Première manche de la Coupe du monde cycliste, la «Primavera» ouvre la saison internationale. Encore sous le coup de l'affaire Cofidis et du décès de Marco Pantani, les milieux de la «petite reine» naviguent en eau trouble. Face à un public toujours plus suspicieux, les coureurs clament leur bonne foi et crachent leur rancœur.
Simon Meier, San Remo
La tradition a ses exigences. Depuis 1907, Milan-San Remo – la «Primavera», la «Classicissima», comme disent les Italiens – annonce l'arrivée du printemps et marque la véritable éclosion de la saison cycliste internationale. Mais cette année, plus que jamais, la première des dix manches de la Coupe du monde se déroulera dans un contexte pesant, fait de suspicion et de dépit. L'hiver a été rude pour le peloton. Et pas seulement parce qu'il a fallu mouliner du jarret afin de perdre quelques graisses superflues. L'hiver a surtout été rude parce que, outre les efforts d'usage, une peine maximale s'est greffée au cœur de la «petite reine». Les mauvais relents de l'affaire Cofidis, qui a au moins eu le mérite de délier quelques langues, ont confirmé que le dopage n'était pas un spectre pour le vélo, mais un compagnon fidèle. Le récent et fort glauque décès de Marco Pantani a achevé de polluer un air déjà guère respirable.
Dans ces conditions délétères, où la confiance ne règne pas, les quelque 250 coureurs qui s'élanceront samedi matin de la via della Chiesa Rossa de Milan tenteront de se rappeler qu'il y a, 294 kilomètres et quelques bosses plus loin, l'une des plus prestigieuses épreuves qui soient à inscrire à son palmarès. Tout en sachant que celui qui aura l'honneur de lever les bras en signe de victoire sur les bords de la Méditerranée n'aura peut-être même pas le loisir de savourer librement son heure de gloire. «Le pire, c'est que chaque exploit, chaque coup d'éclat suscitera les doutes et les sarcasmes d'une partie du public, se lamente David Moncoutié, coureur chez Cofidis. Ce sera le cas durant toute la saison. Une formation qui gagnera trois étapes de suite sera automatiquement montrée du doigt. Et si un athlète, au contraire, ne décroche aucun résultat significatif, on prétendra qu'il s'est trompé dans les doses. Suite au dernier Paris-Nice, où les Français n'ont pas bien marché, les gens ont jasé. Si nous avions cartonné, il en aurait été de même. Tout cela est assez décourageant.»
Les cyclistes se déclarent injustement persécutés. Le blanc troupeau a le fâcheux sentiment d'être mis au pilori par la faute de quelques moutons noirs. Aux yeux des innocents potentiels, les malhonnêtes qui se font pincer sont des brebis galeuses qui, dans un accès de dépit, essaient d'entraîner tous les autres dans leur chute. «Chaque fois qu'un tricheur est attrapé, il s'agit d'une bonne nouvelle. Ça en fait un de moins, sermonne l'Australien Bradley McGee, de l'équipe FDJeux.com. Mais lorsque quelqu'un comme Philippe Gaumont (ndlr: l'un des coureurs mis en examen dans l'affaire Cofidis, qui a choisi de briser l'omerta) fait des déclarations fracassantes à propos d'un dopage généralisé, et que tout le monde le croit, je suis hors de moi. En sept ans de professionnalisme, je n'ai jamais rien vu des pratiques qu'il décrit. Et je suis fier d'avoir gagné des courses en étant clean à 100%.» C'est beau, mais il y a un hic: ce genre de déclarations, qu'on a tellement envie de tenir pour vraies, ne parvient plus à balayer les vilaines pensées qui squattent les esprits du grand public. «Avec tout ce que l'on peut lire ou entendre, je comprends que les gens aient des doutes, dit David Moncoutié. En ce début de saison, remarques et allusions désobligeantes ont régulièrement fusé au bord des routes. En l'état actuel des choses, il n'y a rien d'autre à faire que de se raccrocher à sa propre conscience et continuer à exercer au mieux son métier.» Ce qui ne semble pas toujours évident: «Il n'est pas rare que l'un ou l'autre de mes gars vienne spontanément me parler de cette situation pénible, explique le Français Marc Madiot, ancien coureur devenu directeur sportif de FDJeux.com. Je les sens désabusés, ils ont besoin de vider leur sac, de cracher leur rancœur. Tous paient les erreurs de quelques-uns. Nous vivons cette problématique au quotidien. Très mal. Je perçois une usure et une fatigue générales dans le milieu. Cycliste professionnel n'a jamais été un métier facile. En ce moment, il est très difficile.»
Alors, que doit-on penser? Faut-il retirer toute espèce de considération à ces brigands du bitume qui se jouent avec cynisme d'une police quelque peu dépassée? Ou bien faut-il faire confiance, malgré certaines apparences désagréables, à ces athlètes qui ne cessent de repousser leurs limites, de se retourner les tripes pour faire avancer leurs boyaux? La question n'a pas fini d'être posée. Et les coureurs n'ont guère d'autre choix que de se résigner et accepter leur sort. «Nous n'avons de toute façon pas les moyens de lutter contre la rumeur. Nous ne sommes pas les seuls à vivre ce genre d'injustice. Les agents immobiliers de Nice, où j'habite, sont tous considérés comme des escrocs sous prétexte que certains agissent de façon mafieuse. Mais, comme dit mon grand-père, le temps vient à bout de toutes les turpitudes», conclut Bradley McGee. Le sage octogénaire des antipodes puisse-t-il avoir raison. En attendant, Milan-San Remo et la tradition en prennent un sacré coup.
En cas d'arrivée massive, un duel entre Alessandro Petacchi et Mario Cipollini ne manquerait pas de sel.
Simon Meier
Les sprinters parviendront-ils à remettre l'église au milieu du village, samedi après-midi sur la via Roma, dernière ligne droite de Milan-San Remo? Piégées par le rusé Paolo Bettini l'an dernier, les fusées du peloton auront à cœur de reprendre leur suprématie lors de la 95e édition de la Primavera, sur un tracé qui les avantage a priori. Si l'arrivée se fait massive, l'Italien Alessandro Petacchi, monarque absolu du sprint en 2003, sera difficile à battre. Mais l'Allemand Erik Zabel, quadruple lauréat de l'épreuve, l'Espagnol Oscar Freire et le Transalpin Mario Cipollini, qui rêve de rééditer son coup victorieux de 2002 afin de rendre hommage à son ami disparu Marco Pantani, s'emploieront à déjouer la froide logique des pronostics.
Tous les autres ambitieux essaieront de s'inspirer du numéro final de Bettini la saison dernière pour faire «exploser» la course avant son terme et tirer leur épingle de ce jeu tactique. On pense en premier lieu à Alexandre Vinokourov. S'il n'est pas cantonné dans le rôle de simple équipier de Zabel dans la stratégie de la formation T-Mobile, le Kazakh pourrait exploiter la forme excellente qui lui a déjà permis de remporter trois étapes lors du dernier Paris-Nice. Car, s'ils peuvent passer en soi pour d'aimables monticules, la Cipressa et le Poggio prennent des airs de redoutables cols alpins, de tremplins idéaux vers la gagne lorsqu'on a plus de 250 kilomètres dans les mollets. C'est une fois de plus dans ce dernier tronçon ciselé que se fera la décision.
Parmi les sept Suisses au départ, seuls Oscar Camenzind (Phonak) et Marcus Zberg (Gerolsteiner) paraissent capables de réussir l'ombre d'un coup.
Le médecin légiste chargé de l'autopsie affirme qu'aucun élément concret ne permet d'étayer la thèse du suicide délibéré.
Le cycliste italien Marco Pantani, mort le 14 février dernier à Rimini à l'âge de 34 ans, a succombé à une overdose de cocaïne. «La mort de Marco Pantani a été provoquée par un empoisonnement à la cocaïne», a-t-on appris vendredi dans le rapport d'autopsie établi par le médecin légiste, Giuseppe Fortuni, et adressé au procureur chargé de l'enquête, Paolo Gengarelli. «Les preuves provenant de l'autopsie, des examens toxicologiques et histologiques indiquent qu'une intoxication aiguë de cocaïne a provoqué les œdèmes pulmonaire et cérébral qui ont causé le décès», poursuit le médecin légiste qui affirme «qu'il n'y a pas d'éléments concrets pouvant étayer l'hypothèse du suicide». Giuseppe Fortuni ne fait pas mention dans ses conclusions, comme d'une cause concomitante du décès, de médicaments antidépresseurs que Marco Pantani prenait depuis longtemps sous contrôle médical.
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