KANYE WEST AIME KANYE WEST

C’est un peu avant que 50 Cent devienne le protégé de l’étiquette Shady/Aftermath, un peu après que Jay-Z annonce sa supposée retraite. Une époque où le hip hop est depuis longtemps sorti de l’ombre de l’underground et fait maintenant figure de clou du spectacle, de genre musical qui remplit les coffres des maisons de disques. C’est dans cette ère qu’un certain producteur de hip hop frôle la mort dans un terrible accident routier. Après avoir retrouvé la santé, il décide de surgir de derrière le mixeur pour se lancer dans l’interprétation. Comme il possède déjà un nom dans le milieu, cette transition n’est pas trop éprouvante et son succès, sous la bannière de Roc-A-Fella Records (dirigée par Sean Carter, alias Jay-Z), est immédiat. Vous l’aurez deviné, je parle de Kanye West.

À ce moment de l’histoire du mouvement hip hop, l’arrivée de Kanye West fait du bien. Avec son premier album
The College Dropout, sorti en 2004, le rappeur élevé à Chicago sort du cadre en variant les thèmes de ses chansons. Alors que le ghetto, les bitches, les gangsters et le bling bling sont au centre des préoccupations des autres MCs, West nous parle de sa famille, de religion, de société, de son expérience peu fructueuse à l’université… Ses racines hip hop sont indéniables, mais, dès son entrée en jeu, il fait figure de changement, d’évolution, de différence par rapport au milieu très matérialiste du hip-hop contemporain.
Mais le succès met peu de temps à lui monter à la tête. Le ton de l’album
Late Registration, sorti en 2005, est, sans être mauvais en soi, quelque peu prétentieux. Quoique toujours de nature variée et originale, le contenu de cet opus permet de constater que l’ego de Kanye West a pris de l’ampleur :

« Grammy night, damn right, we got dressed up »
- Diamonds From Sierra Leone

« In the One, Nine, Nine, Nine, before, model chicks was bendin’ over or dealerships asked me Benz or Rover… »
- Gone

«They claim you never know what you got 'til it's GONE, I know I got it»
- Gone

Je ne saurais être de mauvaise foi, toutefois : cet album est très réussi, malgré tout. De solides rythmes, agencées à des mélodies tantôt paisibles, tantôt endiablées et des paroles qui, malgré une certaine teneur égocentrique, sont bien écrites. Mais ce sont les thèmes qui, encore une fois, donnent toute sa valeur au travail de West. Il rend un hommage touchant à sa mère dans
Hey Mama, fredonne des vers sur l’insécurité amoureuse sur Heard ‘em Say, nous dévoile comment il s’est senti à la mort de sa grand-mère dans Roses. Du bon hip hop en général, il faut le reconnaître. Et s’il y a quelqu’un qui se joint à moi pour le reconnaître, c’est bien Kanye West.

M. West, comme il le souligne ici et là dans ses chansons, est un grand fan de sa propre œuvre. Il est au narcissisme ce que Michael Jordan est au basketball. Il s’aime beaucoup, quoi. Qu’est-ce qui me pousse à tenir un tel discours? Nul besoin de chercher loin.

Après avoir remporté un Moon Man aux MTV Video Music Awards pour son vidéoclip de
Jesus Walks en 2005, aucune modestie n’étouffe M. West. En effet, il finit son discours avec un flamboyant : « I’m the greatest.  ».1
Et quand il ne remporte pas, il est soit en train de prédire ses prochains succès de galas :

« If I don't win Album of the Year, I'm gonna really have a problem with that. I can never talk myself out of [winning] ».2
- Kanye West

Vidéo : http://www.ifilm.com/ifilmdetail/2684817?showw=no&refsite=7202

…ou soit en train de s’insurger contre ses défaites, sur la scène même, lorsque le prix lui étant supposément destiné est remis à quelqu’un d’autre :

« If I don’t win, the awards show loses credibility ».3
- Kanye West

Vidéo : http://www.hollywoodgrind.com/?p=3436

Le site de la chaîne américaine de nouvelles NBC nous apprend que c’est même une habitude :

« It’s also not the first time he’s had a meltdown at an awards show. At the 2004 American Music Awards, West bitterly complained backstage that he was robbed when he didn’t win a trophy ».4
- Associated Press, sur MSNBC.com

Le problème de Kanye ne réside pas tant dans son talent musical, que dans son ego. Oui, il a apporté un vent de fraîcheur sur le musique urbaine; oui, il a dénoncé l’homophobie dont font preuve beaucoup d'artistes du milieu hip hop; oui, il a même sorti le hip hop d’une mode vestimentaire unique en s’inventant un style mi-urbain, mi casuel… mais il n’a jamais arrêté de crier qu’il est le meilleur, à descendre les autres au passage, à vanter ses propres mérites. C’est agaçant, voire irritant. Pourquoi ne pas laisser le public témoigner de son talent? Il me semble qu’un artiste confiant ne devrait pas ressentir le besoin de rappeler à tout le monde qu’il est extraordinaire sans cesse.

Certaines gens le défendent en disant que ce comportement prétentieux ne serait en fait qu’une sorte de jeu médiatique auquel il se prête, un sarcasme en leitmotiv, un gag perpétuel. Eh bien, si c’est de l’humour, je trouve cela plus ou moins drôle. Et même si j’en mouillais mes boxers de rire, après 2 ans, je trouverais tout cela moins drôle. La plaisanterie a assez duré, si vous voulez mon avis.

Bref, malgré l’admiration que j’ai pour la musique de Kanye West, je ne peux tolérer la personne. Il est un artiste inspiré, mais il a plus de nombril que d’esprit. Il est fort dommage qu’un artisan du mouvement évolutif du hip hop soit si irrévérencieux, si égocentrique. Est-ce que le temps qui passe saura lui injecter une dose d’humilité?

On verra bien.
1. MTV Video Music Awards, diffusé le 28 août 2005 sur MTV, filmé au American Airlines Arena, Miami.

2
. « Kanye West will win Grammy, or else…», The Superficial, 8 déc. 2005, http://www.thesuperficial.com/archives/2005/12/08/kanye_will_win_grammy_or_else.html,
Consulté le 29 mars 2007


3. « Kanye West a sore loser at MTV Europe awards: Rapper storms stage, unleashes tirade after losing Best Video prize », MSNBC.com, 3 novembre 2006, http://www.msnbc.msn.com/id/15536834/
Consulté le 29 mars 2007

4. Idem à 3