La mort de Marco Pantani a profondément affecté le cycliste vaudois, champion olympique en 1996. A travers le désarroi du «Pirate», il a revécu sa propre descente aux enfers. «Ma dépression m'a poussé au bord du suicide»
Christian Despont
Rendez-vous était pris dans un piano-bar discret, pour comprendre un peu mieux la désuétude des champions qui, comme Marco Pantani, écopent d'un repli vers l'ordinaire. Champions déshérités, champions aigris, champions portés au pinacle puis abandonnés à leurs vertiges, champions assaillis d'idées noires quand, brusquement, les projecteurs s'éteignent. A peine attablé, Pascal Richard s'est épanché. Sans fausse pudeur: «A travers les mots que Pantani a laissés dans sa chambre d'hôtel, j'ai l'impression de ressentir sa peine. Moi aussi, j'ai pensé au suicide. Je suis resté longuement sur mon balcon, à chercher une raison de m'accrocher à la vie. J'en ai trouvé une seule: mes enfants.»
L'aveu est venu d'une traite, dans un sourire improbable, les yeux injectés de sang. Trois heures d'une confession bouleversante, comme le jaillissement incoercible d'une détresse refoulée. «Jusqu'ici, mon amie était la seule personne à connaître mes envies de suicide. Le vélo m'a tout donné, et un jour, il m'a tout repris.»
Une allure, une gueule, un tempérament. Le portrait craché d'une idole promise au faste et à l'obséquiosité, sacrée champion olympique à Atlanta en 1996. Ce piédestal s'est effondré d'un bloc. Pascal Richard s'en souvient: c'était le 15 août 2000. «Un journaliste m'a appris que je n'étais pas sélectionné pour les Jeux de Sydney. Je ne connais pas la raison. Toutes mes lettres sont restées sans réponse. Pour la première fois, un champion olympique n'a pas obtenu le droit de défendre son titre.»
La révolte, l'amertume. La posture du persécuté, forcément. «Quand l'affaire Festina a éclaté, nous avons tenu une réunion à huis clos dans le fief de l'Union cycliste internationale (UCI). Mes propos ont déplu. C'est là que mes problèmes ont commencé... La télévision, les décideurs, le Tour de Romandie; les milieux du cyclisme m'ont rejeté. J'en ai déprimé. Souvent, Pantani parlait de complot. Je le crois. Comment justifier un tel acharnement de la part des milieux qui, pendant de longues années, l'ont protégé? Le système l'a tué.»
Pascal Richard a tout perdu: sa famille, ses alliés, son halo de gloire et, finalement, toute dignité à ses propres yeux. «J'ai pété les plombs. Mes amis répétaient sans cesse que je devais relativiser, accepter mon sort. Personne ne comprenait que le vélo est toute ma vie. Inconsciemment, je me suis isolé. J'ai traversé des moments de profonde solitude. Ce n'est pas de l'aide que réclamait Pantani. Il demandait juste de la compréhension.»
Les entreprises n'ont pas voulu de lui. «La plupart trouvent suspect, voire pathétique, qu'un champion qu'ils ont admiré cherche du travail.» Son divorce l'a abandonné à ses tourments. «L'entourage familial aide à surmonter ses états d'âme. Dans mon cas, je n'ai encore ressenti que de l'incompréhension. L'avocat de mon ex-épouse, au moment de négocier la pension alimentaire, a vu en moi l'image du champion célèbre et fortuné: «Avec votre popularité, M. Richard, vous allez gagner au moins 20 000 francs par mois.» Résultat: je puise dans ma fortune pour survivre.» Le repos l'a frustré de ses doses d'adrénaline. «Je suis une bête de course. En Italie, on m'a éduqué pour gagner. Je ressens un manque.» Le champion n'est en réalité qu'un homme brisé, son existence un fatras de certitudes et de vestiges.
«Quand je me retrouvais seul dans mon appartement, je cherchais un sens à cette vie. J'étais champion olympique, j'avais décroché la lune. Finalement, je n'ai gagné que de la souffrance. L'ingratitude de mon pays me pèse. Lorsqu'un champion met un terme à sa carrière, il meurt une première fois. Ma solitude, ma dépression m'ont poussé au bord du suicide. Si j'avais cherché du soutien dans la drogue, j'aurais fini comme Pantani.»
Pascal Richard en veut à ses «amis». «La grande majorité n'a pas pris la peine de téléphoner pour savoir si j'allais bien, si je mangeais, si j'avais du travail.» Pascal Richard en veut à la presse. «On me snobe. Je ne suis sollicité que pour dénoncer les affaires douteuses.» Pascal Richard en veut à toutes ces mains prodigues qui, sous les flashs, lui ont tapé sur l'épaule. «Les affairistes dont j'ai reçu tant de louanges sur les lignes d'arrivée m'ont tourné le dos.» Pascal Richard gamberge, hurle, accuse. «Je passe pour un pleurnicheur. C'est vrai, je suis aigri. Sous prétexte que je suis un champion, je devrais sourire à tout le monde. J'étais au sommet de l'affiche et on m'a poussé dans le vide. Les gens ne comprennent pas. Personne ne peut comprendre que plus on tombe de haut, plus ça fait mal.»
La mort de Pantani, celle de Jimenez et d'innombrables sans-grade, l'effraie. «Chaque mois, les journaux annoncent le suicide d'un jeune sportif ou la découverte d'un corps inanimé dans une chambre d'hôtel. Ces drames ne sont pas tous liés au dopage, mais ils choquent. Mes filles de 14 et 17 ans, elles aussi, posent des questions: «Toi, tu prenais des drogues, papa?» Oui, j'ai pris des trucs. Mais à un certain moment, j'ai refusé de consulter les médecins vers lesquels on m'envoyait «pour le bien de ma carrière». J'ai gagné mes courses nature.» La mort de Pantani l'accable de remords. «Avec Bruno Boscardin et Claudio Chiappucci, nous avions envisagé de lui rendre visite. Nous le savions déprimé, et pourtant, nous n'avons rien fait. Finalement, nous ne valons pas mieux que les autres.»
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