Psychiatre au Centre d'addictologie et de psychopatologie des sportifs de Bordeaux, cette spécialiste estime le suivi psychologique indispensable
Le docteur Sabine Afflelou est psychiatre au Centre d'addictologie et de psychopathologie des sportifs. Ouvert en 2001 avec le soutien du CHU Bordeaux, ce centre a été créé à l'initiative de Serge Simon, docteur et ancien rugbyman international, à partir d'un constat inquiétant. «Le corps des sportifs est pris en charge. Mais ils ont aussi une tête qui, parfois, peut aller mal.»
Propos recueillis par David Reyrat
LE FIGARO. - Ce qui frappe, dans le cas Pantani, c'est son extrême solitude...
Docteur Sabine AFFLELOU. - Il était seul et en situation de mal-être. A-t-il sollicité de l'aide ? Apparemment pas. Sans doute par peur d'être mal vu, mal jugé. Aujourd'hui, il est difficile pour un champion de demander de l'aide, d'aller vers le soin. Cela va à l'encontre de l'image du sportif censé aller bien dans son corps et dans sa tête. L'idée que le sport ne mène pas seulement à l'épanouissement, mais qu'il peut également entraîner des troubles est dure à faire accepter... Nous voulons faire comprendre que le dopé est une victime et non un coupable. Il est essentiel de ne pas considérer l'individu seul, mais de le replacer dans son contexte socioculturel.
Quel est ce contexte ?
Le sportif est considéré comme une machine à performer. Il faudrait le regarder autrement, dans sa globalité d'être humain... Les contraintes liées à la pratique du sport de haut niveau induisent naturellement des troubles du comportement, une vulnérabilité. Prenons l'exemple des jeunes que nous traitons ici. Parfois, la pratique intensive va à l'encontre de leur santé. Le surentraînement, nous considérons qu'au-delà de huit heures de pratique sportive par semaine, cela devient un terreau à risques, l'éloignement des parents, la coupure de toute socialisation normale en pleine adolescence fragilisent et entraînent des troubles qui vont de l'anxiété à la dépression... Sans oublier, dans certaines disciplines à contraintes pondérales (gymnastique, judo...), des troubles du comportement alimentaire.
La frontière entre le dopage et la toxicomanie est-elle mince ?
Quand on consomme certaines substances, pourquoi ne pas en consommer d'autres ? A partir du moment où le sportif ne contrôle plus sa consommation, il devient dépendant. Il y a alors de forts risques de détresse psychologique et un besoin de prendre d'autres substances pour stimuler. S'ensuit une forte dépression. C'est un cercle vicieux. Ces cas sont les plus durs que nous ayons à traiter.
Justement, quels traitements proposez-vous ?
Notre idée était de créer un centre uniquement dédié aux sportifs, qu'ils soient en devenir, actif ou en post-carrière. Nous faisons une évaluation poussée et pluridisciplinaire avec un psychiatre, un psychologue... Nous établissons ensuite un projet thérapeutique. Selon les cas, il s'agit de psychothérapies comportementale, cognitive ou familiale, de relaxation. La santé du sportif impose même parfois un arrêt de la pratique. A côté de cette activité clinique, nous faisons également de la prévention auprès des lycées, des sport-études. Nous intervenons aussi dans le cadre du suivi longitudinal des sportifs où la santé psychique et somatique du sportif est trop souvent négligée.
Richard Virenque a mis en cause les médias. Quelle est leur part de responsabilité ?
La pression médiatique doit être prise en considération. Elle n'aide pas les sportifs pris pour consommation de substances à s'estimer et, par conséquent, à remonter la pente. Il est indispensable de changer le regard envers ses sportifs consommateurs de substances. Les médias doivent comprendre qu'ils ne sont pas tous malades, dépendants, toxicomanes. Il faut arrêter de les montrer du doigt, de brûler des sorcières pour préserver un idéal du sportif. Il faudrait aussi moins les sanctionner et plus les soigner.
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