Propos recueillis par Stéphane Mandard
À la suite des accusations de dopage portées par le coureur cycliste espagnol Jesus Manzano à l'encontre de son ancienne équipe, Kelme (Le Monde du 26 mars), le Conseil supérieur des sports (CSD) - qui dépend du ministère espagnol de l'éducation, de la culture et du sport - a créé une commission d'enquête ad hoc. Son président, Guillermo Jimenez, qui préside également la commission nationale antidopage, a longuement auditionné le coureur, lundi 29 mars.
Quel bilan tirez-vous de l'audition de Jesus Manzano ?
La rencontre de lundi était un premier contact. Jesus Manzano a confirmé devant les membres de la commission tout ce qu'il avait dit dans le quotidien sportif espagnol AS. De surcroît, il nous a indiqué l'identité des personnes qu'il accuse de l'avoir dopé. Certains noms correspondent à des individus que nous avions déjà en ligne de mire. Son témoignage est un pas très important dans la lutte antidopage, car il vient appuyer des suspicions que nous avions à l'encontre de certaines personnes contre lesquelles nous n'avions, cependant, pas de preuves.
Comment vont se poursuivre les travaux de la commission ?
Nous voulons travailler pas à pas, pour que rien ne nous échappe. Jesus Manzano s'est proposé pour collaborer avec nous. Son témoignage est particulièrement précieux dans la mesure où, pour la première fois, un coureur en activité accepte de raconter comment fonctionne le dopage. Nous allons maintenant lui remettre un formulaire avec une série de questions plus ou moins techniques sur le type de manipulations qu'il a subies et sur les personnes qu'il a citées. Il doit également nous remettre divers documents. Une fois toutes ces données recueillies, nous auditionnerons d'autres sportifs, des managers, des médecins et toutes ces personnes qui gravitent autour du monde du sport. Car les personnes citées par Manzano n'interviennent pas seulement dans le cyclisme, mais aussi dans d'autres sports. Par ailleurs, notre enquête pourrait également concerner des personnes qui ne sont pas de nationalité espagnole.
À l'aune de cette première audition, les accusations de Jesus Manzano vous semblent donc fondées ?
Le témoignage de Jesus Manzano conforte l'opinion que je me suis forgée depuis quatre années que je lutte contre le dopage. A savoir que les sportifs de haut niveau ne se dopent pas seuls, mais qu'il y a toute une structure mafieuse autour d'eux, composée de personnes qui cherchent à s'enrichir sur leur dos. C'est contre cette mafia qu'il faut se battre.
De quels moyens la commission que vous présidez dispose-t-elle pour enquêter ?
Tout d'abord, nous avons un pouvoir moral. La commission a un pouvoir de sanction à l'encontre des individus qui sont licenciés auprès d'une fédération sportive.
Mais ces médecins-préparateurs qui gravitent autour des coureurs, pour ne citer qu'eux, ne sont pas affiliés au mouvement sportif...
Parmi les personnes incriminées par Jesus Manzano, certaines ont des liens théoriques avec les organisations sportives. Nous pouvons donc prendre des mesures à leur encontre. On ne peut pas laisser certains individus faire courir des risques à la santé des sportifs. Jesus Manzano a reconnu s'être dopé. Et de façon considérable. Aussi son état de santé est-il notre première préoccupation : dans les prochains jours, nous pratiquerons sur lui un bilan médical. Si nous parvenons à établir qu'il y a eu des actions délictueuses, notamment par rapport à sa santé, nous saisirons le parquet général.
La justice et la police espagnoles semblent pourtant rechigner à enquêter sur le dopage ?
Je ne crois pas qu'il y ait moins d'enquêtes en Espagne. Par contre, en France, vous avez un avantage : les médias sont beaucoup plus réceptifs aux affaires de dopage. Ici, si une affaire touche un sportif espagnol, certains médias, par chauvinisme, auront tendance à le défendre.
Conséquence de la défaite du Parti populaire aux élections législatives, vous allez céder votre place à la tête du CSD. Ne craignez-vous pas que cette transition n'entrave la bonne marche de l'enquête ?
Je devrais rester en fonction encore un mois. Jusqu'à l'ultime moment, nous travaillerons pour faire avancer cette enquête. Et je serai à la disposition de mon successeur pour que l'enquête puisse se poursuivre dans les meilleures conditions.
page mise en archives par SVP