Steve Bauer |
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25 juillet 1988
Pierre Hamel
PARIS
Peu de surprises hier sur les Champs-Elysées, alors que l'Espagnol Pedro Delgado a conservé son maillot jaune et que le Hollandais Jean-Paul Van Poppel a remporté sa quatrième étape. Mais il s'en est fallu de peu pour que Steve Bauer réussisse encore un coup d'éclat dans cette dernière étape du Tour de France.
Le peloton a fait un peu de tourisme durant une centaine de kilomètres avant d'enfin se décider à accélérer la cadence à l'approche de Paris. C'est alors que les grands sprinters comme Bontempi, Elliott et Van Poppel ont pris les choses en mains. Et comme d'habitude, les coéquipiers de Van Poppel se sont portés à l'avant du peloton pour rejoindre la petite échappée de Bauer. Bien calé dans la roue de ses «potes» hollandais, Van Poppel a surgi au tout dernier moment et n'a eu aucune dificulté à coiffer à la ligne l'Italien Bontempi et un autre Hollandais Matthieu Hermans.
Pour la première fois depuis que le Tour se termine sur les Champs-Élysées, les coureurs bouclaient le circuit de la grande avenue dans le sens des aiguilles d'une montre. Un changement qui, à priori, semblait avantager Steve Bauer parce que la fin de la course était jugée au bas d'une petite descente. A dix kilomètres de la fin, Bauer est revenu sur un groupe d'une dizaine de coureurs puis a immédiatement relancé l'attaque avec Elliott et Maassen. «Je me sentais très bien et j'ai fait tout le forcing pour creuser l'écart. J'ai pensé qu'on pourrait réussir à s'échapper si d'autres coureurs venaient nous rejoindre», explique Bauer. Personne d'autre n'a pris le relais et lorsque le peloton, qui flinguait à plus de 70 km/h, a diminué l'écart, Bauer a levé le pied.
Il n'empêche qu'avec une quatrième place au classement général, Bauer a réalisé une grande performance. «C'est sûr que j'aurais aimé être sur le podium, mais je suis très heureux de mon classement compte-tenu de mon potentiel, des difficultés de la course et du fait que de nombreux favoris ont abandonné ou tout simplement craqué, raconte un Bauer beaucoup plus relax. Je pense avoir prouvé qu'à l'avenir, on devra me considérer comme l'un des favoris du Tour de France.»
Pour l'instant, Bauer prendra un peu de repos chez lui, en Belgique, avant d'y disputer trois critériums la semaine prochaine. Après? Montréal, le 6 août prochain, et surtout les championnats du monde à la fin août qu'il rêve de remporter.
Le Tour de France 1988 marquera sans doute l'histoire parce que ce fut un tour de paradoxes. Très court et en même temps très rapide, Bauer considère que c'est un des tours les plus intensifs qu'il ait courus depuis quatre ans. Mais, curieusement, il y a eu moins d'abandons qu'auparavant.
Cependant, tous ceux que l'on citait comme favoris ont lamentablement échoué. Laurent Filion a abandonné en signifiant qu'il en avait ras-le-bol. Jean-François Bernard a croulé sous la pression et Charly Mottet n'a jamais été dans l'allure. Le Suisse Urs Zimmermann a complètement raté son Tour et l'Irlandais Sean Kelly a sombré dans l'anonymat du peloton. L'Américain Hampsten, vous le savez déjà, a lui aussi éprouvé plusieurs difficultés.
Quant au Colombien Lucho Herrera, de qui Cyrille Guimard disait «qu'il avait presque gagné le Tour», au lendemain du premier contre la montre, il a stagné dans la montagne alors qu'il devait y forger définitivement sa victoire. C'est plutôt son compatriote Fabio Parra, promu leader chez la formation espagnole Kelme, qui a surpris en terminant troisième.
Pedro Delgado a aussi marqué de façon indélébile ce Tour. D'abord par sa grande supériorité athlétique, jour après jour, mais surtout par son contrôle positif-négatif. Une véritable saga où les coupables ont changé au fil des jours et où le héros, en l'occurence Delgado, a récupéré un maillot qu'il n'avait jamais perdu. Une belle séance d'hypocrisie collective où le cyclisme a perdu bien des plumes, et le Tour de France une bonne partie de sa crédibilité. Au défilé qui a suivi l'arrivée des coureurs sur les Champs-Élysées, la colonie espagnole a clamé son bonheur au passage de Delgado. Dans les estrades d'honneur, on riait jaune...
On ne peut pas vivre 21 jours au rythme du Tour de France sans en rapporter quelques images, quelques instants privilégiés. Trois flashes me reviennent continuellement à l'esprit. Le premier concerne le Français Laurent Fignon, l'homme au ver solitaire. Dans la deuxième étape, un contre-la-montre par équipes, Fignon en arrache. Il a toutes les misères du monde à recoller à la roue de ses coéquipiers. Quelques kilomètres pous loin, Fignon est à la dérive. C'est alors qu'on voit ce double gagnant du Tour en 1983 et 1984 siffler pour attirer l'attention de ses petits copains sur sa grande solitude. Dur, dur.
Au contre la montre individuel de Wasquehal, Steve Bauer a décidé de frapper un grand coup. Je suis le premier à l'accueillir à la ligne d'arrivée. Il pleut depuis une dizaine de minutes et le temps est plutôt frisquet. Bauer se laisse tomber sur la clôture qui borde la ligne d'arrivée. Il a l'écume à la bouche et il tremble. Il n'arrête pas de toussser et de cracher. Une minute de silence, deux peut-être, je ne sais plus. Je suis là, j'attends ses réactions. Mais pourquoi diable a-t-il choisi ce métier ?
Saint-Girons/Luz Ardiden, l'étape où le Tour bascule. Le col du Tourmalet et une arrivée en altitude sont au programme. L'un après l'autre, les coureurs franchissent la ligne très éprouvés. Tout près de la voiture de leur directeur sportif, Andy Hampsten et Raul Alcala sont assis l'un près de l'autre, presque dos à dos. Les deux viennent de perdre leur seule chance de gagner le Tour. On dirait la fin du monde. Hampsten fixe l'horizon, Alcala masque ses pleurs derrière ses larges lunettes de soleil. Des milliers de personnes nous entourent et pourtant, on entend clairement le bruit du petit ruisseau qui coule aux pieds de Hampsten.
Bloc-Notes : Éric Boyer, le premier Français au classement général du Tour (5e), a déjà participé au Tour de l'Abitibi en 1981... Comme à chaque année, tous les «bosses de bécosses» de Paris se retrouvent sur les Champs-Élysées. Même si ça fait trois semaines que vous suivez le Tour, il faut montrer patte blanche à tout ce qui porte un uniforme... Samedi, lors du contre-la-montre individuel de Santenay, les coureurs ont traversé les vignes de la Côte-de-Beaune de Auxay, de Saint-Roimain, de Pommard, et de Chassagne. Autant de noms évocateurs de grands crus... 22500 repas auront été servis aux coureurs durant ce Tour de France. Plus de 10000 gendarmes et policiers ont assuré la sécurité durant tout le Tour.
Deux de suite pour Longo
La Française Jeannie Longo a enlevé pour la deuxième année consécutive le Tour de France féminin cycliste, hier sur les Champs-Élysées ensoleillées, rejoignant ainsi sa grande rivale Italienne Maria Canins, victorieuse à deux reprises (1985 et 1986).
Cette année encore, dans un Tour moins montagneux, cette cinquième édition s'est résumée en un duel entre les deux rivales. Ayant gagnée en puissance, la Grenobloise, victorieuse à cinq reprises, a dû s'employer à fond, et grappiller 12 jours durant, les 1:20 qui ont finalement constitué l'écart final à Paris où la Française Virginie Lafargue s'est imposée, détachée. L'an dernier, la victoire de la championne du monde avait été plus large: avec 2:52 sur l'Italienne sur un parcours il est vrai davantage montagneux.
La course hier s'est résumée en une série de vaines escarmouches dont la plus étonnante s'est située d'entrée à la Côte des Gardes, avec la Finlandaise Tea Vikstedt-Nyman, la Norvégienne Unni Larsen, l'Américaine Betsy King, la Soviétique Nadejda Kibardina... Canins et Longo. Les personnalités étaient trop nombreuses pour aller au bout.
C'est à 5km du but, dans le dernier passage sur les Champs-Elysées que Virginie Lafargue s'est échappée et a réussi à conserver une centaine de mètres d'avance sur une meute contrôlée par les Françaises.
Jeannie Longo, de son côté, ne prendra pas le temps de se reposer. Entraînement pour les Jeux olympiques oblige.
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