"Choqués " ou imperturbables après les récentes révélations dans les affaires de dopage, les spectateurs étaient moins nombreux que d'habitude sur les secteurs pavés ou goudronnés du parcours de la "Reine des classiques", remportée par le Suédois Magnus Backstedt.
Roubaix (Nord) de notre envoyé spécial Charles Giol
"L'affaire Cofidis ? Je n'ai rien à en dire." A l'image de coureurs, très peu diserts sur le sujet, les spectateurs présents sur la route de Paris-Roubaix, dimanche 11 avril, se renfrognent dès que le mot "dopage" survient dans la conversation.
"Comme par hasard, c'est toujours la veille des grandes courses que sortent les articles à scandale", peste Annette, qui attend l'arrivée des coureurs dans un virage du vélodrome de Roubaix. Professeur de gymnastique dans la région parisienne, elle consacre l'intégralité de ses vacances et week-ends à sa passion, les courses cyclistes, qu'elle suit en voiture avec une amie : "On est rentrées vendredi du Circuit de la Sarthe, et on enchaîne dès mardi avec Paris-Camembert."
Un régime intensif auquel Annette s'astreint depuis 1998, l'année où l'affaire Festina a ébranlé le Tour de France. "Je suis solidaire des coureurs. Je trouve injuste qu'on tape autant sur le cyclisme. Alors que, quand un tennisman, par exemple, se fait prendre, il est toujours blanchi." Familière des coureurs, qu'elle appelle par leurs prénoms, elle déplore que ses favoris "aient tous l'air un peu malheureux cette année, depuis qu'a éclaté l'affaire Cofidis." Les yeux rivés sur l'écran géant, pour suivre l'entrée des coureurs dans la terrible tranchée d'Arenberg, elle s'écrie : "Vas-y Johan -Museeuw- ! Ça y est, la tension monte, je commence à avoir une boule à l'estomac."
Le spectre du dopage
Difficile pourtant de se laisser envahir par le frisson de la course dans un vélodrome qui sonne plutôt creux, à moins de deux heures de l'arrivée. "Il y a moins de monde que d'habitude", assure Daniel, un Roubaisien qui vient chaque année assister au final de la Reine des classiques. "C'est sans doute à cause du temps." Au même moment, le soleil perce timidement derrière la grisaille nordiste. Daniel concède : "C'est peut-être aussi à cause des affaires de dopage."
Seuls les vrais passionnés de vélo ont semblé fidèles au rendez-vous de la 102e édition de Paris-Roubaix. Parmi eux, difficile de rater les Flamands, rangés tels une armée médiévale sous leurs bannières jaunes frappées des lions noirs des Flandres. L'un des porte-étendards, Wouter, un étudiant venu de Louvain, n'a pas de préférence quant au nom du vainqueur, "à condition que ce soit un Flamand". Et l'affaire Cofidis ? "Je révise mes examens en ce moment et je n'ai pas trop le temps de lire les journaux", assure-t-il avec diplomatie.
On l'aura compris, "les gens qui aiment vraiment le vélo ne veulent pas qu'on les emmerde avec le dopage", comme l'explique un homme à moustaches. Au même moment, les premiers cyclistes investissent les rues de la banlieue lilloise. Ce ne sont pas encore les pros, mais des juniors qui disputent le "Pavé de Roubaix", une course de 110 km organisée pour la première fois en lever de rideau de Paris-Roubaix. Au bord de l'Espace Crupelandt, le dernier secteur pavé du parcours, Gerhard Benck, un Allemand venu de Duisbourg, guette l'arrivée de son fils parmi les groupes de cyclistes qui se succèdent. Lui n'hésite pas à évoquer le spectre du dopage : "Je suis très choqué par ces récentes révélations. Mon fils, qui a 17 ans, fait partie de l'équipe d'Allemagne juniors. Je lui ai fait promettre que, dès qu'on lui proposerait le moindre produit, il arrêterait tout de suite ce sport."
Le jeune David Benck n'est pas arrivé parmi les meilleurs, au contraire de Romain, du club d'Armentières (Nord), qui finit dans les trente premiers. "Le dopage, c'est le problème des professionnels, insiste l'adolescent. Ce n'est pas le même cyclisme que le nôtre, mais ce que j'ai entendu ces derniers temps est vraiment triste."
Encore une heure d'attente pour connaître le nom du successeur de Peter Van Petegem (Lotto Domo), vainqueur du Paris-Roubaix 2003. Le vélodrome se remplit peu à peu, mais il ne vibre pas. La faute au scénario décevant d'une course sans grandes envolées. Et quand Johan Museeuw (Quick-Step) crève à quelques kilomètres de l'arrivée, les cris de dépit des spectateurs belges plombent l'atmosphère, que réchauffent brièvement l'entrée en piste et le sprint final des quatre hommes de tête.
Une fois le pavé du vainqueur remis au Suédois Magnus Backstedt (Alessio), c'est avec une sérénité affichée que Jean-Marie Leblanc, le directeur de la course, qui préside également aux destinées du Tour de France, évoque la nouvelle tempête traversée par son sport. "Comme chaque année, les gens du Nord ont montré tout au long du parcours leur attachement à cette course, assure-t-il. Quant à l'affaire Cofidis, les semaines à venir nous permettront de comprendre un peu mieux ce qui s'est passé, car, pour l'instant, tout ne repose que sur les déclarations d'un. Je suis confiant sur la participation de l'équipe au Tour de France."
A quelques mètres de là, Magnus Backstedt, radieux, se faufile entre les spectateurs en direction des douches. Une réflexion fuse alors dans le public : "Il vient de faire 260 bornes et on dirait qu'il rentre d'une petite promenade..."
"C'est aux jeunes coureurs de parler !"
Patrice Clerc, président d'Amaury Sport Organisation - et à ce titre patron du Tour de France -, a réagi aux récentes affaires de dopage, dans l'émission Stade 2, dimanche 11 avril : "Ce qui me frappe en ce moment, c'est que l'on a un peu tendance à attaquer un sport, le cyclisme, et un événement, le Tour de France, qui est aussi un peu mis sur la sellette, alors que l'ennemi, c'est le dopage dans le sport. Aujourd'hui, on a touché le fond et il faut rebondir... Vous avez plein de jeunes coureurs qui sont anéantis. Ce qu'il faut, c'est qu'ils prennent la parole, car c'est eux qui ont l'avenir de leur sport entre leurs mains... C'est à eux de parler !".
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