COURRIER
Je te demande, Marco, de bien vouloir me pardonner. J'étais de ceux et de celles qui, depuis cette année 1998, année noire pourtant, déjà, s'exaltaient devant tes exploits alpestres et pyrénéens. Tu surplombais le peloton de ta belle assurance, au sommet de ces cols auxquels, paraît-il, tu rêvais la nuit.
A quel prix avais-tu atteint ce niveau de performance, à martyriser ainsi ton corps et ton esprit. Toujours plus haut, toujours plus vite, mais en réalité toujours plus bas, toujours plus noir. Dans les abîmes des médicaments, des transfusions dans ces hôtels des villes étapes, tous ressemblants.
La triche, pour ne jamais devenir ne serait ce que second, une place qui, aujourd'hui, ne veut plus rien dire, n'intéresse plus personne, dans le cyclisme comme dans tous les autres sports.
Oui, je te demande de bien vouloir me pardonner. Un homme ne peut pas, et ne doit pas, en toute rationalité, enchaîner cinq cols une même journée à la vitesse d'une mobylette.
Tout cela n'a plus aucun sens. Je ne regarderai pas le Tour cette année. Je laisserai les commentateurs aveugles et sots s'enthousiasmer devant l'impossible, hurler leur émotion devant l'image qui tue, qui déchire ! Et regretter l'incroyable défaillance de cet autre coureur, feignant d'ignorer que, ce jour-là, il n'a pas pris, pour une fois, la petite pilule miracle.
Aujourd'hui c'est le sport qui tue, tout court.
Fais-moi plaisir, Marco, là-haut reprends ton vélo, promène-toi, savoure ce petit air frais sur ton front. Pédale tranquillos, arrête-toi, flâne, et repars en sifflotant. Maintenant, tu as tout ton temps, l'ami, et tu verras c'est chouette la bicyclette, crois-moi.
Pierre Diéterlé
Besançon
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