18 février 2004

«Ils l'ont laissé mourir»

Entre tristesse et colère, la ville de Cesenatico enterre aujourd'hui Marco Pantani.

Eric JOZSEF
esenatico (Emilie-Romagne) envoyé spécial

Le gros casque bleu de protection enfoncé sur la tête, le maillot jaune fluo recouvrant une partie des cuissards noirs, l'octogénaire Dante déambule dans l'église San Giacomo l'Apostolo de Cesenatico. Avant même que le cercueil de Marco Pantani ne soit ramené de Rimini pour y être déposé dans la nef, transformée en chapelle ardente (en attendant les funérailles qui se dérouleront cet après-midi), ce commerçant en retraite de Forimpopoli a enfourché hier son vélo au petit matin pour parcourir trente kilomètres dans la campagne romagnole et venir rendre hommage au «pirate» décédé samedi dans une chambre d'un hôtel sans âme. «Ils l'ont laissé mourir», s'indigne-t-il face à une médiocre peinture baroque surmontée d'un piteux squelette en plâtre.

Anathème. Après la tristesse, la stupeur et le recueillement des premières heures, les admirateurs du grimpeur et ses concitoyens lancent l'anathème. Pêle-mêle contre la fédération cycliste, les médias, les procureurs accusés d'avoir ouvert plusieurs enquêtes pour dopage à l'encontre du pirate... «Il a été persécuté, s'agite Dante. Le dopage ? Mais tout le monde se dope. Le peloton ne marche pas au pain et à l'eau ! Seulement Marco a été le seul à payer.»

Devant le Magico Club Pantani, à trois cents mètres de là, de l'autre côté du canal qui traverse le centre du tranquille petit port de l'Adriatique, les supertifosi de l'ancien vainqueur des Tours de France et d'Italie sont encore plus remontés. «Je navigue entre la peine et la colère», lâche l'un d'eux, une grosse boucle d'argent à l'oreille comme son champion décédé. «Depuis la création du club en 1994, j'ai suivi Pantani partout sur le Giro comme sur le Tour de France. Seulement, après la trahison du 5 juin 1999 à Madonna di Campiglio, rien n'a plus été pareil.» C'est à cette date que la carrière du Pirate prend un tournant fatal. A quelques heures du départ de l'avant-dernière étape du Tour d'Italie, qu'il contrôle avec plus de cinq minutes d'avance, Marco Pantani est contraint de se retirer de la course. Son hématocrite dépasse largement le seuil autorisé des 50, laissant supposer la prise d'EPO.

«Attention, ce n'est pas le fait de savoir qu'il avait un hématocrite à plus de 50 qui m'a choqué. Cela ne m'intéresse pas, poursuit l'adhérent du Magico Club, à ce niveau de compétition, tout le monde prend des médicaments. Non, ce qui me révolte, c'est que Pantani est le seul à avoir été pincé de cette manière. Il a été cueilli à son hôtel à l'aube par huit carabiniers. Un traitement pire que pour un grand criminel.» Pour tous ses supporteurs, Pantani a été ce jour-là lâché par le milieu du cyclisme. «Parce qu'il était trop fort et que cela en gênait certains», assène comme une évidence, l'une de ses admiratrices qui ajoute, cynique, «en plus il savait qu'en tant que leader du classement, il allait être contrôlé. S'il avait voulu, il aurait pu prendre des produits pour faire tomber son hématocrite».

Pèlerinage. «Je ne parlerai pas de complot mais c'est sûr qu'il était devenu une cible, un bouc émissaire», lâche le maire de Cesenatico, Damiano Zoffoli, affairé à organiser les plus médiatiques funérailles de la petite ville de 22 000 habitants. «Je le répète, ses victoires, il les a méritées», martèle-t-il. «Marco a démontré qu'il était supérieur aux autres... avec des conditions de départ équivalentes.»

A la sortie de Cesenatico, au milieu des champs, la villa flambant neuve de la famille Pantani est également l'objet d'un petit pèlerinage. Pour les cyclistes amateurs de la région, c'est désormais un détour obligé. «J'ai connu Pantani lorsqu'il était adolescent, au milieu des années 80, se rappelle Rino Galassi. A l'époque, j'étais commissaire de course. Pantani gagnait alors assez rarement. Ce n'est que plus tard qu'il a explosé.» Sans pouvoir trouver d'explications, ce passionné de la petite reine estime, lui aussi, que le «pirate» a été «particulièrement touché» : «Coppi, Bobet, Anquetil que j'ai connu... ils se sont tous dopés. On ne peut pas faire deux cents kilomètres tous les jours sans rien.» Et d'ajouter, résigné : «Aujourd'hui, on se dope à tous les niveaux, à partir des juniors. Le dopage a atteint un niveau extrême. Il y a vraiment de quoi être préoccupé.»


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