Un rapport d'écoutes met au jour les liaisons dangereuses de l'Australien Baden Cooke avec les amphétamines.
Stéphane Mandard
Maillot vert du Tour du centenaire, en 2003, chef de file d'une équipe qui se prévaut de son engagement dans la lutte contre le dopage, l'Australien Baden Cooke, 25 ans, n'a jamais subi de contrôle positif. Le sprinter de Fdjeux.com a pourtant consommé des amphétamines, au point de mettre sa santé en danger.
C'est ce que révèlent des procès-verbaux que Le Monde s'est procuré. Ils concernent une enquête ouverte par le tribunal de Fontainebleau après le décès en course, en septembre 1998, d'un jeune cycliste amateur du CMA Aubervilliers, Sébastien Grousselle : l'autopsie avait révélé la présence massive de corticoïdes. Dans le cadre de l'instruction, en passe d'être close, plusieurs personnes avaient été placées sous écoutes téléphoniques. Parmi elles, Philippe Boyer, ancien pistard condamné en 2002 à un an de prison ferme pour une affaire de trafic de produits stupéfiants (Le Monde du 10 octobre 2003).
"Fin septembre 2001, le jour de la signature de son contrat à la Française des jeux, Baden Cooke m'avait été présenté par une connaissance commune, Sandrine, qui était à l'époque son amie, se souvient Philippe Boyer. Il voulait des amphétamines et Sandrine lui avait dit que je pouvais lui en procurer." "Je pars en Belgique lui chercher un pot. A mon retour, Sandrine m'appelle en urgence : Cooke faisait un malaise, poursuit le vice-champion du monde 1985 du kilomètre. Il s'était injecté en intraveineuse des amphétamines qui avaient mal vieilli dans un placard."
Un acte très dangereux
Marc Madiot, le directeur sportif du sprinter australien, assure que les faits sont "faux". Le rapport d'écoutes établi le 30 septembre 2001 par les officiers de la brigade criminelle du DRPJ de Versailles confirme cependant les propos de Philippe Boyer : "Philippe discute en anglais avec Baden Cooke, est-il écrit. En substance, il lui explique que le "pot" -cocktail d'amphétamines- qu'il s'est injecté vendredi soir est resté trop longtemps dans la seringue... Il lui conseille de ne pas trop faire la fête et de ne pas trop prendre d'amphétamines sinon dans trois ans c'est fini..."
"Je ne voudrais pas donner de leçon car personne n'est à l'abri", avait déclaré Michel Fries, directeur de la communication de la Française des jeux lors de la présentation de l'effectif 2004 de la formation de Marc Madiot, après avoir rappelé que sa société, principal bailleur de fond du sport français, était un "sponsor engagé" contre le dopage et pour la défense de l'éthique sportive.
La conduite à risques de Baden Cooke s'inscrit dans un schéma connu des spécialistes de la toxicomanie. Directeur de l'Institut Baron Maurice-de-Rothschild pour la recherche et le traitement des addictions, William Lowenstein fait remarquer que "la frontière entre dopage et toxicomanie est extrêmement perméable : il y a une sorte de continuum entre la conduite dopante idéologiquement musculaire et la conduite dopante dans la sphère privée." Membre du groupe de prospective du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD), ce médecin regrette que la lutte contre le dopage soit encore trop souvent abordée sous l'angle exclusif de l'éthique sportive, qui se traduit, selon lui, par une chasse aux tricheurs.
"A côté d'une répression efficace, il faut développer une véritable politique de soins et de réduction des risques !, exhorte-t-il. Prendre des amphétamines par voie intraveineuse est un acte très dangereux et l'omniprésence des injections chez les sportifs est une réalité effrayante. On retrouve la situation sanitaire catastrophique dans laquelle étaient les usagers de drogues par voie intraveineuse il y a quinze ans avec le sida : certains sportifs se font des injections sans savoir si les seringues ont déjà servi ou sans connaître leur contenu. Faut-il attendre qu'une équipe soit décimée par une épidémie hépatique pour réagir ?, reprend le spécialiste. Il faut informer cette population sur les risques des injections et du partage des seringues, notamment, car les derniers événements tragiques comme la mort de Marco Pantani sont insuffisants pour faire reculer la dangerosité des pratiques actuelles."
William Lowenstein propose une nouvelle démarche contre le dopage : "Adosser une éthique sanitaire à l'éthique sportive en développant une politique de réduction des risques, qui nécessite de passer une alliance thérapeutique avec les sportifs qui se dopent plutôt que de faire la guerre aux dopés."
A en croire l'état sanitaire du peloton dressé par le médecin fédéral Armand Mégret devant le juge Richard Pallain dans le cadre de l'enquête sur le trafic présumé de produits dopants autour de l'équipe Cofidis, la tâche s'annonce gigantesque. Dans un procès-verbal du 22 mars, il indique que "le sport de haut niveau est en tout état de cause, et au-delà même des questions de dopage, une pratique à risques sur le plan physique et même sur le plan psychologique" et que "le recours à des artifices se transmet quasiment de génération en génération", au point d'aboutir à "une véritable gestuelle addictive, au terme de laquelle le coureur considérera qu'il ne peut pratiquer son sport s'il n'a pas d'une façon ou d'une autre exercé ce geste".
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