Pierre Harvey Personnalité tournant du siècle |
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L'heure est à la comparaison entre les grands athlètes de notre époque. Depuis deux mois, par le biais de cet exercice médiatique, on analyse le nombre de podiums olympiques et de records mondiaux obtenus par ces derniers. Mais, lorsqu'on ajoute à l'exploit athlétique pur d'un moment, la constance, la polyvalence, la personnalité, l'intégrité, le coeur, GÉO PLEIN AIR se démarque du peloton canadien en proposant un modèle de l'athlète moderne aussi unique qu'universel.
Portrait d'un grand monsieur.
Michel Marois
Au tournant de l'an 2000, le moment est à la remise des diplômes. Qui des Wayne Gretzky, Nancy Greene, Elvis Stojko, Maurice Richard, Marnie McBean, Donovan Bailey, Gaétan Boucher, Larry Walker, Jacques Villeneuve, Myriam Bédard ou Northern Dancer n'a pas reçu un titre, un prix ou tout simplement une mention dans l'un ou l'autre des sondages destinés à désigner les plus grands athlètes canadiens du siècle, du millénaire ou de tous les temps ?
Ce genre d'entreprise est évidemment hautement subjectif. Habituellement, parmi les centaines d'athlètes de haut niveau, on ne réussit à dégager que ceux avant réussi à accaparer les feux de la rampe. Pas nécessairement les plus méritants, vous l'aurez deviné. Pas les pires non plus, mais les critères retenus font habituellement la part belle aux performances les plus médiatiques. À coup de médailles olympiques, de coupes Stanley ou de records mondiaux, tous les champions dont on a parlé plus haut se sont imposés dans l'imaginaire sportif canadien.
Mais qui parmi eux peut vraiment prétendre avoir été un athlète aussi complet que Pierre Harvey ? Le plus grand fondeur canadien de l'histoire de ce sport fabuleusement exigeant, l'un des meilleurs cyclistes aussi, a été quatre fois olympien, deux fois aux Jeux d'été, deux fois aux Jeux d'hiver ; toujours «propre» alors qu'il compétitionnait dans des sports où l'on recourait souvent aux produits et aux techniques dopantes ; aussi heureux dans sa vie professionnelle et familiale que dans sa carrière sportive. En un mot, qui d'autre que Pierre Harvey peut prétendre au titre d'athlète québécois du siècle ?
Le principal intéressé sera sans doute étonné d'une telle affirmation. La quête de la renommée a sûrement été le dernier facteur qui l'a motivé tout au long de son improbable parcours, de Rimouski à Falun, de la montée de la voie Camilien-Houde à Los Angeles, des bivouacs glacés du Labrador à la table du roi Olaf de Norvège. Dans ses mots, les performances s'expliquent tout simplement par l'heureuse conjonction d'une hérédité favorable, d'un entraînement sérieux et d'un peu de chance. Et, plus important encore, les exploits ne se mesurent pas nécessairement en victoires ni en médailles...
Pierre Harvey m'a procuré quelques-uns des plus beaux souvenirs sportifs de ma vie. Au milieu des années 1980, comme plusieurs Québécois, nous avions succombé, mon père et moi, à la mode du ski de fond. Nous partions sur les pistes des Laurentides, du mont Sainte-Anne ou de Charlevoix en nous prenant pour Gunde Svan, Thomas Wassberg, Odvar Braà ou... Pierre Harvey. Bien meilleurs sportifs de salon que nous l'étions sur les pistes, nous suivions comme nous le pouvions les épreuves de la Coupe du monde de ski de fond, complétant par la lecture des journaux européens les trop brèves informations glanées dans les médias d'ici.
Puis Pierre s'est mis à progresser : sixième à Falun en 1982, cinquième à Reit Im Winkl en 1983, quatrième à Labrador City, puis au Minnesota en 1986, encore deux fois quatrième au début de la saison 1987. Comme bien des gens, nous rêvions de cette première victoire - car elle viendrait, c'était certain -, et juste l'idée qu'un athlète d'ici puisse réussir un tel exploit nous remplissait d'une sorte de fierté bien plus grande que tout ce qu'avaient pu nous procurer les coupes Stanley du Canadien. Notre génération préférait (le fait-elle encore ?) l'originalité des passions au confort des conventions et Harvey était pour nous un héros d'autant plus vénéré qu'il ne s'en préoccupait guère.
Je ne connaissais pas le joueur de centre du troisième trio du Canadien ou des Nordiques, mais je pouvais réciter le palmarès de Pierre Harvey. Dix ans plus tard, je peux encore énumérer de mémoire ses trois victoires en Coupe du monde : Falun (30 km) en 1987, puis encore en 1988 et Holmenkollen (50 km) en 1988, à l'occasion du centenaire de cette compétition que plusieurs estiment la plus prestigieuse. Je peux aussi vous raconter dans le détail son triomphe à la Birkebeiner Rennet, le fabuleux marathon des neiges, en 1987 : à fond de train sur une distance de 55 km, des centaines de coureurs «amateurs» à dépasser, une marge de 27 sec sur le légendaire Odvar Braà à l'arrivée, l'invitation à souper du roi. Je pourrais continuer, mais vous m'accuseriez de radoter.
On ne dira pourtant jamais assez tout ce que ces performances représentent de travail, d'entraînement et d'abnégation, mais aussi d'audace, de folie et même de génie. Pierre Harvey est l'un de ces rares champions canadiens qui ont dû affronter et briser une foule de préjugés et de stéréotypes, dans plusieurs disciplines, avant d'être reconnu à sa juste valeur. Et l'a-t-il même jamais été ? J'en doute. Pour avoir plus ou moins manqué les deux ou trois grands rendez-vous médiatiques de sa carrière, Pierre a laissé dans le public l'image d'un athlète inachevé. Grave injustice. Si on remettait les pendules à l'heure ?
«Avant de parler de ma carrière, je dois dire qu'il y aurait bien pu ne pas en avoir du tout, de carrière, prévient tout de suite Pierre Harvey. Plus jeune, je n'étais vraiment pas doué pour les sports. Enfin, c'est ce que je croyais. Dernier de cinq enfants, j'étais du style chips et télévision. A l'école, en éducation physique, j'ai échoué mon junior en natation. Je n'étais même pas capable de faire une longueur de piscine !» De bien drôles de débuts pour un homme qui allait devenir un champion d'exception. Lui, le superdoué, capable de briller au plus haut niveau dans plusieurs disciplines, n'était donc au tournant de l'adolescence qu'un «gras» un peu allergique à l'effort. Ça n'allait pas durer.
«Je voyais les autres nageurs qui enfilaient les longueurs sans arrêt et ça m'a donné le goût d'essayer, explique-t-il. Ça m'a pris une saison pour apprendre à nager correctement et pour me rendre compte que j'avais un potentiel physique insoupçonné jusque-là...» En 1971, il participe aux Jeux du Québec, à Rivière-du-Loup, et il enlève une médaille de bronze au 100 mètres brasse. Mais la natation l'ennuie. «J'en avais assez des longueurs. En bassin de 25 m, on enfile souvent 100 ou 200 longueurs à l'entraînement ; je me sentais comme un écureuil dans une cage. Des amis faisaient du vélo. Je les ai
accompagnés et j'ai tout de suite été séduit, se souvient-il. Sur un vélo, j'avais l'impression d'être libre. On peut s'entraîner dans un sens, dans l'autre, en montée ou en descente, avec le vent de face ou de dos, et on n'est pas seul, on peut parler, s'amuser...» Le même potentiel physique qui avait permis à Pierre Harvey de progresser rapidement en natation va s'exprimer d'une manière encore plus fulgurante en cyclisme. En 1974, aux Jeux du Québec de Valleyfield, il remporte le critérium et termine deuxième de la course sur route.
À peine deux ans plus tard, il se retrouve... aux Jeux olympiques de Montréal ! «J'étais comme un enfant dans un magasin de bonbons, raconte-t-il, amusé. A la cafétéria du village olympique, je pouvais côtoyer les athlètes des autres pays et j'étais très impressionné par les joueurs de basketball, les nageuses de l'Allemagne de l'Est... Un privilège extraordinaire.» À 19 ans, comblé et sans pression, Harvey se présentait au départ de la course sur route entouré des meilleurs coureurs amateurs du monde. Sous la pluie, les conditions étaient difficiles. «Je n'avais aucun espoir de monter sur le podium ou de rivaliser avec les meilleurs, raconte-t-il. Il fallait faire 14 tours de circuit, 14 montées de la voie Camillien-Houde. À chaque montée, je me demandais si j'irais au bout. J'avais mal au dos, je souffrais de partout. Les deux derniers tours ont été terribles, mais je me suis accroché. Nous étions 134 au départ, 76 ont abandonné... J'ai atteint l'arrivée au sein d'un peloton de 30 rouleurs qui se disputaient la 1 er place. Finalement 24e et meilleur canadien, j'étais pas mal fier de ma performance.»
Avec le recul, Pierre Harvey estime que les Jeux de Montréal constituent son plus beau souvenir olympique, la seule occasion où il n'y a trouvé «que du plaisir». Sa performance inattendue lui a valu les éloges des médias et un accueil mémorable de ses concitoyens de Rimouski. Ces derniers ne le lâcheront jamais plus, mais les médias et le grand public se montreront plus difficiles à satisfaire. Privé des Jeux de Moscou par le boycott des pays occidentaux, Pierre était déjà passé au ski de fond en 1984, mais ses dons allaient lui permettre de réussir un rare doublé olympique. Après les Jeux d'hiver de Sarajevo (on en reparlera), il réussissait à obtenir une sélection pour les Jeux d'été de Los Angeles, devenant ainsi le premier athlète masculin canadien à participer aux deux Jeux olympiques d'une même olympiade.
D'abord engagé dans le 100 km contre-la-montre en équipe, il était invité à participer à la course sur route. «Nos entraîneurs étaient convaincus que Steve Bauer avait de bonnes chances de monter sur le podium, mais ils craignaient qu'il ne soit trop isolé devant les coureurs des autres équipes, explique Pierre. On m'a donc demandé de l'aider. Je l'ai fait avec plaisir. Steve était et reste aujourd'hui un type formidable, honnête, très respectueux de ses coéquipiers. Nous avons roulé à l'avant du peloton pendant la première partie de la course, puis nous avons réussi à prendre part à la bonne échappée, avec tous les favoris, des gars qui étaient parmi les meilleurs du monde. Pour moi, c'était très satisfaisant, d'autant plus que Steve remportait la médaille d'argent.»
Globalement heureux lors des Jeux d'été, Pierre n'allait trouver que des déceptions aux Jeux d'hiver. Encore plus doué pour le ski de fond que pour le cyclisme, il découvrait que les ambitions olympiques étaient bien lourdes à porter. «À Sarajevo, j'étais le seul homme sélectionné dans l'équipe de ski de fond, précise-t-il. Je portais tous les espoirs et l'ambiance était plus intense, beaucoup plus sérieuse.» Pendant que Gaétan Boucher se couvrait d'or, Harvev signait deux 2le et une 20e place, pas de quoi crier sur les toits, mais tout de même un résultat satisfaisant.
À Calgary, quatre ans plus tard, Harvey faisait figure de favori. L'hiver précédent, il avait remporté sa première Coupe du monde, à Falun en Suède, on l'a dit, puis il y avait eu cette fameuse victoire dans la Birkeneimer Rennet. À l'approche des Jeux, tous les espoirs étaient permis. «Je savais que je pouvais être parmi les médaillés. Je connaissais mes rivaux, je savais que je pouvais rivaliser avec eux dans des conditions normales. Mais j'allais connaître une cruelle déception...» Défavorisé par des conditions exceptionnellement douces (il était plus à l'aise dans le froid), Pierre se retrouvait en face d'adversaires, disons, «différents». Les Jeux olympiques, comme les Championnats du monde, sont des événements ponctuels, programmés longtemps d'avance. Les athlètes des pays les mieux organisés se livrent à une préparation particulière pour ces grands rendez-vous, avec tous les moyens mis à leur disposition.
«C'est à Calgary que j'ai perdu toutes mes illusions, avoue Pierre Harvey. J'ai alors pris conscience qu'il fallait tricher pour monter sur le podium olympique. Pour les Jeux, les grandes puissances comme l'Union soviétique mettaient vraiment toute la gomme. Les athlètes étaient les mêmes, mais on changeait leur carburateur...» Avec des 14e, 17e et 21e places individuelles, une neuvième au relais, Harvev restait loin de ses objectifs, même si sa 14e place était et reste la meilleure performance enregistrée par un athlète canadien en ski de fond aux Jeux.
Contre toute attente, les Soviétiques effectuaient une véritable razzia de médailles dans les épreuves de fond des Jeux de Calgary. Bien malgré eux, Pierre et son entraîneur, Marty Hall, provoquaient un «incident diplomatique» lorsque le second accusait les vainqueurs de dopage sanguin. C'était pourtant dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. «Le plus grave dans le dopage c'est la manipulation de l'athlète, estime Pierre. C'est terrible de penser à ces nageuses de l'Allemagne de l'Est, par exemple, qui subissaient un entraînement infernal et qui retrouvaient, avec chacun de leur repas, un paquet de pilules à prendre, sans pouvoir poser une seule question. Dans la plupart des cas, le problème, ce n'était pas l'athlète. C'était le système.»
Il ne faut d'ailleurs pas croire que le Canada est exempt de tout reproche. «Ici, juge Harvey, on prend tous les moyens pour que les athlètes soient honnêtes, mais on leur demande de réaliser les mêmes performances que les dopés des autres pavs. Les critères de sélection pour les grandes compétitions étaient et restent injustes. J'ai des amis, en vélo de montagne, qui s'entraînent comme des fous dans l'espoir d'obtenir les classements qui leur permettront d'aller aux Championnats du monde ou aux Jeux olympiques. Ils sont propres, ne veulent rien savoir du dopage, mais doivent se battre contre des adversaires qui, eux, sont souvent dopés...»
Mais le plus grand problème qu'a vécu et que vit encore aujourd'hui Pierre Harvey dans sa quête timide de reconnaissance est lié à l'éducation du public et des médias. «Je me souviens qu'à l'époque des Jeux de Calgary, j'avais remporté une course à pied dans ma région, raconte Pierre. Les médias de Québec en avaient beaucoup parlé et j'avais reçu plein d'éloges. Quelques mois plus tard, je me suis classé 14e aux Jeux olympiques et les gens ont parlé de déception. Je compare souvent, encore aujourd'hui, la hiérarchie mondiale d'un sport comme le ski de fond à celle du hockey sur glace. Le meilleur joueur du Canadien, disons Saku Koivu, est peut-être dans les 15 ou 20 meilleurs joueurs du monde. Le deuxième meilleur du Canadien est déjà 40e ou 50e au monde. Le vingtième joueur du Canadien n'est probablement pas parmi les 500 meilleurs hockeyeurs du monde...
«Moi, je me suis maintenu pendant plusieurs années parmi les 20 meilleurs fondeurs du monde. Il m'est arrivé quelquefois d'être parmi les quatre ou cinq meilleurs. Ce n'est pas rien. D'autres athlètes, dans d'autres sports, sont confrontés aujourd'hui au même problème. Ils accomplissent des choses extraordinaires, mais on ne parle d'eux qu'à l'occasion des Jeux olympiques et des Championnats du monde, souvent pour les critiquer de ne pas avoir remporté la médaille d'or. J'ai toujours été bien traité par les gens des médias. Grâce à Vachon, qui m'avait embauché et me commanditait, j'ai pu bénéficier du soutien d'une équipe de relations publiques et, pour un athlète amateur, on a beaucoup parlé de moi. Mais j'ai souvent regretté ces lacunes dans la formation des journalistes et du public. »
En même temps, Pierre Harvey croit qu'il faut laisser le temps faire son oeuvre. «Le sport est un phénomène encore nouveau au Canada, souligne-t-il. Mes parents ont 70 ans et ils n'ont jamais fait de sport. Mon père travaillait sur la Côte-Nord, dans les camps, et il lui arrivait, l'hiver, de livrer les paies en raquette ou en ski. C'est tout. Ce n'est que depuis deux ou trois générations que des individus de plus en plus nombreux pratiquent des sports de compétition. Et il faudra sans doute attendre deux ou trois autres générations pour que le public apprenne à vraiment connaître le sport et la valeur relative des exploits réalisés dans les différentes disciplines.»
À 42 ans, Pierre Harvey reste un concurrent redoutable dans les compétitions de maîtres et même devant les plus jeunes. Il est capable de briller en ski de fond, en course à pied et en vélo de montagne, la nouvelle passion sportive pour laquelle il prête conseils et tests pour les modèles de la compagnie Procycle. Le monsieur est en forme. Certains prétendent qu'il pourrait encore se présenter aux championnats canadiens de ski de fond avec des espoirs de médaille. «C'est exagéré, réplique-t-il. Il faudrait que je m'entraîne un peu...»
Avec Mireille Belzile, qu'il a connue à Rimouski au début de l'adolescence, il a fondé une belle famille. Alex (11 ans), Sophie (9 ans) et Laurence (6 ans) font en sorte que la maison de Saint-Ferréol-les-Neiges est toujours animée. Et même si les parents sont encore bien actifs, les enfants assurent déjà la relève. L'automne dernier, Pierre et les deux plus vieux ont tous remporté la victoire, dans leur catégorie respective, lors d'une compétition de cross-country.
Sur le plan professionnel, après une association fructueuse avec Vachon, cet ingénieur mécanique s'est orienté dans un domaine qu'il connaît bien, le sport. Associé à la SEPAQ, puis consultant, il crée de l'équipement et des installations sportives. Il conçoit notamment des pistes cyclables pour différentes stations. Lorsqu'on s'est parlé, il bûchait sur un nouveau spinner, un appareil d'entraînement haut de gamme, très sophistiqué, dont on peut penser qu'il sera un redoutable instrument de torture s'il est à la hauteur de celui qui le met au point. «C'est très stimulant, explique-t-il. Le génie, comme la compétition de haut niveau, est un domaine où les choses évoluent très vite et il faut travailler constamment pour se maintenir parmi les meilleurs. J'y ai trouvé les mêmes défis, la même notion de dépassement que dans ma carrière sportive.»
La bonne nouvelle, surtout pour ceux et celles qui étaient trop jeunes pour suivre ses courses dans les années 1980, c'est qu'il est encore chez nous, de différentes façons, l'une des têtes d'affiche du sport. Son nom est synonyme de crédibilité et un gage d'intégrité. Le populaire Raid Pierre-Harvey une épreuve de vélo de montagne par étapes de 300 km entre Chicoutimi et Lac-Beauport est devenu un classique dans le genre (cette année, Pierre a enlevé les grands honneurs dans la catégorie vétérans experts...). Encore cet automne, il était le président d'honneur des Championnats du monde de vélo de montagne Masters, à Bromont. Sur le terrain, comme en conférence de presse, sa présence est toujours discrète. On ne s'en surprendra guère. Pierre ne se considère jamais plus important que l'événement.
Un collègue qui l'a suivi tout au long de sa carrière dit de lui quel est le premier de classe du sport québécois. On ne saurait mieux dire. Pierre Harvey a tout réussi, vraiment tout. Et ceux qui lui feront encore le reproche des médailles olympiques qui manquent à sa collection n'auront décidément rien compris.
Michel Marois a travaillé dix années à la section Sports de La Presse. Aujourd'hui coordonnateur des projets spéciaux, ce docteur en sciences politiques a écrit une thèse sur Maurice Richard et la violence des foules aux événements sportifs.
Pierre Harvey
Pierre Harvey est 1'un de ces rares champions canadiens
qui ont dû affronter une foule de préjugés et de stéréotypes, avant d'être reconnus à leur juste valeur. Et l'a-t-il même jamais été ? Pour avoir plus ou moins manqué les deux ou trois grands rendez-vous médiatiques de sa carrière, Pierre a laissé dans le public l'image d'un athlète inachevé. Grave injustice.
Erre d'aller : de 1986 à 1988, Pierre Harvey remporte tous les titres canadiens de toutes les distances en ski de fond (15 km, 30 km, relais 3 X 10 km et 50 km). Durant ces trois saisons, il se classe respectivement neuvième et deux fois sixième au classement général de la Coupe du monde
Pierre Harvey est peut-être le plus grand athlète canadien du siècle. Il aurait pu devenir un très bon coureur cycliste. Il a choisi le ski de fond. À Lillehammer, Pierre travaillait à mes côtés comme analyste des épreuves de ski de fond. Dès que nous terminions notre travail, il mettait ses skis et disparaissait sur les pistes ! Mais au delà de l'athlète, il y a l'homme : Pierre Harvey transcende la santé et la bonté. C'est un homme de famille. En plus, rien de tout ça a l'air forcé. C'est naturel. Mon dieu, il est parfait !
Louis Bertrand, journaliste sportif, chroniqueur cycliste et commentateur des épreuves de ski de fond aux Jeux olympiques de Lillehammer pour le réseau TVA.
Les qualités physiques de Pierre sont tout simplement exceptionnelles. Il n'y a pas un être humain sur un million qui dispose des mêmes atouts génétiques. Des tests en laboratoire ont permis de mesurer un Vo2 max de 86 ml chez Pierre. Je n'ai jamais vu un tel résultat dans la documentation scientifique, pour quelqu'un de sa stature, dans des conditions «normales» (c'est-à-dire sans recours aux produits et techniques dopants).
Guy Thibault, docteur en physiologie de l'exercice et spécialiste de l'entraînement sportif
Le ski de fond lui a permis d'étaler des qualités pures d'endurance. Ses exploits sont incroyables, le ski de fond exigeant une immense capacité athlétique. Pierre est un grand athlète canadien dont je suis fier d'avoir pu être le coéquipier. Il y a plusieurs années de celà, lorsque nous étions coéquipiers sur l'équipe nationale sur piste (vélo) je le connsidérais déjà comme un leader. Il était modeste. Je me souviens avec émotion de lui aux Jeux de 1984, alors qu'il allait si bien servir l'équipe du Canada en participant à une échappée, un facteur important dans la course qui allait me permettre de remporter la médaille d'argent. Pierre n'était pas égoïste, même avec un si grand talent.
Steve Bauer, cycliste canadien, médaillé olympique (1984) et détenteur du maillot jaune lors du Tour de France en 1988 et 1990.
Pierre est l'un des plus beaux athlètes que j'ai rencontrés, brillant en tout, simple et toujours disponible. Prétendre qu'il a été l'un des plus grands athlètes québécois du siècle se défend très bien.
Gilles Blanchard, chroniqueur sportif à La Presse, qui a suivi toute la carrière de Pierre Harvey.
Pierre est un grand athlète qui n'a toujours compté que sur lui-même. Soyons francs : dans les années 1980, devant les athlètes de la Russie, de la Norvège et de l'Italie, qui comptaient sur un système d'entraînement bien établi et efficace, avec tout ce que cela comporte, les entraîneurs canadiens n'avaient tout simplement pas l'expertise et les moyens pour entraîner et encadrer leurs skieurs en espérant les faire rivaliser à un niveau international. Pour se mesurer à eux - et pour les battre ! - il a fallu que Pierre, dans une certaine mesure, soit meilleur que ses adversaires de plus d'une façon.
Richard Weber, membre de l'équipe nationale de ski de fond (1977 à 1985) et aventurier moderne ayant effectué le seul aller-retour confirmé (1995) de la terre ferme au pôle Nord, en compagnie du Russe Misha Malakov.
Pierre Harvey a laissé en Suède l'image d'un athlète original, un peu comme Bill Koch (un fondeur américain, souvent crédité pour l'introduction du pas de patin en Coupe du Monde). Personnellement, je me souviens surtout de sa grande gentillesse.
Lars Sandin, columnist sportif au Aftonbladet, le grand quotidien suédois.
Le mot de Simon Kretz, rédacteur en chef de
C'était en août 1986. Je me trouvais à la mi-parcours de l'épreuve de 13 km de course à pied, dernière tranche du triathlon de Mont-Tremblant. Je l'ai reconnu tout de suite. Pierre Harvey roulait nonchalamment à vélo en sens contraire des coureurs, y allant de quelques mots d'encouragement à chacun.
J'avais été surpris de voir le cycliste et fondeur olympique faisant une promenade sur le chemin principal du village. Sans doute était-il venu encourager sa femme ou un ami. Epuisé, je résistais à la tentation de m'arrêter depuis un bon kilomètre quand, arrivé près de moi, il m'a lâché un «Vas-y, c'est beau ! T'es presque arrivé.» Je me rappelle avoir pensé qu'il était un chic type.
Un chic type qui gagne des triathlons. Car Pierre Harvey allait bien à la rencontre de sa femme - qui participait à l'épreuve -, mais il avait pris le temps de remporter l'épreuve avant. En consultant les résultats du classement final de ce triathlon, mon tout premier, j'avais haussé les épaules en souriant : «Wow. Il nage aussi vite qu'il skie. Aussi vite qu'il pédale.» Y avait-t-il un sport d'endurance dans lequel il n'excellait pas ?
Treize ans et trois victoires en Coupe du monde de ski de fond plus tard, on cherche encore - on raconte qu'il n'est pas très fort aux quilles, mais ça reste une rumeur. En fait, voilà 25 ans que Pierre Harvey, ce nageur-devenu-cycliste-devenu-fondeur-devenu-montagnier de-haut-calibre, est un modèle du parfait athlète moderne. Un petit dieu du cardiovasculaire. Est-il vraiment le plus grand athlète québécois, tous sports confondus ? Je laisse à mon ami Michel Marois, du journal La Presse, et aux observateurs que nous avons interviewés, le soin de répondre à cette question.
Je vous dirai quand même ceci : je ne suis pas sûr que l'on puisse mesurer l'impact réel de Pierre Harvey sur la popularité du ski de fond. Je ne suis pas certain, non plus, qu'il y ait même quelque chose à mesurer, sinon les souvenirs impérissables qu'il nous a laissés dans les années 1980 et le sens de l'intégrité qu'il inspire encore aujourd'hui. Aussi, certains prétendront que l'aller-retour au pôle Nord de Richard Weber est l'un des grands exploits physiques de ce dernier quart de siècle, que Gaétan Boucher, Myriam Bédard, Caroline Brunet, Bruny Surin et, pourquoi pas, Mario Lemieux, Guy Lafleur et le Rocket, ont marqué à jamais le paysage sportif québécois.
Mais une chose est claire : en cette époque du «gagner à tout prix», Pierre Harvev personnifie, plus que tout autre, la recherche de la performance athlétique dans le repect de son corps, l'ambition dans le respect de l'autre, la confiance en ses moyens dans une humilité sincère. À la grâce de l'athlète classique, Harvey ajoute une petite touche de simplicité aussi savoureuse qu'une gorgée d'eau fraîche en pleine canicule. Et tout ça dépasse le contexte des exploits sportifs. Pierre Harvey nous incite à vivre le bonheur tranquille du devoir accompli.
Voilà pourquoi, entre autres choses, Pierre Harvey est la personnalité de notre série "Tournant du siècle".
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