J.-C. P.
«Vous êtes un exemple pour la jeunesse.» La phrase est entendue. Rabâchée même. Chaque fois qu'un champion gagne, s'empare d'un titre mondial ou olympique, que La Marseillaise retentit, il y a droit. Au même titre qu'à sa médaille et à son bouquet de fleurs. Le champion, symbole de réussite, de travail, de persévérance, c'est pourtant une image d'Epinal un brin fleur bleue. Celle du temps jadis. Quand, en l'absence d'images télévisées, les médias chantaient la gloire des athlètes à grand renfort de superlatifs. Quand les gamins, par radio interposée, vivaient les exploits lointains en les réinventant. En se glissant dans la peau de leurs héros, en se faisant héros. «Tu seras Poulidor, moi Anquetil» et en avant pour le tour du pâté de maisons. Le rêve enveloppait le réel, le magnifiait. On s'inventait les décors et l'imagination faisait le reste, transformant l'athlète en idole.
Aujourd'hui, la fleur est flétrie. La donne n'est plus la même. Le spectateur est abreuvé d'images, d'informations. La hiérarchie des épreuves n'existe plus. Les distances non plus. Le dopage fait recette. On consomme du sport avec boulimie, bien campé dans son canapé, comme une autre denrée indispensable. Les performances sont disséquées, analysées. Et on zappe pour tomber sur celui ou celle qui gagne. Pour vivre la victoire par procuration.
Le champion, lui, n'a pas la prétention de servir d'exemple. Pas plus qu'avant d'ailleurs. C'est une utopie. Il est devenu professionnel. Il travaille, s'accroche et parfois réussit. Comme avant. Gagne beaucoup plus d'argent qu'avant. Il peut encore faire rêver. Comme avant. Mais pas parce qu'il est un être modèle condamné à la perfection. D'ailleurs pourquoi le serait-il sinon parce qu'on veut s'en servir d'exemple ?
Plus justement, il est fascinant parce qu'il demeure un être d'exception, parfois sulfureux. Quelqu'un épris de liberté, d'absolu, lancé dans une quête de gloire. Souvent égoïste dans sa démarche. Souvent coupable d'excès car c'est son défi même qui l'exige. Le champion est un humain hors normes. Inaccessible et rare. Sinon, il n'est pas.
Le servir en exemple à tout bout de podium est absurde et dangereux. Malsain même. Car quand il tombe son habit de lumière, il redevient un humain comme les autres. Avec ses forces et ses faiblesses. Alors, le réveil est brutal et le désamour à la démesure de l'exemplarité béate qu'on voulait leur prêter. Si la pratique sportive a des vertus éducatives, la trajectoire du champion n'appartient qu'à lui.
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