Pierre Harvey le dopage et les Jeux olympiques |
---|
photo :Jean-François Bérubé
septembre 2000
Du dopage et des Jeux
Ce n'est pas parce que certains trichent qu'on ne peut plus croire à l'olympisme, dit l'un des plus grands athlètes québécois de tous les temps, Pierre HARVEY.
Yan Muckle
Pierre Harvey, 43 ans, est considéré par beaucoup comme l'un des plus grands athlètes québécois du 20e siècle. Avec deux participations aux Jeux olympiques d'été en cyclisme, deux autres aux Jeux d'hiver en ski de fond, trois titres de la Coupe du monde aussi en ski de fond, des boîtes à chaussures pleines de médailles et une carrière de consultant pour des entreprises de sport, il jette un regard éclairé sur la compétition, l'olympisme... et le dopage.
Oui, les règles sont faussées. Mais ce n'est pas une raison pour arrêter de jouer, croit Pierre Harvey. Comme d'autres, il a souffert des excès de la machine olympique. Ce qui ne l'empêche pas d'encourager ses enfants à faire de la compétition. L'actualité l'a rencontré à sa maison de Saint-Ferréol-les-Neiges, dans Charlevoix.
Des tests ont révélé que 82% des athlètes de votre principale discipline - le ski de fond - ont utilisé, aux Jeux de Lillehammer (1994), un médicament pour asthmatiques qui dilate les bronches. L'athlète «propre» est-il en vole de disparaître ?
- Non, mais il a très peu de chances de monter sur le podium. Si les 40 meilleurs au monde dans une discipline «roulent» avec un moteur huit cylindres, vous aurez beau pousser votre petit quatre au maximum vous ne les dépasserez jamais. Aux
Jeux olympiques, et dans la quasi-totalité des sports professionnels, le dopage fait désormais partie du jeu. Tout le monde le reconnaît.
Tout est bon pour avoir l'avantage - physique ou technique. Prenons le ski. Le règlement olympique veut que la même pièce d'équipement soit accessible à tous. Théoriquement, on devrait donc utiliser des farts identiques. Or, les Norvégiens, par exemple, arrivent avec des farts spéciaux, mis au point à coups de millions par des sociétés spécialisées. Ces athlètes partent avec un avantage. D'autres, pour augmenter le nombre de globules rouges dans leur sang et améliorer leurs capacités aérobiques, font des séjours en caisson hyperbare (où la pression est supérieure à la pression atmosphérique). Ce n'est pas du dopage, mais c'est une forme de triche.
En compétition de haut niveau, on est prêt à aller très loin. Même si on ne se dope pas. Si quelqu'un m'avait annoncé à l'époque que ce mode de vie allait me faire mourir 10 ans plus tôt que prévu, j'aurais continué quand même... parce que j'en tirais du plaisir ! Pour un athlète, courir des risques afin de prendre un virage un peu plus rapidement, c'est un jeu qui en vaut la chandelle. Le plaisir, le défi, vient de la tentative d'aller juste un peu plus loin.
Quand on s'entraîne intensément, il n'y a rien de plus excitant qu'une rencontre où les meilleurs sont présents. Voilà pourquoi je ne peux rejeter en bloc les Jeux olympiques, malgré les nombreux abus c'est là que la barre est la plus haute.
Difficile pourtant d'y voir autre chose qu'un gigantesque spectacle médiatique...
- Durant la guerre froide, les Jeux étaient aussi une bonne façon de faire mousser l'image d'un pays et d'encourager le patriotisme. Ceux du bloc de l'Est n'hésitaient pas à sacrifier quelques dizaines d'athlètes en les surentraînant et en les dopant. Et la surenchère a commencé... Aujourd'hui, grâce aux retransmissions télé, l'ensemble de la planète peut voir les coureurs sur la ligne de départ. Depuis Los Angeles, en 1984, les droits de télédiffusion atteignent des sommes astronomiques [à Sydney, ils seront de 1,2 milliard de dollars]. Les Jeux sont devenus une entreprise colossale. La tentation de tricher est extrêmement grande, pour le Comité international olympique, les équipes nationales, les athlètes eux-mêmes... Malheureusement, à ce rythme, bientôt plus personne n'y croira.
Pour votre part, après quatre rendez-vous olympiques, y croyez-vous encore ?
- Ce n'est pas parce que certains trichent qu'on ne peut plus croire à l'olympisme. La grande majorité des athlètes qui participent aux Jeux le font tout à fait «proprement».
Vous avez tout de même fini par être déçu...
- Oui, à Calgary, en 1988. je me savais alors au sommet de ma forme, en mesure de terminer parmi les premiers. Je venais
de remporter la Coupe du monde à Falun, en Suède, et je m'étais entraîné comme un fou pour ces Jeux qui se déroulaient dans mon pays. À cette époque, en ski de fond, la tendance en dopage était aux concentrés de globules rouges extraits du sang de l'athlète, dans le but d'augmenter les capacités d'oxygénation musculaire. Le genre de chose que l'on ne peut se permettre qu'une fois dans l'année : aux compétitions très importantes, comme les Jeux olympiques. Les fondeurs que j'avais vaincus lors de la Coupe du monde se sont présentés à Calgary avec des capacités soudainement accrues. Ils m'ont battu à plate couture : je me suis classé 14e ! Certains diront que je me suis tout simplement écrasé. Mais, quelques semaines plus tard, j'ai remporté coup sur coup deux autres Coupes du monde, contre ces mêmes adversaires... Un tel écart laisse très peu de place au doute. Après cette saison, j'ai décidé d'abandonner la compétition.
Les efforts antidopage actuels sont-ils voués à l'échec ?
- Le CIO a l'argent qu'il faut pour embaucher des chercheurs et déployer de vastes moyens afin de combattre efficacement le dopage. Il suffirait de s'y mettre sérieusement. Cependant, malgré les nouvelles mesures adoptées récemment, je ne crois pas que la situation changera. Dans une majorité de pays, en dépit de manifestations publiques condamnant le fait, il va le soi qu'il faut se doper pour obtenir de bons chronos, de bonnes notes, et gagner. Certains pays exercent beaucoup de pressions sur le CIO pour que les choses ne changent pas. C'est tellement évident... Comme il est évident que de nombreux athlètes ont déjà eu des tests positifs sans jamais être dénoncés.
Et au Canada ?
Le Canada est parmi les plus honnêtes et les plus stricts en cette matière. L'Association olympique canadienne dépense même plus d'énergie à s'assurer que les athlètes demeurent propres qu'à les aider à entraîner ! Mais l'attitude canadienne n'est pas très cohérente. D'un côté, on est exêmement sévère en matière de dopage et c'est très bien ainsi. Par contre, de l'autre, on exige des athlètes qu'ils se classent parmi les 20 meilleurs au monde pour être envoyés aux Jeux olympiques - ce qui, de nos jours, est à peu près impossible sans dopage ! Si on veut que nos athlètes se tiennent loin des stéroïdes, il faut avoir le courage de leur dire : «Allez au maxium de vos capacités, et les meilleurs d'entre vous iront aux Jeux, peu importe leur classement mondial.»
page mise en ligne par SVP