12 avril 2004

RAGT veut semer sur le fumier du dopage

Les suites de l'affaire Cofidis continuent de faire des ravages dans le peloton. Nouvelle venue, une équipe d'émanation agricole ne veut plus récolter la tempête.

Roubaix (Nord), Frédéric Sugnot, envoyé spécial.

Paris-Roubaix a connu l'apocalypse avant l'enfer cette année. Entendez par là que c'était " ambiance fin du monde " hier au départ des 261 kilomètres d'une course pavée de mauvaises intentions, déjà étiquetée du label " Enfer du Nord " pour gonfler un mythe qui se suffit pourtant à lui-même.

À Compiègne, ville royale et cité départ, l'enthousiasme jamais démenti de Daniel Mangeas, le speaker officiel du Tour de France, n'a pas suffi en effet à décrisper la famille du cyclisme consternée par la publication vendredi dans le quotidien sportif l'Équipe d'une partie des auditions de l'affaire Cofidis. Derrière la machine à écrire des stups, Philippe Gaumont, licencié de l'équipe nordiste en février dernier, s'en est apparemment donné à coeur joie. Il cite des noms, les mouille dans les combines du dopage et du trafic. Pêle-mêle : le médecin de l'équipe Jean-Jacques Menuet, le manageur Alain Bondue, un directeur sportif Alain Deloeuil.

Cernée, la direction du spécialiste de l'équipe nordiste décide alors de se laisser le temps de réfléchir et déclare forfait pour Paris-Roubaix. Réunion de crise, samedi, au siège de l'entreprise entre l'encadrement et les coureurs. Et plus personne au bout du fil du spécialiste du crédit par téléphone. " Les membres de l'équipe ne décrochent plus leurs portables. On m'a envoyé au feu pour répondre à toutes les demandes ", ne peut qu'avouer la chargée de communication de l'équipe. En fin de journée samedi, Jimmy Casper, un des coureurs, laisse filtrer une bribe d'information : " Cela va repartir sur de bons rails. "

Le dérailleur des Cofidis est au point mort jusqu'à nouvel ordre. Feuilleton à suivre mais retour en attendant sur la ligne de départ à Compiègne. Le milieu ne plaint pas l'équipe d'Alain Bondue, coupable à ses yeux d'arrogance et surtout taille des croupières à Philippe Gaumont. " Un fou qui vivait la nuit, capable de faire 250 kilomètres dans la nuit à tombeau ouvert pour passer une soirée en boîte. "

Embrumé de fatigue sous les draps de sa chambre d'hôtel, Michaël Buffaz n'a pas cette fièvre du samedi soir. Il ne pense qu'à récupérer. Le jeune coureur de la nouvelle équipe RAGT Semences disputait hier son premier Paris-Roubaix (abandon). Un peu entamé par un début de saison " difficile " et puis surtout accablé par le climat actuel du peloton. Il dit : " Ça fout les boules, quinze ans d'effort pour voir notre réputation de cycliste entachée par tous les scandales du moment. C'est pesant psychologiquement. " Il espère quand même : " Les dirigeants de la Fédération française de cyclisme, de l'Union cycliste internationale, doivent agir pour l'avenir du vélo. Parce qu'honnêtement, qu'est-ce que je peux faire moi ? J'en apprends tous les jours dans la presse sur le dopage en étant pourtant dans le milieu du vélo. Alors comment jouer un rôle dans ces conditions ? "

Michaël rage. Il jure qu'il ne s'est pas mis en selle à quinze ans après avoir délaissé les planches de ski pour en arriver là. Il implore presque : " Il faut arrêter l'acharnement. La médiatisation nous a aidés à mettre la crise au jour mais maintenant il faut laisser du temps aux jeunes, faire confiance à ceux qui arrivent. "

Son directeur sportif, Jean-Luc Jonrond, ne dit pas autre chose. Lui porte la passion du cyclisme en médaillon. Un vélo doré pend à son cou, il ne s'étrangle pourtant pas lorsqu'il explique : " Notre sport ne peut pas descendre plus bas qu'actuellement. " Du bout des lèvres, il concède : " Chez Cofidis, ils ont sans doute trop laissé faire. " Lui ne veut pas jouer les garde-chiourmes : " Tout passe par le dialogue " (1).

Justement que lui dit-il à sa jeune troupe ? Qu'il y a une vie après le vélo, entre autres. Jonrond : " La nouvelle génération n'a pas que le cyclisme dans la tête. Beaucoup ont compris que la carrière ne durait qu'un temps très court. Souvent, on constate que les coureurs qui délaissent les études sont prêts à tout pour s'imposer dans le peloton. Ce sont les plus dangereux en matière de dopage. "

Il conclut : " Faut pas laisser pousser les mauvaises graines, on ne récolte que des mauvaises semences. "

Jonrond ferait aussi un bon commercial, car les produits de la terre, c'est toute l'activité de l'équipe RAGT (Rouergue, Auvergne, Gévaudan, Tarnais) Semences, une société d'origine aveyronnaise leader européen dans le secteur de la semence. À son actif, près d'un hectare agricole sur cinq en France est ensemencé par ses produits. Une de ses filiales est aussi à l'origine du gazon béni du Stade de France ou encore des greens du mythique golf de Saint-Andrews en Écosse.

Pour entrer dans le vélo, Alain Fabre, le patron n'a mis qu'un million d'euros au pot associé à la firme automobile MG-Rover. Au total, le budget de l'équipe est modeste : 2,3 millions d'euros. Suffisant pour décrocher une invitation pour le Tour et son énorme caisse de résonance. Parce que dopage ou pas, le vélo fait toujours vendre. Fabre ne fait pas mystère de ses intentions. Il calcule déjà : " Même si nous ne diffusons pas de produits grand public, nous avons quand même une audience de 500 000 agriculteurs en France. Avec le vélo, c'est le pilonnage (sic) de notre nom assuré sur une durée longue. Vraiment, le cyclisme, c'est le meilleur vecteur avec le meilleur rapport qualité-prix entre l'investissement et la notoriété obtenue. "

Du coup, l'homme fort de la société coopérative créé en 1911 s'impatiente déjà : " J'attends la traduction dans les ventes de notre présence dans le vélo. D'après ce qu'on m'a expliqué, cette année on ne le verra pas, mais je veux le voir. "

Hier, entre Paris-Roubaix, Fabre a déjà payé pour apercevoir l'un des siens, Guillaume Auger, entrer en tête sur le premier secteur pavé à Troisvilles et mener la première grosse échappée du jour. Tout bénéfice. Les caméras du direct étaient là pour capter les couleurs rouges et vertes de la tunique RAGT. Matois, le manageur de RAGT, Serge Barle, avait annoncé le scénario à l'avance en demandant à ses coureurs " une heure de télévision sinon rien parce que ça vaut bien mieux qu'une 30e place à Roubaix. " Apparemment, c'est donc du dopage sage comme une image.

(1) Impliqué dans l'affaire Cofidis en janvier, le coureur polonais Marek Rutkiewicz, nouvellement recruté, a été mis à pied par RAGT.


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Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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