riche parure :
Bleus, verts lustrées, et d’un noir de velours,
Ils roulaient et nageaient ; chaque traînée
Éclatait comme un feu d’or pur.
Leur beauté et leur bonheur.
Il les bénit en son cœur.
Heureux êtres vivants ! aucune
langue
N’en saurait dire la féerie ;
Un flot d’amour jaillit depuis mon cœur,
Et sans savoir je les bénis ;
Pour sûr, mon bon saint me prit en pitié,
Et sans savoir je les bénis.
Le sortilège commence à se rompre.
Au même instant je pus enfin
prier ;
Et de mon cou se libérant,
L’Albatros vint à tomber, et coula
Comme du plomb dans l’océan.
Oh,
le sommeil ! C’est une douce chose
Que d’un pôle à l’autre on réclame !
Que soit louangée la Reine Marie !
Des cieux elle envoya le doux sommeil
Qui se glissa dedans mon âme.
Par la grâce de la très sainte Mère, le vieux Marin est rafraîchi par la pluie.
Les baquets futiles qui sur le
pont
Étaient demeurés tant de nuits,
Je les rêvai tous remplis de rosée,
Et je m’éveillai sous la pluie.
Mon gosier était froid,
mouillées mes lèvres,
Mes habits pleins d’eau étaient lourds ;
Assurément j’avais bu dans mes rêves,
Et mon corps s’abreuvait toujours.
Je bougeai, sans pouvoir
sentir mes membres.
J’étais si léger - pour un peu,
Je me serais cru mort en mon sommeil,
Devenu esprit bienheureux.
Il entend des bruits et voit des spectacles et des perturbations étranges dans le ciel et les éléments.
Et bientôt j’entendis un vent
rugir ;
Je ne le vis point approcher,
Mais sa rumeur vint ébranler les voiles
Toutes fines et desséchées.
Les hauteurs de l’air soudain
prirent vie !
Et cent brillants drapeaux de feu
Tout autour s’élançaient de çà, de là !
Et blêmes, scintillant de çà, de là,
Les étoiles dansaient entre eux.
Ainsi que joncs, les voiles
soupirèrent
Comme le vent rugit plus fort ;
Et la pluie tombait d’un nuage noir,
Et la Lune était à son bord.
L’épais nuage noir lors se
fendit,
La Lune encore à son côté :
Tels des eaux lancées de quelque haut roc,
Les éclairs sans cesse tombaient en bloc
En un large fleuve encaissé.
Les corps de l'équipage du bateau sont animés par des esprits, et le bateau s'ébranle.
Le vent jamais n’atteignit le
bateau,
Le bateau s’ébranla pourtant !
Sous la lueur des éclairs et de la Lune,
Des morts vint un gémissement.
Ils gémirent, frémirent, se
levèrent,
Sans bouger les yeux ou parler ;
C’eût été chose étrange, même en rêve,
De voir tous ces morts se lever.
Le barreur à son poste, le
bateau
Sans nul vent reprit son voyage ;
Les marins, à leur place accoutumée,
Vinrent manœuvrer les cordages,
Levant leurs bras tels des outils sans vie -
Eux, moi, quel horrible équipage !
J’étais près du corps du fils
de mon frère,
Son genou tout contre le mien ;
Nous tirâmes ensemble à une corde,
Pourtant le corps ne me dit rien.
Mais point par les âmes des hommes, ni par des démons de la terre ou du milieu des airs, mais par une troupe bénie d'esprits angéliques, envoyés d'en haut de par l'invocation du saint patron.
- Tu me fais peur, ô toi le
vieux Marin !
- Ô Convive, reste serein !
Ce ne sont ces âmes enfuies en peine
Qui dedans leurs corps défunts s’en reviennent,
Mais une troupe d’esprits saints.
Car à l’aube, laissant tomber
leurs bras,
Autour du mât ils s’assemblèrent ;
Des mélodies lentement de leurs bouches
Montèrent, puis leurs corps quittèrent.
Avant de s’élancer vers le
Soleil,
Chacune flotta alentour ;
Et lentement les mélodies revinrent,
Mêlées ou chacune à son tour.
Parfois j’entendais chanter
l’alouette,
Comme en gouttes tombant des cieux,
Parfois tous les petits oiseaux du monde ;
Comme ils semblaient remplir la mer et l’air
De leur babillage harmonieux !
Tantôt c’est comme un concert
d’instruments,
Tantôt comme un seul flageolet ;
Et maintenant, c’est un chant angélique
Qui les cieux mêmes rend muets.
Il prit fin ; mais les voiles
continuèrent
Jusqu’à midi leur bruit plaisant,
Comme d’un ru caché sous le feuillage
En un mois de juin verdoyant,
Qui toute la nuit aux bois endormis
Chante son air paisiblement.
Jusqu’à midi nous cinglâmes en
paix,
Sans la moindre brise pourtant :
Le navire voguait lent et tranquille,
Poussé d’en dessous vers l’avant.
L'Esprit solitaire du pôle sud transporte la bateau jusqu'à la Ligne, obéissant à la troupe angélique, mais réclame toujours vengeance.
Sous la quille par neuf brasses
de fond,
Depuis la neige et le brouillas,
L’esprit glissait ; c’était lui qui faisait
Aller le bateau de ce pas.
Les voiles à midi firent silence,
Le bateau avec s’arrêta.
Le Soleil tout juste
au-dessus du mât
L’avait rivé à l’océan ;
Mais un instant plus tard il s’ébranla
D’un pénible et court mouvement -
En arrière, en avant, à mi-longueur,
D’un pénible et court mouvement.
Alors, comme on lâche un
cheval qui piaffe,
Le bateau soudain fit un bond :
Ce me fit monter le sang à la tête,
Et je tombai en pâmoison.
Les démons qui accompagnent l'Esprit du Pôle, habitants invisibles des éléments, partagent son grief ; et deux d'entre eux se racontent l'un à l'autre qu'une longue et lourde pénitence pour le vieux Marin a été accordée à l'Esprit du Pôle, qui s'en retourne vers le sud.
Combien de temps je demeurai
ainsi,
Je ne saurais point l’assurer ;
Mais avant mon retour à la vie vraie,
J’entendis et discernai dans mon âme
Deux voix dans l’air à se parler.
« Est-ce
lui ? » dit l’une. « Est-ce bien cet homme ?
Par celui qui mourut en croix,
Cet homme avec sa cruelle arbalète
Abattit l’Albatros benoît.
Cet esprit qui habite en
solitaire
Parmi la neige et le brouillas
Aimait cet oiseau qui aimait cet homme
Qui d’une flèche le perça. »
L’autre voix était de note
plus douce,
Aussi douce que la miellée.
Elle parla : « L’homme a fait pénitence,
Et n’a point fini d’expier. »
Première voix
« Mais
dis-moi, dis-moi, poursuis ton discours,
Toi qui réponds si doucement -
Qu’est-ce qui fait donc filer ce bateau ?
Et qu’est-ce que fait l’océan ? »
Seconde voix
« Figé tel l’esclave
devant le maître,
L’océan de souffle est privé ;
Vers la Lune dans un parfait silence
Son grand œil brillant est tourné -
Pour savoir son chemin - car
c’est bien elle
Qui le guide, calme ou furieux.
Vois, frère ! comme elle abaisse sur lui
Ses regards doux et gracieux. »
Le Marin a été plongé dans une transe ; car la puissance angélique fait filer le vaisseau vers le nord plus vite qu'une vie humaine ne le saurait supporter.
Première voix
« Mais qu’est-ce qui
fait filer ce bateau
Sans vague, sans un souffle d’air ? »
Seconde voix
« L’air se fend devant
lui à son approche,
Et puis se referme derrière.
Volons, frère, volons ! plus
haut, plus haut !
Ou bien nous n’arriverons point :
Ce bateau musera, quand finira
L’ensorcellement du Marin. »
Le mouvement surnaturel se ralentit ; le Marin s'éveille, et sa pénitence reprend.
Je m’éveillai, et vis que nous
voguions
Comme par temps paisible et doux :
La nuit était tranquille sous la lune ;
Les morts ensemble étaient debout.
Ils étaient tous ensemble sur
le pont -
Un charnier mieux leur convenait :
Tous me fixaient de leurs regards de pierre,
Qui sous la Lune scintillaient.
L’angoisse, la malédiction,
la mort
Jamais ne s’en étaient allées :
Je ne pus détacher mes yeux des leurs
Ni les élever pour prier.
La malédiction est enfin expiée.
Puis ce charme fut rompu ; à
nouveau
Je contemplai l’océan vert,
Regardant au loin, mais ce qu’autrement
J’aurais vu, je ne le vis guère.
Tel celui qui, plein de peur
et d’effroi,
Sur une route solitaire,
Se tourne une fois puis repart,
Sans plus regarder en arrière ;
Car il sait qu’un démon épouvantable
Marche tout près de lui derrière.
Mais bientôt, un vent me
souffla dessus,
Sans faire bruit ni mouvement :
Il ne laissait en passant sur la mer
Nul signe d’ombre ou d’ondoiement.
Il jouait dans mes cheveux,
touchait ma joue,
Ainsi qu’au pré la brise flue -
Bien qu’il se mêlât étrange à mes peurs,
C’était comme une bienvenue.
Vite, vite se pressait le
bateau
Qui voguait paisible pourtant ;
Légère, légère soufflait la brise,
Mais sur moi-même seulement.
Et le vieux Marin aperçoit son pays natal.
Oh ! Rêve de joie ! est-ce le sommet
Du phare que je vois ici ?
Est-ce bien la colline ? Est-ce l’église ?
Est-ce donc mon propre pays ?
En dérivant, nous franchîmes
le môle,
Et dans mes sanglots je priais -
Ô permets-moi de m’éveiller, mon Dieu !
Ou fais que je dorme à jamais.
La rade était d’une clarté de
verre
Tant la mer était lisse et une !
Et sur la baie, la silhouette lunaire
Reposait dans le clair de lune.
Le rocher resplendissait, et
l’église
Dressée dessus pareillement :
Le clair de lune baignait de silence
La girouette sans mouvement.
Les esprits angéliques quittent les corps défunts,
La baie, dans cette lumière
muette,
Luisait blanche, lorsque soudain
En surgirent de nombreuses figures,
Des ombres teintées de carmin.
Et apparaissent sous leurs propres formes de lumière.
Guère éloignées de la proue se
tenaient
Ces ombres de carmin vêtues :
Alors je tournai mes yeux vers le pont -
Ô Christ ! ce que j’y aperçus !
Chaque corps gisait, étendu
sans vie,
Et, j’en jure la Sainte Croix !
Un homme de lumière, un séraphin,
Sur chaque corps se tenait droit.
Tous les séraphins agitaient
la main :
C’était une vision des cieux !
Dressés comme des signaux vers la terre,
Ils resplendissaient merveilleux.
Tous les séraphins agitaient
la main ;
Il ne venait d’eux nulle voix -
Nulle voix ; mais sur mon cœur ce silence
Comme une musique coula.
Mais bientôt j’entendis le
choc de rames,
Et du Pilote le salut ;
Malgré moi, ma tête se détourna,
Et une barque m’apparut.
J’entendis le Pilote avec son
Mousse
Qui se dépêchaient d’arriver.
Grand Dieu du Ciel ! c’était là une joie
Que les morts ne pouvaient briser.
J’en vis un troisième, je
l’entendis :
Le bon Ermite, c’est sa voix !
Il chante à pleins poumons ses hymnes pieux
Qu’il va composant dans le bois.
Il lavera du sang de l’Albatros
Mon âme et la confessera.
L'Ermite du Bois,
Ce
bon Ermite demeure en ce bois
Qui descend jusque vers la mer.
Comme il élève fort sa belle voix !
Il aime à causer avec les marins
Venant d’une lointaine terre.
Matin, midi et soir il s’agenouille
Sur son prie-Dieu bien rebondi :
C’est la mousse qui couvre tout entière
La souche du chêne pourrie.
L’esquif s’approcha, je les
entendis :
« En vérité, c’est étonnant !
Où donc sont toutes ces belles lumières
Qui nous faisaient signe à l’instant ? »
S'approche du bateau plein de saisissement.
« Étonnant, ma
foi ! » répondit l’Ermite.
« Notre appel n’est pas retourné !
Les planches ont l’air gauchi ! Et ces voiles,
Toutes fines et desséchées !
Je n’ai jamais rien vu qui leur ressemble,
Sinon peut-être la jonchée
De vieux squelettes brunâtres
de feuilles,
Dans mon bois, le long du ruisseau,
Lorsque le lierre est tout chargé de neige,
Et la chouette ulule vers le loup
Qui dévore le louveteau. »
« Seigneur Dieu !
l’aspect en est démoniaque -
(Dit le Pilote en hésitant)
Il me fait peur. - Souque donc, souque donc ! »
Lui dit l’Ermite avec allant.
La barque se rapprocha du
bateau ;
Je ne parlai ni ne frémis ;
La barque vint tout près sous le bateau,
Aussitôt un bruit retentit.
Le bateau sombre tout soudain.
Toujours plus fort et plus
épouvantable,
Sous les eaux longtemps il gronda :
Il parvint au bateau, fendit la baie ;
Comme plomb le bateau coula.
Le Marin est sain et sauf dans la barque du Pilote.
Étourdi par ce bruit fort et
terrible,
Choquant le ciel et l’océan,
Comme celui d’un noyé de sept jours
Mon corps flottait en dérivant ;
Mais vite comme en rêve vint la barque,
Et je me retrouvai dedans.
Au-dessus du tourbillon du
naufrage,
La barque tourna sans répit.
Puis tout fut calme, hormis que la colline
Répétait encore le bruit.
Je murmurai - le Pilote cria
Et dans un spasme s’évanouit ;
Le saint Ermite éleva son regard,
Priant d’où il était assis.
Je pris les avirons ; alors
le Mousse,
Qui est aujourd’hui dérangé,
Partit d’un long et fort éclat de rire
En roulant des yeux égarés.
« Ha ! ha ! »
fit-il « je le vois clairement,
Le Diable sait comment ramer ! »
Et maintenant, dans mon
propre pays,
Je retrouvai la terre ferme !
L’Ermite sortit de l’embarcation,
Ne tenant debout qu’avec peine.
Le vieux Marin implore instamment l'Ermite de le confesser ; et la pénitence de vivre s'abat sur lui.
« Confesse-moi,
confesse-moi, saint homme !
L’Ermite se signa au front.
« Dis-moi vite », fit-il, « je te l’ordonne :
Quelle sorte d’homme es-tu donc ? »
Aussitôt ma carcasse fut
tordue
Et déchirée d’affres terribles,
Qui me forcèrent à dire mon conte,
Puis après me laissèrent libre.
Et de temps à autres au cours de sa vie à venir, une grande angoisse le contraint à voyager de terre en terre.
Depuis, ces affres, à une heure
incertaine,
Ressurgissent et me dominent :
Jusqu’à la fin de mon horrible conte,
Mon cœur brûle dans ma poitrine.
Je vais, comme la nuit, de
terre en terre ;
Mes mots ont un curieux pouvoir ;
À l’instant même où je vois son visage,
Je reconnais l’homme qui doit m’entendre :
À lui je conte mon histoire.
Quel tintamarre éclate à
cette porte !
Les convives sont arrivés ;
Mais la mariée et les filles d’honneur
Sont sous la tonnelle à chanter.
Écoute aussi la clochette des vêpres
Qui sonne et m’invite à prier !
Ô Convive ! Cette âme s’est trouvée
seule
Sur un vaste, vaste océan :
Dans une solitude telle que Dieu même
Y semblait à peine présent.
Ô plus doux que le festin du
mariage,
Bien plus doux m’est d’aller ainsi,
De marcher tous ensemble vers l’église
Dans une belle compagnie !
De marcher tous ensemble vers
l’église,
Et tous ensemble d’y prier,
Comme chacun s’incline vers son Père,
Vieillards, bambins, amis aimants et chers,
Jeunes gens et filles enjouées !
Et à enseigner, par son propre exemple, l'amour et le respect pour toutes les choses que Dieu a faites et qu'il chérit.
Adieu, adieu ! Mais je te dis ceci,
À toi, Convive de ces fêtes !
Il prie bien, celui-là qui aime bien
Et l’homme, et l’oiseau, et la bête.
Il prie au mieux, celui qui
aime au mieux
Tous les êtres grands et petits ;
Car le Dieu de charité qui nous aime
Tous les a faits et les chérit.
Le Marin, dont l’œil est
étincelant,
Dont la barbe est blanchie par l’âge,
Est parti ; et voici que le Convive
Quitte la porte et le mariage.
Il s’en fut étourdi, comme
celui
Qui de son sens est orphelin ;
Et c’est en homme plus triste et plus sage
Qu’il se leva le lendemain.
(*) C'est une superstition commune auprès des matelots qu'un évènement mauvais soit près de se produire quand une étoile escorte la lune.
(**) Je dois les deux derniers vers de cette strophe à M. Wordsworth. C'est lors d'une délicieuse promenade de Nether Stowey à Dulverton, avec lui et sa sœur, à l'automne 1797, que ce Poème fut mis en projet, et en partie composé.
Je crois aisément qu'il existe plus de créatures invisibles que visibles dans l'univers. Mais qui nous représentera leurs familles ? Et leurs rangs, relations, signes distinctifs et fonctions particulières ? Que font-elles ? Quels lieux habitent-elles ? L'imaginaire humain a toujours gravité autour de la connaissance de ces êtres, sans jamais l'atteindre. Je ne doute pas, cependant, qu'il est quelquefois salutaire de contempler en pensée, comme en un tableau, l'image d'un monde meilleur et plus grand : de crainte que l'esprit accoutumé aux petitesses de la vie d'aujourd'hui ne se rétrécisse trop, et s'abîme en entier dans des vétilles. Mais il faut toutefois rester attentif à la vérité, et garder la mesure, afin de distinguer les choses certaines des incertaines, le jour de la nuit.
1797-1798, première version publiée en 1798, 1800, 1802, 1805 ; version révisée, avec ajout des commentaires en marge, publiée en 1817, 1828, 1829, 1834.
Dernière mise à jour le 21 février 2006.
© Bertrand Bellet, 2006 pour la traduction française.