La société Cofidis, dont l'équipe fait l'objet d'une enquête sur un trafic présumé de produits dopants, a renoncé vendredi à présenter son équipe cycliste dimanche dans Paris-Roubaix et dans les autres courses pour un temps indéterminé.
Stéphane Mandard
Jusqu'à présent, l'enquête judiciaire sur le trafic présumé de produits dopants autour de l'équipe Cofidis s'est principalement intéressée aux coureurs. Cédric Vasseur, Médéric Clain, Philippe Gaumont, Robert Sassone et Marek Rutkiewicz : cinq sociétaires ou anciens membres de la formation qui ont été mis en examen pour infraction à la législation sur les stupéfiants, substances vénéneuses et produits dopants.
L'instruction pourrait désormais s'orienter vers le médecin de l'équipe, Jean-Jacques Menuet. Son cabinet, à Amiens, avait été perquisitionné le 12 janvier. La brigade des stupéfiants avait saisi les dossiers médicaux de plusieurs coureurs. Les interrogatoires des coureurs laissent entendre que le médecin - qui travaille également avec le groupe d'athlètes entraînées par Guy Ontanon, dont font partie les sprinteuses Muriel Hurtis et Christine Arron - avait connaissance des pratiques en vigueur dans l'équipe.
"La politique de Menuet, c'est de ne jamais prescrire un produit illicite, de ne jamais amener un produit interdit. Mais, si vous lui apportez ces mêmes produits, non seulement il vous renseigne, mais en plus il est susceptible de vous les administrer", a expliqué Philippe Gaumont devant le juge Richard Pallain, dans une série de dépositions dont L'Equipepublie de larges extraits dans son édition du 9 avril. "Je reste dans le cadre de l'instruction et ne souhaite pas m'exprimer", a réagi Jean-Jacques Menuet.
Licencié en mars par Cofidis pour avoir reconnu publiquement s'être dopé, Philippe Gaumont a notamment rapporté au magistrat instructeur ce que lui aurait confié son ancien coéquipier Jo Planckaert - impliqué en Belgique depuis septembre avec un autre ancien coureur de Cofidis, Chris Peers, dans une affaire de trafic d'hormones de croissance animales et humaines (Le Mondedu 22 septembre) - lors de l'édition 2003 de Paris-Roubaix. "Jo Planckaert m'a indiqué qu'il s'était procuré des perfusions d'oxyglobine, qui est en fait une hémoglobine synthétique à usage vétérinaire pour les chevaux, et que cette hémoglobine pouvait permettre de donner un coup de fouet pendant un laps de temps d'une douzaine d'heures, a détaillé Philippe Gaumont. Jo Planckaert m'a indiqué qu'en compagnie de Chris Peers ils s'étaient fait injecter ce produit et que cela les avait "bloqués". Il m'a indiqué que la perfusion lui avait été faite par Jean-Jacques Menuet et que, durant cette perfusion, Jo Planckaert était tellement anxieux qu'il s'était senti mal et avait donc demandé à Menuet d'arrêter la perfusion."
« Ils ont joué avec ma santé »
Robert Sassone a, lui, directement exprimé devant le juge Pallain les risques que l'encadrement médico-sportif de l'équipe aurait fait courir à sa santé. Il raconte que, en 2002, il avait demandé à Alain Bondue, manager de Cofidis, de ne pas l'emmener sur le Tour d'Espagne en raison d'une tendinite. "Bondue n'a rien voulu savoir. Il m'a ordonné de me présenter au départ. Lors de la prise de sang, au départ de la course, j'avais un taux de cortisol à zéro. Malgré cela, Menuet et Mégret se sont arrangés. J'ai été autorisé à prendre le départ, et toute la semaine je n'étais vraiment pas bien, j'étais limite de tomber du vélo. Je pense qu'ils ont tous joué avec ma santé."
Un an plus tard, le suivi médical longitudinal du coureur néo-calédonien fait apparaître une nouvelle chute de son taux sanguin de cortisol. Dans un courrier daté du 2 juillet 2003 adressé au coureur et à son médecin, Armand Mégret indique que cette diminution témoigne de l'utilisation récente d'un glucocorticoïde, et lui délivre une contre-indication temporaire à la poursuite du sport en compétition. "Menuet se doutait bien que ce n'était pas la pommade qui faisait ça", explique Robert Sassone, qui a reconnu que cette anomalie dans son suivi médical était due à la prise de cortisone injectable, le Diprostène.
Jean-Jacques Menuet assure qu'il est seulement là pour "soigner les bobos". Est-ce pour les "bobos" que le médecin de Cofidis prescrivait régulièrement à Philippe Gaumont Cervoxan, Pentoflux, Nootrop, comme en attestent les ordonnances 2003 et 2004 que s'est procurées Le Monde ? Quelles justifications thérapeutiques avaient ces prescriptions d'oxygénateurs cérébraux, vasodilatateurs et autres psychostimulants qui sont normalement délivrés à des personnes âgées pour le traitement des déficits cognitifs et neurosensoriels ? Est-ce pour fluidifier le sang et compenser la prise de certains produits dopants comme l'EPO, qui tendent à l'épaissir ?
A Turin, le juge Raffaelle Guariniello tente de démontrer que de tels médicaments ont été détournés de leur usage thérapeutique pour améliorer la performance des footballeurs, en stimulant le système nerveux central. Richard Pallain a demandé des expertises sur ces substances. Peut-être parviendra-t-il aux mêmes conclusions que son homologue italien, apôtre de la lutte antidopage de l'autre côté des Alpes.
page mise en archives par SVP