Rome : de notre correspondant Richard Heuzé
«Ciao, Pirata. Ciao Campionissimo.» Pour son dernier voyage, Cesenatico a voulu rendre un hommage solennel à l'enfant du pays. Dès le milieu de la matinée, une foule immense se pressait devant la petite église de Saint-Jacques-l'Apôtre, où se sont déroulées hier les funérailles du champion cycliste Marco Pantani, décédé dans une chambre d'hôtel dans des circonstances non encore élucidées (1). La famille a eu du mal à se frayer un chemin jusqu'au portail d'entrée, deux cousins ont failli rester dehors.
Dans la nef, le cercueil était entièrement recouvert de gerbes de fleurs blanches et jaunes. L'une d'elles était envoyée par Emanuele Filiberto, prince héritier de la maison de Savoie. Sur la bière, les quatre maillots fétiches du coureur : celui, jaune, du Tour de France 1998 et, à côté, celui de l'équipe nationale d'Italie de cyclisme, tout bleu. En face, le maillot rose du Giro 1998 et un autre, blanc à rayures bleues, de la G. S. Fausto Coppi de Cesenatico, l'écurie dans laquelle Marco Pantani fit ses débuts. Derrière l'autel où il fut baptisé il y a trente-quatre ans, une immense composition florale de roses jaunes et d'oeillets bleus reproduisait les traits du champion.
Aux premiers rangs, derrière la famille, se serraient les fidèles, l'équipe Mercatone Uno au grand complet, Francesco Moser, Gianni Bugno, Davide Cassani, Charlie Gaul, le skieur Alberto Tomba, l'ancien entraîneur de l'équipe nationale de football Azeglio Vicini. Et encore Stefano Garzelli, vainqueur de l'avant-dernier Giro, et Fabrizio Borra, le masseur qui avait permis à Pantani de retourner au cyclisme après son terrible accident contre une voiture.
A la demande de la famille, le service d'ordre avait interdit l'entrée de l'église aux journalistes. La veille, Mamma Tonina, sa mère, un petit bout de femme au caractère vif-argent, s'était répandue en imprécations contre les photographes et les cameramans qui filmaient la chapelle ardente : «Partez ! Vous me l'avez tué avec vos bavardages. Vous n'avez aucun respect. Cela fait quatre ans que vous le torturiez. Vous l'avez vu dans son cercueil : vous êtes content maintenant !»
Dans une lettre de neuf pages écrite peu avant sa mort, lue pendant le service religieux, dans un silence entrecoupé de sanglots, par son ancien manager Manuela Ronchi, Marco Pantani raconte ses «quatre ans de calvaire devant les tribunaux». «J'ai perdu la volonté d'être comme tant d'autres sportifs. Le cyclisme a payé, mais de nombreux jeunes ont perdu espoir en la justice.» Dans son homélie, l'évêque du diocèse, Mgr Antonio Lanfranchi, a appelé le monde du sport à tirer les leçons du drame : «Marco nous invite tous à un sérieux examen de conscience sur ce qu'est le sport et sur ce qui tourne autour du sport.» Le prélat a également rendu un vibrant hommage aux qualités humaines du coureur : «L'homme est toujours plus grand que ses victoires et ses défaites.»
A la sortie, une foule massée sur plus d'un kilomètre jusqu'au cimetière communal a longuement applaudi le cercueil. Damiano Zoffoli, maire de Cesenatico, refuse de croire à la fin du mythe : «Pour nous, Marco court encore.»
(1) Le parquet de Rimini a ouvert «une information contre X pour trafic de stupéfiant», des traces de cocaïne ayant été relevées dans la chambre du coureur.
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