Steve Bauer

6 juillet 1991

L'année du changement de la garde ?

Bauer : «LeMond devra se méfier de Bugno et Breukink»

Philippe Cantin

À l'autre bout du fil, Steve Bauer répète la question. «Qui va gagner ? Hum... Greg LeMond est plein de talent et se prépare toujours bien pour le Tour de France. Il est le favori. Mais il devra se méfier de Gianni Bugno et Erik Breukink. L'Italien fera sûrement mieux que l'an dernier. Et Breukink sera avantagé par le parcours.»

Le Tour de France, épreuve reine des courses cyclistes, commence aujourd'hui à Lyon, capitale mondiale de la gastronomie. Les 198 coureurs, répartis en 22 équipes, n'auront cependant pas le temps de savourer les mille et un délices des grands chefs français. Un mois de juillet éprouvant les attend et ils se contenteront d'un monotone régime à base de pâtes.

La 78e édition du Tour pourrait être celle du changement de la garde. Les champions qui ont animé le peloton au cours des trois dernières années vieillissent et commencent à sentir dans leur cou le souffle chaud des jeunes fauves.

Triple vainqueur du Tour (1986, 1989 et 1990), LeMond demeure fidèle à ses habitudes. Il a encore ménagé ses efforts en début de saison, abandonnant même le Tour d'Italie, afin d'être au meilleur de sa forme sur les routes françaises. Son stratagème est vigoureusement décrié par l'establishment du cyclisme qui lui reproche de ne pas se comporter en grand champion.

Toute la semaine à Lyon, LeMond a été interrogé par les journalistes français. Et il a répété son credo : seule la victoire au Tour l'intéresse ! Alors cessons de lui casser les pieds avec la tradition et les opinions d'Eddy Merckx ou Laurent Fignon.

Si LeMond atteint les Champs Elysées le 28 juillet prochain vêtu du maillot jaune, il dira mission accomplie, même s'il ne remporte aucune victoire d'étape ou ne s'impose pas patron du peloton.

«Je préfère que le Tour soit très ouvert, a répété LeMond à un confrère de l'agence Reuter hier. Je ne tiens pas à disperser mes efforts en tentant d'être le patron. Je me fiche de savoir qui veut être le patron, moi je suis là pour gagner.»

En cyclisme, le patron est un type avec du panache qui impose son rythme aux autres coureurs. Bernard Hinault, cinq fois champions du Tour, a été le dernier de cette race sans doute éteinte. L'an dernier, LeMond avait expliqué que l'époque du patron était révolue : «La course est trop équilibrée. Il n'y a plus de petites équipes et de petits coureurs».

Les prétendants au maillot jaune n'amorcent pas tous le Tour 1991 avec les pieds solidement dans les étriers. LeMond a repris des couleurs au Tour de Suisse à la fin du mois de juin, mais sa véritable forme physique suscite des interrogations.

Laurent Fignon, le grand nemesis de LeMond, n'a peut-être pas toute sa tête à la course. Au début de la semaine, il a annoncé qu'il se séparerait de Cyrille Guimard à la fin de la saison. Ce dernier demeurera son directeur sportif durant le Tour, mais leurs relations promettent d'être difficiles.

Lundi dernier, à Paris, Fignon a tenu une conférence de presse. Le quotidien Libération a rapporté ses propos : «J'ai été perturbé par cette affaire pendant pas mal de temps. Depuis quelques semaines, j'ai pu recommencer à me concentrer sur le vélo. Ça n'a pas été facile pour Cyrille non plus. Si j'ai été désagréable, je m'en excuse. De toute façon, je suis toujours passé pour un mec désagréable».

Malgré tout, il ne faut pas tenir pour battu le cycliste à la queue de cheval. Bauer : «Je n'oserais jamais dire que Fignon est fini. Il n'est plus aussi constant, mais demeure capable de grandes performances. Il représente une grande menace dans les épreuves de la Coupe du monde et aux Championnats du monde.»

L'été dernier, Fignon avait abandonné le Tour de France dès la première semaine de course. Il est plus optimiste cette année, puisque les coureurs franchiront les Pyréenées avant les Alpes. En sens inverse, il n'a jamais réussi à rallier Paris.

La révélation du dernier Tour de France a été Claudio Chiappucci. Bagarreur comme pas un, l'Italien a eu le don de mettre LeMond en rogne. Cette saison, il a répondu présent dans de nombreuses courses et s'est battu avec l'énergie qui le caratérise.

Cela dit, Chiappucci, deuxième l'an dernier, peut-il enlever le Tour ? «Il pourrait me faire mentir, mais je serais tout de même étonné, estime Bauer. Dans les épreuves contre la montre et dans la haute montagne, il devrait éprouver des ennuis.»

Pedro Delgado, vainqueur en 1988, cherche toujours à reprendre sa forme d'antan. L'an dernier, son coéquipier Miguel Indurain a été beaucoup plus menaçant que lui. Indurain est déjà un candidat sérieux à la victoire finale.

Breukink représente une énigme. Plein de talent, il éprouve des ennuis à regrouper ses efforts pour une longue période. N'en demeure pas moins que s'il tient le coup dans la montagne, il pourrait voler le Tour dans les étapes contre la montre, sa spécialité.

«D'autant plus que la montagne est moins éprouvante cette année, note Bauer. Nous n'affronterons pas de grands cols durant quatre ou cinq jours consécutifs. Breukink ne souffrira pas autant et pourrait en profiter.»

Bugno, récent vainqueur du championnat d'Italie - à ne pas confondre avec le Giro -, entreprend le Tour avec confiance. «J'ai trouvé la forme au bon moment, a-t-il déclaré au quotidien L'Equipe. Le Tour s'annonce maintenant sous les meilleurs auspices.»

LeMond, Fignon, Chiappucci, Delgado, Breukink, Bugno! Voilà une jolie brochette de coureurs. Mais Bauer dans tout ça ? Lui qui rêvait d'atteindre le podium l'été dernier, refuse de voir trop loin cette année.

«Je vais courir agressivement, promet-il. Mon premier but est de remporter une victoire d'étape. Pour l'instant, je ne veux pas trop penser au classement cumulatif. Mais si je suis en bonne position après une semaine, on ne sait pas ce qui peut se produire.»

Porteur du maillot jaune pendant dix jours en 1990, Bauer s'était écroulé dans les Alpes. «Je peux faire mieux en montagne. Les étapes sont plus longues et me conviennent mieux.»

À moins d'un petit miracle, Bauer ne sera pas en jaune lors de l'arrivée des coureurs à Paris à la fin du mois. Mais on peut compter sur lui pour animer le spectacle et pointer son vélo dans quelques belles échappées.

22 étapes en 23 jours
Accusé de dopage et condamné à un an de suspension en juin 1990, le Hollandais Gert-Jan Theunisse espère revenir en force durant le Tour de France qui commence aujourd'hui. Il a disputé trois courses depuis son retour à la compétition et en a remporté deux.

«Theunisse s'est entraîné avec abandon durant sa suspension et il faut lui rendre hommage, a dit Steve Bauer. Il a servi sa peine et j'espère qu'il a reçu une leçon.»

Bauer s'est souvent élevé contre les coureurs qui font usage de produits dopants. Il soutient que la question n'est toujours pas réglée. «J'espère que les sanctions imposées aux coureurs pris en défaut auront un effet dissuasif sur le reste du peloton.»


une page mise en ligne le 16 mars 2000 par