Jean-Marie Leblanc nous parle de la situation de Cofidis, mais aussi de celle du vélo en général
Propos recueillis par Philippe Van HolleCOMPIEGNE Lorsque nous sommes arrivés samedi, sur la magnifique Place du Palais Impérial de Compiègne et que nous avons demandé au responsable de presse du Tour de France si Jean-Marie Leblanc était disponible pour une interview, on nous a répondu qu'on pouvait toujours tenter notre chance, mais que le patron du Tour de France était un rien tendu (on le serait à moins !) vu le contexte difficle de ce 102e Paris-Roubaix.
Mais l'homme n'est pas du genre à se défiler même quand la situation est extrême. Avec beaucoup d'amabilité, il nous a donc accordé un (long) moment, au cours duquel, comme d'habitude, il a laissé parler son coeur... et sa raison, avec, toujours, beaucoup d'honnêteté et de spontanéité.
Après le scandale de Festina, en 98, voici celui de Cofidis en 2004. Lorsque vous vous retrouvez chez vous, seul, dans votre fauteuil, n'êtes vous pas tenté de céder au découragement? En clair, n'en avez-vous pas marre de vous décarcasser à longueur d'année pour des coureurs qui finissent régulièrement par vous planter des couteaux dans le dos ?
«Si vous voulez me faire dire que j'en ai assez de ce sport, vous n'y arriverez pas. Je me connais trop bien. Ce dimanche, au km 99, lorsqu'on abordera le premier tronçon pavé, mon coeur recommencera à battre la chamade et mon enthousiasme reviendra. Mais je comprends votre question. Et il est vrai que la succession de ces affaires 98 et 2004 est décourageante. J'aurais effectivement envie de dire que rien n'a changé. Mais, à la réflexion, je me rends compte qu'on a affaire à deux cas de figure différents. Chez Festina, le dopage était institutionnalisé. Chez Cofidis, il s'agit d'un noyau dur, je devrais dire, de petits durs. Comme en 98, il y a une question de dopage, mais cette fois, il y faut ajouter des attitudes de toxicomane.»
De manière générale, où se situe exactement la faute ?
«Au niveau de l'encadrement, on peut parler d'un manque de rigueur, même d'un certain laxisme, voire parfois d'une certaine complicité. Du reste, pendant la réunion des directeurs sportifs aujourd'hui, j'ai tenu à mettre les points sur les i. Je leur ai rappelé qu'ils sont au sommet de l'organigramme et sont donc responsables des personnes qui se trouvent en-dessous d'eux. Quand, par exemple, on assiste à des comportements déviants nocturnes, il faut réagir. Franchement, lorsqu'on sort, qu'on picole, qu'on va voir les filles et qu'en plus, personne ne dit rien, qu'est-ce qui empêche de continuer, voire d'aller plus loin ?»
L'équipe Cofidis a suspendu temporairement ses activités. C'était la seule solution ?
«C'était en effet la seule issue possible dans le contexte juridico-médiatique actuel. Le patron, François Migraine a ainsi fait preuve de courage. Ce n'est pas fini. Il lui en faudra encore davantage pour faire tomber des têtes dans l'entourage de l'équipe, se séparer de certains collaborateurs. Jeudi soir, il était venu me voir. J'avais l'impression qu'il avait envie de s'épancher. Il hésitait manifestement entre arrêter tout définitivement et immédiatement ou essayer de trouver une solution. J'avais clairement le sentiment qu'il ne voulait pas quitter le cyclisme ainsi, par la petite porte.» Il a donc une chance, encore, de sortir son équipe de l'ornière ?
«Certainement! Mais ce sera au prix de gestes forts. Notamment en modifiant son système de paiement. Avoir un intéressement permanent (lié aux points UCI) a tout de même quelque chose de pervers. Il faut prendre ses responsabilités. Aux directeurs sportifs, j'ai posé la question suivante: "Qu'est-ce qui est le plus important? Perdre une course? Perdre sa réputation. Perdre un sponsor? Ou perdre sa dignité? C'est l'existence même de votre sport qui est en jeu. En 1998, on avait agit au niveau de la prise de conscience. En 2004, il faut agir sur les responsabilités! Je pense qu'en 6 ans, on s'est endormi sur le sens de la discipline interne, de l'abnégation. Mais la situation actuelle dans le cyclisme n'est finalement que le reflet d'une société où on met surtout en avant le plaisir, la liberté, l'argent immédiat.»
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