Ma morte vivante
Dans mon chagrin, rien n’est en mouvement
J’attends, personne ne viendra
Ni de jour, ni de nuit
Ni jamais plus de ce qui fut moi-même
Mes yeux se sont
séparés de tes yeux
Ils perdent leur confiance, ils perdent leur lumière
Ma bouche s’est séparée de ta bouche
Ma bouche s’est séparée du plaisir
Et du sens de l’amour, et du sens de la vie
Mes mains se sont séparées de tes mains
Mes mains laissent tout échapper
Mes pieds se sont séparés de tes pieds
Ils n’avanceront plus, il n’y a plus de route
Ils ne connaîtront plus mon poids, ni le repos
Il m’est donné de
voir ma vie finir
Avec la tienne
Ma vie en ton pouvoir
Que j’ai crue infinie
Et l’avenir mon seul
espoir c’est mon tombeau
Pareil au tien, cerné d’un monde indifférent
J’étais si près de toi que j’ai froid près des autres.
Je t'aime
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'ai pas connues
Je t'aime pour tous les temps où je n'ai pas vécu
Pour l'odeur du grand large et l'odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs
Pour les animaux purs que l'homme n'effraie pas
Je t'aime pour aimer
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'aime pas
Qui me reflète sinon
toi-même je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien qu'une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd'hui
Il y a eu toutes ces morts que j'ai franchies sur de la paille
Je n'ai pas pu percer le mur de mon miroir
Il m'a fallu apprendre mot par mot la vie
Comme on oublie
Je t'aime pour ta
sagesse qui n'est pas la mienne
Pour la santé
Je t'aime contre tout ce qui n'est qu'illusion
Pour ce coeur immortel que je ne détiens pas
Tu crois être le doute et tu n'es que raison
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi.
Certitude
Si je te parle c'est pour mieux t'entendre
Si je t'entends je suis sûr de te comprendre
Si tu souris c'est
pour mieux m'envahir
Si tu souris je vois le monde entier
Si je t'étreins
c'est pour me continuer
Si nous vivons tout sera à plaisir
Si je te quitte
nous nous souviendrons
En te quittant nous nous retrouverons
Le Phénix
Je suis le dernier sur ta route
Le dernier printemps la dernière neige
Le dernier combat pour ne pas mourir
Et nous voici plus
bas et plus haut que jamais.
Il y a de tout dans notre bûcher
Des pommes de pin des sarments
Mais aussi des fleurs plus fortes que l'eau
De la boue et de
la rosée,
La flamme est sous
nos pieds la flamme nous couronne
A nos pieds des insectes des oiseaux des hommes
Vont s'envoler
Ceux qui volent vont
se poser.
Le ciel est clair
la terre est sombre
Mais la fumée s’en va au ciel
La ciel a perdu tous ces feux.
La flamme est restée
sur la terre
La flamme est la
nuée du cœur
Et toutes les branches du sang
Elle chante notre air
Elle dissipe la buée
de notre hiver.
Nocturne et en horreur
a flambé le chagrin
Les cendres ont fleuri en joie et en beauté
Nous tournons toujours le dos au couchant
Tout a la couleur
de l’aurore.
La mort, l'amour la vie
J’ai cru pouvoir
briser la profondeur de l’immensité
Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho
Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges
Comme un mort raisonnable qui a su mourir
Un mort non couronné sinon de son néant
Je me suis étendu sur les vagues absurdes
Du poison absorbé par amour de la cendre
La solitude m’a semblé plus vive que le sang
Je voulais désunir
la vie
Je voulais partager la mort avec la mort
Rendre mon cœur au vide et le vide à la vie
Tout effacer qu’il n’y ait rien ni vitre ni buée
Ni rien devant ni rien derrière rien entier
J’avais éliminé le glaçon des mains jointes
J’avais éliminé l’hivernale ossature
Du vœu qui s’annule
Tu es venue le feu
s'est alors ranimé
L'ombre a cédé le froid d'en bas s'est étoilé
Et la terre s'est recouverte
De ta chair claire et je me suis senti léger
Tu es venue la solitude était vaincue
J'avais un guide sur la terre je savais
Me diriger je me savais démesuré
J'avançais je gagnais de l'espace et du temps
J'allais vers toi j'allais sans fin vers la lumière
La vie avait un corps l'espoir tendait sa voile
Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit
Promettait à l'aurore des regards confiants
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard
Ta bouche était mouillée des premières rosées
Le repos ébloui remplaçait la fatigue
Et j'adorais l'amour comme à mes premiers jours.
Les champs sont labourés
les usines rayonnent
Et le blé fait son nid dans une houle énorme
La moisson la vendange ont des témoins sans nombre
Rien n’est simple ni singulier
La mer est dans les yeux du ciel ou de la nuit
La forêt donne aux arbres la sécurité
Et les murs des maisons ont une peau commune
Et les routes toujours se croisent.
Les hommes sont faits
pour s’entendre
Pour se comprendre pour s’aimer
Ont des enfants qui deviendront pères des hommes
Ont des enfants sans feu ni lieu
Qui réinventeront les hommes
Et la nature et leur patrie
Celle de tous les hommes
Celle de tous les temps.
Par un baiser
Jour la maison et
nuit la rue
Les musiciens de la rue
Jouent tous à perte de silence
Sous le ciel noir nous voyons clair
La lampe est pleine
de nos yeux
Nous habitons notre vallée
Nos murs nos fleurs notre soleil
Nos couleurs et notre lumière
La capitale du soleil Est à l'image de nous-mêmes Et dans l'asile de nos murs
Notre porte est celle des hommes.
Même quand nous dormons
Même quand nous dormons
nous veillons l’un sur l’autre
Et cet amour plus lourd que le fruit mûr d’un lac
Sans rire et sans pleurer dure depuis toujours
Un jour après un jour une nuit après nous
Dit de l’amour
(…)
J’ai dans les mains deux mains abandonnées.
(…)
Du fond de l’abîme
(…)
VII
Nous sommes à nous deux la première nuée
Dans l’étendue absurde du bonheur cruel
Nous sommes la fraîcheur future
La première nuit de repos
Qui s’ouvrira sur un visage et sur des yeux nouveaux et purs
Nul ne pourra les ignorer
Notre mouvement
(…)
Nous sommes corps à corps nous sommes terre à terre
Nous naissons de partout nous somme sans limites
En vertu de l’amour
(…)
Je n’ai rien séparé mais j’ai doublé mon cœur
D’aimer, j’ai tout créé : réel, imaginaire,
J’ai donné sa raison, sa forme, sa chaleur
Et son rôle immortel à celle qui m’éclaire.
Vingt-huit novembre
mil neuf cent quarante-six
Nous ne vieillirons
pas ensemble.
Voici le jour
En trop : le temps
déborde.
Mon amour si léger
prend le poids d’un supplice.
Négation de la poésie
J’ai pris de toi
tout le souci tout le tourment
Que l’on peut prendre à travers tout à travers rien
Aurais-je pu ne pas t’aimer
O toi que la gentillesse
Comme une pêche après une autre pêche
Aussi fondantes que l’été
Tout le souci tout
le tourment
De vivre encore et d’être absent
D’écrire ce poème
Au lien du poème
vivant
Que je n’écrirai pas
Puisque tu n’es pas là
Les plus ténus dessins
du feu
Préparent l’incendie ultime
Les moindres miettes de pain
Suffisent aux mourants
J’ai connu la vertu
vivante
J’ai connu le bien incarné
Je refuse ta mort mais j’accepte la mienne
Ton ombre qui s’étend sur moi
Je voudrais en faire un jardin
L’arc débandé nous
sommes de la même nuit
Et je veux continuer ton immobilité
Et le discours inexistant
Qui commence avec toi qui finira en moi
Avec moi volontaire obstiné révolté
Amoureux comme toi des charmes de la terre.
Vivante et morte séparée
(…)
Mes mains mes pieds étaient les siens
Et mes désirs et mon poème étaient les siens
(…)
Tu n’avais rien de rien à faire avec la mort
(…)
Mon éphémère écoute je suis là je t’accompagne
(…)
Je ne dors pas je suis tombé j’ai trébuché sur ton absence
Je suis sans feu sans force près de toi
(…)
Je souffre pour toujours de ton silence ô mon amour.
Portrait en trois
tableaux
III
(…)
Je suis partout en toi partout où bat ton sang
Limite de tous les
voyages tu résonnes
Comme un voyage sans nuages tu frisonnes
Comme une pierre dénudée aux feux d’eau folle
Et ta soif d’être nue éteint toutes les nuits.
Je t’ai imaginée
Le grand merci que
je dois à la vie
Non à la mienne mais à toute vie
Car tu es femme entière à la folie
Et rien n’a pu te réduire à toi-même
Dors mon enfance ma confiance d’or
Sur la litière où nous n’avons qu’un cœur
Fuyez misères à visage d’homme
Veiller sur toi c’est rêver d’être toi
C’est être sérieux
Sans avoir rien appris
Si de raison ma tête s’éclairait
Je ne serais qu’un homme qui a tort
Baiser m’enivre un peu plus qu’il ne faut
Je suis futur et rien n’a de limites
Toi l’endormie moi l’homme sans sommeil
Nous partageons une marge indistincte
De fruits de fleurs de fruits couvrant les fleurs
Et de soleil s’enchevêtrant aux nuits
Comme si la nuit
Était la terre des couleurs
Comme si la verdure et l’automne
Naissaient du gel fixé aux branches
Comme si ces vivants que l’on nomme
Sel de la terre ou lumière de nuit
Ne pouvaient pas se contrefaire
Ne pas avoir un ventre déférent
Des seins décents aimables complaisants
Où en es-tu je vis j’ai vécu je vivrai
Je crée je t’ai créée je te transformerai
Pourtant je suis toujours par toi l’enfant sans ombre
Je t’ai imaginée.
Prête aux baisers
résurrecteurs
Pauvre je ne peux
pas vivre dans l’ignorance
Il me faut voir entendre et abuser
T’entendre nue et te voir nue
Pour abuser de tes caresses
Par bonheur ou par
malheur
Je connais ton secret pas coeur
Toutes les portes de ton empire
Celle des yeux celle des mains
Des seins et de ta bouche où chaque langue fond
ET la porte du temps ouverte entre tes jambes
La fleur des nuits d’été aux lèvres de la foudre
Au seuil du paysage où la fleur rit et pleure
Tout en gardant cette pâleur de perle morte
Tout en donnant ton coeur tout en ouvrant tes jambes
Tu es comme la mer
tu berces les étoiles
Tu es le champ d’amour tu lies et tu sépares
Les amants et les fous
Tu es la faim le pain la soif l’ivresse haute
Et le dernier mariage
entre rêve et vertu.
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