Pantani est mort samedi, à 34 ans. Une autopsie est en cours.
Jean-Louis LE TOUZET
Le coeur n'y est plus. Le roi de la montagne est mort et l'Italie pleure son grand petit homme. Après Tacite, Fausto Coppi et Gino Bartali, il y avait Marco Pantani dans le coeur du pays. Son corps a été retrouvé sans vie, samedi soir, jour de la Saint-Valentin dans sa chambre de la résidence hôtelière «le Rose» (les Roses, ndlr) de Rimini, pas très loin de son domicile de Cesenatico (Emilie-Romagne). Le corps du grimpeur a été mis en bière. La médecine légale cherche à savoir de quoi est décédé le double vainqueur du Giro et du Tour de France 1998. Il était le premier Italien à remporter le Tour depuis Felice Gimondi en 1965. Un Tour 98 marqué par l'affaire Festina, qu'il avait réussi à sauver. On lui donnait de «l'Elefantino», pour ses grandes oreilles et son petit corps. Ou du «Pirate». Mais le coureur de la «Mercatone», son équipe, allait de chutes en chutes depuis le Giro 1999. Expulsé de la course pour un hématocrite élevé à la veille de son arrivée alors que Pantani portait le maillot rose de leader. Pantani, ces derniers mois, ne rentrait plus dans son collant rose.
«Je me sens seul»
Il avait fort grossi et se demandait s'il était encore coureur. Il aimait bien cette phrase: «Je gagne, mais je me sens seul.» Il existe de lui une photo très belle. Il est de dos et marche, la tête penchée, et tient par la selle son petit vélo. C'est une photographie prise dans un couloir et Pantani marche vers la lumière. Hier, les réactions furent innombrables. Jean-Marie Leblanc parlait, lui, «d'un énorme gâchis». Pantani était un héros balzacien. C'est la chute de César Birotteau. La grandeur et décadence du coureur. Il reste ce chagrin considérable.
Pantani était une étoile qui aurait énormément consommé d'hydrogène. Il ne lui restait que l'hélium pour grimper si vite. Puis l'hélium vint à son tour à manquer. L'étoile est morte. Les journalistes seraient en cause. Ils auraient tué Pantani, si l'on écoute Richard Virenque: «Les médias ont attaqué un homme dépressif, cela peut conduire aux pires extrémités.» Mais c'est aux astronomes qu'il faut en vouloir quand les étoiles pâlissent, pas à la presse qui sait la duplicité de ce sport et ne lui en veut même pas.
Voilà ce que disait hier Eddy Merckx, quintuple vainqueur du Tour de France, interrogé hier par la RTBF: «Pantani était la proie de la justice italienne.» Ainsi les journaux et la justice furent-ils ses bourreaux ? En quelque sorte les Sanson, père et fils qui coupèrent Louis XVI et Robespierre. Ainsi on aurait procédé de même avec le «Pirate»? Pourquoi ne pas évoquer le temps qui est détraqué ou le pouvoir des astres ?
Dernier Tour
Soupçonné d'être un grand professeur de fric-frac par les autorités italiennes qui découvrent dans une descente de police des produits qui aident à l'élévation des champions, Pantani reporte alors ses retours à la compétition. Pourtant, en 2000 sur le Tour de France, il remporte l'étape du Ventoux, Lance Armstrong lui laissant la victoire. Pantani avait ce jour-là le visage de la lune de Georges Méliès et ne voulait pas de la pitié du champion. Quelques jours plus tard, Pantani quittera le Tour, prétextant «des embarras gastriques». Le Tour ne le reverra plus.
Philippe Brunel de l'Equipe, qui aimait l'Italien d'un amour sincère, a vidé pour lui des encriers et noirci de très belles pages. Brunel rapportait en octobre des propos qui sonnent aujourd'hui comme un drôle de glas. Voilà ce que disait Marco Pantani : «Je me sens un ex dans tous les sens du terme. J'ai débranché la prise. Je ne suis pas stupide, on ne s'intéresse pas à moi par affection, mais parce que le sport moderne a besoin de personnages.» Le cyclisme mange-t-il ses enfants ? Ça y ressemble. Les champions meurent dans la fleur de l'âge et croquent des anxiolytiques comme des Tic-Tac au menthol. C'est à n'y rien comprendre. Pire. Les jeunes cyclistes passent pendant leur sommeil et les champions qui ont l'âge du Christ s'en vont en laissant des notes posthumes. Certes, Pantani était devenu depuis trois saisons un cycliste tâtonnant. Gimondi disait: «Cet homme a tout payé et trop cher.» Pantani était rentré dans le bestiaire du cyclisme. Il était l'égal du Luxembourgeois Charly Gaul et pas plus gros que ne l'était le Belge Lucien Van Impe quand il remportait le Tour 1976 chez Gitane-Campagnolo de Cyrille Guimard.
Pantani était célébré, aimé, admiré. Il avait du bien, était à l'abri du besoin. Sa maman tenait un kiosque à journaux. Elle le jette à 12 ans dans les pattes du club Fausto Coppi Cicloturismo.
L'Alpe-d'Huez en 36' 50"
Pantani, c'était 34 pulsations cardiaques au repos, 1,70 m, 57 kilos, 4 % de masse graisseuse et 6 litres de capacité pulmonaire. Voilà pour les chiffres. Le grimpeur espagnol de la Banesto, Jose-Maria Jimenez, également soigné pour une dépression lourde, disait de Pantani à l'époque : «Quand il attaque, c'est tellement difficile qu'on ne pense à rien. De toute façon, on est toujours battu par Pantani.» Jimenez est décédé en novembre d'une crise cardiaque à l'hôpital psychiatrique San Miguel de Madrid. Il avait 32 ans. Nous sommes très loin de l'allégresse de l'étape de L'Alpe-d'Huez 1995. Ce jour-là, le «Pirate» mettra 36' 50" pour arriver au sommet.
L'Union cycliste internationale (UCI), dans un communiqué, «exprimait sa profonde tristesse. Les graves difficultés personnelles et l'immense pression avec lesquelles Marco a dû se confronter dans la dernière phase de sa carrière ne peuvent pas effacer, aujourd'hui, l'image d'un champion parmi les plus aimés du cyclisme». Au départ du Giro 2000, il est reçu en audience papale avec l'ensemble du peloton. Qui prononcera l'éloge funèbre du héros ? L'Italie est à terre et n'en finit pas de pleurer. En 1999, quand il est expulsé du Giro pour un contrôle sanguin, le leader du Parti de la refondation communiste, Fausto Bertinotti, lâchait une longue plainte : «La guerre, le chômage et maintenant Pantani.»
Le coureur est mort en esclave d'un système. C'est l'histoire des lapins de laboratoire. On leur injecte de la Novocaïne pour voir s'ils font des pirouettes en jouant du tambour. Cet homme souffrait horriblement. Il est mort seul et on est désemparé. Pendant ce temps, le cyclisme continue de joue de la lyre, comme Néron, alors que Rome brûle. La ménagerie du vélo le pleure. Pantani avait formulé un voeu : «Armstrong ? J'aimerais bien le voir perdre. Il s'est fâché quand je l'avais comparé à un héros de BD. Mais comment voir autrement un coureur qui gagne le Tour après avoir vaincu le cancer ?» Promis, on lui racontera.
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