23 février 2004

Dans le cadre de l'affaire Cofidis, le coureur a passé, fin janvier, quarante-huit heures en garde à vue avant d'en sortir libre

Cédric Vasseur :
«Ce qui m'a fait mal»

Emporté par l'affaire Cofidis, Cédric Vasseur, 34 ans, un des piliers du cyclisme national, s'est retrouvé quarante-huit heures en garde à vue, il y a un mois, dans les célèbres locaux du 36, quai des Orfèvres. Interpellé en compagnie de son coéquipier Philippe Gaumont à la descente d'un avion qui le ramenait d'un stage en Espagne. Les enquêteurs voulaient l'entendre sur ses relations avec Bogdan Madejak, soigneur de l'équipe, mis en examen pour «offres, cessions et incitations de produits dopants» et écroué depuis. Ressorti libre, il témoigne.

propos recueillis à Draguignan par Jean-Yves Donor

LE FIGARO. – Où en est l'affaire Cofidis aujourd'hui ?
Cédric VASSEUR. – Il n'y a pas d'affaire Cofidis. Elle ne regarde que quelques individus. François Migraine, notre patron, l'a dit. Hein Verbruggen, le président de l'UCI, s'en est fait l'écho. Cela dit, l'enquête n'est pas close. Mais je ne peux parler que de ce qui me concerne. J'ai répondu aux questions des policiers. Deux nuits au Quai des Orfèvres, c'est très long, douloureux psychiquement. Dans l'esprit des gens, qui dit garde à vue dit coupable. J'en mesure aujourd'hui les conséquences. J'en souffre. Ma famille aussi.

Vous n'aviez pas idée des conséquences de votre interpellation ?
Absolument pas. J'ai pris conscience de beaucoup de choses. Je ne parle pas des regards soupçonneux, des faux amis qui ne me donnent plus de nouvelles, mais de la difficulté à me retrouver sur le plan psychologique et, par là même, à exercer mon métier, ma passion. Nous nous aidons beaucoup en famille, mais c'est de moins en moins facile de relativiser. J'ai lu tellement de choses invraisemblables sur moi !

Par quoi avez-vous été choqué ?
Ce qui m'a fait mal ? plusieurs publications ont écrit que j'avais été suspendu l'an dernier pour un taux d'hématocrite trop élevé, ce qui voulait dire que je m'étais dopé. C'est faux, archifaux. J'ai porté plainte pour diffamation contre ces journaux. Cela fait des années que le vélo en prend plein la gueule. Si, à chaque fois, il s'était donné les moyens de se défendre, peut-être serait-il plus respecté ?

Que voulaient savoir les enquêteurs ?
La nature de mes rapports avec Bob (NDLR : Madejak) à travers des communications téléphoniques. Et aussi la manière dont j'exerce mon métier. Qui m'aide et qui m'entoure ? Depuis longtemps, je suis suivi par le même ostéopathe. Sur recommandation, j'ai commencé à travailler depuis peu avec un préparateur italien, et non pas un médecin comme on l'a dit. Après dix ans de professionnalisme, je fonctionne d'une manière plus individuelle. Les policiers ont fait leur travail. Et je n'ai pas été hautain avec eux comme je l'ai vu écrit. Qui avait intérêt à le dire ?

Comment croire qu'un coureur ne sait pas ce qui passe dans sa propre équipe ?
Le cyclisme est un sport individuel qui se pratique par équipes. A part des épreuves à étapes, comme le Tour où nous vivons trois semaines ensemble, la vie de coureur, c'est un va-et-vient entre une course et son domicile. Et, là, chez soi, chacun fait ce qu'il veut. Au même titre qu'un automobiliste dépasse la vitesse imposée, les dérapages existent. D'autant que les règles du jeu sont clairement définies depuis 1998 et l'affaire Festina. Tout coureur français d'un groupe français a signé une clause antidopage. Ce qui n'empêche pas d'entendre que, pendant le Tour, certains auraient eu recours à des transfusions sanguines. C'est fou !

Les coureurs vont-ils enfin sortir de leur silence ?
Les coureurs n'ont pas de pouvoir. Et puis qui va nous croire quand on préfère écouter Chiotti ou Boyer dénoncer le système. Si je dis qu'il n'y a pas 70% de dopés dans le Tour, que les transfusions sanguines c'est de la pure invention, que je suis d'accord pour augmenter les contrôles inopinés, qui cela intéresse ? Quand je suis sorti du Quai des Orfèvres, Fogiel voulait m'avoir comme invité. J'ai refusé. En revanche, pourquoi les instances du cyclisme ne nous défendent-elles pas comme elles ont le devoir de nous sanctionner ?

On entend des jeunes coureurs dire : vivement que les vieux s'en aillent...
Je suis gêné et inquiet quand j'entends un jeune mettre tous les maux sur le dos des anciens. Le plus dramatique dans le cyclisme, c'est de penser que, si les autres sont devant, c'est parce qu'ils ont triché. Comme une carrière se mesure aux résultats, c'est grave. Mes deux derniers Tours, je les ai terminés 90 et 85e. Et alors ? Je connais mes moyens. Toute ma carrière a été quelque chose de réfléchi. C'est vrai que j'ai eu la chance d'être entouré par mon oncle et mon père, anciens coureurs cyclistes.

Baigné comme vous l'avez été dans le cyclisme, cela peut entraîner certaines suspicions justement ?
Pour les mêmes qui crient «Tous dopés, tous pourris», oui. Je suis né dans le milieu du vélo, je le revendique. A 5 ans, sur un cahier d'école où je devais écrire ce que je voulais faire, j'avais écrit : coureur cycliste. Ce que peu de gens savent, c'est que, entre mes parents et moi, il y a eu une vraie guerre. C'était d'abord les études. J'ai signé ma première licence juste après mon bac, à 18 ans. Ensuite j'ai fait math sup, math spé, débuté une école d'ingénieur avant de passer professionnel à 24 ans. Alors, quand j'entends dire que, pour être coureur professionnel, il n'y a pas besoin de faire des études, quelle ineptie ! Faire des études, apprendre un métier, c'est préserver son avenir.

Des parents voudraient voir leur fils se détourner du cyclisme professionnel...
Pensent-ils que leur gamin est trop faible pour échapper aux pièges qui le guettent et qui sont ceux que tend la société ? Chacun doit être capable d'assumer sa responsabilité. Mais il est évident que pousser son enfant à faire de la bicyclette et entretenir l'idée qu'il pourra devenir un champion dans le climat que nous vivons n'est pas évident.

Comment imaginez-vous votre saison ?
Personnellement, je dois retrouver le goût de ma passion. Je suis bien entouré, bien soutenu. Le docteur Jean-Jacques Menuet, médecin de l'équipe Cofidis, est un homme formidable, d'une honnêteté irréprochable. Il nous a beaucoup aidés, ma femme et moi, dans l'épreuve qui a été la nôtre à la fin de l'année, quand nous avons perdu l'espoir d'une naissance. C'est une douleur sans commune mesure avec ce que je traverse aujourd'hui.

Qu'avez-vous ressenti à la mort de Pantani ?
Je suis encore sous le choc. Je ne le connaissais pas. Mais j'imagine quelle a pu être sa souffrance d'avoir été abandonné après avoir été hissé au sommet. Je comprends sa détresse. Si le cyclisme ne prend pas prétexte de la mort de Pantani pour rétablir certains équilibres, c'est terrible ! Le métier de coureur cycliste, c'est un beau métier, vous savez !


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Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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