ENQUÊTE La multiplication des décès de sportifs et des affaires de dopage, qui ont précédé la disparition de Marco Pantani, poussent aujourd'hui à s'interroger sur la cohérence et les insuffisances du suivi des champions
Jean-Christophe Papillon
La fin tragique de Marco Pantani s'ajoutant à une série de drames récents, frappant des athlètes en pleine force de l'âge, ne peut que faire retentir une fois de plus un signal d'alarme aux oreilles de ceux qui continuent à ignorer les déviances et les dérives du sport de haut niveau et de ses acteurs. Inflation des calendriers, enjeux financiers toujours plus gros, médiatisation extrême ont accéléré des phénomènes qui existaient depuis toujours. Surmenage, dopage, surmédicalisation accompagnent les champions ou apprentis champions. La course aux podiums est dangereuse, semée d'embûches et de tentations en tout genre. Aucune discipline n'est à l'abri. Et il faut une bonne dose d'hypocrisie pour affirmer le contraire.
D'autant que le dopage, longtemps sujet tabou, est devenu un sujet à la mode, qui fait vendre. Qu'aujourd'hui le soupçon est partout. Et que la lutte contre les tricheurs s'est intensifiée, modernisée, mondialisée mettant ainsi au grand jour la perpétuelle course aux remèdes miracles, elle aussi accélérée par l'ouverture toujours plus grande des frontières, le grand marché Internet et les progrès de la recherche médicale.
Les affaires tragiques ou sulfureuses se multiplient au rythme soutenu des contrôles antidopages ou des descentes de police. Les images d'athlètes entourés de policiers comme de vulgaires criminels ou défilant dans les palais de justice choquent. Mais, à l'évidence, il convient d'en passer par cette étape. Même s'il faut éviter les amalgames, ne pas mettre le dopage à toutes les sauces, les faits sont là. Ce sinistre constat ne peut qu'inquiéter. Il appelle à une vérita- ble prise de conscien ce de tous ceux qui travaillent avec et près des athlètes. Ceux qui sont censés baliser le chemin des champions. Agence mondiale antidopage, gouvernements, organisateurs, partenaires financiers, médecins, éducateurs, entraîneurs, familles, tous doivent se mobiliser pour tenter de limiter les excès en tout genre. Pour essayer aussi d'y voir plus clair.
Effectuons un rapide retour en arrière. Il y a d'abord et surtout cette liste macabre d'athlètes en activité décédés brutalement. En janvier 2003, le cycliste italien Denis Zanette (32 ans) succombait chez son dentiste. En juin, le Français Fabrice Salanson (23 ans) s'éteignait dans son sommeil tandis que le footballeur camerounais Marc-Vivien Foe (28 ans) s'effondrait en plein match. Le 25 janvier 2004, le footballeur hongrois du Benfica Lisbonne Miklos Feher (24 ans) connaissait le même sort. En février, le basketteur letton Raimond Jumikis (23 ans) s'effondrait durant une rencontre de championnat. Puis le jeune cycliste belge Johan Sermon (21 ans) décédait dans son sommeil. Tous victimes de problèmes cardiaques brutaux.
Les autopsies n'ont pas révélé la présence de substances dopantes. Mais cette série noire ne peut qu'inquiéter au moins sur la qualité du suivi médical et met, à l'inverse, en exergue le cas de Khalilou Fadiga. Le footballeur d'Auxerre (28 ans), transféré à l'Inter de Milan en juillet, n'a toujours pas rejoué. Laissé au repos par le médecin du club italien qui avait décelé une anomalie cardiaque du joueur vraisemblablement due à du surmenage.
Il y a ensuite d'autres faits ou affaires liées, celles-là, directement au dopage. Le vélo est, une fois de plus, touché par une présumée affaire de dopage concernant l'équipe cycliste Cofidis. Cinq personnes ont déjà été mises en examen : un soigneur de l'équipe, le Polonais Boguslaw Madejak, le coureur polonais Marek Rutkiewicz, et son compatriote Daniel Majewski, coureur semi-professionnel, les Français Robert Sassone et Philippe Gaumont – licencié hier par son équipe.
Ce sont aussi les suites du procès du club de football italien de la Juventus de Turin. L'affaire remonte à 1998, l'année du scandale Festina, quand Zdenek Zeman, entraîneur de l'AS Rome, lance un pavé dans la mare «en exhortant le Calcio à sortir des pharmacies» et «en s'inquiétant de l'impressionnant tour de cuisse de certains joueurs turinois». Les enquêteurs trouveront au club une pharmacie digne d'un grand hôpital. Puis un bilan de santé du Calcio révélera des résultats terrifiants et nombre de décès suspects.
Dernièrement, des joueurs du club italien sont repassés devant les juges. A titre de témoins. Dont Zinédine Zidane. Qui a confirmé avoir pris de la créatine, des vitamines en perfusion, du Voltarène (un anti-inflammatoire), du fer et même du Samyr (un antidépresseur) le surlendemain des rencontres. Dans le même temps, les cas de joueurs positifs (presque tous à la nandrolone) se sont multipliés. Au point d'entendre enfin, en décembre dernier, Sepp Blatter, le président de la fédération internationale, telle l'autruche sortant la tête du sable, reconnaître l'inavouable : «Je me suis trompé en pensant que le football était un sport propre alors qu'il ne l'est pas.»
Comme le football, le tennis, longtemps bien protégé, a été touché médiatiquement par les vagues du dopage. Dernier cas en date, Greg Rusedki, contrôlé positif le 23 juillet 2003, qui n'a d'autre défense que de déclarer : «Sur les 120 meilleurs joueurs du circuit ATP, il y a 43 échantillons qui révèlent des taux de nandrolone élevés. Je suis l'un des 43.» Dans la foulée, John McEnroe, heureux retraité des courts, en rajoute avec ironie et exagération dans une chronique du Daily Telegraph : «Pendant six ans, on m'a administré à mon insu un stéroïde autorisé qui était donné aux chevaux mais qui a fini par être considéré trop fort, même pour eux.»
L'athlétisme, discipline où le dopage s'exprime largement et depuis longtemps (souvenez-vous notamment de Ben Johnson, des athlètes de l'Est, des Finlandais et de leurs transfusions sanguines, du décès suspect de Florence Griffith-Joyner, de l'utilisation de l'EPO par certains coureurs de fond et de la bien tardive rédemption forcée de la fédération américaine), était monté sur le devant de la scène à l'occasion des Mondiaux d'athlétisme en août dernier à Paris. Avec le cas du Français Fouad Chouki, mais aussi celui de l'Américaine Kelli White, victorieuse des 100 m et 200 m et contrôlée positive au Modafinil, qui bredouillait en guise d'excuse : «Après une épreuve, il est difficile de se souvenir de tout ce qu'on a pris dans la journée».
Cette affaire va pourtant avoir des rebonds étonnants en pointant le doigt sur le laboratoire américain Balco et de son sulfureux patron Victor Conte (ancien musicien et nutritionniste sans diplôme), aujourd'hui inculpé pour distribution de produits dopants, tout comme son adjoint James Valente, l'entraîneur Remi Korchemny et le préparateur physique Greg Anderson. Dans ce laboratoire, les enquêteurs américains ont découvert l'arsenal du parfait petit dopeur : hormones de croissance, EPO, stéroïdes, testostérone et diurétiques. Sans oublier la désormais célèbre THG (un dérivé de stéroïde). Un éclairage nouveau des pratiques toujours plus complexes.
Un avertissement aussi, qui montre combien il est nécessaire d'encadrer psychologiquement, médicalement et légalement la course folle des athlètes pour leur éviter de commettre de grosses erreurs.
Les funérailles de l'Italien Marco Pantani, décédé samedi d'un oedème cérébral et pulmonaire, seront privées et auront lieu demain à 13h30 dans l'église de Cesenatico, sa ville natale. La cérémonie sera retransmise à l'extérieur de l'édifice sur un écran géant. Par ailleurs, une information contre X pour trafic de stupéfiants a été décidée dans le cadre de l'enquête en cours afin d'enquêter sur un trafic éventuel de cocaïne, une drogue dont le coureur décédé aurait fait usage selon certains de ses proches.
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