Cohérence et les insuffisances du suivi médical des champions, qui sont de plus en plus exposés aux pressions financières et médiatiques
Cyrille Louis
«Protéger les sportifs professionnels des éventuelles conséquences pathologiques de leur pratique» : ainsi définie par le Comité consultatif national d'éthique, la tâche du médecin exerçant dans une équipe de haut niveau semble d'une évidente clarté. Pourtant le mariage entre le code de déontologie médicale et la loi de l'entreprise sportive relève parfois du casse-tête pour des soignants liés, comme les autres figures du club, par l'exigence du résultat. Et soumis à de multiples pressions. Désormais les pouvoirs publics travaillent d'ailleurs en priorité à clarifier les missions du médecin sportif au sein de son club et à préciser le cadre légal dans lequel il évolue. Ces dernières années la lutte antidopage a en effet été trop régulièrement contrariée, tant par le lien de subordination du soignant à son employeur que par le poids parfois trop lourd du secret médical. Ainsi que par la trop facile confusion entretenue entre suivi médical et aide à la performance.
La nécessaire indépendante des médecins.
En principe, le soignant est là pour protéger la santé de l'athlète, et il ne peut en aucune façon être tenu responsable de ses résultats sportifs. «Mais dans certains sports, confie le docteur Éric Jousselin, médecin chef à l'Institut national du sport et de l'éducation physique, on voit encore des soignants toucher des primes après une victoire. Façon, par exemple, de les remercier pour avoir autorisé un joueur affaibli à rentrer sur le terrain pour un match important.»
Soucieux de garantir l'indépendance de la décision médicale, même lorsque le soignant est salarié par un club ou une fédération, le Comité de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD) et le Conseil de l'ordre des médecins exigent depuis un an l'établissement d'un contrat de travail en bonne et due forme. «On ne veut plus avoir affaire à des équipes qui embauchent, à la bonne franquette, le cousin toubib pour assurer le suivi d'un coureur et lui donner n'importe quoi», confie un bon connaisseur du milieu. Pour l'heure il semble cependant que les contrats signés se comptent sur les doigts de la main.
Autre pan du chantier d'assainissement en cours, le CPLD milite pour que les soignants employés à plein temps par une équipe soient titulaires au moins d'une capacité en médecine du sport, voire d'un diplôme d'études spécialisées. «L'objectif est de contrecarrer les clubs qui ont parfois tendance à employer de jeunes médecins inexpérimentés ou manquant de confiance en eux pour mieux pouvoir exercer leur pression», décrypte Éric Joussellin.
«A terme, espère Michel Rieu, conseiller scientifique au CPLD, la création d'une direction médicale nationale au côté de la DTN permettra peut-être de clarifier le secteur une bonne fois pour toutes et d'assainir la galaxie anarchique de pseudo-médecins, préparateurs physiques et autres docteurs en biologie qui gravitent dans l'orbite de certains athlètes.»
L'obstacle du secret médical.
Liés par ce principe dont l'ordre des médecins refuse pour l'heure tout aménagement, les praticiens experts remarquant une anomalie dans les bilans ou les résultats d'un athlète ne peuvent pour l'instant alerter ni son entraîneur, ni son cadre dirigeant, ni même directement le médecin de sa fédération. «La seule option est alors d'informer, comme la loi l'y oblige, l'antenne médicale de prévention et de lutte contre le dopage désormais présente dans chaque région pour venir en aide aux sportifs dopés», précise Bruno Sesboue, président de la Société française de médecine du sport. En pratique, cette injonction n'est que très peu respectée.
De fait, la loi du silence fait encore obstacle non seulement à la lutte contre le trafic de produits illicites mais aussi à la protection du sportif. Aussi les autorités envisagent-elles de trouver un nouvel équilibre acceptable par l'ensemble des professions médicales. «Afin de renforcer les prérogatives des soignants, nous pourrions par exemple leur donner à l'avenir la possibilité d'émettre des certificats d'inaptitude au sport, propose Michel Rieu. Ce document présenterait l'avantage de mettre le coureur à l'abri du danger auquel il s'expose inconsciemment, sans pour autant livrer au public la nature du diagnostic, comme les médecins du travail ont d'ores et déjà la possibilité de le faire.»
Le dopage sous ordonnance.
Les efforts extrêmes consentis par les athlètes, tant à l'entraînement qu'en compétition, se traduisent souvent par des déficits hormonaux que certains médecins ont, dans les années 90, cru pouvoir légitimement corriger par l'injection de substances désormais interdites. «En théorie, nous sommes revenus à une appréhension plus claire de l'activité sportive, analyse Bruno Sesboue : soit un coureur est fatigué ou malade, et il se repose, soit il est en forme et il n'a pas besoin de produits exogènes.» Une distinction qui semble pourtant échapper à certains médecins.
Depuis plusieurs années le nombre de sportifs traités par corticoïdes ou salbutamol pour des allergies, des crises d'asthme chroniques ou des inflammations – ordonnance à l'appui – ne cesse ainsi d'augmenter, laissant craindre aux gendarmes du sport un important détournement de produits interdits sous couvert médical. «La solution est de multiplier les enquêtes lorsque nous sommes confrontés à des cas suspects, afin de vérifier si la pathologie est effectivement attestée par des examens précis», estime Michel Rieu. Or ce n'est manifestement pas toujours le cas.
«Comme la performance est directement liée à la quantité d'entraînement, on bute toujours sur la même équation, analyse Éric Joussellin : au-delà de deux séances par jour, il est indispensable de faire jouer la chimie et certains soigneurs pensent qu'il vaut mieux accompagner le sportif que le laisser s'abîmer tout seul. L'essentiel, c'est de ne surtout pas rentrer dans ce jeu-là, car le médecin perd vite tout contrôle sur la situation. Cela arrive encore.»
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