Aux obsèques de Pantani, hier à Cesenatico, ses fidèles continuaient d'accuser les juges.
Eric JOZSEF
Cesenatico envoyé spécial
Dans la petite église de Cesenatico, face au cercueil de Marco Pantani, entouré de sa famille et de quelques vedettes du sport transalpin, dont Alberto Tomba, Mario Cipollini et Gianni Bugno, monseigneur Lanfranchi a tenté hier une échappée solitaire. Alors que plusieurs milliers de tifosi s'étaient rassemblés à l'extérieur, le long du canal au coeur du petit port de l'Adriatique, pour écouter dans le froid la messe funèbre et rendre un dernier hommage au «Pirate», l'évêque de Cesena a ainsi lâché : «La mort de Marco invite à une série d'examens de conscience sur le sport et tout ce qui tourne autour du sport. Un homme vaut plus que ses victoires et ses défaites, un homme vaut plus que le cyclisme, (...) un homme ne peut être sacrifié à aucune logique d'exploitation.» Et d'insister, en dénonçant au passage toute «idolâtrie»: «Il faut récupérer une vision du sport qui ne soit pas seulement compétition et succès.»
«Calvaire». Peine perdue. Le prélat a vite été rattrapé par le peloton des inconditionnels du sport spectacle dont Marco Pantani était l'un des héros. «Son calvaire a commencé à Madonna di Campiglio», a proclamé entre deux alléluias, le maire de Cesenatico, Damiano Zoffoli, interrompu par une salve d'applaudissements. Pour les fidèles présents, le Pirate reste en effet une victime dont le sacrifice aurait été consommé le 5 juin 1999 sur le Tour d'Italie, lorsque les commissaires l'expulsèrent de la course en raison d'un hématocrite explosif.
Avant que le cercueil ne soit conduit au cimetière de la ville, Manuela Ronchi, la manager de Marco Pantani, a défendu la mémoire du cycliste et les pratiques du milieu en lisant, sous les applaudissements, quelques lignes retrouvées sur son passeport en forme de testament : «Pendant quatre ans, j'ai été dans tous les tribunaux. J'ai perdu l'envie d'être comme tous les autres sportifs, écrivait Pantani. Il faut que le monde se rende compte que tous mes collègues ont subi des humiliations, avec des caméras cachées dans leurs chambres (placées sur le Tour d'Italie par les magistrats, ndlr) pour ruiner leurs familles.» Dénonçant à plusieurs reprises les enquêteurs qui l'ont poursuivi pour dopage, Marco Pantani insistait : «Le cyclisme a payé un prix très élevé mais beaucoup de jeunes ont perdu tout espoir dans la justice.» «Allez voir ce qu'est un cycliste et combien d'hommes se retrouvent au milieu d'une torride tristesse pour tenter de revenir avec des rêves d'hommes qui se brisent avec les drogues, implore Pantani dans un cri de douleur, il faut des règles mais qu'elles soient valables pour tous.»
Une étape dédiée. Les funérailles n'auront en tout cas pas été, pour les responsables du cyclisme, l'occasion de faire acte de repentance. Au contraire. Marco Pantani sera panthéonisé sur le prochain Giro. Le quotidien sportif la Gazzetta dello Sport, qui organise le Tour d'Italie, a en effet décidé de dédier la prochaine grande étape de montagne sur le Mortirolo au Pirate. C'est dans l'ascension de ce col, avec des pentes à 18 %, que Pantani, en juin 1994, avait fait irruption sur la scène mondiale, en lâchant Miguel Indurain. Au-delà, les promoteurs du Giro ont promis chaque année d'organiser un «Pantani Day». Aucune mesure ou initiative pour lutter plus efficacement contre le dopage n'a en revanche été pour l'heure annoncée.
De son côté, le procureur chargé d'élucider les conditions du décès du grimpeur court après le dernier dealer de Pantani. En pratique, la magistrature a ouvert une information contre X, classant le décès de l'ancien vainqueur des Tours de France et d'Italie sous la rubrique «mort comme conséquence d'un autre délit», à savoir trafic de drogue. Outre les traces de poudre blanche retrouvées sur une table de la chambre d'hôtel où Pantani a passé ses derniers jours, à Rimini, les examens toxicologiques qui seront communiqués d'ici quinze jours pourraient confirmer la piste de la cocaïne.
20 000 euros. La presse italienne relate les propos de Mauro Pugliese, un ancien compagnon de classe du coureur, qui affirme que ses proches amis s'étaient mobilisés pour tenter de le sortir de la toxicomanie. Selon ce témoignage, ceux-ci auraient contacté les dealers habituels du Pirate à Rimini pour les dissuader de lui revendre de la drogue : «Ils leur ont dit que Marco risquait de mourir.» Ils auraient même promis de les indemniser en payant eux-mêmes le manque à gagner. Le procureur Paolo Gengarelli reste très prudent mais piste, en attendant, les 20 000 euros que Pantani avait prélevés quinze jours avant sa mort et dont on a perdu toute trace.
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