Steve Bauer |
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30 juillet 1991
Steve Bauer a connu un parcours désastreux; à 32 ans, il ne croit pas sa carrière terminée
Philippe Cantin
Paris
Samedi après-midi, à Mâcon. Steve Bauer vient de compléter l'avant-dernière étape du Tour de France. Pendant qu'il se rafraîchit, des gens se pressent autour de lui, réclamant un autographe.
En se retournant, il aperçoit le journaliste de La Presse. «Tu n'as pas pu écrire d'aussi belles histoires à mon sujet cette année, eh...», lance-t-il dans un petit sourire.
Ça, c'est le moins que l'on puisse dire. En 1990, Bauer avait réussi un bel exploit en endossant le maillot jaune pendant dix jours. Même s'il s'était écrasé dans les Alpes, sa performance avait constitué un beau moment de ce Tour.
Cette année, rien de tout cela. Bauer a connu un parcours désastreux. Il n'a jamais endossé la célèbre tunique et n'est même pas venu près de remporter une victoire d'étape, ce qui représentait son premier objectif. «Je ne me sentais pas bien quand le Tour a commencé, dit-il. Mes jambes n'ont jamais été aussi mauvaises durant la première semaine du Tour.»
Au sein du peloton, Bauer n'est plus un jeunot. Il a 32 ans, un âge où beaucoup de cyclistes commencent à s'interroger sur leur avenir. «Je suis encore capable de gagner de belles courses, affirme-t-il. Mais j'avoue qu'en vieillissant, j'ai besoin de plus de temps pour récupérer après un effort intense. A la fin du mois de juin, j'ai couru le Tour de Suisse et le rythme a été très élevé. Quand le Tour de France a commencé, je n'étais pas à mon meilleur.»
Bauer n'envisage pas de se retirer. Son contrat avec l'équipe Motorola est valide jusqu'à la fin de la prochaine saison. Son salaire annuel frôlant le million, ses patrons s'attendent sûrement à quelques belles performances d'ici la fin de la saison. «Motorola ne m'a pas dit de me donner un coup de pied dans le derrière, assure-t-il. Ils savent que les coureurs cyclistes traversent tous de mauvais moments. Mais j'espère ne pas connaître un autre Tour de France aussi pénible. Si c'est le cas, je me poserai des questions...»
Le Championnat du monde
Bauer prépare déjà la dernière partie du calendrier. Il espère se distinguer dans la course du Championnat du monde qui aura lieu en Allemagne à la fin du mois d'août.
«J'ai terminé le Tour de France avec beaucoup plus de force que je ne l'ai commencé. Et au Championnat du monde, j'ai souvent réussi de belles courses. Je suis optimiste.»
Bauer sait que sa tâche ne sera pas facile. D'autres coureurs tenteront de faire oublier leur Tour de France à Stuttgart. Parmi eux, Greg LeMond, qui n'a pas caché ses ambitions.
«J'ai retouvé le moral dans la dernière semaine du Tour, dit Bauer. Je veux continuer de courir encore quelques années et je n'ai pas pensé à ce que je ferai quand ma carrière sera terminée.»
Au Canada, aucun cycliste ne semble prêt à assumer sa relève sur le circuit international. Brian Walton, de Motorola, a du potentiel, mais la direction de l'équipe ne l'a pas invité au Tour de France, lui préférant le Suisse Urs Zimmerman et l'Américain Michael Carter en raison de leurs aptitudes en montagne.
«J'aimerais voir plus de jeunes Canadiens pratiquer le cyclisme, affirme Bauer. Mais il s'agit encore d'un sport étrange à saisir dans notre pays.»
Ce serait tout de même dommage si aucun Canadien ne succédait à Bauer le jour où il descendra pour de bon de son vélo.
Un conseil aux cycliste québécois: tentez l'Europe
Les jeunes coureurs québécois qui rêvent de participer au Tour de France devront faire leurs classes en Europe, estiment des experts du cyclisme professionnel.
«A moins d'être un champion olympique, courir en Europe est une voie de passage obligée pour un coureur qui a de l'ambition, affirme Jean-Marie Leblanc. C'est ici qu'il pourra se révéler et susciter l'attention d'une équipe professionnelle.»
Ancien coureur et journaliste, Leblanc est aujourd'hui directeur des compétitions de la Société du Tour de France. «Un Québécois talentueux progresserait plus rapidement en France, ajoute-t-il. De nombreux étrangers, comme l'Australien Phil Anderson, l'Irlandais Stephen Roche et le Brésilien Mauro Ribeiro, ont quitté leur pays pour réussir une carrière professionnelle. Ils ont mené une vie très difficile à leur arrivée, mais ont tenu leur pari. Steve Bauer a aussi gagné de nombreuses courses en Bretagne avant de passer chez les pros.»
Leblanc affirme qu'il existe «beaucoup de chaleur» autour du cyclisme en France. «Un Québécois n'aurait pas l'obstacle de la langue, ce qui représente déjà un avantage important. Mais s'il n'est pas vraiment motivé, s'il pense s'ennuyer de sa famille ou de son amie, alors il est mieux de demeurer à la maison. La vie de coureur cycliste est dure et la concurrence est vive. Les jeunes veulent tous être repérés par un groupe professionnel. Quand ils reçoivent une offre, ils l'acceptent tout de suite.»
Leblanc, qui souhaite voir le cyclisme international poursuivre sa progression, se demande pourquoi les Québécois qui promettent en vélo ne traversent pas l'Atlantique: «Manquent-ils d'esprit d'aventure?»
Bauer d'accord
Steve Bauer, le meilleur cycliste canadien sur route et porteur du maillot jaune durant 10 jours en 1990, est d'accord avec Leblanc.
«Courir au Canada, c'est bien, dit-il. Mais pour vraiment se tester, il faut se buter à la compétition internationale. Aucun coureur n'atteindra l'excellence en demeurant en Amérique du Nord.»
Bauer estime qu'il ne faut pas traverser l'océan trop jeune. «C'est difficile parce qu'on est loin de notre famille. Il faut posséder une maturité suffisante.»
Dès l'âge de 17 ans, Bauer a participé à des courses de niveau amateur en Europe, au sein de la sélection nationale canadienne junior.
Aucune équipe québécoise ou canadienne ne participe au Tour de France. Motorola, l'ancienne équipe 7-Eleven, est la seule formation américaine. Au Tour, elle est composée de cinq coureurs américains, un Australien, un Canadien, un Norvégien et un Suisse.
L'équipe 7-Eleven a été mise sur pied en 1984 en vue des Jeux olympiques de Los Angeles, durant lesquels plusieurs coureurs nord-américains se sont distingués. Sous l'initiative de Jim Ochowicz, l'actuel directeur sportif de Motorola, elle est ensuite passée chez les professionnels et a participé à son premier Tour de France en 1986.
L'exemple du Brésilien Mauro Ribeiro pourrait inspirer les Québécois désireux de courir en Europe. Embauché par l'équipe RMO, il a mangé son pain noir durant trois ans, couchant dans un dortoir, s'entraînant à tous les jours et ne participant qu'à de petites courses.
Cette année, à sa sixième année en Europe, Ribeiro a remporté la dixième étape du Tour de France. Il rêve maintenant d'imiter Greg LeMond, qui a aussi souffert en découvrant le cyclisme à l'européenne.
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