22 avril 2004

La confession de l'ex-fiancée de Marco Pantani

Christina Jonsson, qui a partagé la vie de Marco Pantani pendant près de sept ans, parle aujourd'hui, pour la première et la dernière fois. Elle raconte pourquoi le champion italien, mort le 14 février d'une surdose de cocaïne, a sombré dans la drogue.

Propos recueillis par Michel Beuret

Elle a 28 ans, elle est danoise et habite Lausanne, en Suisse, où elle tente de refaire sa vie. Son rêve ? Devenir artiste peintre. Elle, c'est Christina Jonsson.

Elle a été pendant sept ans la fiancée d'un des plus grands champions cyclistes, l'Italien Marco Pantani, retrouvé mort à l'âge de 34 ans d'une surdose de cocaïne. C'était le 14 février dernier à Rimini, dans une chambre d'hôtel. Le Pirate avait griffonné un dernier mot à l'intention de Christina pour lui avouer à quel point elle lui avait manqué. Aujourd'hui, dans une interview exclusive que nous publions avec l'autorisation du magazine suisse « l'Hebdo », la fiancée du Pirate se confesse.

Juste avant de mourir, Marco Pantani a écrit un mot. Il vous était destiné...
Christina Jonsson
. Oui, je sais. Mais ce message ne m'est pas parvenu. Notre relation amoureuse s'est terminée définitivement à l'été 2003.

Il était l'amour de votre vie ?
Oui. Il a été mon premier amour sérieux, c'était fusionnel. Je m'étais donné en plus la responsabilité de le sauver. J'ai toujours pensé que je retournerais vivre avec lui un jour. Qu'il réussirait à arrêter la drogue. Le jour même de sa mort, avant que j'apprenne la nouvelle, j'avais ressenti un très fort besoin de le revoir.

Etes-vous allée à ses obsèques ?
Non. J'aurais voulu voir Marco une dernière fois avant qu'on l'enterre. Je n'ai pas eu le courage. Il y avait aussi un enterrement réservé au cercle familial. Mais je n'ai pas reçu d'invitation...

Comment l'aviez-vous rencontré ?
C'était en 1996 dans une discothèque de Cesenatico (à 30 km de Ravenne). Je travaillais comme danseuse professionnelle. Un soir, Marco est venu. Il avait 26 ans, s'était cassé une jambe et marchait encore avec ses béquilles. Peu à peu, nous avons fait connaissance. On avait peur de vivre en couple, en adultes. Je l'ai finalement rejoint dans la villa qu'il s'est fait construire.

Qu'aimait-il faire en dehors du vélo ?
Il avait une vie sociale assez limitée. Il adorait les Ferrari, les Porsche, la vitesse, l'adrénaline et les choses simples. Il était très traditionnel. Il était doué en bricolage, il adorait chasser mais aussi pêcher à la ligne. Il connaissait les noms de tous les poissons. Il aimait chanter dans les karaokés et se passionnait pour la mécanique. Jusqu'en 1999, il démontait son vélo et le remontait tous les jours. Il pouvait réadapter sa selle pour 3 ou 4 mm. Sans parler de ses chaussures...

Vous décrivez une personnalité presque maniaque...
Je pense que cette discipline a toujours permis à Marco de lutter contre une forme de dépression. Son fabuleux succès vient de son besoin extraordinaire de lutter contre un sentiment d'infériorité et de se sentir aimé.

Dans le cyclisme, il jouait le provocateur, le Pirate...
Oui, c'est vrai, le monde du cyclisme est conservateur et, dans ce monde, Marco était un rebelle. Quand je l'ai connu, il avait sa boucle d'oreille et son foulard sur la tête. Il était déjà le Pirate. Puis il a ajouté un tatouage sous les yeux, un eye-liner , pour souligner le regard. Ça l'amusait. Il aimait défier. Il était toujours à la recherche de quelque chose, il n'était jamais satisfait.

D'un seul coup, sa vie, et la vôtre, bascule en 1999 à cause d'un contrôle antidopage sur le Tour d'Italie...
Il est rentré chez lui et a passé des jours à se désespérer et à pleurer. Il était complètement paralysé. Nous ne pouvions pas sortir. Dehors, au moins 150 à 200 journalistes encerclaient la maison.

Est-ce qu'il vous parlait pendant cette période ?
Presque plus. Marco s'est senti trahi et abandonné. Il estimait que son exclusion était préméditée. Qu'il s'agissait d'un complot. Il est resté reclus pendant quatre jours dans le noir, silencieux. Je n'arrivais pas à communiquer avec lui. Je ne peux pas vous dire à quel point ces moments ont été difficiles. Puis Marco a recommencé à sortir le soir. Après dix jours environ, il est venu me voir et il m'a dit : « Ecoute, j'ai commencé à prendre de la cocaïne. »

Comme ça ? D'un jour à l'autre ?
Oui.

Mais d'où venait cette drogue ?
Je ne sais pas. Mais ce n'est pas difficile à trouver, vous savez...

Pourquoi Marco a-t-il commencé à se droguer ?
Je crois que c'était la seule manière pour lui de supporter la pression, de survivre à la situation qu'il subissait. Un jour plus tôt, Marco était dans une forme physique éclatante, prêt à dépenser une énergie inimaginable et, en peu de temps, il se retrouvait coincé chez lui et tout son univers s'écroulait. Il dégageait une violence psychique incroyable et elle rejaillissait dans notre relation.

Comment avez-vous réagi ?
J'ai pleuré. Je n'arrivais pas à le croire. J'étais désespérée parce que j'ai peur des drogues. En Italie, consommer de la cocaïne est une mode. Quand Marco m'a annoncé qu'il en prenait, c'était aussi pour me laisser entendre qu'il voulait que j'en prenne avec lui. Si je l'aimais, je devais le faire, pour lui, en démonstration de mon amour. Il était seul et il était convaincu que, moi aussi, je le trahissais. Cette période a été un cauchemar.

Avez-vous accepté sa demande ?
Oui. La cocaïne donne l'illusion d'une facilité à communiquer. C'est faux, bien sûr. J'ai cru que cela me permettrait de renouer le lien avec Marco. J'avais envie de le retrouver là où il était et de le ramener. Et j'ai plongé avec lui. J'ai répondu à une sorte de chantage, un mode de fonctionnement que je connaissais bien chez mon père. J'ai grandi avec une maman alcoolique.

Votre sacrifice l'a-t-il aidé ?
Non, bien sûr. C'était une terrible erreur d'avoir cru ça. Après cette exclusion pour dopage, nous nous retrouvions enfin tous les deux. J'avais mon Marco, mais nous nous faisions du mal. Nous étions à la maison, drogués, cernés par les journalistes. Et Marco continuait à croire que je le trompais.

Il était très jaloux ?
Incroyablement jaloux, depuis toujours. Mais là, c'était pire que jamais. Il est devenu très paranoïaque aussi. Mais je pense que la vie d'un cycliste professionnel rend paranoïaque.

Comment ça ?
Depuis longtemps, il vivait dans la crainte de tous ces contrôles antidopage dans les hôtels d'étape où il dormait. Ces gens qui débarquent à l'improviste, même de nuit. C'est violent. J'ai assisté à l'une de ces descentes. J'ai vu ce que c'est. On traite les coureurs comme des criminels. Dans le cadre de son travail, Marco réussissait à gérer sa paranoïa, il la supportait. Mais la cocaïne, j'en suis sûre, amplifie les penchants. Cela lui a permis de fuir le monde, de vivre en dehors pendant quatre ans.

Mais vous, vous avez arrêté la drogue ?
J'ai arrêté après trois mois. Les choses étaient devenues insupportables. Le soir, quand je rentrais du travail, on prenait de la cocaïne ensemble. Marco en consommait des quantités industrielles. J'avais peur. Son corps le supportait. Il avait un physique exceptionnel. Et puis, très vite, ses parents ont compris qu'il se passait quelque chose. Ils n'arrivaient plus non plus à communiquer avec Marco et devaient passer par moi. D'un côté, ils avaient besoin de moi et, de l'autre, j'étais complice à leurs yeux.

D'où venait la drogue ?
A l'évidence, pour la famille, c'était la faute de « la Christina », cette danseuse, cette fille de discothèque.

Selon vous, il s'est dopé durant sa carrière ?
Je pense, oui. Vous connaissez un sportif de compétition qui ne se dope pas ? Et ça veut dire quoi ? Prendre des produits qui sont sur la liste ? Se doper, c'est chercher à améliorer ses performances pour donner un spectacle, faire rêver. Comme les autres, je crois que Marco se dopait. Mais, finalement, ça ne regarde personne.

Est-ce qu'on l'a obligé à se doper ?
Je n'en sais rien. En vivant avec lui, j'ai toujours eu l'impression que Marco prenait ses médicaments seul et en mesurant bien les risques. C'était son choix et j'ai même l'impression qu'il payait ses produits de sa poche. Il se confiait sur ce thème à très peu de gens, même pas à moi. Je sentais qu'il n'avait pas confiance non plus dans les médecins de l'équipe. Un jour, il m'a juste lâché qu'il fallait prendre des cochonneries pour être dans le coup. Il était en colère, ce jour-là, contre le système et inquiet pour sa santé, je crois. Il avait des produits depuis toujours dans un Tupperware au réfrigérateur, mais je n'ai jamais été intéressée de savoir ce que c'était. C'était la vie de Marco. Il ne voulait pas en parler et je respectais cela. Il se faisait parfois des piqûres et je l'aidais en lui tenant le bras. C'est tout.

Mais il prenait des risques...
Marco devait accepter de courir dans le cadre d'un système qui ne permet pas de ne pas se doper. Un ou deux mois, je crois, avant d'être contrôlé au Giro, je me souviens qu'il m'a dit : « J'en ai assez de tout ça, j'en peux plus ! » Il voulait tout révéler, percer l'abcès. Et puis, la réalité a pris le dessus. Je lui ai dit : « Tu arrêtes et tu fais quoi ? » Et il m'a répondu, en boutade : « Eh bien, je ferai médecin. Je suis mieux préparé qu'un médecin normal. »

Marco disait qu'il avait « servi de bouc émissaire »...
Exactement. Et ce qui a été le plus dur pour lui, c'est l'impression que ce sont ceux qui avaient joué le jeu avec lui qui l'ont poignardé. La campagne antidopage devait faire un exemple. Même les juges voulaient montrer à tous qu'ils avaient bien travaillé. Et puis, Marco me disait souvent qu'en Italie on concentre les affaires de dopage sur le cyclisme pour détourner l'attention du Calcio. Parce que le football est un enjeu beaucoup plus important.

Après 1999, est-ce qu'il vous a redonné l'espoir ?
Oui, plusieurs fois. Il est arrivé que Marco dise : « Je repars. » Il pensait que la bicyclette lui redonnerait la force d'abandonner la cocaïne. Alors, il est remonté en selle. Il faisait quelques courses et puis il replongeait. De retour chez lui, les dealers le contactaient et ça repartait. Ils allaient jusqu'à sonner à sa porte. Ma vie avec Marco était faite d'un mouvement perpétuel d'espoirs et de désespoirs, de rapprochements et de ruptures. A l'été 2003, je suis partie définitivement. Pour préserver ma santé physique et mentale. J'ai pensé à moi.

Quand avez-vous parlé avec Marco pour la dernière fois ?
C'était pour mon anniversaire, en décembre. Il m'a appelé pour me faire ses voeux. J'ai un souvenir merveilleux de notre conversation. Au téléphone, il me disait qu'il espérait que j'étais heureuse.


Christina Jonsson avait rencontré Marco Pantani en 1996, dans une discothèque
de Cesenatico, où elle travaillait comme danseuse professionnelle.


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Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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