Steve Bauer

12 juillet 1990

Le Tour de France : Steve Bauer est fier de son exploit

"La France oubliera peut-être que j'ai porté le maillot jaune pendant dix jours, mais le Canada s'en rappellera"

Philippe Cantin

Vêtu d'un survêtement noir, les cheveux blonds tirés vers l'arrière, le regard songeur, Steve Bauer est assis dans le lobby d'un petit hôtel de l'Alpe d'Huez. Depuis une heure, il sait que son rêve de monter sur le podium du Tour de France ne se réalisera pas. L'étape d'hier entre St-Gervais et l'Alpe d'Huez a été trop dure pour lui.

Après avoir avalé un sandwich et mis de l'ordre dans ses pensées, Bauer avoue simplement: «J'étais confiant de réaliser une belle étape. Mais dès le premier col, j'ai compris que la journée serait difficile. J'essayais de rester avec les meilleurs mais j'en étais incapable. Il aurait fallu que le tempo ralentisse...»

Bauer a terminé l'étape 21 min 45 s derrière le vainqueur, l'Italien Gianni Bugno. Un retard majeur qui ne pardonne pas et brise bien des illusions.

Quand il a franchi le fil d'arrivée, Bauer a refusé de s'arrêter. Plusieurs journalistes à ses trousses, il a roulé vers son hôtel, situé 500 mètres plus loin. Il est descendu de vélo et est monté immédiatement à sa chambre.

Malgré sa profonde déception, son caractère d'acier a vite repris le dessus. Une heure plus tard, il racontait ce qui s'était produit avec calme et lucidité.

«Au ravitaillement, mon retard était déjà de cinq minutes. J'ai su qu'il me serait impossible de le combler. Le parcours était trop exigeant. Les deux premiers cols s'enchaînaient sans section de plat entre eux. Le Tour de France, c'est le Tour de France. On ne modifiera tout de même pas le parcours afin de me satisfaire. Pour réussir à reprendre du temps, il aurait fallu que je sois Superman...»

Au 32e rang
Après avoir roulé dix jours en jaune, Bauer se retrouve au 32e rang du classement général, 22 min 18 s derrière le Breton Ronan Pensec. Il n'est plus le mieux classé de l'équipe 7-Eleven, un honneur que revendique désormais l'Américain Andrew Hampsten. Celui-ci s'est très bien comporté dans la montagne hier et occupe la neuvième place, 13 min 45 s derrière Pensec.

«Dans toute sa carrière, Greg LeMond n'a pas porté le maillot jaune pendant dix jours, a raconté Bauer. C'est lui qui me l'a souligné avant l'étape d'aujourd'hui. Alors je suis fier de mon exploit. Même si je sais qu'enlever deux fois le Tour comme l'a réussi Greg représente un accomplissement beaucoup plus grand que le mien.»

Depuis qu'il est chez les professionnels, Bauer a connu des joies, mais aussi plusieurs déceptions. Les Championnats du monde de 1988, quand il a été accusé d'avoir causé la chute du Belge Claudy Criquiélion à 100 mètres de l'arrivée, figurent au premier rang de celles-ci. Sa contre-performance d'hier suit, pas trop loin derrière.

«Je ne veux pas me juger trop sévèrement, dit-il. Sinon, il est impossible de réussir dans le sport. Le Tour de France est une grande course, la plus signifivative de toutes. Mais il y aura d'autres courses importantes cette saison.

«Et si je ne crois plus au podium pour cette année, je pense encore être capable de remporter une étape. Je pourrai attaquer sans que tout le peloton se lance à ma poursuite.»

Bauer est déçu. Mais ses succès de la première semaine du Tour s'inscrivent en lettres d'or à son palmarès. «La France oubliera peut-être que j'ai porté le maillot jaune pendant dix jours, mais le Canada s'en rappellera.»


une page mise en ligne le 16 mars 2000 par