Steve Bauer

19 juillet 1988

Tour de France : un verdict dans la démence
Pedro Delgado progresse en direction des Champs-Elysées

Pierre Hamel

LUZ ARDIDEN
C'est dans les grandes étapes de montagne que se vit le Tour de France et on en a eu encore la preuve au cours des derniers jours. La traversée des Alpes avait laissé planer quelques doutes sur les prétendants à la victoire. Mais hier, dans la grande épreuve pyrénéenne entre St-Girons et Luz Ardiden, une étape absolument démente avec six grands cols dont le légendaire Tourmalet et la montée de Luz Ardiden, le verdict a été clairement rendu.

A moins d'un accident ou d'une défaillance extraordinaire, l'Espagnol Pedro Delgado portera le maillot jaune jusque sur les Champs-Elysée à Paris. Depuis une semaine, il domine complètement le peloton et contre facilement les attaques, souvent bien timides, de ses plus sérieux rivaux. Critiqué sévèrement par ses fans espagnols parce qu'il avait refusé de participer au Tour d'Espagne pour mieux préparer la Grande Boucle, Delgado a regagné leur ferveur au cours des derniers jours.

On ne peut en dire autant du Colombien Lucho Herrera qui avait paru très à l'aise dans les premières semaines du Tour. Mais depuis, malgré quelques démarrages très secs dont il a seul le secret, Herrera plafonne dans la montagne alors qu'il devrait la survoler. C'est plutôt son ancien coéquipier colombien Fabio Para, passé depuis à une équipe espagnole, qui caracole souvent en tête avec les deux surprenants Hollandais Steven Rooks et Gert-Jan Theunisse.

Mais l'une des grandes révélations de ce Tour demeure Steve Bauer. Même les journalistes français, pourtant avares d'éloges pour les cyclistes étrangers, concèdent que Bauer connaît un Tour exceptionnel. On savait qu'il pouvait gagner des classiques et être avec les meilleurs un bon bout de temps lors des grandes courses par étapes mais Bauer avait toujours un «jour sans», une grande défaillance dans la montagne.

Or cette année, dans les Alpes, il s'est d'abord accroché aux fils de son maillot jaune puis, dans les Pyrénées, à sa troisième place au classement général.

Dans la terrible montée de l'Alpe d'Huez, que Bauer redoutait tant, il a contenu les meilleurs grimpeurs comme Delgado et Herrera et gagné du temps sur Alcala, Hampsten et le Français Pensec, pourtant pas des chèvres. Au fil, il a même sprinté pour réduire l'écart qui le séparait alors de Delgado. «Mon directeur sportif Paul Koechli m'a dit que je n'étais pas loin de Delgado et que je pourrais peut-être garder mon maillot jaune une journée de plus», explique Bauer. Mais il l'a perdu par 25 secondes non sans avoir eu droit aux compliments du Suisse Urs Zimmermann, un grand grimpeur. «Mes problèmes ont commencé quand j'ai vu Bauer devant moi. J'ai essayé de le suivre, je n'ai pas pu».

Bauer a éprouvé beaucoup plus de difficultés dans les Pyrénées. Depuis deux jours, il soigne un début de bronchite, ce mal qui l'asssaille depuis des années. «Dans la nuit de samedi à dimanche, j'ai eu mal à la gorge et j'ai beaucoup toussé. J'ai sans doute pris un peu de froid dans les Alpes (c'était particulièrement frisquet). Ça nuit un peu à ma respiration mais en même temps, ça me force à relaxer dans les descentes parce que je tousse beaucoup quand je produis des efforts en montée.»

Cela ne l'a pas empêché de s'accrocher comme peu de coureurs du peloton le font. Il monte les cols à son rythme et rattrape son monde dans les descentes jusqu'au moment où il ne peut plus suivre.

Hier, dans le Tourmalet, Bauer a essayé... «Je n'étais pas bien et ça a été terrible. Ça fait trois fois que je monte ce col et chaque fois j'en arrache», explique-t-il en toussant et crachant à qui mieux mieux.

Et comme toujours depuis le début de ce Tour, Bauer a limité les dégats dans la dernière ascencion vers Luz Ardiden et se retrouve maintenant en quatrième position au classement général.

Le Puy de Dome, jeudi prochain, demeure le seul obstacle majeur d'ici la fin du Tour. Bauer en est conscient et il laisse entendre qu'il pourrait bien se laisser glisser dans une échappée. «On ne sait jamais ce qui peut arriver. J'ai encore le goût de tenter quelque chose d'ici la fin.»


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