L'ancien professionnel, mis en examen dans l'affaire Cofidis, raconte, dans un entretien au "Monde", comment il a contourné les contrôles antidopage pendant des années tout en continuant à "se charger". Il détaille les pratiques des coureurs, qui agissent avec la complicité de certains médecins. .
Propos recueillis par Stéphane Mandard
Philippe Gaumont a décidé de briser la loi du silence. Mis en examen - avec deux autres anciens coureurs et un soigneur de l'équipe Cofidis - dans une enquête sur un trafic présumé de produits dopants, il attend de l'instruction qu'elle mette à nu un système dont il considère que les coureurs sont les victimes. "Que la fédération se serve de moi pour essayer de comprendre comment on se dope plutôt !", exhorte l'ex-coureur qui, à 30 ans, a décidé de tourner la page du vélo.
Vous n'avez subi qu'un contrôle positif avéré - à la nandrolone, en 1996 - en dix années de carrière, alors que vous reconnaissez avoir pris des produits dopants depuis 1994. Est-ce à dire que les contrôles antidopage sont inefficaces ?
Tout d'abord, il y a des produits que l'on ne sait pas déceler, comme l'hormone de croissance, que les coureurs utilisent comme ils le veulent. Pour la testostérone, iI suffit de piquer une capsule de Pantestone pour en extraire le contenu et se l'administrer sous la langue. En revanche, depuis que l'EPO est détectable, on ne peut plus en prendre pendant les courses. Pendant les trois semaines du Tour, ses effets vont s'atténuer au fil des jours. D'où l'intérêt de recourir aux autotransfusions qui, elles, restent indétectables.
L'hématocrite d'un coureur qui arrive sur le Tour après une cure d'EPO peut chuter de 50 à 44-45 au bout de dix jours de course. Avec une poche de sang par semaine, un coureur peut se maintenir à 50, tandis que les autres finissent le Tour à 40. Mais les transfusions sont limitées aux gros calibres, car elles nécessitent de se payer les services d'un médecin pour les mettre en place.
On parle également de produits masquants...
Il n'y a pas de produits masquants, seulement des "ordonnances masquantes". Pour la cortisone ou les corticoïdes, il suffit d'avoir une bonne justification thérapeutique pour que les contrôles positifs deviennent négatifs.
Voilà comment ça se passe : le médecin de l'équipe t'envoie voir un allergologue, c'est obligatoire. Celui-ci constate que tu es sensible aux acariens et te prescrit un spray. On avait la consigne à chaque fois de demander à tout prix du Nasacort. Pourquoi ? Car c'est un spray qui permet de masquer la cortisone. Quand on va au contrôle, on déclare qu'on est allergique aux acariens, qu'on a une prescription de Nasacort et qu'on en a pris le matin par voie nasale. Et à côté, on a pu se faire tranquillement une injection de Kenacort [produit interdit], car, au contrôle, on ne sait pas faire la différence entre le spray et l'injection.
Ensuite, le médecin t'envoie vers un dermatologue. Tu te grattes un peu les testicules avec du sel pour lui montrer que tu as des rougeurs et il te prescrit six mois de Diprosole en pommade. Comme ça, derrière, tu peux te faire du Diprostène [interdit] en injectable sans risquer non plus d'être positif.
Et les contrôles inopinés ?
Ils ne sont pas inopinés ! Ils se font sur les lieux de stages et de courses : on peut donc s'y préparer facilement pour être sûr de ne pas être positif. Tous les coureurs savent que quand ils prennent des produits dopants, ils doivent se baser sur leur jour d'arrivée sur le lieu de stage ou de course pour calculer quand ils doivent arrêter.
Pour l'EPO, par exemple, on sait tous qu'en intraveineuse elle reste seulement trois jours dans les urines. Il suffit donc d'arrêter le traitement trois jours avant l'arrivée sur le lieu de course ou de stage pour passer à travers, alors que l'effet d'oxygénation du sang se fait sentir plus de dix jours après la prise.
Un coureur qui aura sept jours de coupure entre deux courses pourra ainsi se recharger en EPO tout de suite après la course et arrêtera trois jours avant sa date d'arrivée sur la suivante. Quant à ceux qui se sont fixé le Tour pour objectif, en général ils arrêtent toute compétition deux semaines avant le Tour et disparaissent pour se recharger en EPO afin d'arriver au départ avec un hématocrite qui avoisine les 50 %.
Mais si les coureurs parviennent à contourner les contrôles antidopage, le suivi médical longitudinal devrait, lui, révéler la prise de produits dopants...
C'est déjà le cas puisque, selon les résultats du suivi 2003 communiqués par le médecin de la Fédération française de cyclisme, sur le seul paramètre des réticulocytes - qui sont des jeunes globules rouges sécrétés par le corps huit à neuf jours après une prise d'EPO -, 30 % des coureurs présentent des taux anormalement élevés.
Les anomalies que révèle le suivi longitudinal sont largement sous-évaluées car, à chacune des quatre étapes, nous disposons de trois mois pour faire notre prise de sang. Comme pour les pseudo- contrôles inopinés, les coureurs ont donc largement le temps de s'y préparer. On choisit toujours d'y aller dans une période où l'on ne prend pas grand-chose.
Personnellement, je ne suis jamais allé au contrôle longitudinal en ayant pris de l'EPO la veille ! Je choisis toujours une période où j'ai laissé un peu mon corps au repos. Et pour le taux de cortisone, par exemple, s'il est effondré - ce qui dénote la prise de cortisone -, il suffit de prendre un cachet d'hydrocortisone avant le contrôle et de boire trois litres d'eau, et l'affaire est réglée. Pour la ferritine, par contre, c'est plus compliqué : il faut faire une saignée. C'est pour cela que le bilan 2003 relève tout de même que 30 % du peloton a des taux de ferritine anormalement élevés.
Votre suivi longitudinal 2003 laissait apparaître en fin d'année des taux de ferritine et de réticulocytes anormalement élevés. Le médecin fédéral évoque des "risques hépatologiques graves" pour ces sujets (Le Monde du 12 février). Vous a-t-on mis à l'arrêt et alerté quant aux risques pour votre santé ?
Non, on ne m'a pas arrêté et personne ne s'est assuré de savoir si j'avais consulté un hépatologue. On ne m'a jamais averti d'un danger pour ma santé lié à la prise de tel ou tel produit pourtant révélé par mon suivi. On m'a seulement averti des risques par rapport à un contrôle antidopage positif.
Au début de ma carrière, un médecin m'avait fait une piqûre avec un produit que je ne connaissais pas. Quand je lui avais demandé si ça pouvait être dangereux pour ma santé, parce que je voulais avoir des enfants plus tard, il s'était foutu de moi en me demandant si je le prenais pour un charlot et en me disant qu'il avait été médecin-préleveur aux contrôles antidopage et savait donc ce qu'il faisait... pour que je ne sois pas positif !
Le peloton français n'a pas semblé au meilleur de sa forme lors de la première grande épreuve par étapes de la saison, Paris-Nice, remportée, dimanche 14 mars, par l'Allemand Jorg Jaksche (CSC). Le malaise est perceptible chez des coureurs ébranlés par l'affaire Cofidis. Jeudi 18 mars, Jean-François Lamour, ministre des sports, a convié à déjeuner quatre coureurs, afin de s'informer de leurs problèmes. Invité en compagnie de Jean-Cyril Robin, du pistard Florian Rousseau et du "retraité" Christophe Bassons, Sylvain Chavanel souhaite "ne pas parler de l'ancienne génération" mais évoquer l'avenir des coureurs. "J'ai plein de choses à dire au ministre", assure-t-il dans Le Journal du dimanche.
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